Abstracts
Résumé
Le mouvement parasportif français s’est construit de manière atypique, avec une structuration hybride entre le milieu sportif spécifique et le milieu sportif ordinaire ; structuration qui continue à évoluer. Outre les deux fédérations spécifiques, de plus en plus de fédérations ordinaires organisent la pratique parasportive. Ces transformations organisationnelles du parasport en France entraînent des évolutions institutionnelles, notamment concernant le Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF). Ce dernier accompagne les fédérations spécifiques comme ordinaires ayant en charge l’organisation d’une ou plusieurs disciplines parasportives. Le CPSF met en place des actions transversales au sein du mouvement sportif et parasportif, de la société civile, associative, etc., afin de participer à l’amélioration de la pratique parasportive. Une autre finalité est aussi de faire évoluer le regard de la société sur le handicap. Les défis et les enjeux sont donc nombreux, et le CPSF s’appuiera sur tous les acteurs et évènements, dont les Jeux Paralympiques de Paris pour faire connaître le parasport.
Mots-clés :
- parasport,
- institutions,
- France,
- handicap,
- représentations
Abstract
The French para-sport movement was built in an atypical way, with a hybrid structure between the specific sporting environment and the mainstream sporting environment; structure that continues to evolve. In addition to the two specific federations, more and more ordinary federations organize parasport practice. These organizational transformations of parasport in France lead to institutional developments, particularly concerning the French Paralympic and Sports Committee (CPSF). This committee supports specific and ordinary federations responsible for organizing one or more parasport disciplines. The CPSF implements transversal actions within the sports and parasport movement, civil society, associations, etc., in order to participate in the improvement of parasport practice. Another aim is also to change society’s view of disability. The challenges and issues are therefore numerous, and the CPSF will rely on all stakeholders and events, including the Paralympics Games in Paris, to raise awareness of parasport.
Keywords:
- parasport,
- institutions,
- France,
- disability,
- representations
Article body
Introduction
Le mouvement parasportif français s’est construit en parallèle du mouvement sportif ordinaire. Pour autant, sa construction a été plus atypique, car il présentait une structuration parfois hybride entre le milieu sportif spécifique et le milieu sportif ordinaire. Cette caractéristique a pris encore une nouvelle dimension depuis quelques années. En effet, depuis le 1er janvier 2017, des changements institutionnels dans le mouvement parasportif sont en cours.
Cette évolution organisationnelle s’inscrit dans une temporalité spécifique, celle d’une montée en puissance du Comité Paralympique et Sportif, ainsi que de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris (2024).
Cet article proposera de retracer la construction du mouvement parasportif en France ainsi que ses évolutions institutionnelles. Il précisera aussi la place nouvelle du Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF), ainsi que les impacts éventuels des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris (2024) sur la pratique des personnes en situation de handicap. Enfin, il questionnera la notion complexe d’inclusion en lien avec la place des personnes en situation de handicap et en particulier des parasportifs.
I. La construction atypique de mouvement parasportif
C’est à la fin du 19e siècle que la pratique parasportive s’est développée en France (Ruffié & Ferez, 2013). Elle était à l’origine développée par et pour les personnes sourdes et malentendantes lesquelles souhaitaient participer à la construction d’une culture sportive dont l’enjeu était le droit à la différence (Meziani & Seguillon, 2020). En 1890, une première course cycliste amicale Paris-Versailles a été organisée par et pour les personnes sourdes. S’en suivra, en 1918, la création de la Fédération Sportive des Sourds-Muets de France (FSSMF). Cette fédération est la plus ancienne fédération sportive dans le domaine du handicap, en France. En 1924, la première édition des Deaflympics, appelés aussi Jeux Olympiques des sourds, a été organisée à Paris[1]. Seuls les athlètes ayant un seuil d’audition de moins de 55 décibels et ne disposant pas de correction auditive pouvaient y participer. Ces éléments constituent la première classification médicale qui déterminait l'autorisation ou non des sportifs à participer à une compétition. Les sportifs ayant un capital auditif supérieur à 55 décibels concouraient et concourent encore aujourd'hui avec les personnes dites valides.[2] En 1955, le Comité International Olympique (CIO) reconnaît officiellement le Comité International des Sports pour les Sourds (CISS). Ce dernier, créé en 1924 par Eugène Rubens Alcais et Antoine Dresse, avait entre autres pour finalité d’organiser tous les quatre ans les Deaflympics d’été et d’hiver.
