Corps de l’article

1. Introduction et problématique

L’ère de la mondialisation qui caractérise les sociétés d’aujourd’hui se traduit par la circulation des personnes et des biens à travers les pays et fait en sorte que l’éducation s’internationalise de diverses manières : par les curriculums, la mobilité des enseignants ou des étudiants, les partenariats internationaux de recherche, la mise sur pied de réseaux institutionnels (Maïnich, 2015 ; Mangour, 2008). La présente recherche s’intéresse à la mobilité des « étudiants internationaux ». Ce sont des étudiants qui ont quitté leur pays d’origine pour se rendre dans un autre pays afin d’y faire leurs études. Au Canada, de tels étudiants n’ont ni la citoyenneté canadienne ni le statut de résidents permanents (Bonin et Girard, 2015 ; Fédération des cégeps, 2014 ; Statistique Canada, 2016). Ce sont des résidents temporaires. Cette particularité met en lumière les enjeux de temporalité et de conditions de séjour, ainsi qu’un rapport complexe de loyauté envers leur pays, leur culture d’origine et celle du pays d’accueil (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2018). De plus, ce statut particulier fait en sorte que l’étudiant ne peut pas par exemple bénéficier de certaines bourses d’études canadiennes et québécoises, avoir accès gratuitement à un médecin de famille ou consulter gratuitement le service de placement pour la recherche d’emploi, des limites qui peuvent être des défis supplémentaires quant à son intégration et sa réussite scolaire.

En 2015, le Canada comptait 353 570 étudiants internationaux, tous niveaux d’études confondus (Bureau canadien de l’éducation internationale, 2016). Le Canada prévoit augmenter encore l’effectif des étudiants internationaux en se fixant l’objectif de franchir le seuil de 450 000 étudiants internationaux d’ici 2020 (Bureau canadien de l’éducation internationale, 2016). Or, dans son rapport de 2018, le Bureau soulignait la présence de 494 525 étudiants internationaux au Canada le 31 décembre 2017. On constate donc qu’en 2017, le nombre d’étudiants internationaux dépassait l’objectif fixé par le gouvernement du Canada. Pour ce qui est du Québec, à l’automne 2017, environ 42 000 étudiants internationaux étaient inscrits dans les universités québécoises soit 14 % de plus qu’en 2016. Selon le Bureau de coopération interuniversitaire (2018), près d’un étudiant sur sept fréquentant les universités québécoises n’est pas citoyen canadien ou résident permanent.

1.1 L’internationalisation de l’éducation dans les cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean

Les recherches sur les étudiants internationaux se sont penchées majoritairement sur la présence de ces derniers dans les universités canadiennes et québécoises (Bonin et Girard, 2015 ; Conseil régional des élus de Montréal, 2006 ; Côté, 2018 ; Deshayes, 2017 ; Germain et Vultur, 2016 ; MAGE-UQAC, 2009 ; Maïnich, 2015). Pourtant, les cégeps ne sont pas en reste en ce qui concerne l’internationalisation de l’éducation.

La région du Saguenay–Lac-Saint-Jean qui regroupe les cégeps de Jonquière, de Chicoutimi, de Saint-Félicien et le Collège d’Alma, accueille les étudiants internationaux depuis plus d’une dizaine d’années. En effet, les cégeps de cette région développent des partenariats à l’international afin d’accueillir des étudiants pour des séjours d’études. En 2013, 3 200 étudiants faisaient leur rentrée au Cégep de Jonquière, dont 200 étudiants internationaux (Bégin, 2013). Pour ce qui est du Cégep de Chicoutimi, à l’automne 2016, l’établissement a accueilli une cohorte de 70 étudiants internationaux (Radio-Canada, 2016). En ce qui concerne le Cégep de Saint-Félicien, son plan stratégique 2010-2015 prévoyait atteindre et maintenir un effectif de 100 étudiants internationaux par année. Comme le notait déjà Séguin (2011), bien que récent, le phénomène de l’internationalisation est bel et bien présent dans les cégeps du Québec. Pour ce qui est du recrutement, les 48 cégeps publics du Québec sont appuyés par Cégep international et les établissements d’enseignement ont la responsabilité de l’accueil et de l’intégration des étudiants dans la région visée. De façon générale, les politiques d’accueil encadrent les différentes étapes adminstratives à franchir pour être admis dans un établissement d’enseignement collégial, à savoir la demande d’admission, la demande de certificat d’admission pour études et la demande de permis d’études au niveau fédéral.

1.2 Justification de la pertinence scientifique du projet

Le Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur (2019) offre une vitrine sur ce qui est fait en matière de recherche sur les étudiants internationaux en enseignement supérieur. Il y a bien quelques ouvrages sur l’intégration scolaire des immigrants et étrangers dans les cégeps du Québec (Ouédraogo, 2011), les difficultés de réussite des étudiants immigrants dans les stages des programmes techniques collégiaux (Gaudet et Loslier, 2011), l’accueil des étudiants immigrants dans le programme de soins infirmiers (Hébert, 2011), etc. Mais l’expérience migratoire des étudiants internationaux dans les collèges québécois est peu documentée.

Le manque d’information sur les besoins des étudiants internationaux dans le réseau collégial a amené le Centre collégial de transfert de technologie dans le domaine des pratiques sociales novatrices du Cégep de Jonquière à réaliser, en automne 2017, une étude exploratoire auprès de quelques membres du personnel (les gestionnaires, les professionnels des services aux étudiants et de l’organisation scolaire) et de quelques étudiants du Cégep de Jonquière. Selon les résultats, il semble que la classe est le lieu privilégié pour l’intégration des étudiants internationaux. L’étude révèle que le personnel scolaire du collège ne dispose pas d’outils souples et efficaces pouvant l’aider dans sa relation avec ces étudiants. Ces résultats rejoignent ceux rapportés par d’autres études au Québec, au Canada et aux États-Unis sur les défis d’intégration et de réussite scolaire des élèves de différentes origines (Assaf, Garza et Battle, 2010 ; Fleury, 2009 ; Jacquet, 2007 ; McAndrew, 2008 ; Toussaint, 2010). Ainsi, pour mieux outiller le personnel scolaire dans ses relations avec les étudiants internationaux, il s’avère important de connaitre la réalité de ces étudiants : qui sont-ils ? Quels sont leurs besoins et leurs attentes ? Que disent-ils au sujet de leur intégration et de leur réussite scolaire ? Tout en paraphrasant Bureau (1998), soulignons que, pour enseigner les mathématiques à John, il faut certes connaitre les mathématiques, mais il est aussi indispensable de connaitre John.

