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Un homme de Sériphos lui dit qu’il ne devait pas sa gloire à ses propres mérites, mais à sa cité : « Tu as raison, répondit Thémistocle, si j’étais de Sériphos, je n’aurais pas connu la gloire, mais toi non plus, même si tu étais d’Athènes ! »

Plutarque, Vie de Thémistocle

« L’incertitude marque notre époque. » C’est ainsi que le général de Gaulle, au début des années 1930, ouvrait son célèbre essai Le fil de l’épée (de Gaulle 1994 : 145). Le contexte a bien changé, les idées sont méconnaissables, le chemin parcouru est immense ; et, pourtant, nous voilà encore dans l’incertitude. L’avenir est-il à souhaiter ou à craindre ?

Il y a une vingtaine d’années, l’évanouissement de l’Union soviétique promettait des lendemains qui chantent. L’odyssée de la démocratie libérale touchait à sa fin et l’univers entier allait enfin pouvoir jouir de la paix et de la prospérité sous la houlette de l’Occident. Depuis lors, nous regardons notre optimisme des années 1990 avec plus de circonspection. L’attaque du 11 septembre 2001 a fait paraître au grand jour de nouveaux ennemis. Les valeurs venues de l’Ouest n’ont suscité qu’un unanimisme de façade. L’enlisement de la situation en Afghanistan remet en cause la capacité des pays occidentaux à maintenir l’ordre dans le monde. Enfin, la crise économique a révélé le formidable écart de dynamisme qui sépare nos vieilles économies de celles des grands pays émergents.

Nos certitudes de la veille se muent maintenant en questions. L’essor du commerce international saura-t-il rendre le monde plus pacifique ? La diffusion de la démocratie et du libéralisme va-t-elle conjurer le fléau de la guerre ? Verrons-nous, grâce à l’impulsion de la mondialisation, l’humanité s’unifier sous l’égide du droit ? Le moins que l’on puisse dire est que notre enthousiasme a baissé d’un ton.

Devant cette incertitude, l’Europe occidentale se trouve dans une situation singulière. Son sol n’a pas connu la guerre depuis près de soixante-dix ans et ceux qui faisaient figure d’ennemis irréconciliables participent aujourd’hui, main dans la main, à la construction d’une même union commerciale et monétaire. Forte d’un tel miracle, l’Europe pacifiée se pose en modèle pour le reste des nations et l’espoir y garde encore quelque vigueur. Par conséquent, dans cette partie du globe, la guerre a perdu une large part de sa légitimité, et le caractère sacré des dépenses militaires s’efface peu à peu. Si les conflits devaient disparaître et si la politique de puissance n’avait aucun avenir, il serait en effet absurde d’affecter des sommes considérables pour une défense devenue inutile, et nous serions bien inspirés de faire meilleur usage de nos ressources. Mais est-il tout à fait raisonnable d’admettre des prémisses aussi audacieuses ? Qui parcourt l’histoire humaine des yeux ne peut manquer d’en douter.

I – Comment étudier l’histoire ?

A –– Histoire progressiste et histoire pessimiste

Il y a plus d’un demi-siècle, Raymond Aron s’interrogeait déjà sur la disparition de la guerre dans nos sociétés commerciales. Malgré les décennies, son analyse rigoureuse garde une étonnante fraîcheur et ses concepts restent des instruments précieux pour celui qui veut comprendre sa propre époque[1].

Lorsqu’il aborde la question de l’éventuelle pacification du monde, Aron commence par discuter les thèses progressistes : il interroge ceux qui pensent pouvoir déchiffrer le sens de l’histoire. En premier lieu vient Auguste Comte, qui attend beaucoup des sociétés industrielles et qui prédit l’avènement d’une humanité pacifique : la sociabilité industrielle remplacera progressivement la sociabilité guerrière, tandis que l’ingénieur, le banquier et le marchand chasseront le soldat inutile. Ainsi le veut l’esprit de l’époque.

Au sein de la famille libérale, on retrouve des textes participant d’un optimisme proche. Benjamin Constant, par exemple, écrit peu avant la chute de Napoléon : « Nous sommes arrivés à l’époque du commerce, époque qui doit nécessairement remplacer celle de la guerre, comme celle de la guerre a dû nécessairement la précéder » (Constant 1997 : 130). En résumé, le commerce permet d’acquérir de manière régulière et pacifique ce que la guerre n’obtient que par violence et pari. Les hommes raisonnables n’ont pas à hésiter. Enfin, d’une certaine manière, Karl Marx aussi voit « une hétérogénéité de nature entre les sociétés traditionnelles et la société moderne » (Aron 1996 : 763). La nouveauté radicale de notre monde lui permet d’anticiper une ère de paix, qui s’incarnera, selon son analyse, dans la société sans classes. La route sera longue et réclamera des luttes et des peines nombreuses, mais le processus reste inéluctable.

