Feuilleton

Bye bye, Teddie[Notice]

  • Tilman Allert

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Le présent recueil contient une collection de petites choses trouvées, entendues ou vues : les quelques secondes pendant lesquelles Jil Sander, après le défilé, quitte le rideau pour le catwalk, l’humble losange que forme Angela Merkel avec les mains, les lettres inversées d’un nom, des gestes dans un restaurant, le timbre d’une voix, le mélange magique d’un latte macchiato, les « tournants » dans les sciences, les expressions par lesquelles les jeunes gens s’interpellent dans nos cours de récréation. Ce sont des fragments du social, saisis entre les roulements des trains de banlieue ou conçus comme esquisses de biographies ou d’institutions. Il s’agit d’expressions de formes élémentaires de la vie sociale qui s’imposent à la réflexion sociologique, nées d’occasions variées et dédiées à qui sait s’émerveiller. Rien pour les ignares, ni non plus pour celles et ceux qui imposent à la sociologie un rôle de Cassandre. Les textes ne se veulent pas des preuves à l’appui de la thèse selon laquelle la totalité serait la non-vérité, ni des munitions pour le combat partisan. L’école de Francfort est devenue une marque, une inscription pour t-shirts, pour plusieurs, un mythe encombrant. La promesse secrète de se retirer dans la noble intellectualité pour échapper au laid et au répugnant, ou de mener le monde en un tournemain sur la voie de la raison, est devenue caduque. La dure époque d’une sociologie qui, en plus d’imposer aux individus une lecture axée sur l’imperfection de leur conduite de vie et la galère de leur quotidien, leur délivrait un titre de créance, celui d’être aliénés, est révolue. Les figures du flâneur et du savant éclairé sont anachroniques. L’héroïsme et le cynisme ont pu être des modèles invitants de définition de la sociologie par elle-même, mais ils n’ont pas particulièrement contribué à la compréhension du monde. La sociologie de l’observation dont il est ici question délaisse le regard mélancolique sur le monde ; elle ne tire de la contemplation que le luxe d’être libérée de l’action. En ces jours où la sémantique de « l’accompagnement » promeut l’autonomie d’action de la personne au rang de culte et où l’on veut éviter toutes formes d’asymétrie ou de commandement — dans les voyages en train et en avion, en passant par le tourisme et les soins palliatifs —, l’horizon de réflexion de la sociologie se limite précisément à la figure de l’accompagnateur. Elle déambule avec le filet à papillons de Nabokov : elle présente sa prise aux lecteurs avec prudence et discrétion. Elle a mis de côté l’effort hégélien ; l’« en passant » est la métaphore du travail intellectuel ; le « retour aux choses », la phénoménologie, est l’arrière-plan intellectuel de ce qui est ici présenté. Si on pouvait suivre cette image, nous aurions un cadre pour la socialité, forme dans laquelle les gens se rencontrent et découvrent ainsi ce qui est précieux, le propre de l’espèce : l’échange de symboles et de gestes, les formes de sociabilité ou, dans les mots de Georg Simmel — l’un des pères fondateurs de la sociologie allemande —, la réciprocité. En lisant le présent recueil, le lecteur pourra parfois avoir le sentiment qu’il s’agit d’une tentative de reprise, voire de prolongement de la perspective de Theodor W. Adorno dans Minima Moralia. C’est une impression trompeuse. Adorno est entièrement compositeur ; on l’a maintes fois dit et écrit. Sa langue maternelle est, comme l’a formulé Frank Wolff avec justesse, la musique. Le caractère suggestif et sensoriel d’un texte musical, tout comme l’appropriation méthodique de cette forme abstraite d’expression du dévoilement humain, caractérise son habitus et détermine la formation de …

Parties annexes