De plus, la pertinence scientifique de cette étude se justifie également par le fait que, comme le notaient Vatz-Laaroussi, Kanouté et Rachédi (2008), le défi de l’intégration est encore plus grand en régions éloignées où il y a une faible concentration d’immigrants et où la population n’est pas habituée à faire face à la diversité ethnoculturelle. C’est le cas du Saguenay–Lac-Saint-Jean, où l’immigration est un phénomène assez récent. En 2016, les immigrants constituaient 1,1 % de la population totale de cette région et les résidents non permanents, 0,3 % (Statistique Canada, 2016). Au Canada, les étudiants internationaux font partie des résidents non permanents.

En 2013, la région a connu des actes que l’on pourrait qualifier d’exclusions : distribution dans la ville de Saguenay de dépliants anti-immigration, vandalisme de la mosquée de Chicoutimi, présence de pancartes « ville blanche » dans la municipalité de Saint-David-de-Falardeau (Radio-Canada, 2013, 2017). Dans ce contexte, mais sans vouloir monter ces divers évènements déplorables en épingles, il devient donc essentiel de faire un portrait de l’expérience migratoire des étudiants internationaux dans un contexte de faible densité ethnoculturelle. Dans ce sens, la question centrale de cet article est : quel regard les étudiants internationaux des cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean portent-ils sur leur expérience migratoire dans une région à faible densité ethnoculturelle ? Autrement dit, quelle perception se font-ils de leur intégration et de leur réussite scolaire ? Quels sont les défis qu’ils rencontrent ? Quels sont les facteurs favorables et les obstacles à leur intégration et à leur réussite scolaire ? Comment s’adaptent-ils à leur nouvel environnement ?

2. Cadre théorique et conceptuel

Cette section permet d’approfondir deux concepts centraux. Il s’agit tout d’abord de présenter le concept d’intégration et de le situer dans différents cadres théoriques pour mieux comprendre l’expérience migratoire des étudiants internationaux. Ensuite, nous explorons le cadre théorique de notre étude qui est celui des représentations sociales pour saisir l’intégration des étudiants internationaux. Enfin, nous examinons le concept de réussite scolaire.

2.1 Le concept d’intégration pour comprendre l’expérience migratoire des étudiants internationaux

Le processus par lequel les immigrants adhèrent aux normes et à la culture du pays d’accueil, ou par lequel la société organise leur établissement, peut avoir diverses appellations, dont les plus courantes sont : intégration, séparation, ségrégation, assimilation et marginalisation. Dans le processus d’assimilation, l’individu renonce à sa propre identité culturelle et adopte la culture de la société d’accueil ou du groupe culturel dominant au détriment de sa propre culture (Berry et Sam, 1997 ; Sabatier et Berry, 1994). Ce processus exclut la réciprocité et s’appuie sur une attitude ethnocentriste qui refuse de prendre en compte les différences culturelles (Mascary, 2017). Dans le processus de séparation, l’individu cherche à conserver son identité et sa culture d’origine en évitant volontairement d’établir des relations avec la société d’accueil. La ségrégation intervient quand l’absence de relation avec la société d’accueil est imposée par cette dernière (Berry et Sabatier, 2010). La marginalisation, de son côté, se caractérise par une double rupture culturelle et psychologique de l’individu ou d’un groupe, aussi bien avec la culture d’origine qu’avec la société d’accueil (Amin, 2012).

L’intégration, quant à elle, est un processus par lequel l’individu peut à la fois conserver sa culture et son identité d’origine et avoir des contacts avec la société d’accueil, s’y épanouir et y participer. L’intégration nécessite parfois une adaptation qui est le processus lors duquel un individu ajuste ses attitudes et son comportement afin de s’insérer dans un nouveau milieu social (Legault et Fronteau, 2008). Nous avons choisi le concept d’intégration, car il met de l’avant la rencontre avec l’autre. Il est le résultat d’interactions qui appellent à la fois une ouverture réciproque aux échanges et la présence et 1’accès à des lieux d’échange (Héroux, 2018). Le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (l990) notait que « s’intégrer, c’est devenir partie intégrante d’une société » (p. 44).

Dans le processus d’intégration, l’individu est acteur d’intégration en ce sens qu’il participe à son processus d’intégration. De nombreuses théories s’intéressent au point de vue de l’individu comme acteur de son destin. Tel est le cas de Dubet (1994) qui préconise l’idée d’une sociologie de l’expérience scolaire qui prend en compte la subjectivité de l’acteur, et la façon dont il combine les diverses logiques d’action au sein du système scolaire. Il existe trois types de logiques d’action : l’intégration de la culture scolaire, la construction de stratégies sur le marché scolaire et la maitrise subjective des connaissances et des cultures qui les portent (Dubet et Martucelli, 1996).

La logique d’intégration de la culture scolaire est un processus par lequel l’étudiant s’intègre, par exemple dans un milieu scolaire ou d’autres milieux de socialisation, et intériorise les règles, les codes et les formes d’autorité qui caractérisent chaque milieu de socialisation. Ces caractéristiques culturelles propres à chaque milieu de socialisation peuvent parfois entrer en contradiction. Dans son pays de migration pour études, l’étudiant international fait face à de nouvelles stratégies d’apprentissage et d’enseignement ainsi qu’à la barrière de la langue. Même s’il provient d’un pays francophone, l’étudiant international se rend compte, par exemple, qu’au Québec, les expressions et les mots n’ont pas toujours la même signification que ceux de son pays d’origine et que le rapport à l’autorité diffère d’un pays à l’autre (Bikie Bi Nguema, Gallais, Arbour et Charbonneau, 2019). Une étude de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (2010) va également dans le même sens quand elle relève que la langue peut être un défi majeur dans la relation communicationnelle entre les étudiants internationaux et leurs camarades de classe, mais aussi avec les enseignants et les professionnels du milieu scolaire.

La logique stratégique ou la construction de stratégies sur le marché scolaire (ou tout autre milieu de socialisation) s’entend comme les décisions de survie ou de non-survie mises en place par le sujet. Match (2006), par exemple, a analysé les stratégies individuelles d’intégration d’immigrants d’origine africaine au Québec. L’auteur a voulu savoir, d’une part, comment les stratégies d’adaptation mises en oeuvre par les immigrants influencent l’issue de leur processus d’intégration dans la société d’accueil et, d’autre part, comment certains immigrants arrivent plus facilement et rapidement à mieux s’intégrer que d’autres. L’analyse des données montre que l’intégration dépend largement des stratégies d’adaptation que les participants développent individuellement. Parmi ces stratégies, il y a le recours aux études universitaires, le repli sur la communauté culturelle d’origine, la conservation délibérée de l’identité culturelle d’origine et le mariage mixte (Match, 2006).

