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Lorsqu’il quitte son bureau de l’édifice Woods par un sombre après-midi de novembre, peu après le retour des troupes soviétiques dans la capitale hongroise Budapest, Earl McCarthy, le nouveau chef du contrôle des déplacements et des transports pour le ministère de l’Immigration du Canada, se fait poser la question suivante par son sous-ministre, le colonel Laval Fortier : « Comment, demanda l’imposant colonel, pouvons-nous faire entrer au Canada, le plus rapidement possible ces pauvres Hongrois qui fuient leur pays sous le joug de la Russie ? » Bien qu’ébranlé par cette rencontre soudaine avec son chef impassible, McCarthy, en promettant de passer outre la bureaucratie, répondit d’un ton confiant et sans hésiter : « Par avion[1]. » Ces paroles audacieuses illustrent bien le fondement du mythe entretenu par les Canadiens quant à la réaction du pays à cette crise hongroise : rapide, non-conformiste et généreuse. Freda Hawkins, une experte en matière d’immigration canadienne, décrit avec élégance cette période comme « un bref instant de splendeur[2] ».

Il va sans dire que la réaction du Canada face à la crise survenue en Europe centrale en novembre 1956 soulève un fort sentiment de satisfaction. Le Canada a accueilli près de 40 000 des quelque 200 000 réfugiés qui ont quitté la Hongrie pour l’Autriche, la Yougoslavie et l’Italie dans la foulée de la décision qu’a prise Moscou d’écraser l’insurrection hongroise – le plus important groupe d’immigrants jamais accueilli dans un pays et un nombre disproportionné par rapport à la taille du Canada. L’arrivée de ces immigrants de même que l’importance de cet événement pour la politique d’immigration et de protection des réfugiés ont naturellement dominé les discussions sur le rôle qu’a joué le Canada pendant la révolution. L’inaccessibilité des dossiers du gouvernement pendant cette période et l’importance capitale pour le Canada de la crise de Suez, qui a pris naissance au même moment, ont renforcé la tendance à percevoir le Canada comme une terre d’asile pour les réfugiés.

La réaction du Canada face à la crise hongroise est plus complexe et ses répercussions beaucoup plus vastes que ne le laisse entendre cette perspective étroite. Bien que les réfugiés et leur importance pour la politique d’immigration du Canada demeurent essentiels au récit de cette histoire, la documentation indique une vision moins triomphante de la façon dont Ottawa s’est comportée en regard de l’exode hongrois, la politique ayant été entre les mains d’un gouvernement incertain et hésitant. En outre, la révolution hongroise a eu des répercussions considérables pour la politique étrangère du Canada. Le présent article porte sur la réaction diplomatique nuancée du Canada face à la crise, dans le contexte de l’attitude dynamique d’Ottawa à l’égard de l’Union soviétique, après la mort de son dictateur, Joseph Staline. Dès 1954, la modération dont a fait preuve le Canada dans sa politique relative à l’Union soviétique a dicté la réaction du pays face aux problèmes qu’éprouvait l’urss en Hongrie et s’est avérée déterminante quant aux relations à long terme d’Ottawa avec l’urss et l’Europe de l’Est, malgré les événements dramatiques qui sont survenus en novembre 1956.

I – La voie modérée vers la révolution

Les perspectives de paix et de sécurité en Europe étaient plus positives en janvier 1956 qu’elles ne l’avaient jamais été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant près d’une décennie, les relations entre le régime totalitaire de l’Union soviétique et les démocraties occidentales dirigées sous le leadership américain, dont le Canada, étaient réfrénées par une dure et dangereuse guerre froide. Dès 1947, les communications bilatérales avaient littéralement cessé, alors que les échanges multilatéraux au sein de la nouvelle Organisation des Nations Unies (onu) se limitaient largement à des échanges amers d’accusations impulsives, dans l’interminable quête d’un avantage propagandiste. La situation était pire en Asie où les deux parties et leurs représentants s’échangeaient bombes et projectiles dans une série de cruels conflits post-coloniaux qui frôlaient souvent l’anéantissement atomique. La mort de Staline en 1953, la Conférence de Genève sur la Guerre de Corée et l’Asie du Sud-Est au printemps 1954 et le sommet de Genève de juillet 1955, où les dirigeants occidentaux ont rencontré leurs homologues soviétiques pour la première fois depuis 1945, semblaient annoncer une période de tensions mondiales moins importantes.