Comte, Marx et Constant, trois auteurs que tout oppose, et qui partagent pourtant une grande confiance en l’avenir : l’homme est emporté par un processus qui le dépasse et dont les effets sont heureux, puisque la paix se laisse deviner au terme de la traversée. Pourquoi s’agiter vainement et souligner par là notre impuissance ? Suivons plutôt notre siècle et réjouissons-nous.

Le pendant logique de cette vision des affaires humaines s’incarne dans le pessimisme historique : effectivement, les forces de l’histoire nous entraînent, mais l’issue sera tragique.

Les philosophies pessimistes, par exemple celle de Spengler, notent la ressemblance entre les catastrophes dans lesquelles se sont abîmées les civilisations du passé et celles dont nous avons été au 20e siècle les témoins. La civilisation occidentale meurt comme, avant elle, est morte la civilisation antique, dans les guerres et les révolutions, dans les villes tentaculaires et les masses déracinées, dans le raffinement d’élites impuissantes et le triomphe de l’argent ou de la technique.[2]

Aron 1996 : 807-808

Que peuvent donc nos faibles bras contre de tels processus ? Soyons plutôt lucides et résignons-nous.

L’espoir déraisonnable et la crainte abrutissante, voilà les deux pôles entre lesquels notre intelligence se débat, cherchant à découvrir, dans les événements contemporains, les indices qui nous décèleront la voie sur laquelle l’aventure humaine s’est engagée. Cependant, ces deux expressions du devenir ne forment, en réalité, qu’une dichotomie de second degré. Optimistes et pessimistes ne représentent que les deux versants d’une même histoire : l’histoire nécessaire[3]. Or, Raymond Aron, dans son incessant travail de déchiffrement du 20e siècle, ne manque jamais de réfuter la stricte nécessité historique et l’illusion rétrospective de fatalité, en soulignant la marge d’action qui, dans le cours des choses, est dévolue aux hommes. Dans un âge enivré par les processus, il cherche à réhabiliter l’histoire traditionnelle[4].

B — Le procès et le drame

Raymond Aron reconnaît volontiers, dans l’histoire, l’existence de forces sur lesquelles l’acteur n’a que peu de prise. Il s’agit par exemple de la démographie, de l’urbanisation, du développement technologique, etc. À ces forces profondes, Aron donne le nom de « procès » (ou processus). Cependant, il devine également, dans la trame historique de son temps, la présence de ce qu’il appelle le « drame » (ou l’accident), c’est-à-dire l’expression de la liberté humaine : les acteurs influent sur la marche des événements. Le mélange de passion et de raison qui forme les motifs de l’action demeure obscur, mais il laisse une certaine place au choix, au calcul pondéré comme à l’expression des émotions[5]. De la sorte, le comportement des hommes est à la fois non déterminé (on ne peut le prévoir avec certitude) et intelligible (il est loisible d’en peser les mobiles) : l’histoire n’est ni le champ de la fatalité ni celui de l’arbitraire. « Si l’histoire obéissait à une rigoureuse nécessité, elle contiendrait en elle-même sa leçon. Si elle résultait du hasard, elle n’enseignerait rien […] » (Aron 1976 : I, 332). La conduite des acteurs s’épanouit dans un univers restreint de possibles, à partir duquel l’historien forme analyses et jugements[6]. Pour comparer les actions des hommes, il faut donc considérer à la fois ce qui ressortit aux conditions historiques, et ce qui tient au caractère ou aux facultés de chacun[7].

Thucydide représente l’historien traditionnel par excellence. Il préserve la liberté de l’homme tout en reconnaissant ses limites : l’accumulation, par Athènes, des richesses et de la puissance depuis les guerres médiques se rattache au procès ou à l’histoire nécessaire, mais la personnalité des acteurs s’apparente au drame et rien n’est moins indifférent que de savoir qui de Cléon ou de Périclès gouverne la Cité (Aron 1964 : 111-147). Ce type de commentaire, qui tente de débrouiller liberté et nécessité dans l’écheveau de l’histoire, Aron en retrouvera notamment la marque dans les écrits de Clausewitz[8].

Pourquoi n’avons-nous plus de familiarité avec l’histoire traditionnelle ? Tocqueville ouvre une piste prometteuse dans son analyse des régimes politiques : « Les historiens qui écrivent dans les siècles aristocratiques font dépendre d’ordinaire tous les événements de la volonté particulière et de l’humeur de certains hommes […] Les historiens qui vivent dans les siècles démocratiques […] n’attribuent [pour la plupart d’entre eux] presque aucune influence à l’individu sur la destinée de l’espèce, ni aux citoyens sur le sort du peuple » (Tocqueville 1840 : 107). Dans la démocratie, seul compte le nombre, et l’idée de volonté se voile quand on l’applique aux masses. Toutefois, malgré la séduction exercée sous nos cieux par les grands processus irrésistibles, Aron n’accepte pas d’anéantir le pouvoir causal des acteurs individuels : « Comment ignorer les héros qui font l’histoire au temps de Lénine, Staline, Churchill, Hitler ? » (Aron 1964 : 146.)

