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Cette exposition a été pensée au travers d’une problématique sociohistorique, qui vise à faire découvrir au grand public les histoires liées et croisées des différentes organisations sportives de personnes dites handicapées, qui ont construit progressivement les conditions de possibilité d’un évènement international tel que les Jeux paralympiques de Paris 2024.

En effet, initiés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour les jeunes blessés restés paralysés des membres inférieurs et pouvant pratiquer des sports en fauteuil roulant, ces jeux sportifs s’ouvrent progressivement à des personnes ayant des incapacités motrices, sensorielles ou intellectuelles à partir des années 1970. Dans les années 1980 et 1990, les pratiques initialement pensées dans une visée médicale et rééducative sont définitivement redéfinies en lien avec la performance sportive de haut niveau et les Jeux olympiques (JO). Les années 2000, pendant lesquelles les Jeux de Londres (2012) marquent un tournant, ouvrent une nouvelle ère dans laquelle le mouvement paralympique devient vecteur d’un message fondé sur la fierté de la différence et la revendication d’une société plus inclusive.

Ainsi quatre périodes sont distinguées, et expliquées en objets, en paroles et en images.

I. Des Jeux au sein de l’hôpital (1948-1960)

A. Les débuts à Stoke Mandeville

En 1948, le neurochirurgien Ludwig Guttmann (1899-1980) met en place une expérience innovante de promotion du sport rééducatif. Issu d’une famille juive allemande, ce médecin a fui l’Allemagne grâce au soutien de la Society for the Protection of Science and Learning le 14 mars 1939 pour s’installer au Royaume-Uni. Il est devenu médecin-chef du premier centre de réadaptation spécialisé de l’hôpital de Stoke Mandeville, proche de Londres, en 1944. Guttmann innove dans le traitement des blessés médullaires, jusque-là passivement alités et vite emportés par des septicémies. Il intègre des activités sportives dans le dispositif thérapeutique, qui devient programme de réhabilitation.

Il imagine alors une « Journée sportive » de compétition de tir à l’arc qui se tient le 29 juillet 1948, jour de l’ouverture des JO de Londres. Les premiers Jeux de Stoke Mandeville rassemblent 14 hommes et 2 femmes en fauteuil roulant. Outre l’innovation médicale et sociale liée aux progrès de la neurologie, ils sont un évènement de communication s’inscrivant dans une économie caritative.

Ensuite, chaque été, les « Jeux de Stoke » se déroulent dans l’enceinte de l’hôpital. À partir du début des années 1950, ils accueillent des délégations étrangères. Jusqu’en 1960, les « Jeux de Stoke » constituent un rassemblement international de plus en plus grand, uniquement pour les personnes en fauteuil.

B. L’Amicale Sportive des Mutilés de France (ASMF)

En France, au milieu des années 1950, des jeunes mutilés de guerre parviennent à développer des pratiques sportives hors du contexte médical, à une époque où, comme en témoigne Pierre Volait (1925-2018), membre de l’ASMF qui deviendra président de la Fédération de sport pour handicapés physiques de France (FSHPF) en 1966, les personnes handicapées restent encore le plus souvent dans les familles et peu visibles dans l’espace public.

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L’ASMF est créée en 1954 autour de Philippe Berthe (1926-1992), son président-fondateur. En octobre 1955, le premier numéro de son bulletin relate sa participation aux « Jeux de Stoke », événement dont elle n’avait pas connaissance à son origine. Berthe prend l’initiative suite à son apprentissage du ski sur son unique jambe avec des anciens combattants autrichiens au cours de l’hiver 1953-1954. De retour à Paris, il convainc des membres du cercle d’anciens combattants « Rhin et Danube », qui se réunit dans les locaux mis à disposition par la Maréchale de Lattre de Tassigny dans son hôtel particulier, rue Paul-Valéry, de créer une Amicale sportive.

L’ASMF trouve rapidement des ressources hors du monde médical pour organiser des pratiques à forte dimension sociale, même si elle reste connectée aux services de rééducation. Elle est essentiellement constituée de résistants amalgamés à la 1ère Armée lors de la reconquête. Ces derniers ont été blessés en Alsace, alors qu’ils combattaient sous l’autorité du général de Lattre de Tassigny (1889-1952). C’est pourquoi l’Amicale est parrainée par la Maréchale.