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, le professeur Ludwig Guttmann a préconisé une rééducation des blessés médullaires par le sport et a organisé les premiers Jeux de Stoke Mandeville, en 1951[3].La première édition des Jeux Paralympiques a, quant à elle, eu lieu à Rome en 1960. Seules les personnes en fauteuils roulants pouvaient y participer.
En France, ce n’est qu’en 1954 qu’est créé le premier club sportif pour les personnes handicapées physiques, dénommé l’Association Sportive des Mutilés de France (ASMF), sous l’impulsion de Philippe Berthe. La Fédération Française Omnisport des Personnes Handicapées Physiques (FFOHP) a été créée en 1972. A cette époque, deux visions pour une pratique des personnes ayant des déficiences motrices et sensorielles s'opposent. Une première, dont l'objectif est de développer l’activité physique et sportive dans les clubs valides pour ce public, « avec les valides »[4]. C'est à travers cette finalité de développer une pratique inclusive que la FFOHP a été créée ; l’autre vision a pour objectif de développer la pratique parasportive au sein d’un mouvement fédéral spécifique afin de répondre aux besoins singuliers des personnes en situation de handicap. Une rivalité s’installe alors entre la FFOHP et la Fédération Sportive des Handicapés Physiques de France (FSHPF), créée en 1963. En 1968, cette dernière devient la Fédération Française de Sport pour Handicapés Physiques (FFSHP). Deux ans plus tard, elle sera la fédération délégataire du ministère des Sports. Ce désaccord prend fin en 1977 avec la création, sous l’égide du ministère des Sports, de la Fédération Française Handisport (FFH). A partir de cette date, c’est donc au sein d’une fédération spécifique que le parasport pour le public ayant des déficiences motrices et sensorielles se développe (Ruffié & Ferez, 2013).
Concernant la pratique sportive pour les personnes en situation de handicap présentant des déficiences intellectuelles et psychiques, son organisation institutionnelle s’oriente aussi vers une structuration fédérale spécifique, puisqu’en 1971 est créée la Fédération de Sport pour Handicapés Mentaux (FSHM) en France, qui deviendra délégataire du ministère des Sports en 1975, avant d’être renommée Fédération Française du Sport Adapté (FFSA) en 1983. Ce mouvement, axé initialement sur un modèle médico-éducatif, connaît une certaine évolution depuis 2009 vers un axe compétitif et de performance plus marqué (Beldame, Lantz & Marcellini, 2016).
Ainsi, en France, et ce jusqu’au 1er janvier 2017, la pratique parasportive a principalement été organisée autour de deux fédérations spécifiques, la FFH pour les personnes en situation de handicap ayant des déficiences motrices et sensorielles, et la FFSA pour les personnes en situation de handicap ayant des déficiences intellectuelles et psychiques. Ces fédérations ont obtenu une délégation du ministère des Sports pour le public handicapé, quelle que soit la discipline sportive concernée. A l'inverse, les fédérations dites ordinaires[5] ont une délégation ministérielle pour une seule discipline sportive. Il existe donc deux fonctionnements délégataires différents : par public concernant les deux fédérations spécifiques et par discipline concernant les fédérations ordinaires.