Raymond Aron a cherché à interpréter l’histoire du 20e siècle à partir de la dialectique du procès et du drame, et il donne son programme dans « L’aube de l’histoire universelle » : « Je ne sais s’il me sera possible, dans le livre qui n’est pas encore écrit, de donner au lecteur le double sentiment de l’action humaine et de la nécessité, du drame et du procès, de l’histoire as usual et de l’originalité de la société industrielle » (Aron 1996 : 796). Il faut noter qu’Aron parle de l’« originalité de la société industrielle ». Telle est l’équivoque ou bien la nuance de sa position. Certes, Aron rejette fermement les philosophies de l’histoire, systèmes qui devraient amollir les ardeurs et qui le plus souvent, d’une manière paradoxale, mobilisent les énergies au service de la nécessité[9]. Mais, d’un même mouvement, il semble suggérer qu’un procès inédit s’est mis en branle : l’industrialisation du monde. Successivement, l’écrivain fait place au sociologue – son verbe adopte alors des accents comtiens – et au philosophe ; en ce cas il retrouve dans la nature humaine les passions éternelles peintes par Thucydide[10].

En passant du conflit entre Athènes et Sparte à la Première Guerre mondiale, les repères sont bouleversés et l’on cherche fébrilement des phénomènes connus. Il faut pourtant reconnaître que quelque chose a changé : aucun acteur ne semble avoir voulu ce qui est arrivé et nul n’a pu maîtriser la tournure prise par les hostilités. Comme le dit Aron, la guerre de 1914-1918 a été soumise à la loi du nombre et aux contraintes de la technique dans des proportions extraordinaires (Aron 1964 : 139). Ainsi, refuser la nouveauté serait aussi excessif que nier les permanences ; « obsédé par le déjà-vu, méconnaître l’inédit », voilà le péché majeur de l’historien (Aron 1964 : 109)[11].

Ainsi, les concepts de Raymond Aron ne permettent pas de répondre de manière définitive à une question comme celle de la disparition de la guerre. En revanche, les notions de procès et de drame demeurent d’excellents auxiliaires pour l’étude d’une conjoncture particulière, étude à laquelle il n’y a nulle possibilité de se dérober.

II – Vers une pacification des relations internationales ?

Dans nos pays, les événements tragiques du 20e siècle n’ont pas détruit l’espoir de l’avènement d’un âge nouveau, enfin débarrassé des dernières scories de la barbarie. Scrutant les affaires du monde, les commentateurs s’ingénient à découvrir les signes d’une félicité prochaine ; les plus téméraires, lâchant la bride aux vaticinations, réconfortent ceux-là mêmes qui ont abandonné toute idée de providence divine. Semblables thèses s’imposent dans les périodes tranquilles et ne disparaissent jamais entièrement lorsque les crises font rage. Malgré une décennie de questionnements, notre univers intellectuel reste aimanté par la vision progressiste de l’histoire. Sans doute, notre situation prend un visage inédit, et le pas est vite franchi d’imaginer nos aspirations comblées. Mais, encore une fois, pour que nous y voyions quelque chose, la question doit être éclairée par le contexte politique et non par nos voeux.

L’expérience moderne procure une certaine plausibilité aux prophéties iréniques, et plusieurs processus donnent du crédit à nos attentes : la conversion du guerrier en travailleur bourgeois, le développement du commerce sur tous les continents et l’occidentalisation du monde, propageant le consensus libéral jusqu’aux confins de l’univers[12].

Ces procès restent cependant à la merci du drame, qui aime perturber les courbes de tendance que notre esprit, parfois, prolonge indéfiniment. Le bourgeois sent de temps en temps dans son coeur le fâcheux appel de l’instinct guerrier[13] ; en certaines circonstances, le recours aux armes peut s’avérer économiquement rentable ; la mondialisation libérale repose sur une situation politique qui n’a rien d’éternel et sur des principes que tous n’acceptent pas.

A — Les passions et la guerre

Le butin, la conquête ou le pillage seraient les différentes expressions d’un même désir d’acquérir. Or, le commerce poursuivrait des fins identiques par des voies plus sûres ; la partie semblerait inégale ; la guerre devrait disparaître. Pourtant, il paraît y avoir là une simplification dans la compréhension du phénomène guerrier : la psychologie de l’homo oeconomicus réduit trop l’amplitude de la gamme des passions humaines.

