Article body

CHAQUE ANNÉE, LES POLITOLOGUES DES QUATRE PROVINCES DE L’ATLANTIQUE se réunissent dans le cadre du congrès de l’Atlantic Provinces Political Science Association (APPSA). À la fin du congrès de 2016, tenu au campus de Saint John de l’Université du Nouveau-Brunswick, l’APPSA faisait face à un problème  aussi considérable qu’inhabituel  : aucune université ne se portait volontaire pour organiser le congrès de 2017.

J’ignore si cela en révèle davantage sur les politologues des provinces de l’Atlantique ou sur la mémoire collective de 1867, mais dans les délibérations de la réunion de clôture, personne ne semblait se rappeler que 2017 marquerait le 150 e anniversaire de la fédération.

C’est finalement l’Université de Moncton qui a hérité de la responsabilité d’organiser le congrès 2017 de l’APPSA, et ce n’est que quelques mois plus tard que le thème du congrès s’est imposé  : «  Le 150 eanniversaire de la fédération canadienne : perspectives de la région de l’Atlantique ».

L’Université de Moncton n’est toutefois pas qu’une université des provinces de l’Atlantique parmi d’autres. C’est la seule université de la région à offrir une formation en science politique en français et c’est la seule université acadienne membre de l’APPSA. Dans ce contexte, nous ne pouvions nous contenter de réfléchir à l’expérience canadienne d’un strict point de vue « de l’Atlantique ». Nous voulions saisir l’occasion que représentait le congrès de l’APPSA pour réfléchir aux grands enjeux politiques de l’Acadie et à son rapport avec le « Canada ». C’est ainsi qu’est venue l’idée de tenir, pendant le congrès de l’APPSA, une table ronde réunissant certains de nos meilleurs penseurs sur les questions politiques acadiennes.

Le 14 octobre 2017, après avoir participé, la veille, à l’émission Format libre, animée par Michel Doucet, sur les ondes de Radio-Canada Acadie [1] , Maurice Basque, Joel Belliveau, Michelle Landry, Roger Ouellette et Mathieu Wade ont accepté de se prêter au jeu, en présentant leurs réflexions et en répondant aux questions du public [2] .

Nous retrouvons, dans ce dossier, les textes retravaillés de quatre de ces intervenants. Tous ne partagent pas la même lecture de la trajectoire acadienne au sein du régime canadien.

Plutôt optimiste, Roger Ouellette estime que les Acadiens ont à maintes reprises été en mesure de tirer leur épingle du jeu à l’intérieur du système de partis au Nouveau-Brunswick. En retraçant l’histoire de la province depuis ses débuts, il conclut que c’est en investissant les deux partis traditionnels que les Acadiens arrivent à faire des gains. Soulignant notamment les réalisations des gouvernements libéral de Louis J. Robichaud et progressiste-conservateur de Richard Hatfield, Ouellette montre que les Acadiens sont les premiers à bénéficier d’une compétition électorale pour le vote acadien. Dans ce contexte, il s’inquiète toutefois de l’élection d’un leader aussi peu francophile que Blaine Higgs à la tête du Parti progressisteconservateur, qui risque de rendre les Acadiens captifs du Parti libéral.

Écrivant à partir du Nouvel-Ontario, Joel Belliveau trouve matière à nous consoler. Il constate que les Acadiens sont nettement plus communautaristes que les autres communautés francophones hors Québec, en ce sens qu’ils accordent une plus grande importance à l’appartenance communautaire dans la définition de leur identité personnelle. Dans les Maritimes, l’Acadie « va de soi ». Comment expliquer un tel particularisme? Belliveau défend l’hypothèse que l’importante consistance de l’identité acadienne s’explique par le fait que l’Acadie, contrairement aux autres communautés francophones minoritaires du pays, s’est cristallisée comme nation avant les premières vagues de nationalisme pancanadien, à la fin du 19e siècle.

Michelle Landry et Mathieu Wade insistent davantage sur les difficultés auxquelles fait face l’Acadie du Nouveau-Brunswick pour s’émanciper comme peuple à l’intérieur de la fédération canadienne.

Dans son article, Michelle Landry retrace l’histoire des organismes de la société civile aspirant à représenter les intérêts des Acadiens du Nouveau-Brunswick et conclut que la représentation de ces intérêts est de plus en plus éclatée, ce qui concourt à diluer la consistance politique de l’Acadie, de plus en plus difficile à saisir dans sa totalité. Depuis les années 1960 et 1970, en particulier, dans le contexte du développement de l’État-providence et du rôle accru du gouvernement fédéral dans la gestion des minorités de langue officielle, l’organisation sociopolitique des Acadiens s’est provincialisée et sectorialisée. Pour dépasser cet écueil, Landry nous invite à innover sur le plan de la gouvernance en Acadie.

Mathieu Wade est plus pessimiste. Il rappelle que le Canada n’a jamais réussi à reconnaître l’Acadie en tant que peuple. Les lois du Nouveau-Brunswick et du gouvernement fédéral reconnaissent une minorité de langue officielle, mais pas un peuple doté de la légitimité de s’autodéterminer. En s’appuyant sur une recherche archivistique originale, il constate une remarquable constance : dans son histoire, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) a toujours cherché à articuler et à défendre un projet de société global pour l’Acadie du Nouveau-Brunswick, à poursuivre son rêve d’autodétermination nationale, mais elle a toujours été frustrée dans sa démarche par la fragmentation dans laquelle la confine le régime linguistique. Dans le régime actuel, la SANB ne peut être beaucoup plus qu’un groupe de pression. En somme, c’est peut-être malgré les institutions politiques canadiennes à l’honneur en 2017 que la nation acadienne continue « d’aller de soi ».