À Ottawa, Robert Ford, qui était devenu le chef de la Direction de l’Europe du ministère des Affaires extérieures en avril 1954, était responsable de faire la lumière sur ces développements et d’élaborer la politique canadienne en ce qui touche Moscou et le bloc communiste. Ford était admirablement qualifié pour mener à bien ce mandat. Ayant fait ses études à l’Université de Western Ontario et à Cornell University, où il a étudié l’histoire et la langue russes, il se joint au petit ministère des Affaires extérieures du Canada en 1940. Après avoir servi en Union soviétique en 1946-1947, il retourne à Moscou à titre de chargé d’affaires et chef de l’ambassade canadienne. Intellectuel réservé, de plus en plus reconnu à l’échelle du pays comme un poète, Ford était un analyste politique ambitieux et sûr de lui. Ses prises de position sur les orientations que prenait l’Union soviétique en matière de politiques nationales et étrangères ont eu beaucoup d’influence sur les décideurs canadiens au milieu des années 1950[3].

Ford a vite pressenti les courants du changement. « Nous étions d’avis qu’un dégel était imminent », écrit-il à propos de la période qui a suivi la mort de Staline. « Il n’y avait que peu de signes : à la Lomonsov University, on annonçait une conférence sur le poète populaire des années 1920, Evgenny Esenin… les épouses russes de certains correspondants étrangers ont soudainement obtenu des visas de sortie. Le règlement régissant les déplacements des étrangers s’est légèrement assoupli[4]. »

Au cours de l’été 1954, dans une note de service que l’on a diffusée à grande échelle et ensuite adoptée comme étant la vision ministérielle, Ford entreprend de bâtir la politique canadienne relativement à l’Union soviétique[5]. Comme la plupart de ses collègues aux affaires extérieures, c’est un réaliste accompli, dont la compréhension de la diplomatie soviétique prenait source dans ses lectures sur l’histoire russe. D’une mise en garde contre un changement dramatique en Europe de l’Est, le diplomate soutient que les politiques soviétiques exerçant une pression sur ses frontières occidentales de même que la présence militaire importante reflétent les préoccupations traditionnelles russes et recevaient l’appui des successeurs de Staline. Ces nouveaux dirigeants, que Ford décrit comme des « hommes pragmatiques », étaient moins certains des tactiques de Staline et mettaient en doute sa façon de traiter avec la Yougoslavie indépendante de Tito de même que sa mauvaise interprétation de la force américaine et sa décision catastrophique d’appuyer l’attaque communiste sur la Corée du Sud en juin 1950. La conclusion de l’analyste est qu’ils étaient impatients d’abandonner la stratégie stalinienne agressive qui, selon eux, avait affaibli l’Union soviétique et diminué ses chances de renforcement éventuel en Europe.

La prudence et la détermination dont Moscou a fait preuve pour éviter la guerre ont été renforcées par le développement de la bombe à hydrogène en 1953. D’autres facteurs ont aussi joué un rôle. L’expansion désaxée de l’économie d’après-guerre en Union soviétique, où des investissements de taille ont forcé les consommateurs insatisfaits à lutter pour se procurer des denrées de base, de même que les divisions ethniques et politiques grandissantes au sein du pays ont accentué la faiblesse fondamentale de l’Union soviétique et ont fait en sorte qu’il était improbable que Moscou ait recours à la guerre. L’émergence d’une « bourgeoisie » d’après-guerre, autour d’un parti établi, ayant un intérêt dans le système soviétique existant, a renforcé la perspective essentiellement conservatrice du pays. Ford estime que Moscou recherchait « une division fonctionnelle du monde, s’inspirant plus ou moins des frontières existantes[6] ».

Ce fut un changement significatif pour la politique canadienne que d’accepter le maintien du statu quo en Europe centrale. Ford décrit sa conclusion comme « un conseil pessimiste … qui nécessite que l’on abandonne les nations de l’Europe de l’Est à leur triste sort ». Et il poursuit en disant que « il s’agit de la seule politique réaliste, à moins d’être prêt à se battre pour libérer les nations satellites ou mettre fin au communisme. Si nous n’optons pas pour cette dernière option, nous devons accepter l’autre alternative et tenter de vivre dans un monde divisé. » Cette politique promettait d’importants dividendes. Le Canada et ses alliés occidentaux pourraient finalement réduire leur lourd fardeau en matière de défense, tout en décourageant l’Union soviétique, désormais plus conciliante, de se renforcer. Pendant ce temps, Ford propose que le Canada renforce ses liens commerciaux, scientifiques et culturels avec l’Union soviétique, insistant que même de petites avancées, si minimes soient-elles, « peuvent avec le temps aider l’Union soviétique à apprivoiser l’idée de vivre en harmonie avec ses voisins[7] ».

