Comptes rendus

Sylvie Martin, Le désenfantement du monde. Utérus artificiel et effacement du corps maternel., Montréal, Liber, 2011, 220 p.[Notice]

  • Chantal Doré

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  • Chantal Doré
    Université de Sherbrooke

D’entrée de jeu, j’ai été captivée par ce volume, tant pour son regard qui embrasse large que pour l’analyse approfondie menée par l’auteure Sylvie Martin. Cet ouvrage au titre à la fois magnifique et terrible porte sur l’ectogenèse, communément nommée « utérus artificiel ». À notre époque, le projet de l’ectogenèse n’est plus de l’ordre de l’impossible. Depuis plusieurs décennies, la biomédecine reproductive s’intéresse aux stades préembyonnaire et embryonnaire du développement humain. Le processus de la nidation extracorporelle est désormais conçu comme possible sur le plan technoscientique et défendu par une frange scientifique significative. Et la néonatalogie a fait, on le sait, d’énormes avancées au xxe siècle – bien que les résultats pour un nombre significatif de parents et d’enfants ne puissent pas toujours être qualifiés de progrès. Bref, on gagne du terrain sur le plan technoscientifique, de la préconception à la période postnatale. L’auteure pose dans son ouvrage une question centrale (p. 12) : « Par quelle spirale sociohistorique la grossesse est-elle devenue « facultative », tant du point de vue de l’interventionnisme technoscientifique que de la désirabilité sociale? ». On se demande si c’est vraiment le cas. Elle en fera une démonstration pourtant assez convaincante. Sylvie Martin mène sa réflexion à partir d’une approche qui rappelle le fait social total de Mauss sur le don, mais, cette fois-ci, le fait social total est le corps dans son expérience corporelle particulière que sont la grossesse et la maternité. L’ouvrage comprend cinq chapitres, dont deux constituent plus de la moitié du contenu : les approches modernes et postmodernes du corps et de la procréation. L’introduction convainc non seulement de l’importance du sujet, mais aussi de sa portée et de son ampleur sur les représentations, l’organisation sociale, les rapports sociaux de sexe et la vie sociétale. La procréation agissant comme révélateur des rapports sociaux, elle acquiert, de ce fait, une signification globale et devient une totalité. Ce cadre d’analyse large et englobant dégage un sens qui dépasse les individus, et c’est là tout son mérite. À vrai dire, l’auteure décortique l’oeuvre de la raison instrumentale en rapport avec ses résonances culturelle et sociale profondes. Le volume se situe alors en droite ligne avec l’analyse de Vacquin, dont la citation suivante ouvre sur les perspectives décrites (Vacquin 1990 :297) : Comment appréhender l’ectogenèse en tant que phénomène sociologique, anthropologique et philosophique? En dernière analyse, l’intérêt sociologique est de voir la manière dont ces nouveaux repères anthropologiques modifieront les rapports sociaux de sexe et de classe, outre qu’ils mettront en oeuvre une redéfinition de la procréation. Sur le plan anthropologique et philosophique, l’existence de l’ectogenèse générera une redéfinition inévitable des repères filiaux et de la conception « classique » de l’être humain. L’auteure a raison de parler de rupture anthropologique du fait que tous les enfants naissent d’un corps féminin. Malgré la marginalité de certaines recherches, comme implanter un utérus artificiel dans un corps masculin ou des tentatives de gestation interespèces, on observe une logique de développement technoscienfique qui échappe aux individus et fait système, encouragée en cela par des représentations ou des symboliques fictionnelles ou mythiques. Surtout, même si c’est le résultat de recherches indirectes et provenant de diverses voies, ces recherches convergent potentiellement vers l’ectogenèse. Martin synthétise en une quinzaine de pages l’histoire de la médicalisation de la grossesse, avec des références pertinentes et abondantes sur, notamment, la présence des sages-femmes, la dimension communautaire et féminine de l’accouchement, la césarienne comme caractérisant le début de l’intervention masculine et de la masculinisation de l’obstétrique en même temps que signant leur extériorité au processus de l’enfantement, la marginalisation subséquente des sages-femmes et …

Parties annexes