L’histoire n’a pas donné raison aux prophéties des optimistes du 19e siècle, et le drame a refait surface. En dépit du coût déraisonnable de la guerre, les Européens se sont lancés dans les deux grandes aventures malheureuses du premier 20e siècle. Malgré la densité des liens commerciaux et l’absurdité du résultat final, les guerres mondiales n’ont pas été évitées. À tout le moins, Auguste Comte et Benjamin Constant se sont montrés imprudents dans leurs conjectures. Ce que Raymond Aron leur reproche, c’est d’avoir sous-estimé le jeu des passions à l’origine de la guerre : la conduite des hommes n’a parfois rien de raisonnable. « Auguste Comte ne pouvait pas envisager le cas d’une société qui se détruirait elle-même par ses folies, il ne pouvait admettre l’hypothèse d’un phénomène atteignant à son intensité extrême au moment où il aurait perdu toute utilité » (Aron 1959 : 15). Au temps des bourgeois qui calculent, les hostilités demeurent.

La révolution du commerce nous a fait perdre de vue l’économie générale de notre espèce, et il est toujours bon de se souvenir que la guerre fut autrefois au centre des occupations humaines. Seuls les premiers parmi les hommes avaient le privilège d’y participer : il fallait être noble ou il fallait être citoyen. Certes, les batailles étaient toujours violentes, souvent meurtrières et parfois même atroces, mais les combattants y trouvaient l’occasion de montrer leur courage et de rivaliser de gloire. Les mobiles les plus élevés y côtoyaient les passions les plus viles[14].

Depuis quelques siècles, dans nos nations, le commerce a détrôné la guerre comme principale activité humaine, libérant en même temps une énergie considérable. Les hommes sont devenus des travailleurs, et le négoce a perdu son caractère méprisable. Cependant, ce changement s’est accompagné d’un certain appauvrissement de nos analyses morales. Nous paraissons n’avoir plus qu’un mot pour caractériser l’ensemble des motifs humains : c’est celui d’intérêt ; ultimement, il faudrait entendre l’intérêt économique. En croyant nous éclairer sur la véritable origine de nos actions, nous obscurcissons considérablement notre compréhension du réel[15].

Aron, donc, refuse de réduire la guerre uniquement à une question d’intérêt économique et il ne voit pas ce qui permet d’affirmer que les passions se disciplineront à l’âge industriel[16]. « Le désir de dominer est aussi spontané et primitif que le désir de richesse, et celui-ci est aussi normalement au service de celui-là qu’inversement » (Aron 1964 : 127-128). Il ne faut pas attendre du procès qu’il transforme l’homme, car celui-ci, d’âge en âge, reste plus ou moins le même. « La passion du combat et de la gloire […] je la supporte et je la comprends, comme une manière d’être ou de sentir qui traverse les siècles et qui prend d’autres formes plutôt qu’elle ne disparaît » (Aron 1976 : I, 13). Aron ne se réjouit pas de la persistance des sentiments guerriers à l’époque du commerce, mais refuser de regarder un phénomène en face ne suffit pas à l’abolir.

Dans notre univers mondialisé, les passions fondamentales sont encore de redoutables ressorts de l’action[17]. Robert Kagan, par exemple, affirme que la Chine fait de Taiwan un enjeu sans commune mesure avec l’importance économique de l’île : il s’agit avant tout d’une question d’honneur national (Kagan 2008 : 52). Dans une autre perspective, Bertrand Badie met en garde les puissances occidentales contre la diplomatie de connivence, dangereuse « machine à exclure ». Une telle attitude ne manquera pas de générer ressentiments et humiliation chez ceux qui ne sont pas écoutés (Badie 2011 : 259). Le monde ancien des passions n’a certainement pas disparu.

Le processus d’industrialisation et d’embourgeoisement de la planète est réel, il faut donc se garder d’en dédaigner les fruits. Principalement absorbés par leurs affaires privées, les hommes, dans les nations occidentales, perdent le goût des grandes aventures guerrières : celles-ci bouleverseraient gravement leurs occupations quotidiennes. Ces ères de tranquillité sont trop rares dans le parcours des siècles pour qu’on ne les accueille pas avec enthousiasme. Toutefois, il y aurait danger à perdre de vue que la situation particulière dont nous jouissons est contingente et que l’homme avec ses passions n’a pas été dépassé. « D’autres hommes vivront demain d’autres passions » (Aron 1976, II : 286).

B — La rentabilité économique de la guerre

Si l’homme peut toujours s’abandonner à ses passions de gloire, au moins sa raison lui inspire-t-elle quelque retenue lorsqu’il s’agit de la guerre. En effet, dans les sociétés industrielles, par une commode disposition des choses, les conflits armés paraissent ne plus rapporter assez au regard de ce qu’ils coûtent. Le vainqueur, même, ne s’y retrouve pas. L’intérêt économique préconise donc de s’en remettre par préférence au commerce et à l’industrie, qui créent des richesses quand la guerre ne fait que les détruire[18]. Les penseurs libéraux, par exemple, ont dénié depuis longtemps tout caractère lucratif aux conquêtes, comme en témoigne cet extrait du Traité d’économie politique de Jean-Baptiste Say : « Avec un peu de calme, et en mettant le calcul à la place des passions, on trouvera qu’une conquête ne vaut jamais ce qu’elle a coûté » (Silberner 1957 : 60).