Enfin, ce qui caractérise l’acteur, c’est aussi sa capacité à développer un esprit critique, une distance par rapport à soi et au système scolaire (ou tout autre milieu de socialisation). C’est la troisième logique d’action (Dubet et Martucelli, 1998). Pour ces auteurs, « il ne faut pas réduire l’acteur social, fût-il “naissant”, au rôle de réceptacle des normes scolaires qui se déversent sur lui » (Dubet et Martucelli, 1996, p. 97). Ces auteurs refusent de voir l’acteur comme un être passif : l’acteur participe au jeu social et scolaire. Ce qui fait la différence entre les étudiants, c’est leur façon toute personnelle et singulière de réagir face au système ou de le subir tout simplement. C’est ce que nous montre Gagnon (2017). Cette auteure s’est intéressée à l’expérience migratoire et interculturelle de jeunes migrants adultes poursuivant un projet de formation à l’Institut maritime du Québec à Rimouski. Les thèmes abordés étaient les motivations à migrer et à choisir tel ou tel lieu de formation et de vie, les chocs culturels, la création de liens, le sentiment d’intégration, l’expérience scolaire, les stratégies d’adaptation et de résilience, etc. Les résultats montrent que plusieurs facteurs ont un impact sur l’expérience d’adaptation et d’intégration au nouvel environnement : les relations interpersonnelles, les lieux fréquentés, le bagage migratoire, etc. Mais, l’auteure met aussi de l’avant la personnalité des individus, leur histoire de vie singulière, qui influence aussi l’expérience migratoire des étudiants rencontrés. La migration pour études peut être vécue de façon différente d’une personne à une autre malgré que les participants à l’étude aient des caractéristiques semblables (l’âge, la nationalité, la confession religieuse, le programme de formation, le moment de l’arrivée, le lieu de résidence, etc.).

2.2 L’analyse des représentations sociales pour mieux cerner la complexité de l’expérience migratoire pour études

Tout comme ces auteurs cités précédemment, nous sommes d’accord qu’il est important de s’intéresser à la subjectivité de l’individu pour comprendre son rapport à l’environnement dans lequel il vit (famille, société, école ou tout autre système de socialisation). Cependant, comme le faisait remarquer Poupart (2011), le sens qu’un individu donne à la réalité, à son environnement, ne peut pas suffire à lui seul à comprendre les conduites sociales. Pour Poupart, il est tout aussi important de tenir compte des conditions susceptibles d’influencer les expériences et les trajectoires de chacun. Il est nécessaire de voir au-delà du discours de l’individu et de s’intéresser au contexte dans lequel celui-ci est produit dans la mesure où le monde est le fruit de l’interprétation d’un acteur qui puise dans la boite à outils de ses références sociales et culturelles (Le Breton, 2004). Le contexte a un rôle mobilisateur (Neculau, 2006). Les étudiants internationaux n’arrivent pas au cégep sans bagage. Ils y viennent avec des caractéristiques sociodémographiques et personnelles en portant leurs expériences scolaires antérieures, leurs expériences de travail, leurs trajectoires personnelles et familiales, leurs motivations ainsi qu’en poursuivant des objectifs fixés avant la migration pour études. Ils y apportent également des représentations du monde, d’autrui, de l’enseignant, etc.

La théorie des représentations sociales permet de mieux comprendre les interactions entre les individus, les groupes et l’environnement social (Fontaine et Hamon, 2010). Elle stipule que les RS orientent les comportements de l’individu à l’égard d’un objet (Abric, 1994 ; Neculau, 2006). Cela revient à dire que chaque fois qu’un individu posera un acte relativement à un phénomène, chaque fois qu’il dira ce qu’il pense d’un phénomène, c’est dans ses représentations qu’il ira chercher la façon de se conduire ou de penser à l’égard de l’objet de sa représentation. Ces représentations que l’individu se fait de l’objet constituent pour lui la réalité même (Bikie Bi Nguema, 2015). Étudier l’expérience migratoire des étudiants internationaux, c’est mettre en lumière leurs représentations sociales, c’est-à-dire un ensemble d’informations, d’attitudes, de valeurs, de préjugés et d’attentes d’un groupe précis à l’égard d’un objet précis (Jodelet, 1989). Les représentations sociales s’élaborent à travers deux processus majeurs : l’objectivation et l’ancrage (Moscovici, 1961). L’objectivation consiste à rendre concret ce qui est abstrait. L’ancrage est le processus qui permet de rendre familier ce qui est étranger et consiste à intégrer l’objet représenté dans un système de pensée préexistant. Par l’ancrage, les étudiants internationaux attribuent ainsi un sens différent à leur expérience migratoire en fonction des objectifs qu’ils se fixent, de leur personnalité, de leur capacité à s’adapter à leur nouvel environnement.

2.3 Le concept de réussite scolaire et ses déterminants

Dans les recherches qui ont porté sur les motivations à aller étudier à l’étranger des étudiants internationaux, on note que ces derniers sont à la recherche de meilleures conditions de vie, d’un meilleur avenir professionnel (Belkhodja et Esses, 2013 ; Bodycott et Lai, 2012).

La réussite scolaire constitue un vecteur incontournable du progrès social et de l’avenir des individus (Organisation de coopération et de développement économiques, 2009 ; Vultur, 2009). Pour le réseau collégial, la problématique de la réussite s’inscrit dans le plan stratégique de chaque cégep qui a l’obligation légale de produire un plan local de réussite (Fédération des cégeps, 2008).

Dans le présent projet, l’intégration des étudiants internationaux au cégep comporte une dimension sociale et une dimension scolaire. La dimension sociale fait référence au réseau social ou aux liens que l’étudiant tisse avec les personnes significatives de l’établissement d’enseignement, c’est-à-dire les enseignants, les autres étudiants et le personnel scolaire (Schmitz, Frenay, Neuville, Boudrenghien, Wertz, Noël et Eccles, 2010). Ces personnes significatives aident les étudiants internationaux à découvrir la culture du pays d’accueil et à développer un sentiment d’appartenance (le désir d’avoir sa place parmi les autres, de se sentir comme chez soi dans l’établissement d’enseignement collégial fréquenté). Cependant, pour ces étudiants, l’intégration dans le pays de migration pour études ne se résume pas seulement à l’intégration au sein du cégep, elle englobe aussi l’intégration au sein de la communauté (civile). Dans sa recherche, Côté (2018) note que le regard et les attitudes que les résidents d’une région ont à l’égard des immigrants peuvent influencer de façon positive ou négative leur intégration. Tout le débat entourant la « révision » du Programme de l’expérience québécoise et les réactions médiatisées de plusieurs étudiants internationaux en sont un bel exemple.

