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Dans son ouvrage Les paradoxes de la féminisation. Analyse comparative de trois postes à responsabilités dans le système éducatif, Combaz examine la segmentation occupationnelle avec prédominance des hommes dans les postes prestigieux des établissements scolaires de référence qui leur permet d’obtenir de meilleurs salaires. S’appuyant sur un ensemble de sources documentaires et archivistiques indispensables (notamment, politiques nationales; conventions interministérielles, statistiques ministérielles; recommandations; comptes rendus des jurys de concours de recrutement; rapports disponibles à partir des bilans sociaux publiés par différentes institutions), il réalise un état des lieux de l’évolution constante du nombre de femmes depuis 1998 dans l’encadrement supérieur du système éducatif et analyse les rapports sociaux de sexe qui s’y matérialisent. L’auteur étudie également les résultats de ces recherches sur la répartition sexuée des postes à responsabilités dans ce système éducatif en ce qui a trait à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cet ouvrage met donc en évidence les données recueillies, générées et analysées par Combaz pour cartographier et décrire les paradoxes de cette féminisation à géométrie variable, puisque les femmes, malgré leur forte présence, sont proportionnellement moins nombreuses dans les directions d’établissements scolaires prestigieux et occupent majoritairement les postes de direction adjointe. Cette occupation disproportionnelle des postes par les femmes et les hommes renvoie à la sempiternelle question de l’atteinte de l’égalité professionnelle (pourtant inscrite depuis 1983 dans le droit français) à compétences égales dans la fonction publique. En France, en effet, l’égalité entre les sexes constitue un principe d’ordre constitutionnel fondamental, et de nombreuses politiques et d’autres mesures ont été mises en place pour rééquilibrer la répartition entre les genres, l’objectif étant de passer de l’égalité de droit à l’égalité des faits dans l’exercice des fonctions à responsabilités supérieures. Cette ségrégation occupationnelle du système éducatif français est exposée en quatre chapitres qui structurent l’ouvrage de Combaz.

En introduction, Combaz explore les différentes acceptions de la notion de féminisation et fait remarquer qu’un rapport publié en mars 2020 montrait que, dans le système éducatif français, « 70 % du personnel enseignant sont des femmes et que, dans les personnels non enseignants, la part des femmes est de 77 % » (p. 7). Au-delà de l’optimisme engendré par cette forte représentativité statistique des femmes dans les postes de gestionnaires scolaires, les analyses de Combaz nous éclairent plutôt sur certains aspects particuliers de cette féminisation qu’il qualifie de « différenciée ». Il énonce par le fait même un certain nombre de questionnements féconds sur l’instrumentalisation du féminin dans certaines fonctions du système éducatif et regrette que les femmes soient souvent désavantagées lors des avancements et des promotions.

Le premier chapitre, « Repères juridiques, théoriques et méthodologiques », présente les principaux éléments du cadre législatif dont il est question dans l’ouvrage ainsi que la problématique générale. Combaz explore les fondements juridiques de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les politiques publiques et les dispositifs officiels pouvant aplanir les obstacles sociologiques auxquels se heurtent les femmes dans l’accès aux postes à hautes responsabilités.

Le deuxième chapitre, « La direction d’établissement dans le second degré : vers une féminisation différenciée? », est centré sur les enjeux institutionnels et sociaux de la fonction de chef d’établissement dans l’enseignement du second degré. Il s’agit des femmes et des hommes à la tête des établissements d’enseignement secondaire qui occupent des postes de proviseurs, à la direction des lycées, et des postes de principaux, à la direction des collèges. Dans ces directions d’établissement binôme (une ou un chef et son adjointe ou adjoint), les hommes ont plus de chance d’occuper la fonction de directeur, alors que les postes de direction adjointe sont majoritairement occupés par des femmes. En fonction de cette répartition sexuée des postes et selon la taille de l’école, les hommes occupent des postes aux profils de spécialisation variés et bénéficient d’une meilleure reconnaissance locale et d’une plus grande rémunération. Combaz qualifie cette « surreprésentation qui n’en est pas une » (p. 104) de « féminisation différenciée », en raison du plus grand nombre de femmes dans les postes à responsabilités moindres.

Le troisième chapitre, « L’inspection dans l’enseignement primaire : une profession longtemps réservée aux hommes? », présente le poste d’inspecteur ou d’inspectrice de l’enseignement primaire, qui relève d’un groupe professionnel construit pour assurer la représentation de l’État sur les territoires éducatifs. Ce corps de métier, longtemps réservé aux hommes, a été majoritairement investi par des femmes en 2017. L’auteur qualifie aussi cette plus grande représentation de femmes de « féminisation différenciée », puisque la survenue d’inspectrices dans cette profession autrefois prestigieuse et matérialisant l’aboutissement d’une carrière enseignante réussie, semble dorénavant la dévaloriser.