L’engagement du Canada à l’égard de l’urss s’est considérablement accentué au printemps suivant, lorsque le ministre soviétique des Affaires étrangères, V.M. Molotov, surprend le secrétaire d’État canadien aux Affaires extérieures, Lester Pearson, en l’invitant à venir en urss. Comme le raconte l’historien John English, le paysage et le peuple de l’urss ont ravivé l’admiration qu’avait Lester Pearson pour l’effort soviétique déployé dans la bataille contre Hitler[8]. Il fut également satisfait de sa rencontre avec le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, qu’il trouve « cru et instable comme seul peut l’être un paysan ukrainien devenu l’un des personnages politiques les plus influents au monde[9] ». Malgré leurs différends quant au rôle de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (otan), Pearson affirme à ses collègues du cabinet que le secrétaire du parti « semblait incapable de ne pas affirmer ses convictions réelles et qu’il avait l’air tout à fait honnête lorsqu’il disait que les Russes ne voulaient pas la guerre[10]. » En effet, le ministre des Affaires extérieures était plus inquiet du fait que les dirigeants soviétiques avaient volontairement isolé leur pays du reste du monde, dont ils ne connaissaient rien. « Le Canada devrait rencontrer l’Union soviétique à mi-chemin, dit-il au cabinet, et montrer sa volonté de régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils surviennent. » Par conséquent, vers la fin de 1955, Ottawa met de l’avant les plans d’un programme progressif d’échanges officiels et a accepté de poursuivre les discussions avec Moscou en vue de conclure une entente commerciale bilatérale.

La confiance d’Ottawa dans les intentions de Moscou a été renforcée lorsque Khrouchtchev a dénoncé Staline lors du xxe congrès du Parti communiste en février 1956. « Il y a peu de doute que le mythe de Staline est en voie d’être complètement détruit », jubile Pearson. « À présent, le corps de Staline, tout comme le cadavre d’Oliver Cromwell, va probablement être pendu, noyé et écartelé[11]. » Les relations avec Moscou étant désormais meilleures, les contacts entre le Canada et les nations satellites de l’Europe de l’Est, dont la Hongrie, s’accélèrent. Depuis la période la plus sombre de la guerre froide, soit de 1947 à 1953, les liens entre Ottawa et le gouvernement de Budapest, qui avait profondément frustré les catholiques canadiens en emprisonnant le cardinal Josef Mindszenty en 1948, avaient été plutôt distants. Les efforts répétés de la Hongrie pour raviver les relations à la suite du décès de Staline sont repoussés par le ministère des Affaires extérieures, et ce, pour diverses raisons. Entre autres, les responsables des orientations politiques s’inquiètent qu’une mission hongroise ne serve à espionner ou à intimider la communauté hongro-canadienne. De plus, les agents responsables sont préoccupés par les violations des droits de la personne commises par Budapest et par l’absence de tout intérêt direct pour le Canada en Hongrie[12]. Cette perception détachée a commencé à changer au printemps 1956.

C’est avant tout Ford qui a exercé des pressions pour un changement de la politique canadienne. Il suit les agitations politiques et sociales en Europe de l’Est depuis le xxe congrès du parti. Les espoirs de Ford pour la région ont diminué et il explique que Moscou insistera pour maintenir une certaine forme de contrôle sur les nations satellites dans un avenir prévisible. Quoi qu’il en soit, il soutient que les liens plus étroits entre Khrouchtchev et Tito, les critiques à l’endroit de Staline et la réadaptation des dirigeants nationalistes en Hongrie, en Pologne et en Tchécoslovaquie démontrent clairement un mouvement vers une « certaine forme de libéralisation cachant un certain degré de titisme[13] ».

Afin de profiter de ces développements, Ford somme l’Occident d’abandonner son engagement rhétorique à l’égard de la libération des nations satellites, ce qui n’a fait qu’alarmer Moscou et soulever des attentes impossibles chez les peuples de l’Europe de l’Est. Le Canada et ses alliés sont plutôt encouragés à développer leurs liens avec les nations satellites, en favorisant les échanges commerciaux, culturels et scientifiques. Ford dit à Pearson : « Notre objectif est de les sevrer, dans une certaine mesure, d’une dépendance extrême de l’Union soviétique et d’encourager tout développement qui permettrait d’améliorer le sort des nations satellites[14]. »

La nouvelle approche a une incidence immédiate sur les relations entre le Canada et la Hongrie, qui cherchait alors à conclure une entente commerciale avec Ottawa, selon laquelle la Hongrie promettait d’acheter du blé canadien. Accueillant avec prudence cette initiative, le sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures, Jules Léger, avertit Pearson que l’entente nécessiterait presque inévitablement un échange de représentants diplomatiques et l’ouverture d’une mission hongroise au Canada[15]. Malgré le risque d’opposition interne, le cabinet accepte la proposition et, à la mi-octobre 1956, une délégation commerciale hongroise arrive à Ottawa. En quelques semaines, les agents responsables avaient conclu une entente commerciale, offert un crédit à la Hongrie pour l’achat de blé canadien et accepté que Budapest puisse ouvrir un bureau commercial à Ottawa en tant que première étape pour l’établissement de relations diplomatiques normales[16]. Au moment où les ministres étudient la nouvelle entente commerciale, les agitations politiques croissantes signalées en Hongrie assombrissent son avenir.