La dimension scolaire, quant à elle, recouvre le niveau de satisfaction de l’étudiant à l’égard de son expérience scolaire, le regard qu’il pose sur l’institution scolaire, les relations avec ses pairs et les enseignants et le niveau de satisfaction à l’égard des cours et des notes scolaires (Berger et Milem, 1999). C’est aussi la capacité de l’étudiant à s’adapter à son environnement scolaire et à répondre aux attentes et aux exigences pédagogiques (Paivandi, 2016). Ici, on aborde la manière dont il performe dans ses apprentissages, tout autant que le développement de ses compétences professionnelles. Cette capacité à s’adapter et à répondre aux exigences de l’établissement scolaire dépend, à son tour, de la perception que l’étudiant a de son intégration scolaire et de son intégration sociale. Autrement dit, plus l’étudiant estime que l’établissement d’enseignement est de qualité, qu’il répond à ses attentes, qu’il a le soutien du personnel scolaire, plus il se sent intégré sur le plan social et scolaire et plus il a de fortes chances de persévérer (Sauvé, Debeurme, Fournier, Fontaine et Wright, 2006) et de voir ses chances de réussir grandir (Berthaud, 2017).

2.4 Objectif de la recherche

L’objectif principal du présent article est de mieux comprendre l’expérience migratoire des étudiants internationaux dans une région à faible densité ethnoculturelle comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean. Les objectifs secondaires de l’article sont d’identifier la perception que les étudiants internationaux se font de leur intégration et de leur réussite scolaire, de dégager les facteurs favorables à l’intégration et à la réussite scolaire des étudiants internationaux, de connaitre les obstacles à l’intégration et à la réussite scolaire des étudiants internationaux et d’identifier les défis rencontrés par les étudiants internationaux dans leur expérience migratoire au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

3. Méthodologie

3.1 Type de recherche et procédure de collecte des données

Cette recherche est de nature qualitative, car elle met en valeur le point de vue des personnes interrogées et aide à comprendre les choses telles qu’elles apparaissent à ces dernières (Fortin, 2010). Ce type de recherche permet de s’adapter au contexte particulier de chaque personne interrogée et de documenter des aspects inédits qui se révèlent importants. Les participants ont été choisis sur une base volontaire en tenant compte des deux critères suivants : être étudiant international et être inscrit dans un cégep du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Nous avons pris contact auprès des personnes-ressources en relation avec les étudiants internationaux dans chacun des cégeps de cette région. Après avoir expliqué les objectifs de la recherche, les outils de collecte de données utilisés et le formulaire de consentement, la personne-ressource a sollicité les étudiants internationaux. Ceux qui étaient intéressés nous ont envoyé un courriel pour convenir d’une date et d’une heure pour les entrevues individuelles. Au total, nous avons rencontré 21 étudiants internationaux des cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean (Cégep de Chicoutimi, Cégep de Jonquière, Cégep de Saint-Félicien, Collège d’Alma). Notons que le présent projet a reçu une certification éthique pour une recherche avec des êtres humains auprès du comité d’éthique de la recherche du Cégep de Jonquière.

3.2 Instrumentation et déroulement

Nous avons utilisé un entretien semi-dirigé individuel qui permet aux participants de dire ce qu’ils pensent d’un phénomène, d’exprimer leur expérience et leurs convictions, leurs points de vue et leurs définitions des situations vécues (Demazière et Dubar, 2004). Nous avons opté pour l’entretien semi-dirigé, car cet outil de collecte de données a permis non seulement d’orienter les discussions vers les thèmes élaborés par l’équipe de recherche, mais également de laisser la latitude nécessaire aux participants pour apporter des nuances, des explications à leurs dires si le besoin se faisait ressentir. Notons qu’une fois la validation du canevas d’entrevue faite par l’équipe de recherche (création d’un partenariat multidisciplinaire composé de chercheurs collégiaux et d’une conseillère pédagogique possédant des expertises diversifiées et complémentaires), nous avons fait passer un prétest à quelques étudiants internationaux afin de recueillir les premières réactions et de dégager les thèmes récurrents et émergents. L’utilisation du prétest permettait de voir si le canevas d’entrevue couvrait l’ensemble des thématiques liées à la situation des étudiants internationaux. Le tableau 1 résume la grille d’entrevue.

Tableau 1

Grille d’entrevue

Grille d’entrevue

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Les entretiens se sont déroulés à l’hiver et à l’automne 2018. Ils ont été menés au cégep fréquenté par les participants et ont été enregistrés sur bande audio avec, évidemment, le consentement du participant. Ces enregistrements ont permis de transcrire fidèlement les discours des participants. L’entretien a duré entre 45 minutes et 1 heure.

3.3 Procédure d’analyse des données

Pour analyser le verbatim recueilli, nous avons opté pour l’analyse de contenu thématique telle que définie par Paillé et Mucchielli (2012). L’analyse des données suit une double posture : restitutive et analytique (Demazière et Dubar, 2004). Les données collectées ont été soumises à une analyse de contenu à l’aide de NVivo (version 11), un logiciel d’analyse qualitative de données. Une catégorisation des propos recueillis a été élaborée pour chacun des thèmes et sous-thèmes abordés. Le contenu de chacun des rapports a été ensuite codifié en utilisant ces catégories. Ces deux opérations, la catégorisation et la codification, s’inscrivent dans une démarche itérative, privilégiant des allers-retours constants entre l’analyse et les données. Cette opération a permis de dégager les éléments significatifs soulevés par les personnes rencontrées et d’alimenter un travail de synthèse de l’information effectué pour chacun des aspects et sous-aspects abordés en entrevue. L’interprétation a consisté en une analyse comparative de chaque entretien au sujet de chaque thème et sous-thème afin de faire ressortir les éléments d’identification et de différenciation, des correspondances, des oppositions, des nuances, etc.

Notons que les données codifiées sur NVivo ont été validées par une assistante de recherche qui a été préalablement formée à l’utilisation du logiciel NVivo. Les résultats sont regroupés pour les quatre collèges étant donné le nombre d’entrevues réalisées et le fait que l’objectif de l’étude n’était pas de faire une distinction entre les étudiants internationaux (pays d’origine, sexe, âge, programme d’études, ville d’études, cégep de fréquentation, etc.). Pour ce qui est des résultats, nous présentons d’abord l’idée dominante mentionnée par une majorité des étudiants sur un thème précis de l’entrevue (idées récurrentes qui sont partagées par plusieurs étudiants). Ensuite, nous apportons des nuances au besoin (idées émises par une minorité d’étudiants qui vont dans le sens contraire).