Pour autant, malgré ces différences d’organisation délégataire compétitive, tout club, affilié à une fédération spécifique comme à une fédération ordinaire, pouvait proposer une offre de pratique pour tout public, qu’il soit ou non en situation de handicap. La France a donc construit un système qui pourrait être qualifié d’hybride, où les deux mouvements, sportif et parasportif, pouvaient et peuvent toujours accueillir du public en situation de handicap, mais où seul le mouvement parasportif – les deux fédérations spécifiques - avait la délégation pour la pratique compétitive et de haut niveau (jusqu’en janvier 2017). De ce fait, la majorité des parasportifs compétiteurs pratiquent à la fois en milieu ordinaire et en milieu spécifique. Les parasportifs vivent donc des interactions sociales mixtes, car ils naviguent entre milieux sportifs ordinaire et spécifique (Duquesne et al., 2022 ; Richard et al., 2021). Afin de faciliter la compréhension de l’évolution de l'organisation parasportive en France, voici, ci-dessous, un schéma la représentant.
Schéma 1
L’organisation parasportive en France et ses évolutions institutionnelles
II. Évolution organisationnelle du parasport depuis le 1er janvier 2017
Depuis le 1er janvier 2017, le ministère des Sports[6] a modifié ce mode d’organisation en rendant possible le transfert de délégation de sports des fédérations spécifiques vers des fédérations homologues. Ainsi, les fédérations ordinaires peuvent depuis cette date organiser à la fois la pratique sportive de leur champ sportif disciplinaire pour le public dit valide et pour le public en situation de handicap. Ainsi, après chaque olympiade et paralympiade, toute fédération nationale peut déposer un dossier pour demander la délégation de sa discipline pour le parasport. Les fédérations spécifiques doivent elles aussi déposer un dossier pour demander et/ou conserver la délégation des disciplines souhaitées. Les fédérations doivent expliquer pourquoi elles souhaitent demander ou conserver la délégation, en justifiant des projets de développement et de performance qu’elles comptent mettre en place concernant le public en situation de handicap. Les fédérations ordinaires peuvent demander la délégation pour l'ensemble du public parasportif, donc pour les sportifs ayant des déficiences motrices, sensorielles, mentales ou psychiques ; ou la demander uniquement pour des sportifs ayant une déficience motrice et sensorielle ou une déficience mentale et psychique. Le ministère des Sports étudie les dossiers et décide ensuite d’accorder la délégation pour le développement et la compétition ainsi que le haut niveau, soit auprès de la fédération ordinaire, soit auprès de la fédération spécifique.
Cette évolution, récente, a modifié significativement le mouvement sportif et parasportif français. Ainsi, depuis 2017, 26 fédérations ordinaires ont demandé et obtenu la délégation dans leur champ sportif disciplinaire concernant le public ayant une déficience motrice et sensorielle, et 6 fédérations ordinaires ont demandé et obtenu la délégation concernant le public ayant une déficience intellectuelle et psychique.
Le ministère des Sports a souhaité rendre possible cette évolution structurelle avec pour objectif de favoriser l’inclusion dans la pratique sportive. En suggérant aux fédérations sportives ordinaires d'organiser à la fois la pratique des sportifs du milieu ordinaire et paraportifs, le ministère légitime une politique inclusive, qui remanie l’organisation structurelle du mouvement parasportif.
L’inclusion peut être définie comme le fait de penser l’environnement en premier pour les personnes les plus vulnérables afin qu’il soit, finalement, accessible à tous (Fougeyrollas, 2010). La finalité serait de permettre une participation sociale qualitative, de toutes et tous, quel que soit l’environnement.
Les fédérations ordinaires se sont davantage positionnées sur des demandes de délégations concernant le public en situation de handicap ayant des déficiences motrices et sensorielles (26 disciplines ont été demandées et obtenues par des fédérations ordinaires). Concernant le public en situation de handicap ayant des déficiences intellectuelles et psychiques, seules 6 disciplines ont été demandées et obtenues par des fédérations ordinaires.
Ces premiers constats interrogent sur les potentielles difficultés du mouvement sportif ordinaire à s’approprier l'ensemble des pratiques sportives, notamment celles des personnes ayant une déficience intellectuelle et psychique, dans un objectif d'inclusion.