II – La diplomatie d’une révolution

À Ottawa ainsi que dans d’autres capitales occidentales, les responsables des orientations politiques sont surpris lorsque des étudiants et des travailleurs de Budapest se sont opposés aux troupes soviétiques le soir du 23 octobre, ce qui donne lieu à une offensive populaire généralisée contre le régime communiste. Puisant ses informations dans les journaux et dans des rapports obtenus par l’intermédiaire de Washington et Londres, le gouvernement libéral du premier ministre Louis St-Laurent ne se plaint pas de confier l’établissement des politiques occidentales à ses puissants alliés les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Le 26 octobre, Pearson laisse entendre que le Canada aurait participé à la demande anglo-américaine voulant que le Conseil de sécurité discute de la crise hongroise et de la possibilité d’une intervention militaire, une position qu’il rend publique le jour suivant[17]. Comme ses alliés de l’otan, qui avaient accepté à Paris d’adopter une politique semblable, le Canada espère que la résolution prudente prise par le Conseil de sécurité, adéquatement élaborée de façon à attirer le soutien des pays non alignés que sont l’Inde et la Yougoslavie, isolerait plutôt qu’irriterait l’Union soviétique, ou encore doterait les forces pro-soviétiques en Hongrie d’un point de ralliement. Fait encore plus important, Ottawa espère que les procédures de l’onu allaient mettre fin au carnage en Hongrie et donner l’occasion au premier ministre hongrois, Imre Nagy, de négocier la paix « selon des conditions qui ne se limiteraient pas à la simple répression des émeutiers antisoviétiques[18] ».

Au départ, du moins, tout porte à croire que cette stratégie réfléchie répondrait aux besoins en matière de politique intérieure et étrangère du gouvernement. Alors que les émigrés de l’Europe de l’Est en Ontario et au Québec, tassés dans 400 camions bâchés, demandent au gouvernement d’en faire davantage, la plupart des leaders d’opinion canadiens montrent très peu d’intérêt au cours des premiers jours de la crise. Léger assure Pearson que les éditoriaux sur les événements survenus en Hongrie et en Pologne, également secoués d’émeutes antigouvernementales, sont largement fiables et neutres, plusieurs articles reprenant les perceptions du Ottawa Citizen voulant que l’Occident servirait mieux ses intérêts en laissant les Polonais et les Hongrois régler leurs différends entre eux[19].

Du point de vue de la politique étrangère, la prudence de la stratégie occidentale semble également efficace. La pause dans le conflit qui a suivi le retrait des troupes soviétiques de Budapest le 29 octobre et la déclaration de Moscou du 30 octobre selon laquelle les autorités moscovites sont prêtes à revoir leurs relations avec l’Europe de l’Est encouragent Pearson. Au 31 octobre, inquiet de forcer l’Union soviétique à prendre une position défensive et de réduire inutilement les options de Moscou, le ministre a soutenu qu’il serait sage de reporter toute discussion avec l’onu à propos de la crise, et ce, jusqu’à ce que la situation soit plus claire[20]. En effet, Ford, troublé, fait valoir peu après que l’Occident aurait pu utiliser cette pause pour lancer « une initiative visant à garantir les intérêts soviétiques en matière de sécurité en Europe de l’Est… profitant de la volonté déclarée des Soviétiques de discuter d’un retrait des troupes de la Hongrie[21] ».

La Hongrie étant toujours dans la balance, l’onu est soudainement aux prises avec une seconde crise. Le 29 octobre, Israël attaque l’Égypte, offrant ainsi aux forces anglo-françaises une excuse forgée de toute pièce pour saisir le Canal de Suez deux jours plus tard. Il est alors manifestement impossible de lancer une initiative occidentale visant la Hongrie. La crise de Suez, qui scandalise Washington et menace l’unité de l’Alliance de l’Atlantique Nord, attire l’attention de l’Occident. Pearson restant un intermédiaire indispensable dans les efforts visant à sauver la face de la France et de la Grande-Bretagne pour leur bévue et à rétablir des relations harmonieuses entre Londres et Washington, les deux plus proches alliés du Canada[22]. Alors que la Hongrie n’est plus seule au coeur des préoccupations mondiales en ces premiers jours de novembre, les forces soviétiques se rapprochant de Budapest, lançent une attaque sanglante sur la ville le 4 novembre. « La situation internationale tourne au cauchemar, » écrit l’intimiste Charles Ritchie, ambassadeur du Canada en Allemagne de l’Ouest[23].