3.4 Le profil des participants à l’étude

Il y a 11 étudiantes et 10 étudiants qui ont participé aux entrevues individuelles. Plusieurs étudiants (16/21) ont entre 18 et 25 ans et une minorité (5/21) a déclaré avoir 25 ans et plus. La moitié des étudiants viennent de la France métropolitaine (11/21). Certains étudiants proviennent de la France d’outre-mer (ile de la Réunion ; 5/21). D’autres étudiants sont originaires du continent africain (Cameroun, Côte-d’Ivoire, Mali, Burkina Faso ; 5/21). Les étudiants interrogés sont inscrits dans des programmes techniques. 14 étudiants sont non boursiers ; ils financent eux-mêmes leur séjour avec l’aide de leurs parents. Sept étudiants ont affirmé être boursiers du gouvernement de leur pays d’origine.

Il y a deux catégories d’étudiants. Ceux qui sont inscrits pour un diplôme complet, c’est-à-dire qui font un diplôme d’études collégial complet (trois ans d’études), qui constituent le plus grand nombre d’étudiants ayant participé au projet (19/21). Il y a aussi des étudiants qui sont en mobilité entrante, qui sont inscrits pour une session d’études (2/21).

Avant leur arrivée au Québec, soit les étudiants interrogés étaient au lycée (7/21) ou à l’université (8/21), soit ils occupaient un emploi-cadre dans leur pays d’origine (6/21). Au sujet du niveau de scolarité de leurs parents, huit étudiants déclarent que leurs parents ont atteint le niveau secondaire (lycée), six étudiants notent que leurs parents ont un niveau de scolarité universitaire. Quatre étudiants affirment que leurs parents sont sans instruction (ils ne sont jamais allés à l’école). Trois étudiants ignorent le degré de scolarité de leurs parents.

Enfin, au sujet des données sociodémographiques, de nombreux étudiants sont issus de familles de quatre à dix-sept enfants (20/21) et un étudiant est enfant unique. Pour les 21 étudiants rencontrés, c’était leur premier séjour en Amérique du Nord. Une minorité d’étudiants déclare avoir visité quelques pays (Suède, Allemagne, Espagne, Irlande, Italie, Afrique du Sud, Maroc, Niger, Gabon, Hongrie, etc.). Au sujet de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, les étudiants, avant leur arrivée dans la région, pensaient que la ville où se trouvait leur cégep était grande et proche de Montréal. Certains mentionnent qu’ils avaient une vision américaine de la région : « beaux paysages, grands immeubles, tout est propre ». D’autres notent que pour eux, le Canada se résumait à Ottawa, Montréal et Québec. Une minorité d’étudiants affirme qu’ils n’avaient aucune idée de la ville où se trouve leur établissement scolaire.

4. Présentation et discussion des résultats

Quatre idées principales ressortent du regard que les étudiants portent sur leur expérience migratoire : 1) une image généralement positive du cégep et des enseignants, 2) des propositions pour améliorer l’accueil et le vivre ensemble entre les étudiants internationaux et la communauté locale, 3) la réussite scolaire pour réussir la vie, 4) une adaptation à un nouvel environnement passant de la lune de miel à la réalité.

4.1 Une image généralement positive du cégep et des enseignants

Unanimement, l’image que les étudiants se font de leur cégep est positive. Quand les étudiants parlent de leur établissement d’enseignement, ils utilisent différents qualificatifs : « c’est fantastique », « c’est cool », « c’est génial », « c’est super », « c’est beau », « mon cégep est bien », « les horaires sont cools et les cours sont sympas », « l’enseignement est mieux », « ça donne envie d’apprendre ». Ces étudiants affirment ne pas regretter leur choix de venir étudier dans un cégep du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Aux dires des étudiants, le cégep met en place beaucoup de moyens pour faciliter leur intégration. En effet, de nombreuses activités sont organisées, il y a des personnes-ressources qui sont là pour les aider, les guider. Pour ces étudiants, le cégep veut toujours la réussite de ses étudiants et tout est mis en place pour que ces derniers réussissent. Certains ont noté qu’ils ont le sentiment que le personnel du cégep a peur qu’ils ne réussissent pas : « Ici, c’est fait pour qu’on réussisse. Tout est mis en place pour que l’étudiant réussisse normalement en règle générale. Après il y a des gens qui se perdent, mais moi je trouve qu’il y a un gros suivi ici au cégep » (étudiant 10).

Au sujet des enseignants, la majorité des étudiants interrogés soutiennent que les enseignants sont disponibles et accessibles. Selon leurs dires, les enseignants sont gentils et vraiment « cools ». Ils sont professionnels et ouverts. Les étudiants notent qu’il est facile d’aller vers eux, de leur poser des questions et de leur demander des explications supplémentaires. Ils soulignent que certains enseignants s’intéressent même beaucoup à eux en les questionnant sur leur vécu. Les étudiants parlent d’une belle communication et d’une proximité entre eux et les enseignants. Ils apprécient le tutoiement dans la relation enseignant-étudiant. Certains critiquent l’absence de hiérarchie qui peut conduire à un manque de respect de la part des étudiants. Pour ces étudiants, il est choquant de constater que lors d’un cours, il arrive très souvent que les étudiants québécois se mettent à bavarder, à manipuler leur téléphone pendant que l’enseignant donne son cours ou ils ferment leur étui dix minutes avant la fin du cours pour annoncer à l’enseignant qu’ils souhaitent qu’il arrête de parler. Ils notent que cet aspect les trouble et ils se sentent mal à la place de l’enseignant : « Imaginez ! Chez nous, tu manipules ton téléphone pendant que le prof donne son cours, tu ne vas plus le revoir. Le prof va le prendre et va t’exclure de son cours » (étudiant 12). L’expérience migratoire pour études est marquée par les différences entre le système éducatif du pays d’origine et celui du pays de migration pour études (Blackburn, Bikie Bi Nguema, Gaudreault et Arbour, 2019).

En outre, les étudiants affirment que les enseignants les encouragent, tentent de trouver des solutions lorsqu’ils ont des problèmes d’ordre scolaire. Certains étudiants témoignent par exemple de la valorisation par l’enseignant de leur travail devant la classe. Ces derniers déclarent que cela leur donne un intérêt pour le cours : « Devant toute la classe, mon prof a cité en exemple, à plusieurs reprises, mon beau projet. Cette attention m’a fait beaucoup de bien au moral et m’a aidé. Après ça, on a envie de faire ce cours parce qu’on sait que le prof est là et il ne s’en fout pas » (étudiant 1).