En France, le regard sur le handicap évolue, mais la société française s’est historiquement davantage construite autour de la notion d’intégration que d’inclusion (Garel, 2010). En ce sens, le mouvement sportif n’a pas fait exception. Même si la pratique parasportive s’est développée auprès de fédérations spécifiques, comme vu précédemment, toutes les fédérations ordinaires pouvaient proposer des activités physiques et sportives au public en situation de handicap. Aussi, dans les faits une grande majorité des pratiquants parasportifs évoluaient à la fois en milieu ordinaire et en milieu compétitif spécifique, via une intégration hybride. De plus, cette évolution vers une inclusion sportive semble davantage s’orienter, au moins pour le moment, vers le public ayant une déficience motrice ou sensorielle que vers le public ayant une déficience intellectuelle ou psychique, au regard du nombre de transferts de délégation cité ci-dessus. Nous pouvons proposer deux pistes explicatives à ce constat. La première serait d’ordre socioculturelle. Les représentations culturelles et sociétales concernant les déficiences intellectuelles et psychiques rendent encore difficiles la participation sociale de ce public (Marcellini, 2006).
La deuxième serait liée à l’organisation sportive (Compte, 2017). Les sportifs ayant une déficience intellectuelle ou psychique ne sont que peu présents aux Jeux Paralympiques. En effet, uniquement trois disciplines sportives, - para-athlétisme, para-natation et para-tennis de table - sont ouvertes aux classes de handicap mentales ou psychiques.
De plus, seuls les sportifs ayant des déficiences intellectuelles et/ou atteints de troubles du spectre de l’autisme ayant un quotient intellectuel inférieur à 70 peuvent participer aux Jeux Paralympiques. Les autres sportifs, par exemple les sportifs atteints de trisomie 21, participent à des compétitions internationales spécifiques. Il existe aussi les Virtus Global Games, compétitions internationales multisports organisées tous les quatre ans par Virtus à destination des sportifs atteints d’une déficience intellectuelle ou psychique, ainsi que les Special Olympic Games. Pour autant, nous pouvons légitimement nous questionner sur l’impact d’une présence aux Jeux Paralympiques des classes de handicap mentales ou psychiques limitée à certaines disciplines et à certaines pathologies (Marcellini & Chopinaud, 2012). En effet, les Jeux Paralympiques sont l’évènement parasportif le plus, et presque le seul, médiatisé (Pappous et al. 2016, 2011 ; Marcellini, 2005), en comparaison des championnats du monde et d’Europe parasport ou des Global Games. Cette vitrine médiatique et cette reconnaissance sportive qu’apportent les Jeux Paralympiques aux sportifs de haut niveau peuvent expliquer un certain désintérêt des fédérations ordinaires pour la pratique sportive des personnes ayant des déficiences intellectuelles ou des troubles psychiques et autistiques qui ne sont pas sélectionnables aux Jeux Paralympiques, engendrant ainsi une inclusion moindre de ce public.
Ces éléments contextuels soulèvent déjà de premières questions en termes de représentations, voire de stigmatisations potentielles.
III. La nouvelle place du Comité Paralympique et Sportif Français (CPSF) dans le paysage institutionnel sportif et parasportif
L’ouverture possible d’une délégation aux fédérations ordinaires transforme l’organisation du mouvement parasportif et modifie la place du CPSF. En 1992, la FFH et la FFSA ont créé le Comité Français de Liaison pour les Activités Physiques et Sportives des Personnes Handicapées (COFLAPSH) qui sera renommé CPSF en 1996. En 2013, les statuts du CPSF sont réformés avec l’ouverture à toute fédération investie dans le développement du sport pour les personnes en situation de handicap, avec une reconnaissance législative du CPSF dans le code du sport en 2016[7]. Depuis 2018, la Présidente du CPSF est Marie-Amélie Le Fur.