L’attaque soviétique surprend Pearson, déjà épuisé par ses efforts pour en arriver à un cessez-le-feu en Égypte. « En ce qui concerne la répression brutale et sanglante de la liberté en Hongrie, écrit-il à un ami, je n’ai pas de mots pour exprimer l’horreur et la désolation que nous ressentons[24]. » Dans ses mémoires, le ministre se rappelle avoir été « tenté d’envoyer un comité des Nations Unies directement à Budapest, avec le drapeau de l’onu et des hommes en uniforme[25] ». Toujours réaliste, le ministre des Affaires étrangères rejète l’idée d’une « réaction émotionnelle », étant conscient que ni le Canada ni l’onu ne peuvent pas grand-chose d’autre que la guerre pour renverser l’intervention soviétique. Tout ce que le Canada et l’Occident peuvent faire, dit Léger au Premier ministre, c’est « d’enjoindre les Russes à s’arranger seuls, isolés de l’opinion mondiale[26] ».

Tout comme les autres leaders occidentaux, Pearson et St-Laurent critiquent publiquement l’Union soviétique et se rallient derrière une série de résolutions de l’onu condamnant l’État communiste. Le gouvernement suspend d’éventuelles relations culturelles et scientifiques avec l’urss et refuse de signer la récente entente commerciale avec le régime soviétique de Janos Kadar en Hongrie. Les efforts déployés par le Canada pour punir Moscou sont toutefois influencés par plusieurs facteurs. Les diplomates canadiens ont continué d’espérer, tout au long de la crise, qu’il serait possible de convaincre Moscou de faire preuve de générosité à l’égard des Hongrois défaits. Leur conseil au Premier ministre est le suivant : «  il faut se garder d’aller trop loin, question de ne pas neutraliser toute chance de freiner, dans une certaine mesure, la gravité de l’oppression soviétique par une action humanitaire authentique[27] ». Les Canadiens s’inquiètent également du risque couru si l’Union soviétique est repoussée vers une « isolation stalinienne » et de la possibilité que l’Assemblée générale de l’onu adopte une mesure aussi extrême que l’expulsion de la Hongrie. Dès la mi-décembre, le Canada cherche à jouer un rôle plus discret dans les débats de l’onu sur la Hongrie et commence à proposer un mécanisme permettant de faire progresser la discussion au-delà des résolutions accusatrices et futiles[28].

La crise de Suez a amené d’autres facteurs qui ont gêné les efforts de diplomatie du Canada. C’est particulièrement le cas de l’approche du Canada à l’égard du mouvement des pays non alignés et de son leader, l’Inde. Depuis la fin des années 1940, le Canada déploie un effort soutenu pour courtiser l’Inde et son premier ministre, Jawaharlal Nehru[29]. Escott Reid, le haut-commissaire du Canada à New Delhi, a longtemps été le champion en ce qui touche cette politique. Au fur et à mesure que les crises éclataient en Égypte et en Hongrie, une vague d’émotions le terrassait. « J’étais secoué par la terreur, la pitié et la colère, a-t-il écrit, j’éprouvais de la pitié pour le peuple hongrois et de la colère contre les gestes posés par l’Union soviétique[30]. » Le fait que Nehru eût rapidement condamné l’attaque anglo-française sur l’Égypte et qu’il eût hésité à dénoncer l’urss, dérangeait Reid. Il a fait pression sur Ottawa pour mettre en oeuvre une initiative d’envergure pour gagner l’appui de Nehru et ainsi isoler certainement Moscou.

Les efforts de Reid ont été gênés par la lutte que menait Pearson à New York pour créer une force onusienne de maintien de la paix au Moyen-Orient, une initiative qui dépendait de la bonne volonté de l’Inde et des autres nations non alignées. Lorsqu’il a demandé à St-Laurent (dont les relations avec Nehru étaient cordiales) de sommer le Premier ministre indien d’agir plus rapidement, Reid a reçu une réponse « banale » qui ne tenait pas compte de la crise en Hongrie et qui mettait plutôt l’accent sur la coopération indo-canadienne relativement à la crise de Suez[31]. Pearson était tout aussi inefficace, avisant le haut-commissaire que « nous ne devrions pas exercer davantage de pression au risque de soulever l’amertume chez les Indiens[32] ». Même si Pearson et ses principaux conseillers à New York, John Holmes et R.A. MacKay, avaient accepté l’échange diplomatique avec philosophie, bon nombre de responsables canadiens étaient aigris et se sentaient trahis par le refus de l’Inde de se rallier à la cause hongroise. « Je crois que nous devons convenir, a conclu Ford, que les mesures prises par l’onu en ce qui concerne la Hongrie ont largement échoué… La seule leçon que le groupe arabo-asiatique aurait pu tirer à propos de la nature du système soviétique a été obstinément refusée[33]. »

III – Le cas des réfugiés

Bien que les diplomates canadiens ont subtilement feint de soutenir l’effort mondial visant à isoler Moscou, ils étaient parmi les premiers à Ottawa à reconnaître que le Canada, grâce à ses grands espaces non habités et ses ressources économiques d’après guerre en plein essor, peut aider efficacement les réfugiés hongrois. Même avant la dernière attaque soviétique sur Budapest, le gouvernement autrichien, toujours aux prises avec près de 190 000 personnes déplacées à la suite de la Seconde Guerre mondiale, a émis un appel à l’aide urgent, demandant à Marcel Cadieux, le chef de la Division des affaires consulaires, de prendre note que « si nous agissions rapidement, nous pourrions contribuer à résoudre une situation grave et faire entrer des gens utiles[34] ».