Cependant, lors des entrevues, certains étudiants affirment avoir parfois vécu des difficultés avec quelques enseignants comme des commentaires désobligeants ou l’échec du premier contact. Ils mentionnent aussi qu’il y a des enseignants qui leur mettent des « bâtons dans les roues ». D’autres étudiants relèvent qu’il y a des enseignants racistes. Cela nuit à la relation pédagogique et diminue leur intérêt pour le cours : « Ils ne sont pas nombreux, mais il y en a des professeurs qui voient d’un mauvais oeil des étudiants comme nous, différents quoi. Genre un peu racistes ! » (Étudiant 12).

4.2 Des propositions pour améliorer l’accueil et le vivre ensemble entre les étudiants internationaux et la communauté locale

Malgré une image positive de l’établissement d’enseignement et des enseignants, quelques étudiants soulignent que des améliorations pourraient être apportées. Ils soutiennent que les étudiants internationaux ne sont pas assez préparés quand ils arrivent au Québec pour leurs études. Ils ne sont pas conscients des difficultés qu’ils vont devoir affronter durant leur séjour. Ils font observer que tout doit commencer dès le processus de recrutement.

À cet effet, les étudiants déclarent être surpris que les établissements d’enseignement recrutent des étudiants « étrangers » et qu’il n’y ait aucun « étranger » qui participe au processus de recrutement. Pour ces étudiants, il faudrait avoir une personne-ressource qui a déjà vécu l’expérience afin de pouvoir faire le pont entre « le milieu étranger » et le milieu accueillant dans le but d’atténuer le choc culturel que peuvent vivre les étudiants internationaux. Ils notent que ce qui peut être évident pour un Québécois ne l’est peut-être pas pour un étudiant qui vient d’ailleurs. Selon leurs propos, les Québécois ne savent pas ce que c’est de venir immigrer dans leur pays parce qu’eux, ils sont nés et ont grandi au Québec. Ils ignorent les sacrifices et les efforts que les étudiants internationaux ont dû faire pour venir au Québec et les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien.

C’est difficile parce qu’on ne se rend pas compte qu’à côté de ça nous on a quitté notre famille. Moi j’avais quand même un emploi qui payait bien, mon mari aussi. J’aurais très bien pu rester chez moi, me lancer dans la construction d’une maison, avoir un enfant, me marier… j’aurais pu faire plein de projets et j’ai arrêté tous ces projets-là pour reprendre mes études parce que j’avais envie de faire quelque chose que j’aime.

étudiant 18

De plus, certains étudiants constatent que la communauté collégiale et la communauté civile n’ont pas été préparées à les accueillir et à « co-vivre » avec les étudiants internationaux. Auprès de la communauté civile, les étudiants semblent devoir se justifier constamment, expliquer les raisons de leur présence au Québec. Toutes ces questions démontrent, à leur avis, un manque d’information à leur sujet. Pour les étudiants, leur travail n’est pas d’expliquer à la communauté civile « le pourquoi » de leur présence dans la région et plus particulièrement dans l’établissement d’enseignement. Cette responsabilité appartient au cégep.

Par ailleurs, les étudiants qui viennent pour un diplôme complet soulignent qu’il est important de voir au-delà de l’aspect économique et de considérer davantage l’être humain derrière le financement que peuvent apporter les étudiants internationaux : « J’étais simplement à un moment donné devenue l’immigrante qui venait faire un diplôme pour prendre le travail des Québécois. Donc c’était l’image que mes camarades de classe avaient de moi » (étudiant 8). La présence des étudiants internationaux dans les cégeps apporte de nombreux défis et difficultés auxquels les étudiants internationaux et la communauté collégiale d’accueil sont confrontés et, au coeur de ces défis, se trouve le vivre-ensemble. Comme le faisaient observer Kanouté, Vatz Laaroussi, Rachédi et Doffouchi (2008), s’il est difficile d’intégrer une personne qui ne veut pas s’intégrer, il n’est pas plus facile de s’intégrer dans une société d’accueil qui ne laisse pas la place à l’intégration. Il faut noter que les étudiants inscrits pour un diplôme complet sont dans une logique d’installation à long terme et souvent de façon définitive dans le pays de la migration pour études. Ces étudiants ont besoin de se sentir accueillis et acceptés par la communauté d’accueil ou locale. Les perceptions et les attitudes que la communauté d’accueil a à l’égard de ces étudiants peuvent amener à un certain repli de la part des étudiants internationaux qui chercheront davantage à aller vers ce qui leur ressemble, c’est-à-dire vers d’autres étudiants internationaux (Dion-Lafrance, 2011). Sanchez (2019) souligne que si le fait d’aller vers la ressemblance peut atténuer l’anxiété des étudiants internationaux, cela peut également mener à une forme d’isolement et de marginalisation.

4.3 La réussite scolaire pour réussir la vie

Pour les étudiants inscrits pour un diplôme complet, la réussite dans la vie passe par la réussite dans leur programme : avoir du plaisir à apprendre, se motiver, être persévérant, avoir de bonnes notes, obtenir son diplôme. Ils en témoignent de plusieurs façons : « le fait d’avoir parcouru des milliers de kilomètres », « de rester au cégep jusqu’à 22 h 30 », « de rester étudier au cégep à - 40°». Il y a comme un stress de performance qui se dégage du discours des étudiants. On a le sentiment qu’ils sont « hantés » par la réussite scolaire. Il ressort des propos de certains étudiants qu’ils subissent de la pression familiale quant à leur réussite scolaire. Ils sont un investissement pour leur famille. Ces étudiants soulignent qu’ils viennent des classes moyennes et que leurs parents doivent travailler dur pour pouvoir payer leur séjour au Québec. Leurs parents croient au pouvoir de l’école comme vecteur d’ascension sociale : « un enfant qui réussit à l’école, c’est toute la famille qui a réussi ». Ainsi, ces étudiants ont une obligation de réussite. C’est comme « une dette morale » qu’ils ont vis-à-vis de leurs parents : « Mon père a fait beaucoup de sacrifices. Beaucoup de gens comptent sur ma réussite. Je n’ai pas le temps de niaiser. Je suis des millions d’investissements donc il faut que ce soit rentable » (étudiant 15).

