Recensions

Kosovo : les mémoires qui tuent. La guerre vue sur Internet, de Chantale Quesney, Québec/Paris, Presses de l’Université Laval/L’Harmattan, 2001, 211 p.[Notice]

  • Angèle-Anne Brouillette

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  • Angèle-Anne Brouillette
    Université Laval

Chantale Quesney poursuit des études doctorales à l’UQAM et est rattachée au Centre d’histoire des régulations sociales. Son ouvrage reprend certains éléments de différentes communications présentées lors de colloques organisés par le ministère de la Défense. Il comprend quatre parties en plus de l’introduction et de la préface de Louise Arbour, juge à la Cour suprême du Canada et ancienne Procureure du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Il vise à montrer les liens étroits établis entre mémoire collective ou sociale, histoire, identité, nation, représentations de l’Autre et guerre dans un médium d’information : Internet. L’auteure a constaté que la plupart des sites Web consultés, serbes ou kosovars, comportaient des présentations de certains événements historiques. On a souvent rappelé au moment du conflit qui a suivi la décision de l’OTAN de bombarder l’ex-Yougoslavie en mars 1999 que dix ans plus tôt le président yougoslave Slobodan Milošević avait retiré le statut d’autonomie aux provinces du Kosovo et de la Vojvodine, suscitant méfiance et mécontentement. L’auteure met l’accent sur la mémoire, constituante de l’histoire, pour comprendre sinon expliquer la teneur des rhétoriques serbe et kosovare utilisées à travers Internet pendant tout le conflit. Elle tente de souligner les limites inhérentes à l’histoire, comprise comme construction et comme discipline. La guerre du Kosovo aura constitué la première « cyberguerre » en ce sens que « pour le première fois […] on aura vu les hostilités d’un conflit d’une envergure internationale s’étendre avec une telle ampleur jusqu’à l’espace cybernétique » (p. 20). L’auteure établit un lien dans le premier chapitre entre les caractéristiques d’Internet et la montée de l’intérêt et de l’attrait engendrés par ce médium, qui offre simultanément liberté, interactivité, profusion et vitesse (p. 21). Elle montre bien que la profusion d’informations n’amène pas nécessairement la qualité et la diversité du contenu. Par ailleurs, l’absence de hiérarchie entourant le choix par les institutions en place d’un agenda informationnel ou d’un autre, tendrait à créer un flou autour des informations fallacieuses ou « véridiques ». La propagande peut ainsi prendre la forme d’un discours officiel et vice versa. Internet a permis pendant le conflit d’assurer un lien entre les Serbes et les États-Unis, entre les Kosovars et la diaspora. Le fait que la censure — situation normale sinon légitime pendant les guerres — ait été apparemment absente du conflit aura aussi créé une incertitude quant à la véracité des propos et des informations. Internet a personnalisé le conflit et a permis aux victimes ou à leurs proches d’exprimer leurs sentiments et leurs opinions par le biais de bases de données interactives. Ces dernières constituent les réalisations les plus concrètes ayant découlé de l’utilisation d’Internet pendant la guerre. La personnalisation du drame et de ses victimes pose une nouvelle fois la question de la véracité et de la validité des témoignages. L’auteure croit qu’Internet aura du moins réussi à créer un lien social et une communauté liée par la prise de conscience des affres de la guerre. Mais elle aurait pu tout aussi bien remettre en question la pertinence de la personnalisation du conflit qui tend à dramatiser à outrance certains événements et à en occulter d’autres. Le deuxième chapitre interroge le rôle des mémoires respectives des Serbes et des Albanais (ou Kosovars) et du lien avec l’histoire. L’auteure croit qu’« on ne choisit pas ce que l’on va refouler ou effacer de sa mémoire […]. [C]e sont des mécanismes qui relèvent de l’inconscient et qui restent donc hors de portée de la volonté » (p. 62). L’identité individuelle relève de l’omission et du rappel de certains événements tandis que la mémoire collective …