Raymond Aron, dans « La société industrielle et la guerre », reprend la question et insiste sur la conjoncture favorable qui rend l’empire si coûteux à l’heure de la sociabilité industrielle. Désormais, pour que le travail soit rentable, il faut des travailleurs qualifiés et instruits. Aron ajoute alors : « On ne peut instruire les esclaves sans leur donner le désir de surmonter leur esclavage » (Aron 1959 : 46). Et un peu plus loin : « En notre siècle, la gloire de régner se paye » (Aron 1959 : 48). Les conquérants ont donc bien encore leurs conquêtes à charge et les empires coloniaux coûtent plus qu’ils ne rapportent. Même l’Union soviétique se voit contrainte d’aider les pays qui sont sous sa domination. Tel est le précieux résultat de l’avènement d’une ère de commerce[19]. On pourrait dire, en pastichant Montesquieu, qu’il est heureux pour les hommes d’être dans une situation où, pendant que leurs passions leur inspirent la pensée de faire la guerre, ils ont pourtant intérêt à ne pas la faire (Montesquieu 1951 : 641).

Cependant, rien n’indique qu’une semblable situation sera éternelle. La guerre est un caméléon qui prend la couleur de son époque, et, comme le souligne l’articulation du procès et du drame, les époques passent. En 1978, Raymond Aron a réexaminé « La société industrielle et la guerre », et sa conclusion adopte un tour plus pessimiste : « On ne peut pas dire que la guerre ne paye pas » (Aron 1992 : 807)[20]. L’Occident s’est laissé surprendre par le premier choc pétrolier et le club de Rome a depuis peu publié son rapport sur les dangers de la croissance. Dans ce contexte, Aron oppose maintenant une vision écologiste à la vision économiste[21] : une pénurie d’hydrocarbures ou de matières premières pourrait conduire à un retour de l’importance du sol. Dans ces conditions, l’empire regagnerait ses lettres de noblesse au détriment du libre-échange. La Grande-Bretagne a pu se résigner à une dépendance alimentaire parce que la Royal Navy contrôlait les mers ; mais la vision libre-échangiste ne fonctionne que si les autres pays ne sont pas, eux aussi, en situation de disette (Aron 1992 : 803). Il faut, comme le dit Montesquieu, qu’il se trouve des nations qui aient intérêt de vendre (Montesquieu 1951 : 585).

La recherche de matières premières devient un enjeu plausible de conflits, et, si les dernières guerres ne visaient pas la conquête de marchés ou l’acquisition de nouvelles ressources, rien n’assure qu’en cas de changement de situation il en serait encore ainsi. Aron appelle donc à la prudence : d’un point de vue économique, le processus d’industrialisation du monde ne rend pas nécessairement la guerre absurde. Par conséquent, il vaut mieux n’avoir qu’une confiance modérée dans les mécanismes vertueux obligeant les hommes à bien se comporter, malgré qu’ils en aient : ces bons effets demeurent à la merci de circonstances particulières. Par une pente naturelle, notre esprit est porté aux théories générales[22] et nous affirmons souvent comme une maxime universelle que le commerce a rendu la guerre non rentable. Ces vues, trop abstraites pour être satisfaisantes, ne sauraient remplacer une analyse sérieuse de chaque conjoncture historique : « Aucune doctrine ne peut servir de substitut à la sagesse » (Mahoney 1998 : 182).

Plus de trente années après ce réexamen, il n’est pas besoin de rappeler que le spectre de la rareté plane encore. D’un côté, des millions d’hommes accèdent tous les ans à la société de consommation, de l’autre, les ressources ne semblent pas inépuisables. Le contrôle des matières premières ou la sécurisation des voies maritimes deviennent donc des enjeux politiques de première importance et, par là même, des causes légitimes de conflits. Dans une situation de pénurie, les pays qui ne peuvent se procurer sur le marché les denrées indispensables à leur survie (nourriture, hydrocarbures, eau, etc.) seront tentés d’avoir recours aux armes.

Le procès (l’industrialisation du monde) s’accompagne de conséquences délétères (la rareté) et multiplie les risques d’apparition du drame (la guerre en l’occurrence). Cependant, il n’y aucune fatalité et l’avenir dépend, pour partie, des décisions plus ou moins raisonnables que prendront les acteurs face aux nouveaux périls. Le procès conditionne le comportement des protagonistes mais ne le détermine pas.