Ni le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (mci) ni son affable ministre, Jack Pickersgill, ne sont encore de cet avis. Longtemps personnage influent aux côtés des premiers ministres W.L. Mackenzie King et St-Laurent, Pickersgill s’est joint au cabinet à titre de ministre de l’Immigration en 1953. Bien que brillant et doté de solides titres de compétence, son influence à Ottawa s’émousse à la suite de sa promotion et il trouve parfois difficile de ramener son ministère dans le droit chemin[35]. Cependant, malgré l’arrivée constante d’immigrants au Canada depuis 1945, le mci a conservé l’éthique restrictive d’une génération précédente dont faisaient partie les réputés F.C. Blair et A.L. Jolliffre. Les responsables rigoristes se voyaient davantage comme les « gardiens » du Canada que comme des agents d’immigration[36], un rôle qu’encouragent les dispositions de la Loi sur l’immigration de 1952, « un piètre exemple de loi[37] ». En outre, le ministère voit les émigrés de l’Europe de l’Est à travers le prisme des soupçons soulevés par la guerre froide et croit qu’ils représentent les candidats idéaux pour jouer les espions et les agitateurs soviétiques désirant s’infiltrer au Canada ; au mieux, les immigrants des nations satellites demeurent assujettis à la pression coercitive de leur gouvernement d’accueil[38].

Or, après n’avoir consulté que le Premier ministre, Pickersgill refuse de prendre des mesures radicales pour réagir à la nouvelle crise des réfugiés en Europe centrale. En réaction aux événements qui se déroulent à Budapest, le ministre annonce, le 6 novembre, qu’il avait demandé au bureau de l’immigration à Vienne d’accorder la priorité aux demandeurs hongrois. Ils deviennent également admissibles, en vertu du plan d’indemnité de passage du gouvernement, à l’emprunt de fonds fédéraux pour payer leurs déplacements jusqu’au Canada. Cependant, les critères réguliers en matière d’immigration demeurent en place et les demandeurs doivent être parrainés par un Canadien et avoir un emploi convenable. Ils doivent également prouver qu’ils « ne risquent pas de devenir un fardeau pour l’État » et qu’ils ne constituent pas un risque pour la sécurité du public[39].

Peu de réfugiés rencontrent cette norme. Au cours des deux semaines qui ont suivi, alors que des milliers de Hongrois arrivent en grand nombre dans les camps autrichiens, seulement 30 demandeurs sont admis au Canada[40]. « Pendant tout le mois de novembre, lorsque l’on atteint les huit mille réfugiés par jour, l’Étape B [processus d’autorisation sécuritaire] demeure entièrement opérationnelle à Vienne », se rappelle le journaliste vétéran Blair Fraser. « Trois policiers troublés ont interrogé deux mille huit cents personnes au cours du mois… Inutile de dire qu’ils n’en ont pas beaucoup appris à propos des antécédents politiques des gens qu’ils interrogeaient, bon nombre d’entre eux n’ayant aucune pièce d’identité, quelle qu’elle soit. Mais ils n’avaient reçu aucun ordre d’arrêter, alors ils continuaient[41]. »

Il était clair que les premières mesures prises par le gouvernement, dont une petite subvention de 200 000 dollars répartie entre la Croix-Rouge et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, sont loin d’avoir su combler les attentes. Le quotidien libéral Winnipeg Free Press appuie la demande du parti conservateur visant à obtenir « un asile libre », ajoutant « que ce n’est pas le moment de s’arrêter sur des peccadilles »[42]. Le quotidien The Globe and Mail pour sa part condamne « l’attitude froide et calculée » du gouvernement, alors que son rival de l’autre côté de la ville, The Toronto Telegram, somme Ottawa de « cesser de jouer sur les deux fronts et de laisser les réfugiés hongrois savoir que ce pays est prêt à faire plus que d’offrir des voeux de sympathie »[43]. Pearson est également mécontent de l’offre de Pickersgill, qui lui semble « maigre comparativement aux quotas inconditionnels offerts par bon nombre d’autres pays[44]. » Il enjoint le ministre de suspendre les règlements habituels en matière d’immigration.