Pour les étudiants en mobilité entrante, la réussite est aussi importante. En réussissant leur semestre au Québec, ils valident par la même occasion leur programme dans leur pays d’origine où, selon eux, leur expérience dans un cégep du Québec va les aider à décrocher facilement un stage. La réussite se trouve ainsi au coeur du projet de migration pour études et du projet de vie des étudiants internationaux. Cette représentation de la réussite comme participant au projet de migration pour études prend sa source dans le contexte familial et social des étudiants. Ils sont originaires de pays où le taux de chômage est très élevé et où les familles valorisent énormément la réussite par l’école. Les étudiants déclarent que la famille voit positivement leur migration pour études et considère cela comme une occasion à saisir. Ils ont été soutenus par leur famille dans leurs démarches.

Cependant, la présente étude rejoint d’autres recherches qui ont noté l’existence de facteurs exogènes et endogènes qui concourent ou non à la réussite scolaire des étudiants internationaux (Deshayes, 2017 ; Duclos, 2011 ; Gagnon, 2017). En effet, il y a des facteurs liés à la dynamique de la classe : une bonne gestion de classe par l’enseignant, un climat de la classe convivial, le partage de connaissances, l’entraide, le travail de groupe avec les autres étudiants. « Si, dès le début, ça ne passe pas avec le prof, ça ne donne pas trop envie d’aller dans le cours, donc au final on risque de ne pas s’intégrer et de ne pas réussir » (étudiant 19). Ensuite, il y a les éléments liés à l’établissement d’enseignement et qui influencent positivement la réussite scolaire : l’accueil chaleureux à leur arrivée, l’existence de nombreuses activités, la présence des personnes-ressources dédiées aux étudiants internationaux et l’importance de la constance du soutien lors de la quête d’informations ou de la recherche d’une solution à un problème : « On arrive, on se dit “ OK on sait toujours qu’on a quelqu’un c’est bon”, mais au moment où on a le plus besoin on dirait qu’on n’a plus personne. Ça nous refait tomber au stade où on se dit c’est triste » (étudiant 1). L’existence d’un bon réseau social participe également à leur intégration et à leur réussite scolaire. Ils déclarent que les étudiants qui repartent dans leur pays d’origine sans avoir fini leur programme le font parce qu’ils se sont sentis seuls et n’avaient pas un réseau social pour les aider à lutter contre le sentiment d’isolement : « Si tu n’as pas de réseaux sociaux, tu vas te morfondre et ça, je pense que ça nuit à la réussite scolaire » (étudiant 4).

En outre, qu’ils soient inscrits pour une diplomation complète ou en mobilité entrante, les étudiants affirment qu’il y a un lien entre l’intégration et la réussite scolaire. En ce sens, une intégration positive a un impact positif sur la réussite scolaire, tandis qu’une intégration négative a un impact négatif sur la réussite scolaire. Une bonne intégration consiste à se sentir bien au sein de leur cégep, dans leur programme d’étude et à avoir une bonne relation avec leurs enseignants et leurs pairs québécois : « Si tu te sens bien intégré, tu te sentiras épanoui et tu auras envie de te lever chaque matin pour aller en classe. Dans le cas contraire… comme dans mon autre cours, je n’avais pas envie de me lever le matin moi » (étudiant 2). Pilote et Benabdeljalil (2007) montraient déjà que la capacité d’adaptation des étudiants internationaux à leur nouvel environnement est étroitement liée à leur réussite scolaire. En d’autres mots, mieux un étudiant international s’intègre dans son nouvel environnement et plus il a de chances de réussir et d’obtenir son diplôme.

4.4 Une adaptation à un nouvel environnement passant de la lune de miel à la réalité

Les étudiants affirment que la migration pour études n’est pas « un long fleuve tranquille », il y a « des hauts et des bas », « des jours où tout semble difficile », « des jours où on veut tout simplement repartir chez nous ». Unanimement, les étudiants déclarent qu’à un moment donné de leur expérience migratoire, ils ont fait face à de nombreux défis, par exemple le choc culturel, les difficultés à s’adapter au rythme de certains cours, la barrière de la langue. Les étudiants rencontrés déclarent avoir de la difficulté à tisser des liens d’amitié avec les étudiants québécois. Ces étudiants reconnaissent que l’amitié avec des étudiants québécois peut avoir des avantages. Cela facilite l’intégration et constitue une porte d’entrée à la culture québécoise.

Tout comme dans la recherche du Bureau de la vie étudiante de l’Université Laval (2019), notre étude montre que, dans l’expérience migratoire des étudiants, il y a des étapes importantes à considérer. Il y a la période de lune de miel. Cette période commence depuis le pays d’origine où les étudiants se font une image idyllique du pays de la migration pour études : « En voyant les reportages à la télé sur le Québec, les paysages, puis sur les gens qui avaient l’air d’être accueillants, chaleureux, ça me donnait déjà beaucoup envie de venir » (étudiant 17). S’ensuit pour plusieurs la période du choc culturel où les étudiants réalisent qu’il y a plus de différences que de ressemblances entre le pays d’origine et le pays de migration pour études. Les étudiants sont confrontés à de gros changements (de nouvelles expressions, nouvelles façons d’apprendre et d’enseigner, etc.). Cette période s’accompagne parfois de remises en question. L’étudiant se questionne sur ce qu’il fait dans le pays de migration pour études et si le « jeu en vaut la chandelle ». Le Consortium d’animation sur la persévérance et la réussite en enseignement supérieur (2019) note que plusieurs stratégies peuvent être développées par l’étudiant : l’attaque, la fuite ou le désengagement. Après le choc culturel, il y a la période de récupération. Durant cette période, les étudiants commencent à s’adapter. « S’adapter, c’est aussi accepter la différence culturelle » (étudiant 3). Ici, l’étudiant s’ouvre et « fait le pas de tester la chose » avant de dire par exemple « qu’il n’aime pas la poutine ». La dernière période est celle de l’adaptation ou d’aisance. Les étudiants rencontrés déclarent se sentir à leur place dans le pays de migration pour études : « Je trouve que ma place est ici. Je me sens vraiment bien ici. Je me sens à ma place. Dix ans plus tard c’est ici que je me vois, pas dans mon pays d’origine » (étudiant 20). Les étudiants inscrits pour un diplôme complet souhaitent, après leur diplôme, s’installer dans le pays de migration pour études. Ceux qui sont en mobilité entrante pensent revenir dans la région soit pour une visite, soit pour faire des études universitaires. Cela démontre une meilleure acceptation de la part des étudiants.