C — Les guerres de principe

À la suite des penseurs libéraux, Auguste Comte prévoyait la disparition des guerres de principe, ce que nous pourrions aussi appeler les guerres idéologiques, voire les guerres de religion. Dans son système, de telles luttes ne pouvaient se déclarer qu’entre l’esprit d’Ancien Régime et l’esprit progressiste. À nouveau, le jugement de l’histoire semble réfuter ces espérances.

Raymond Aron remarque que l’Union soviétique appartient aux sociétés industrielles, de la même façon que les pays occidentaux : l’application de la science aux techniques de production, la conquête de la nature par l’homme et l’accumulation des richesses sont des objectifs communs aux deux mondes. Le sociologue qui s’arrêterait à ce constat manquerait pourtant l’essentiel du phénomène, qui s’incarne dans ce que la science politique traditionnelle appelle le régime. Confondre un système idéocratique avec une démocratie libérale, c’est s’aveugler imprudemment. Les astucieux pourront bien se justifier au nom d’une prétendue convergence, l’analyste mesuré, lui, doit reconnaître l’existence d’un conflit idéologique au sein même du camp progressiste[23]. Et Aron de conclure que « les sociétés se combattent pour la définition de la bonne société comme pour la notion du vrai Dieu » (Aron 1959 : 50).

Cette modération, qu’inspire l’étude approfondie des phénomènes humains, fut remisée lors de la disparition du modèle soviétique. Le meilleur régime aurait été découvert : il s’agirait de la démocratie libérale. Et sa diffusion planétaire procéderait d’un élan invulnérable. Mais ces rêveries ont surestimé le pouvoir pacificateur d’une idéologie partagée : les corps politiques gardent toujours des intérêts distincts et les hostilités peuvent éclater lorsque ceux-ci deviennent antagonistes[24].

Par ailleurs, le mouvement d’occidentalisation de la planète et de diffusion de la démocratie libérale n’a rien de certain, ni d’inéluctable. Peut-être même a-t-il déjà atteint sa plus grande envergure. Raymond Aron signalait que les États-Unis et l’URSS portaient deux visions différentes d’une même modernité. Mais ce qui s’exprime aujourd’hui dans un certain islamisme radical, par exemple, c’est un rejet de la modernité elle-même, au nom de la tradition, un bannissement de ce qui nous est le plus familier : l’idée de progrès. En ce sens, on peut observer un approfondissement des confrontations idéologiques par rapport à ce que décrivait Aron.

D’un côté, le procès d’industrialisation du monde suit son cours et l’on retrouve partout machines et produits similaires. De l’autre, la dernière décennie a rappelé que des hommes qui portent des vêtements identiques et consomment la même nourriture n’ont pas nécessairement des opinions compatibles. Et il arrive qu’ils préfèrent mourir que d’en changer. Certainement, on ne saurait nier l’effet corrosif du commerce sur les préjugés[25], mais nous nous sommes exagéré l’évidence de notre dispositif politique et nous avons par trop désappris la complexité du coeur humain.

Enfin, des modèles crédibles, différents du modèle occidental semblent prendre forme. La combinaison chinoise d’une certaine liberté économique et du maintien d’un État autoritaire défie bon nombre de nos prévisions. Et l’extraordinaire dynamisme qui en découle émerveille les autres nations. Peut-être n’aura-t-on là qu’un mirage de courte durée[26], mais il reste que le relatif déclin de l’Occident s’accompagnera sans doute d’une perte de prestige de son mode de gouvernement[27]. Portés par une énergie inédite, les Occidentaux ont façonné le monde depuis plusieurs siècles. Quelle est la nécessité qu’il en aille toujours de même ?

D — L’objection européenne

Toutefois, au coeur de la tempête, un continent semble oeuvrer méthodiquement à l’ouverture d’horizons inédits. En tournant le dos à la guerre, l’Europe permettra-t-elle de mettre fin au règne insatisfaisant de l’histoire as usual ? Verra-t-on l’inauguration d’un procès qui bannirait définitivement le drame ?

L’idée d’une république européenne n’est pas neuve, mais ce qui force l’admiration c’est sa mise en oeuvre contemporaine. Au milieu d’un siècle meurtrier, des nations enthousiastes ont choisi librement de lier leur destin sans verser le sang. D’anciennes puissances coloniales réalisent sans heurts ce que le plus habile conquérant n’aurait pu faire, c’est-à-dire l’unification pacifique d’un vaste territoire, avec pour seuls étendards la démocratie et les droits de l’homme. L’Europe a permis la réconciliation sincère des ennemis irréductibles. L’Europe a laissé la porte grande ouverte aux vaincus de la guerre froide. L’Europe a montré par ses programmes que la solidarité entre les peuples n’était pas un vain mot. L’Europe, enfin, dans sa bienveillance, ouvre une voie nouvelle, qui fait signe vers une humanité réconciliée.