Pickersgill demeure impassible. À la mi-novembre, après une visite à Toronto pour consulter les groupes d’immigrants de l’Europe de l’Est, il rassure ses collègues du cabinet en disant que le gouvernement était sur la bonne voie. Il insiste sur le fait que les Canadiens comprennent qu’Ottawa a consenti d’importants efforts pour accorder la priorité aux demandeurs hongrois et sont conscients du fait que le gouvernement est « intéressé et sympathique. » Défendant sa politique, il explique qu’il n’y a que « très peu » de demandeurs à Vienne qui veulent venir au Canada et il fait des comparaisons avec les propositions américaines d’accepter 5 000 réfugiés, ce qui « ne signifie rien » tant qu’une loi n’est pas adoptée à cet égard. Enfin, il rappelle aux ministres qu’il en coûte beaucoup moins cher d’héberger des réfugiés sans emploi en Autriche que de les accueillir dans des camps dispendieux érigés un peu partout au Canada[45].

Tout le monde n’est pas convaincu. Ford, qui s’occupe de la crise aux Affaires extérieures, est particulièrement sceptique. Il a sa propre source en ce qui concerne les rencontres de Pickersgill à Toronto, le Dr Bill Stanbury, honorable dirigeant de la Croix-Rouge. Stanbury, qui avait collaboré étroitement avec le Ministère à une variété d’enjeux, avise Ford que la communauté hongro-canadienne demeure « extrêmement insatisfaite » de la politique gouvernementale[46]. Il y a également d’autres signes de problèmes. Des rapports sur l’aide fournie par les pays occidentaux, régulièrement envoyés de New York, soulignent la piètre performance du Canada ; au moins un diplomate canadien se plaint d’être gêné lorsqu’il est confronté aux questions de ses collègues de l’otan[47]. Un aide-mémoire du gouvernement autrichien, de plus en plus envahi par les réfugiés, demande de l’aide, indiquant que le fait d’accepter des réfugiés sous le motif de leur « admissibilité aux critères liés aux considérations humaines et économiques ne serait pas efficace[48]. » Les critiques diplomatiques acerbes sont reprises de manière un peu moins polie dans les journaux locaux. « En réaction à la tragédie hongroise, lance The Globe and Mail, le gouvernement canadien fait preuve de la chaleur et de la sensibilité d’une morue[49]. » Plus tard au cours de cette même semaine, Pearson enjoint à nouveau Pickersgill d’amender sa politique.

Aux Affaires extérieures, on fait de plus en plus pression pour obtenir une politique plus généreuse afin de s’assurer le soutien du cabinet pour une contribution supplémentaire de 800 000 dollars[50]. Pickersgill tente lui aussi de présenter une nouvelle approche. Il procède lentement et par étapes. Le 23 novembre, le ministre admet auprès de ses collègues du Ministère que les installations du mci ne sont plus suffisantes pour accueillir la ruée de demandeurs en Autriche et que « la bureaucratie rend nuls les plans annoncés pour aider ces réfugiés[51]. » Pour faciliter la gestion des retards, Pickersgill propose de lever l’exigence de l’examen médical pour la plupart des réfugiés, et ce, jusqu’à leur arrivée au Canada. Il demande également la permission au cabinet de noliser des avions commerciaux pour amener les réfugiés au Canada, une dépense que le gouvernement espère récupérer auprès des Hongrois en fuite.

Même si le cabinet approuve ces mesures, Pickersgill s’abstient de rendre publique la politique amendée. Il convie plutôt l’Église et les groupes ethniques, ainsi que les représentants provinciaux et municipaux, à une conférence d’un jour à Ottawa, le 27 novembre, pour évaluer le soutien national en vue du déplacement massif des réfugiés[52]. Rassuré par cette réaction et étonné d’apprendre que le gouvernement conservateur de l’Ontario était lui-même prêt à accueillir des réfugiés hongrois, le ministre retourne au cabinet pour demander une offre plus généreuse. Comme le Canada est le seul pays à faire payer les réfugiés pour leurs déplacements, il propose une mesure sans précédent : faire assumer les frais par le mci. Le cabinet accepte et envoie Pickersgill en Europe pour présenter la nouvelle résolution du gouvernement[53].

La politique plus catégorique, annoncée le 28 novembre, ainsi que la visite hautement publicisée de Pickersgill dans les camps de réfugiés en Autriche, augmente considérablement le nombre de réfugiés admis au Canada. Dès la mi-décembre, selon un rapport, les réfugiés arrivent à Toronto au rythme de 100 par jour ; à la fin du mois, plus de 4 000 Hongrois sont logés un peu partout dans des maisons et des centres d’accueil au Canada[54]. Malgré des baisses fréquentes en hiver, les réfugiés arrivent au Canada à un rythme comparable pendant les six premiers mois de 1957. Plus de 31 000 Hongrois sont arrivés au pays à la fin du mois de juin 1957, alors que 4 000 attendent un transport. Au moment où le programme prend officiellement fin en septembre 1958, 36 718 réfugiés ont été accueillis[55].