Au sujet de leur expérience dans un cégep du Saguenay–Lac-Saint-Jean, les étudiants affirment que cela leur a apporté des manières différentes de voir le monde. Ils trouvent qu’ils ont beaucoup changé en bien. Ils sont devenus plus adultes, plus matures et plus autonomes : « Presque tout repose sur moi. Même si mes parents et mon oncle me disent “Si tu as besoin, appelle, appelle…”, mais je fais tout pour pouvoir gérer ça moi-même, tout seul » (étudiant 13). Tous les étudiants affirment recommander leur cégep à des amis ou à de la famille qui désirent venir étudier au Québec.

5. Conclusion

Depuis 50 ans, le visage des cégeps a changé. Ils accueillent une population étudiante diversifiée : des étudiants en situation de handicap, des étudiants ayant des besoins particuliers, des étudiants qui font un retour aux études, des étudiants internationaux, etc. (Grondin, 2019). Depuis plusieurs années, les cégeps sont tournés vers l’international. Les motivations à faire du recrutement à l’international sont liées à la baisse démographique du réseau collégial ainsi qu’au besoin criant de main-d’oeuvre dans la société (Blackburn, Bikie Bi Nguema, Gaudreault et Arbour, 2019). Au Saguenay–Lac-Saint-Jean, il y a une augmentation de la clientèle internationale depuis les dernières années dans la majorité des institutions, et ce nombre va aller en grandissant si l’on se fie aux efforts déployés pour son recrutement. Dans le cadre de cet article, nous avons tracé le portrait de 21 étudiants internationaux des cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean en mettant en lumière leur regard sur leur intégration et leur réussite scolaire afin de mieux comprendre leur expérience migratoire dans une région à faible densité ethnoculturelle. Il en ressort que les étudiants internationaux croient énormément à la réussite scolaire comme vecteur de réussite professionnelle, de réussite sociale et d’intégration dans le pays de migration pour études. Ces étudiants rencontrent de nombreux défis liés à la barrière de la langue, au choc culturel, aux défis pédagogiques, à la formation des liens d’amitié. À travers les propos des étudiants rencontrés, on note que l’expérience migratoire est faite de défis et que la réussite réside dans le fait de surmonter ces défis et de persévérer. Mais pour persévérer, ces étudiants ont besoin que l’environnement éducatif dans lequel ils évoluent soit favorable à leur intégration et à leur réussite scolaire. Les cégeps ont ainsi le devoir d’amener à la réussite tous les étudiants, car :

Si l’accessibilité du plus grand nombre aux études supérieures implique que les cégeps doivent admettre des étudiants aux parcours et aux profils variés, ils ont alors l’obligation de mettre en place différents moyens pour favoriser leur apprentissage et leur réussite, sinon on ne peut parler de véritable démocratisation de l’enseignement ; celle-ci ne serait qu’un leurre.

Allaire, 2019, p. 183

Autrement dit, l’internationalisation demande de mettre en place des conditions gagnantes. À travers cette recherche, on se rend compte que les étudiants internationaux rencontrent des défis d’ordre pédagogique, des défis au sein de l’établissement scolaire et au sein de la communauté. Pour ce qui est des défis d’ordre pédagogique, quelques pistes d’intervention peuvent être proposées : 1) s’assurer que les étudiants comprennent les attentes et le contenu des cours ; 2) s’entretenir individuellement avec l’étudiant ; 3) ajuster le contenu de son cours en prenant des exemples internationaux et non des exemples uniquement du Québec ; 4) proposer des activités qui permettent de travailler sur les similarités culturelles ; 5) s’intéresser à la pédagogie universelle. En ce qui concerne la communauté collégiale et civile : 1) sensibiliser le personnel, la communauté civile et les étudiants sur la réalité des étudiants internationaux ; 2) assurer un meilleur arrimage entre le recrutement, l’accueil et l’intégration des étudiants ; 3) mettre en place une collaboration entre les services, les départements et la communauté civile ; 4) outiller le personnel collégial sur la réalité des étudiants ; 5) soutenir des projets interculturels proposés par le personnel scolaire.

Cependant, la présente recherche comporte quelques limites. D’une part, elle concerne les étudiants internationaux et leur discours. Il est évident que pour être bien intégré et réussir, il y a d’autres facteurs à considérer : le climat de la classe, les autres étudiants, les enseignants, la communauté collégiale. Si l’on convient que l’intégration et la réussite des étudiants internationaux sont l’affaire de tous, il faudrait alors connaitre la perception que chaque acteur se fait de son rôle dans l’intégration de l’étudiant international et des défis auxquels il fait face. Les autres volets de la présente étude abordent d’ailleurs ces différents angles et les entretiens réalisés avec d’autres types d’acteurs sont en cours d’analyse. En effet, outre le discours des étudiants, celui des directions des études, des enseignants, des professionnels du recrutement et de l’accueil apportera un éclairage sur la compréhension de l’expérience migratoire en relevant les points divergents et convergents sur l’intégration et la réussite scolaire des étudiants internationaux. De plus, les présents résultats mettent en lumière la pertinence de réaliser des entretiens avec des étudiants québécois pour cerner leurs perceptions en lien avec l’intégration en classe des étudiants internationaux. Une telle étude permettrait la bonification des pratiques collectives et pédagogiques prenant en compte la dimension interculturelle dans les cégeps du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Nous sommes d’avis que lorsque les entretiens réalisés avec le personnel scolaire pourront être mis en relation avec les représentations sociales des étudiants, les résultats pourront contribuer à la mise en place de conditions favorables à l’établissement d’une relation positive entre le personnel scolaire et les étudiants internationaux.

Par ailleurs, dans le présent article, nous avons présenté le volet qualitatif, mais notre étude comprend également un volet quantitatif, qui est en cours d’analyse et qui vient en guise de complément à la recherche qualitative. Ce volet quantitatif a pour objectif de décrire les caractéristiques psychosociales des étudiants internationaux. Il permettra d’identifier les facteurs d’adaptation individuels qui sous-tendent une intégration positive dans le contexte de l’expérience migratoire. La compréhension des stratégies opérantes chez certains de ces étudiants pourrait servir à promouvoir ces dernières chez les étudiants pour lesquels l’intégration est plus difficile. Ce portrait permettra également de faire émerger les besoins spécifiques de ces étudiants en matière de soutien adaptatif et psychologique et, ainsi, d’outiller les professionnels des établissements d’enseignement qui prodiguent des services en lien avec ces besoins. Ainsi, le volet quantitatif viendra compléter le volet qualitatif et permettre de déterminer les aspects psychosociaux permettant de soutenir une intégration satisfaisante des étudiants internationaux.