Devant une perspective aussi prometteuse, soutiendra-t-on toujours que la pacification des relations internationales n’est qu’une folle utopie ? Il semble appartenir aux peuples européens, qui naguère erraient encore, d’offrir à tous le bénéfice d’une expérience acquise dans la douleur et les larmes. Le vieux sage, retiré sur son petit cap, admoneste doucement les galopins intrépides qui se chamaillent partout ailleurs.

Si pareille image avait quelque plausibilité, le vieillard devrait trembler à l’idée d’abandonner son bâton. Que dire s’il lui prenait la fantaisie de le mettre lui-même au feu ? Pour impressionnants que soient tous les accomplissements de la construction européenne, il ne faut pas se laisser abuser par nos espoirs. Raymond Aron nous invite à analyser plus profondément ce que nous pourrions qualifier un peu vite de conversion des coeurs. Pourquoi et pour combien de temps avons-nous renoncé à la guerre ?

Le continent européen a eu un destin hors norme. Au début du 19e siècle, Clausewitz rappelait que cette terre connaissait l’équilibre des puissances depuis maintenant un millénaire (Clausewitz 1955 : 421)[28]. Cent ans plus tard, tout est fini. L’incroyable concert des nations se brise sur deux guerres mondiales, et les pays européens doivent faire appel à des alliés extérieurs pour terminer leur différend. En 1917, les Américains interviennent et l’Europe perd son indépendance[29]. Les peuples qui donnaient à l’histoire mondiale son rythme devront désormais suivre le tempo imposé par de nouveaux maîtres.

Incapable de reprendre l’initiative, le vieux continent a eu le mérite d’accepter la nouvelle donne et de transfigurer son déclassement en noble victoire sur ses passions belliqueuses. Il reste que ce qui aurait été, avant le premier conflit mondial, un mouvement généreux et extraordinaire, un véritable hapax historique, ne relève plus en 1945 que du simple bon sens : deux guerres ont mené au désastre, il est temps de former d’autres projets. Comme le dit Raymond Aron : « Après l’effondrement des rêves impériaux, les hommes tournent vers d’autres oeuvres désirs et ambitions. La pacification de la République occidentale pourrait être l’effet de la défaite et consacrer la résignation historique » (Aron 1959 : 42). Nous avons donc tendance à nous féliciter à trop bon marché de nos dispositions pacifiques. Nous comprenant nous-mêmes comme les fourriers d’un processus inédit, nous sommes habités par un sentiment grisant de supériorité morale et nous promenons alors trop volontiers un oeil condescendant sur les autres peuples, ceux qui s’agitent encore vainement dans le monde de l’histoire. Malheureusement, le procès qui nous entraîne aujourd’hui est né du drame de la guerre et dépend pour l’essentiel de conditions politiques singulières[30] : au premier chef, de la Pax Americana dont nous sommes les principaux bénéficiaires. C’est pourquoi il semble bien qu’en appelant « résignation historique » ce que nous voudrions nommer « conversion des coeurs », Aron retranche de la poésie ce que nous devons à la réalité.

Les Européens ont fait le choix du travail, du commerce et de la compétition économique, ce qui leur a permis de multiplier leurs richesses dans des proportions inouïes. Mais si les fruits de la croissance venaient à manquer, nul ne sait si ce cap serait maintenu. Depuis quelques années déjà, les peuples d’Europe perdent confiance en eux-mêmes. Ils se mettent sur la défensive, l’inquiétude les gagne et les enjeux du monde contemporain semblent les dépasser de plusieurs têtes. La crise fut le révélateur d’une anxiété qui a pris naissance dans l’abîme séparant les rêves et les faits. La conception progressiste de l’histoire se heurte à l’expérience contemporaine d’un enrayement de la belle mécanique européenne, et l’enthousiasme s’oblitère peu à peu devant la montée de l’insatisfaction, la percée des partis extrémistes, le renforcement de l’indifférence à l’égard des institutions communautaires et la morosité des perspectives économiques et démographiques. Dans ce contexte, il y aurait danger pour les Européens à trop se convaincre que leurs mauvais instincts ont été éradiqués et que les passions violentes ont pour jamais déserté leurs âmes. Si la compétition économique devait les appauvrir, s’ils devenaient des perdants de la mondialisation libérale, rien ne garantit qu’ils sauraient faire taire leur ressentiment. Et s’ils demeuraient malgré tout tranquilles sur le bord du chemin, ce serait plutôt là signe de faiblesse et fatigue que de sagesse et modération[31].

Les Européens s’abandonnent donc successivement à deux illusions : ils jugent leur coeur avec trop de complaisance et considèrent leur situation politique avec trop peu de discernement[32]. Écoeurés par le perpétuel roulis du monde, ils s’inventent une terre ferme où se reposer enfin ; ils se bercent de chimères pour donner le change à leur inaction, tandis qu’au large le vent se lève.