Conclusion

Même avant que ne prenne fin l’arrivée des réfugiés, le rôle des diplomates canadiens et de la politique d’immigration dans la crise hongroise sont évidents. Cette profonde crise a renforcé la tendance à la modération dans l’approche adoptée par le ministère des Affaires extérieures à l’égard de l’Union soviétique de Khrouchtchev et de ses alliés de l’Europe de l’Est. Bien que certains, comme l’ardent anticommuniste Cadieux, favorisent une politique inconditionnelle, la plupart, à l’exception de la Hongrie, continuent d’appuyer la politique de Ford visant un engagement constructif. Selon cette interprétation, la « révolution en Europe de l’Est et l’intervention militaire soviétique ont démontré que la politique russe a échoué[56] » et « ont prouvé que la politique du Canada visant à encourager la tendance au libéralisme était la bonne[57] ». L’incapacité continue de l’urss à trouver un équilibre entre son investissement et les besoins des consommateurs affaiblit le régime soviétique, un échec accentué par ses efforts pour conserver le contrôle sur l’Europe de l’Est[58]. Le sous-secrétaire général écrit au printemps 1957 que « si l’on adopte une vision large, il semble peu probable que le dégel soit réellement terminé… nonobstant la situation en Hongrie… les pressions internes au sein du bloc soviétique et de l’urss seront probablement suffisantes pour laisser Moscou progresser, lentement, sûrement et de manière pragmatique, mais toutefois, vers des attitudes plus libérales[59]. » La sage modération du Ministère compense les tendances antisoviétiques plus déchirantes du premier ministre conservateur, John G. Diefenbaker, qui prend le pouvoir en juin 1957, et permet à la politique canadienne, malgré ses occasionnels détours, de demeurer modérée quant à la plupart des questions est-ouest au cours de la décennie qui a suivi. Fait important ici, le gouvernement Diefenbaker renouvelle ses relations scientifiques et culturelles avec l’Union soviétique à l’été 1957 et renégocie l’entente commerciale Canada/urss en 1959.

Les événements tragiques de novembre 1956 ont eu une incidence encore plus équivoque sur les relations du Canada avec la Hongrie. Après novembre 1956, les relations bilatérales sont beaucoup plus substantielles puisque la révolution a placé la Hongrie dans une position importante sur le plan politique et l’exode de réfugiés a entraîné une augmentation dramatique des conflits consulaires bilatéraux alors que les familles divisées par la crise tentent après coup de se réunir. Par conséquent, en octobre 1957, Léger envoie des représentants canadiens de Vienne et de Belgrade faire des visites régulières en Hongrie, obtenant ainsi discrètement des renseignements sur l’État communiste et aidant les Britanniques, qui s’occupent des affaires d’Ottawa à Budapest, à traiter des cas consulaires plus complexes[60]. Néanmoins, la Hongrie, le seul des États de l’Europe de l’Est, demeure exclue des avantages conférés par la politique libérale d’engagement constructif du Canada, et cela s’explique en grande partie par le grand nombre de réfugiés hongrois au Canada qui expriment leur mécontentement et par les nombreux nouveaux griefs qui ont suivi les vaines tentatives de réunification des familles. En effet, les efforts de Budapest à poursuivre des relations normales sont si fermement rejetés par le Canada tout au long des années 1950 qu’un interlocuteur hongrois s’est même demandé pourquoi Ottawa « croyait qu’il était nécessaire d’être plus puriste que les principaux alliés occidentaux dans ses relations avec la Hongrie[61] ».

La crise a également un impact à long terme sur la politique canadienne d’immigration et de protection des réfugiés, malgré les premiers efforts incertains de Pickersgill dans l’établissement d’une politique. Même si cette prudence reflète la perception modeste qu’a le gouvernement de la position du Canada sur la scène internationale, elle mine toute aspiration canadienne à un rôle héroïque pendant la crise. Cependant, la décision d’accueillir près de 40 000 réfugiés hongrois, peu importe le degré d’hésitation avec lequel le pays y est arrivé, n’est pas sans conséquence et les historiens spécialistes de l’immigration canadienne conviennent tous de son importance. L’exposé de Reg Whitaker sur l’histoire de la politique d’immigration soutient de manière convaincante que l’exode hongrois démontre sans équivoque qu’il était fort improbable que les immigrants de l’Europe de l’Est soient des agents soviétiques, mettant ainsi fin à l’interdiction d’après-guerre sur l’immigration en provenance de pays communistes[62]. Fait tout aussi important, le rôle essentiel des pressions intérieures pour convaincre Ottawa d’ouvrir ses frontières établit un précédent pour tous les Canadiens qui désirent convaincre le gouvernement d’adopter une attitude plus généreuse à l’égard des autres immigrants. S’appuyant sur le modèle hongrois, les défenseurs des réfugiés au Canada se sont joints aux groupes communautaires pour réagir aux crises survenues en Ouganda en 1970, au Chili en 1973-1974, en Asie du Sud-Est en 1979-1980, forçant Ottawa à libéraliser ses politiques de protection des réfugiés et changeant ainsi la nature même du Canada d’aujourd’hui[63].

[Traduit de l’anglais]