Comptes rendus

Eugenia Loffredo and Manuela Perteghella, eds. One Poem in Search of a Translator: Rewriting “Les Fenêtres” by Apollinaire. Oxford and New York, Peter Lang, 2009, 284 p.[Notice]

  • Julie Stéphanie Normandin

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  • Julie Stéphanie Normandin
    Université Laval

Avec cette nouvelle collaboration, Eugenia Loffredo et Manuela Perteghella nous offrent un texte atypique et novateur, ni essai théorique sur la traduction, ni recueil conventionnel de poèmes traduits. Comme l’indique le titre, l’ouvrage entier gravite autour d’un seul poème source, « Les fenêtres » de Guillaume Apollinaire (1918), que l’on peut définir, à l’instar des directrices qui reprennent l’une des trois catégories jakobsoniennes, comme une traduction intersémiotique (Jakobson, 1959) de la série de tableaux orphiques « Les fenêtres simultanées » de Robert Delaunay (1912). Dans le texte placé en ouverture, elles exposent la genèse du projet : convoquant couleurs, voix, sons, mouvements, le « poème-conversation » d’Apollinaire a été choisi parce qu’il était à même de provoquer les résultats de traduction les plus inattendus, ouvrant ceux-ci sur une diversité potentielle de modes et de médias. C’est dans cette optique d’expérimentation que treize collaboratrices et collaborateurs ont été invités à proposer une traduction du poème, accompagnée d’un commentaire. Pour s’assurer de l’hétéroclisme des propositions et dissoudre les cloisons divisant artificiellement les rôles, les directrices n’ont pas fait uniquement appel à des traducteurs, mais aussi à des écrivains et à des artistes issus des arts visuels et de la performance. Elles ont également choisi de ne pas faire de la maîtrise du français un critère absolu de sélection, fournissant plutôt à tous les collaborateurs, indépendamment de leur degré de connaissance de la langue, une traduction anglaise mot à mot du poème (qui est mise à notre disposition). Ce choix peu « orthodoxe » est intéressant en ce qu’il sous-tend une définition de la traduction plus large que celle circulant généralement en traductologie, la rapprochant du concept général de semiosis; regarder un objet appartenant à n’importe quel système sémiotique, c’est déjà traduire des signes en d’autres signes et produire du sens susceptible d’éclairer l’objet d’une manière ou d’une autre. La richesse des résultats de traduction présentés prouve qu’une telle approche est pertinente. Toute cette démarche participe d’une perspective théorique que les directrices ont contribué à développer précédemment dans Translation and Creativity: Perspectives on Creative Writing and Translation Studies (2006) : la notion de traduction comme réécriture et comme acte créatif. Les directrices inscrivent en effet ce projet dans le « tournant créatif » (creative turn) observable dans le champ actuel de la traductologie, c’est-à-dire l’attention accordée depuis peu à la créativité qui, tributaire de la subjectivité des traducteurs, est inhérente au processus de traduction et peut désormais être valorisée plutôt que perçue comme une dérive irrespectueuse. La visibilité des traducteurs, doublement soulignée ici par la diversité des versions et la présence de commentaires (dont certains apparaissent au sein même des traductions), est le corollaire de cette mise en valeur de la subjectivité créatrice. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les résultats du travail de réécriture sont classés dans un continuum allant du verbal au non verbal. La première traduction est la plus littérale, proche du mot à mot qui la précède; la dernière est une traduction picturale du rouge, du vert et du jaune évoqués au premier vers du poème, dans laquelle se perd le manuscrit déchiqueté du poème traduit. Entre les deux, d’autres types d’expériences : une (re)thématisation de la technologie moderne présente chez Apollinaire par le biais de feux de signalisation, qui reprennent ces mêmes trois couleurs; des explorations typographiques tenant du calligramme mais aussi de la poésie concrète; des portions de texte en punjabi; des versions produites par des programmes de traduction automatique, par exemple. Même variété du côté des commentaires qui, eux, vont du récit poétique au « think-aloud protocole », en passant par le journal …

Parties annexes