Comptes rendus

Lucie Guillemette et Louis Hébert (dirs), Signe des temps. Temps et temporalité des signes, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2005, 325 p.[Notice]

  • Gilles Pronovost

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  • Gilles Pronovost
    Département des sciences du loisir et de la communication sociale,
    Université du Québec à Trois-Rivières.

Prenez un mot au hasard, disons le mot « temps ». Ajoutez-en d’autres, comme courbes d’euphorie, distension, hyperbole, etc. Vous avez droit également à tous les adjectifs possibles : infini, défini, indéfini, par exemple. Pour la sociologie, arrêtez-vous à Georges Gurvitch. Ne mentionnez jamais Piaget. Si vous abordez le roman, ne faites surtout pas allusion à Proust. Si vous analysez quelque film remarquable, évitez Les temps modernes de Chaplin. Au cours d’un charivari, disons un colloque scientifique, mélangez le tout. Le résultat ? Un livre, qui l’eût cru ? « Nous proposons un ouvrage entier sur le sujet [le temps], ne fût-ce que pour dire ces impossibilités », écrivent d’emblée les directeurs de l’ouvrage. Qui a dit qu’à l’impossible nul n’est tenu ? Car le lecteur est lui aussi convié à une mission impossible : comprendre ce dont il est question dans l’ouvrage. D’autant plus qu’il est farci de notions de sens commun (du genre « l’homme est condamné au temps ») et d’affirmations très surprenantes (du genre « Autre signe des temps (…), l’Histoire connaît une glorieuse résurrection universitaire »). Seize textes composent cet ouvrage, tiré du VIIIe colloque international de la Société de sémiotique, tenu pendant un congrès de l’ACFAS en 2002. L’hétérogénéité inévitable qui en résulte peut être illustré par le fait que l’on traite, entre autres, de L’apocalypse, du Coran, de contes d’enfants et des miniatures turques ! Quelques textes se concentrent sur certains films (dont Amadeus de Milos Forman), d’autres sur quelques romans. Les registres d’analyse sont donc fort nombreux et les contradictions tout aussi multiples. Ainsi, dans le premier texte, Jacques Fontanille, de l’Université de Limoges, tout en reconnaissant que la place accordée au temps dépend bien entendu de la perspective théorique et épistémologique retenue, n’en avait pas moins soutenu auparavant que, quelle que soit l’approche, philosophique, littéraire, etc., « les conceptions du temps… sont strictement déterminées par des contraintes et des stratégies énonciatives » (p. 7). Bref, pensez ce que vous voulez, c’est la sémiotique qui a raison. Le même auteur nous informe également que « Le temps est un circonstant du procès » (p. 8) et qu’il est aussi « une substance » (p. 53). Nous ne sommes pas au bout de nos peines, puisque Louis Hébert, de l’Université du Québec à Rimouski, se fait fort de décrire, graphiques à l’appui, 27 « courbes d’euphorie esthétique ». C’est, précise-t-il, pour nous permettre de mieux comprendre « la corrélation entre temps et intensité des effets esthétiques d’une production sémiotique » (p. 60). À titre d’information, le Boléro de Ravel correspond à sa 23e courbe. Fait légèrement contrepoids à ce déluge de mots, une petite étude sur Saussure, d’un chercheur sud-coréen (Yong-Ho Choi), où l’on présente comme une véritable découverte que les signes circulent au sein des sociétés, que leur valeur y est déterminée et que leur signification en découle (« l’hypothèse de la socialité »). L’hypothèse sociale est aussitôt mise au rancart dans une étude d’André Petitat, de l’Université de Lausanne, qui fait l’analyse des contes formulaires (contes comportant des actions répétitives) ; l’auteur traite de la genèse de la notion de temps sans jamais citer Piaget et nous informe que les séries répétitives des contes pour enfants « sont interprétées comme des déroulements temporels des virtualités du concept » (p. 99). Un peu dans la même veine, Lucie Guillemette, de l’Université du Québec à Trois-Rivières, présente une étude d’oeuvres littéraires pour la jeunesse. Au départ, l’auteure nous prévient de ceci : « Avec la fin des grands mythes fondateurs et le déclin des …