La construction historique de l’organisation de la pratique parasportive au sein de deux fédérations spécifiques a amené ces dernières à développer et gérer de manière autonome la partie compétitive de haut niveau et notamment paralympique. Par exemple, jusqu’aux Jeux de Londres 2012, la FFH, en lien avec la FFSA, conduisait l’organisation et la logistique de la délégation française aux Jeux paralympiques (gestion des inscriptions, des liens avec le comité d’organisation des Jeux paralympiques, des hébergements et transports, du respect des quotas-cadres définis par le nombre final de sportifs sélectionnés, etc.).
Aujourd’hui, le transfert de délégation a augmenté le nombre de fédérations prenant part aux Jeux Paralympiques. En effet, parmi les 26 disciplines maintenant administrées par les fédérations ordinaires, 10 étaient, lors des Jeux paralympiques de Tokyo (2021), des disciplines paralympiques (para-aviron, para-badminton, para-canoë, para-dressage, para-judo, para-taekwondo, tennis-fauteuil, para-tir sportif, para-triathlon et volley assis). De ce fait, en fonction des disciplines qui ouvrent des quotas sélectifs aux Jeux Paralympiques, le nombre de fédérations disposant de sportifs sélectionnés aux Jeux paralympiques augmente. Par exemple, aux Jeux paralympiques de Tokyo, toutes les disciplines, sauf le volley assis, avaient obtenu des quotas sélectifs et donc avaient des sportifs présents aux Jeux Paralympiques. Ainsi, outre la FFH et la FFSA, 9 autres fédérations françaises ont pris part aux Jeux Paralympiques de Tokyo. La coordination n’est, de ce fait, plus envisageable par une fédération, et c’est maintenant au CPSF que revient cette mission (au même titre que le CNOSF pour les Jeux Olympiques). De plus, au-delà de mener la délégation française aux Jeux Paralympiques, le CPSF a pour mission de coordonner les actions nationales du mouvement parasportif et d’accompagner les fédérations dans leurs projets parasportifs. En effet, avec pour le moment 26 fédérations ordinaires qui ont obtenu la délégation du public ayant des déficiences motrices ou sensorielles, et de plus en plus de fédérations ordinaires qui proposent des activités adaptées sans toutefois en avoir encore la délégation, le rôle du CPSF devient de plus en plus conséquent, notamment pour maintenir une cohérence nationale du parasport et proposer des stratégies communes.
Le CPSF a ainsi progressivement vu une montée en puissance de son rôle. Les Jeux de Paris 2024 qui se dérouleront en France engendrent une visibilité supplémentaire. Lors de sa campagne, le comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP) de Paris 2024, avait d'ailleurs fortement communiqué son souhait de proposer des JOP inclusifs. Le comité a fait part de sa volonté de proposer des moyens humains, financiers et médiatiques équivalents pour les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques. Les JOP de Paris 2024 ont ainsi pour slogan : « Une seule et même équipe de France ». Le CPSF, qui est unePAR organisation récente, voit son implantation dans le paysage institutionnel sportif français renforcé.
IV. Les Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) : quels impacts sur le parasport ?
En France, les JOP catalysent et vont catalyser l’attention du monde sportif au moins jusqu’à la fin de l'année 2024, car ils représentent l’un des évènements sportifs les plus médiatisés. Les enjeux sociétaux et les attentes sont importants. L’un de ces enjeux concerne la notion d’héritage que peuvent apporter ces Jeux à la pratique parasportive (Richard et al., 2020). Par exemple, les infrastructures qui seront utilisées aux JOP de Paris doivent être mises aux normes d’accessibilité pour les PSH, tout comme certains transports conduisant les sportifs et les spectateurs. Si ces infrastructures perdurent post-Jeux, ce sont alors des dispositions concrètes qui inscrivent un héritage positif pour l’accessibilité à la pratique sportive des personnes en situation de handicap.
