Recensions

Panique à l’université. Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, de Francis Dupuis-Déri, Montréal, Lux, 2022, 328 p.[Notice]

  • Jean-Pierre Couture

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Parmi la série d’ouvrages sur le péril allégué de l’université, rares sont ceux qui osent problématiser l’allégation elle-même et la mettre en relief avec le passé récent et lointain de cette institution millénaire. S’il fallait ne nommer qu’une seule contribution de Francis Dupuis-Déri à l’analyse de cette « crise », nous signalerions que l’auteur démantèle non seulement son caractère « nouveau », mais qu’il débusque les termes d’une équation aussi ancienne que bien rodée : l’action turbulente de la jeunesse, inoculée d’idées radicales, menace l’université. Dès le deuxième chapitre de Panique à l’université, l’auteur démontre que le recyclage de cette équation consiste, d’abord, à maquiller ses constantes afin de les faire passer pour des variables. Il suffit ensuite d’adapter celles-ci au goût du jour pour avoir une bonne chance de voir l’opinion mordre à l’hameçon. Ainsi, au cours d’un demi-siècle, tant le marxisme, le féminisme, le postmodernisme, le multiculturalisme que les social justice warriors épris de political correctness ont tour à tour joué le rôle de cette menace qui, à chaque occasion, aurait porté un coup fatal à la science et au canon des dead white males. Or, même si le sac des bibliothèques n’a jamais eu lieu, la reprise des antiennes sur l’imminente victoire des ennemis de la raison ne connaît pas de répit. L’auteur relate le cas de Robert Leroux qui, il y a vingt ans, identifiait cette menace au féminisme universitaire, alors que c’est le « wokisme » qu’il relie aujourd’hui à « une forme de terrorisme intellectuel » (p. 66). Puis, remontant le fil des emplois récurrents de ce topos, Dupuis-Déri rappelle qu’Allan Bloom, dans les années 1980, parlait déjà de campus « écrasés par la “terreur” des féministes et le “totalitarisme” des Afro-Américains » (p. 124). En mai 1968, ce même lexique fut aussi employé par Raymond Aron pour qui « les jeunes rebelles étaient […] des “barbares, inconscients de leur barbarie”, animés d’une “démence collective” […] pratiquant le “terrorisme institutionnalisé” » (p. 87-88). En sus de la reprise de cette équation, tant au Canada et aux États-Unis qu’en France, Dupuis-Déri souligne l’enflure verbale qui caractérise ces interventions. Même en concédant que l’usage du mot terrorisme puisse être pris ici au sens figuré, nous remarquons au fil de l’analyse que le choix de l’hyperbole n’est pas accidentel. Il s’agit plutôt d’une convention de ce discours qui ne s’embarrasse d’aucune précaution historique pour décrier les actions de l’ennemi : lynchage, extermination, totalitarisme, camps de rééducation, etc. Avec une patience qui honore le métier de professeur, l’auteur rappelle ce que les mots et les choses recouvrent. Faits historiques à l’appui, il revient sur l’étendue de la violence meurtrière de ces crimes d’État et déplore avec raison que ces polémistes, en rivalisant d’outrances verbales, « n’expriment aucune empathie pour les millions de victimes réelles dont ils détournent la mémoire » (p. 134-135). Comment expliquer qu’une manoeuvre aussi fragile que douteuse puisse être à ce point efficace ? C’est en s’appuyant sur le sociologue Stanley Cohen que Dupuis-Déri fournit une clé pour comprendre le succès d’une stratégie consistant à partir de quelques faits (un chahut étudiant, une action turbulente, une parole radicale) pour nourrir la machine de « discours amplificateurs exagérant à outrance le problème et diabolisant les jeunes » (p. 61). Dans Folk Devils and Moral Panics, paru en 1972, Cohen qualifie ces amplifications de paniques morales et il situe la chaîne de montage de celles-ci au coeur des médias populistes. Dupuis-Déri résume : « la presse à sensation joue un rôle central dans les processus de diabolisation d’une catégorie sociale (souvent des jeunes marginaux) …