Recensions thématiques

Le salaire au travail ménager : Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977), de Louise Toupin, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2014, 451 p.[Notice]

  • Eric Lyall Nelson

…plus d’informations

  • Eric Lyall Nelson
    Doctorant, École d’études politiques, Université d’Ottawa
    enels036@uottawa.ca

Les Éditions du remue-ménage cultivent depuis longtemps un équilibre entre recherche et militantisme qui a su défier les conventions du livre savant. Le salaire au travail ménager : Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977) de Louise Toupin, cofondatrice de la maison et militante féministe de longue date, est un savoureux fruit de ces travaux. À travers ce tour d’horizon de la question aujourd’hui injustement oubliée du salaire pour le travail ménager, l’auteure nous fait revivre un épisode important du néoféminisme avec une rigueur qui étale subtilement la complexité de ses débats. Car la revendication pour un salaire au travail ménager n’était pas une simple demande pécuniaire et encore moins un moyen d’enfermer les femmes à la maison. Il s’agissait d’une revendication pour la reconnaissance du travail ignoré des femmes. Malgré le triste fait qu’elle se soit aujourd’hui éteinte, elle nous a néanmoins légué une théorie de la reproduction sociale. La revendication pour un salaire au travail ménager est l’affirmation que la reproduction sociale, et celle du capitalisme, reposent sur un travail imposé aux femmes sans aucune reconnaissance. Principal véhicule de cette revendication, le Collectif international des femmes (CIF) doit sa fondation à l’émergence, au début des années 1970, d’un marxisme réarticulé autour de la situation des femmes. Louise Toupin nous livre l’histoire de l’émerge du Collectif, de ses débats, de ses réussites et de sa dissipation. Le CIF cherchait à renverser les multiples façons dont les femmes sont exploitées par le capitalisme et les normes de la division sexuée du travail de reproduction sociale. Le salaire au travail ménager a été une de ses principales revendications parce qu’il unit toutes les femmes dans un sort commun. La revendication d’un salaire se voulait une stratégie pour révéler les multiples façons dont le travail ménager hante les femmes, à l’intérieur et à l’extérieur du foyer. Car même lorsqu’elles travaillent à l’extérieur, les femmes sont trop souvent reléguées à des emplois qui dérivent de leur statut de ménagère (infirmière, secrétaire, enseignante, serveuse et, oui, travailleuse du sexe). Il y a certaines précisions à leur revendication, mais le salaire au travail ménager interpelle les femmes racisées et les lesbiennes tout autant que les femmes blanches et hétérosexuelles. L’historiographie du mouvement, pertinemment présentée par Toupin, démontre que sous la revendication pour un salaire au travail ménager se cache un pouvoir de mobilisation capable d’unir toutes les femmes. Le premier chapitre est consacré à un examen de la situation des femmes dans les années qui ont précédé l’apparition du CIF. Réduire l’oppression des femmes à un dédoublement entre le capitalisme et le patriarcat ne fait pas justice, de l’avis de l’auteure, à la richesse de l’analyse qui se développait dans les cercles féministes au début années 1970. Une telle réduction permet néanmoins de positionner les théoriciennes. Leur approche sera d’allier ces deux critiques, selon des arrangements qui varient d’une théoricienne à l’autre. L’analyse de Margaret Benston est marxienne orthodoxe dans la reconnaissance du travail des femmes comme valeur d’usage. Pour Christine Dupont (Delphy), le patriarcat est un phénomène distinct du capitalisme. Mais pour Mariarosa Dalla Costa, il faut articuler un marxisme qui sait mettre en lumière les façons dont la famille – et la place de la femme en son sein – a été transformée pour satisfaire le capitalisme. Il est malheureux que la revendication pour un salaire au travail ménager ait parfois été réduite à une revendication pécuniaire. Le second chapitre étale le raisonnement théorique trop facilement occulté par ce déplorable constat. La revendication affirme que toute l’existence des femmes est structurée par le travail ménager. Sa valeur est réprimée par des références à l’amour …