Comme nous l’avons vu précédemment, la structuration des pratiques sportives pour les personnes dites valides et pour les personnes ayant des déficiences s’est faite, au commencement, de manière parallèle, mais séparée. Pour les parasportifs de haut niveau, les changements en cours et à venir, en lien notamment avec les JOP de Paris 2024, représentent une reconnaissance qu’ils espèrent plus importante. Cet espoir passe certes par une possible médiatisation plus conséquente, par une présentation et explication des spécificités du parasport (par exemple, par une sensibilisation au grand public à la classification pour mieux comprendre les règles parasportives), mais aussi par un accompagnement des parasportifs qui tienne compte des besoins et des singularités de la performance paralympique.
V. Parasport et inclusion : certains enjeux
La culture inclusive, telle que définit ci-dessus (Fougeyrollas, 2010), n’a pas été systématique en France, comme écrit précédemment. Les problématiques traitaient davantage de la manière dont les personnes en situation de handicap pouvaient s’intégrer dans l’environnement valide, que de la manière dont l’environnement pouvait s’adapter à tous, y compris aux personnes en situation de handicap (Garel, 2010 ; Plaisance, 2007 ; Thomazet, 2006).
Cette évolution structurelle et institutionnelle dans le champ sportif, portée par le transfert de délégation, engendre des changements concrets pour les parasportifs de haut niveau. Par exemple, depuis les JOP de Rio (2016), les parasportifs de haut niveau ont été intégrés dans le dispositif d’accompagnement socioprofessionnel et partenarial du pacte de performance[8]. Lorsque l’Agence Nationale du Sport[9] a été créée, un manageur dédié au paralympisme a été nommé afin d'améliorer l’accompagnement individualisé vers la haute performance paralympique. La médiatisation des Jeux Paralympiques est aussi devenue plus conséquente.
Par exemple, France Télévisions – société qui gère les activités de la télévision publique en France – a proposé jusqu’à 100 heures de direct pendant les Jeux Paralympiques de Tokyo. Pour les JOP de Paris (2024) un accès gratuit à 300 heures de direct vient d'être acté[10]. L'ensemble de ces transformations sont présentées comme des avancées pour le mouvement parasportif. Toutefois, les avis restent partagés. Certains craignent que cette volonté inclusive affichée conduise finalement le mouvement parasportif à intégrer les fonctionnements du mouvement sportif valide, avec le risque que les singularités des pratiques parasportives ne soient pas prises en compte et, de ce fait, l’incertitude, en définitive, de réussir ce projet d’inclusion.
Ce risque de favoriser un modèle dit « validiste » dans les milieux sportifs a déjà été étudié dans la littérature et repris dans les travaux récents de Townsend et al. (2020, 2018). Ces derniers interrogent la pertinence de réfléchir à un modèle parasportif de la performance qui s’accorde avec le modèle sportif valide ou au contraire de proposer un modèle parasportif de la performance propre, distinct du modèle valide de performance. Les travaux de Compte (2017, 2005, 2003), de Marcellini (2007) ou bien encore de Patatas (2020) questionnent aussi les difficultés à rapprocher ces modèles sportifs de performance tout en laissant suffisamment de place aux singularités de chacun. Enfin, d’autres travaux (Beldame et al., 2016 ; Marcellini & Chopinaud, 2012 ; Compte, 2017, 2005, 2003 ; Marcellini, 2007) se sont intéressés à la place de la performance des sportifs ayant une déficience mentale ou psychique dans le mouvement sportif. Ce public fait face à des représentations négatives à la fois dans le milieu valide et dans le milieu spécifique (Duquesne et al., 2022).