Conclusion

La volonté de mettre un terme à l’histoire humaine part d’un motif aimable mais indiscret : les horreurs du 20e siècle auraient dû nous mettre en garde contre de telles divagations. Pourtant, elles les ont peut-être paradoxalement renforcées : pour ne plus revivre de telles infortunes, l’homme européen souhaite devenir autre. Se développe alors la croyance en un mouvement providentiel de l’histoire, qui amortirait les passions et, finalement, imposerait la paix[33]. Ce n’est plus l’ambition héroïque et redoutable de ceux qui cherchent à fonder une humanité nouvelle, c’est l’aspiration lasse de peuples ayant déjà goûté trop de fois l’amertume des rêves déçus.

Cependant, les principes, les idéologies, les religions, les passions et parfois même les intérêts constituent des ferments de conflits, aujourd’hui encore. Le général de Gaulle nous dit laconiquement : « Sans désavouer aucune espérance, où voit-on que les passions et les intérêts d’où sortent les conflits armés taisent leurs exigences, que quelqu’un renonce de bon gré à ce qu’il a et à ce qu’il désire, que les hommes, enfin, cessent d’être des hommes ? » (de Gaulle 1994 : 146.) Un jour, peut-être, une tyrannie mondiale saura-t-elle prévenir la guerre en abolissant toute initiative humaine ; un jour, peut-être, saura-t-on croiser l’homme avec le mouton afin que le bonheur du Lotophage ne lui soit plus inconnu. D’ici là, les citoyens responsables écouteront avec profit les conseils de prudence de Raymond Aron : ce qui nous fait trop souvent défaut, « c’est le sens de l’histoire et du tragique » (Aron 1976, II : 285). Oublier la condition politique de l’homme, c’est à la fois se rendre la tâche trop facile et méditer des recommandations funestes.

Trop souvent, on argue que vouloir penser la guerre, c’est déjà lui faire une terrible concession : il ne faudrait pas chercher à comprendre ce qui constitue le mal par excellence. Pareil raisonnement connaît deux limites. Le pacifisme d’abord[34]. Lorsque celui-ci est intégral et conséquent, il devient l’avant-coureur de toutes les avanies, puisqu’il néglige le fait que certaines guerres soient justes et nécessaires. Quand le pacifisme devient militant et qu’il entend bannir tous les conflits, il conduit aux luttes illimitées et aux combats à mort : comment mettra-t-on les hostilités hors la loi si ce n’est par les armes ? Les nations qui verront encore dans la guerre un instrument politique seront déclarées ennemies du genre humain, et il faudra les subjuguer, car on ne peut faire de compromis avec ceux qui se sont mis au ban de l’humanité. De tels conflits n’auront donc aucun élément modérateur et partageront le triste privilège de certaines guerres idéologiques : une forte ressemblance avec la guerre civile[35].

La deuxième limite concerne l’expérience. Puisque, dans un futur prévisible, la guerre fera encore partie de l’histoire humaine, les corps politiques doivent en garder une certaine connaissance. Cela va de soi pour la science des armes. Mais le plus important réside dans une sorte de familiarité avec l’art subtil de la diplomatie. Une nation qui se détournerait avec horreur de la guerre prendrait le risque de ne plus savoir, lors d’un conflit, fixer des objectifs raisonnables et limités, d’oublier comment identifier un adversaire et entamer des négociations avec lui et, enfin, de perdre l’intelligence des compromis nécessaires à la paix. Penser la guerre, c’est aussi apprendre à la terminer.

Dans un horizon prévisible, aucun saut qualitatif ne laisse envisager une paix éternelle, pas même le plein développement d’un monde de commerce (dans le sens le plus large du terme). Tant que les hommes seront capables d’exercer leur liberté, il est probable que la guerre demeurera dans la sphère de l’expérience humaine. Pour autant, en déduire que l’humanité courrait à sa perte, ce serait, délaissant un excès pour un autre, tomber dans le versant pessimiste de l’histoire nécessaire. Il y aurait injustice à croire que Raymond Aron, après avoir anéanti nos rêves et sapé notre optimisme, nous abandonnerait là, désabusés et impuissants. Au contraire, le concept du drame entend montrer que les actions humaines n’ont rien de vain.

La suppression des hostilités n’est pas une entreprise à notre portée. Cependant, Aron nous propose un chantier, moins sublime mais plus utile, sur lequel exercer nos facultés. Si nous ne pouvons faire disparaître la guerre, tâchons au moins de la maîtriser : « Entre l’absurdité d’une guerre totale et l’impossibilité d’une paix authentique, l’espoir de l’humanité passe par la voie étroite d’une modération de la guerre » (Aron 1959 : 55). Que les ambitieux se consolent, l’éloge de la mesure n’a rien d’un appel à la résignation. Pour s’épanouir, la prudence exige parfois le secours de l’audace[36], et le champ de l’action reste ouvert et immense.