Le quatrième et dernier chapitre de l’ouvrage, « La direction d’école dans le premier degré : une opportunité pour les femmes », traite de la direction d’école au premier degré d’enseignement et décrit ses principales missions. Il est intéressant de constater que l’accès à cette fonction se fait, aujourd’hui en France, par cooptation. Les femmes sont surreprésentées comme directrices décole, avec un taux dépassant les 80 %. L’auteur indique que l’alourdissement des charges administratives et le manque de reconnaissance liés à ces postes rendent cette fonction moins attractive. Il met en évidence le fait que « tous les postes ne se valent pas. Certains sont plus attractifs que d’autres, notamment du point de vue des avantages financiers et symboliques qu’ils procurent » (p. 106).

Dans sa conclusion, Combaz insiste sur la complexité d’interpréter les paradoxes de cette féminisation et suggère que soient réalisées des recherches nationales et comparatives. Il évoque la contribution des recherches féministes et l’apport des mouvements associatifs et militants féministes dans l’avancement du processus de féminisation de ces fonctions à travers l’élaboration des programmes d’accès à l’égalité.

Dans son livre, Combaz soulève des enjeux intéressants sur la progression de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les trois postes étudiés. Ainsi, leur féminisation est contrebalancée par la surreprésentation des hommes, notamment dans des postes prestigieux dans des établissements de renom, ce qui leur donne une meilleure rémunération. Au coeur des préoccupations soulignées se trouvent les aspects constitutifs d’une féminisation « à demi-teinte », en fait à l’avantage des hommes. On s’aperçoit en effet que les probabilités d’accéder au poste de direction d’école sont plus élevées pour les hommes et que les enseignantes sont désavantagées dans leur avancement de carrière. Sur ce point, le livre fait écho aux préoccupations féministes sur l’égalité lorsqu’elle est considérée comme déjà réalisée par la simple présence de femmes dans certaines fonctions. Une autre force de l’ouvrage repose sur le fait qu’il met en lumière la réalité cachée derrière les données statistiques d’hommes et de femmes dans les postes à responsabilités. Ces données statistiques n’expliquent pas l’entièreté de cette féminisation. Combaz met en garde contre l’interprétation simpliste de ce phénomène et propose une réflexion en explorant les principaux enjeux sociologiques qui accompagnent les tendances statistiques, leurs causes, leurs conséquences et leurs implications sur l’atteinte d’une véritable égalité professionnelle qui serait proportionnelle à la présence chiffrable des femmes dans l’encadrement supérieur du système éducatif français. Ces deux aspects éclairent la compréhension de l’expression « féminisation différenciée », notion indéniablement instructive, notamment parce qu’elle renvoie à une multitude de facettes qui se complètent pour expliquer les différentes acceptions du terme « féminisation » comme dynamique d’égalisation, de rattrapage ou de dévalorisation des postes à responsabilités en gestion scolaire (Amboulé-Abath 2022). Une autre force de l’ouvrage consiste dans le questionnement des intersections professionnelles et des dynamiques de segmentation statutaire sexuée observées par Combaz. Ces interrogations permettent d’explorer de quelles façons ces intersections participent à (re)produire et à légitimer des rapports sociaux de sexe à l’origine de la dissymétrie occupationnelle en faveur des hommes dans l’enseignement du second degré. Les féministes que nous sommes ne peuvent que déplorer cette asymétrie qui entretient, dans ce domaine très féminisé, une émancipation sous tutelle pour des femmes. Bien que le questionnement soit présent en filigrane dans le livre, il aurait mérité une analyse féministe des rapports sociaux de sexe pour que soient mis en lumière les différents enjeux sexospécifiques comparatifs et les dynamiques qui sous-tendent la surreprésentation des hommes dans les postes les mieux rémunérés.

Selon Combaz, il convient tout de même de rappeler que la nouvelle génération de directrices/inspectrices en poste est très ambitieuse et que l’envie irrépressible de jeunes enseignantes d’occuper les postes de direction annonce, pour le futur, des scénarios d’une véritable féminisation à tous les paliers de gestion scolaire. À l’avantage des femmes, espérons-le. Enfin, comme le soulève en conclusion Combaz, l’une des limites flagrantes de l’ouvrage concerne la non-féminisation du texte qui, au demeurant, traite de la surreprésentation numérique des femmes. Nous regrettons ce choix délibéré de ne pas féminiser le texte ni d’adopter une écriture inclusive, qui, selon l’auteur, « a tendance à alourdir, voire à parasiter, la lecture » (p. 16).

Au terme de cet ouvrage bien documenté, Combaz met en garde contre l’acception statistique de la notion de « féminisation » et propose celle de « féminisation différenciée ». La lecture de cet ouvrage ne peut donc être que fortement conseillée à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la question de la place des femmes dans les postes décisionnels et à la question de la féminisation des professions. Il s’agit d’une contribution fort intéressante pour les travaux en administration scolaire et en sociologie des professions. Espérons que Combaz continuera à explorer cette thématique afin de poursuivre le débat sur cet enjeu aux multiples facettes qu’est la féminisation à rebours de la gestion scolaire observée dans de nombreux pays développés. Terminons par ce titre très évocateur de l’ouvrage de Claudine Baudoux, paru en 1994, qui posait déjà cette question d’une actualité bien réelle dans de nombreux pays développés : La gestion en éducation : une affaire d’hommes ou de femmes?