Le CPSF, conscient de ces représentations négatives et des freins qu’elles induisent encore dans la pratique parasportive, met en place certaines actions ayant pour finalité de promouvoir l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le sport fédéral. Sans être exhaustif, le programme Club inclusif[11] accompagne les clubs qui souhaitent ouvrir leurs portes aux personnes en situation de handicap. Ce programme propose de sensibiliser à l’accueil de personnes en situation de handicap, de lever les freins liés aux préjugés à l’accueil et à l’encadrement, de créer un réseau de clubs inclusifs et d’accélérer la structuration des clubs afin d’enrichir l’offre de pratiques sportives.
En conclusion, les transformations structurelles, organisationnelles et institutionnelles du parasport en France entraînent de nombreux questionnements, tant sur l’offre de pratique du parasport, sur les acteurs associés, que sur les compréhensions du terme « inclusif ».
Le CPSF a pour mission d'accompagner au mieux les fédérations dans ces changements, afin de contribuer à l’amélioration de la pratique parasportive. Mais il doit également participer à l’évolution nécessaire des représentations sociétales et culturelles du handicap en France. Pour cela, le CPSF doit réussir à mettre en place des actions transversales, qui impliquent des acteurs aussi bien politiques, institutionnels, fédéraux qu’associatifs, de différents environnements : environnement du sport loisir, compétitif et de haut niveau, environnement du handicap, environnement socio-éducatif, etc. Cette nécessité de participer à l’évolution des regards sur l’inclusion, qui concerne le champ du handicap, est complexe. Il est en effet nécessaire de veiller à ce que toutes les sphères concernées (sport, société civile et associative, politique et institutionnelle, etc.) disposent à la fois d'une vision générale commune et d’un rythme cohérent. Certes, le CPSF mène ses actions en utilisant le sport pour faire évoluer le regard de la société sur le handicap. Pour autant, si les sphères politiques, institutionnelles, fédérales ou associatives ne partagent pas une vision ajustée du handicap et de l’inclusion des personnes en situation de handicap au sein de la société civile, ses missions deviennent alors plus complexes.
Appendices
Notes
-
[1]
Site France-Deaflympics.fr, 2022 – France Deaflympics, 1890 – 2019 : Le sport sourd, une grande histoire. Page consultée le 1er janvier 2023.
-
[2]
Par personnes dites valides, nous entendons les personnes ne répondant pas aux déficiences éligibles au sein des systèmes de classification présents dans le parasport. Ce dernier englobe l’ensemble des disciplines et des acteurs proposant une activité sportive adaptée aux personnes en situation de handicap ayant des déficiences motrices, sensorielles, intellectuelles et psychiques. Le terme parasportif représente les personnes pratiquant une discipline parasportive, donc réglementée pour une pratique envers une partie du public en situation de handicap.
-
[3]
https://theconversation.com/les-jeux-paralympiques-comment-tout-commenca-il-y-a-70-ans-99390
-
[4]
https://france-paralympique.fr/histoire/, site internet du Comité Paralympique et Sportif Français, page consultée le 1er janvier 2023.
-
[5]
Par fédérations ordinaires ou homologues, nous entendons les fédérations appartenant au mouvement sportif ordinaire (ou valide), qui avaient initialement la délégation sportive pour les disciplines sportives que chacune d’entre elles organisaient en loisir mais aussi en compétitions nationales et internationales. Par exemple, la Fédération Française de Tennis, la Fédération Française de volley ou bien encore la Fédération Française de Canoë-Kayak.
-
[6]
Le ministère des Sports a connu plusieurs appellations. À l’heure de la rédaction de cet article, il est nommé ministère des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Afin de faciliter la fluidité de lecture, l’appellation ministère des Sports est toujours celle utilisée pour l’article.
- [7]
-
[8]
https://www.fondation-du-sport-francais.fr/fondationdusportfrancais/pacte-de-performance
- [9]
-
[10]
France Télévisions devient diffuseur officiel des Jeux Paralympiques de Paris 2024 en France, et s’engage à faire rayonner les athlètes et les sports paralympiques, presse.paris2024.org
- [11]
Bibliographie
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List of figures
Schéma 1
L’organisation parasportive en France et ses évolutions institutionnelles