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II. Sortir de l’hôpital : l’avènement du paralympisme (1960-1989)

Douze ans après la création des Jeux de Stoke Mandeville lors des Jeux olympiques (JO) de Londres de 1948, le choix est fait de les délocaliser sur le lieu des JO de Rome en 1960. Ces premiers « Jeux para-olympiques » restent réservés aux paralysés. Ils auront désormais lieu tous les quatre ans dans la foulée des JO, si possible sur le même lieu. Ce sera le cas pour les Jeux de Tokyo, en 1964. Il faudra ensuite attendre plus de vingt ans pour voir de nouveau les Jeux olympiques et paralympiques se dérouler dans la même ville, à Séoul (1988). La période est marquée par un double processus de distanciation à l’égard des pratiques rééducatives et de rapprochement du modèle de la compétition sportive. En France, ce phénomène se traduit par la structuration d’une fédération sportive omnisport reconnue comme les autres par le ministère des Sports et par la négociation de la participation d’autres athlètes que les paralysés. Les revendications d’intégration des amputés et des aveugles et malvoyants aboutissent lors des Jeux de Toronto (1976). Celles des infirmes moteurs cérébraux (IMC) à New York (1984). En 1989, la création du Comité international paralympique (IPC) marque l’achèvement d’une dynamique de regroupement de sportifs ayant différents types de handicaps qui permet un rapprochement avec le Comité international olympique (CIO).

A. Premiers jeux para-olympiques pour les paralysés (1960-1972)

La délocalisation des « Jeux de Stoke » à Rome (1960) est possible grâce aux liens entre Ludwig Guttmann et Antonio Maglio, confrère italien fondateur, en 1957, du Centre de rééducation pour paraplégiques « Villa Marina », proche de Rome. À peine de retour, Philippe Berthe rédige un édito de l’ASMF Magazine qui se réjouit des médailles des Français, comparées aux tristes résultats des « valides » quelques semaines plus tôt aux JO. Les courriers officiels de félicitations des représentants de l’État et du président du Comité olympique français attestent d’une reconnaissance inédite. Aux Jeux de Tokyo (1964), la délégation française comprend 20 sportifs, tous en fauteuil roulant. Les Jeux para-olympiques suivants, à Tel-Aviv puis Heidelberg, ne bénéficient pas des infrastructures des villes olympiques (Mexico 1968 et Munich 1972). Ceux d’Heidelberg sont en outre l’occasion d’un sit-in sur le stade d’athlètes amputés, qui revendiquent leur participation depuis déjà plus d’une décennie.

B. De l’ouverture des jeux à quelques déficiences à la création du Comité paralympique international (1972-1989)

En France, la constitution sur le modèle du sport fédéral s’accélère après la création d’une Fédération de sports pour handicapés physiques (1963), qui devient Fédération française de sport pour handicapés physiques (FFSHP, 1968). Cette dynamique fédérale n’est pas sans difficulté, avec notamment la création d’une fédération dissidente en 1972, la Fédération française omnisports des handicapés physiques (FFOHP). Comme le montrent les courriers entre Ludwig Guttmann, alors président de l’International Sports Organization for the Disabled (ISOD), les présidents des deux fédérations françaises et l’État français, cette concurrence favorise la reconnaissance du statut de fédération délégataire accordé à la FFSHP. La délégation lui donne un monopole sur l’organisation du sport de haut niveau mais la situation s’envenime pourtant en 1974. La médiation de l’État conduit finalement à créer la Fédération française handisport (1977), issue de l’union des deux fédérations. Au niveau international, les années 1970-1980 voient émerger de nouvelles images et de nouvelles disciplines adaptées aux groupes de déficiences fraichement intégrés. À Séoul (1988), les représentations médiatiques restent pourtant centrées sur les courses de fauteuil roulant, porteuses d’innovations techniques.

III. Le nouveau paralympisme : diversifier et regrouper (1989-2012)

La création de l’International Paralympic Committee (IPC) en 1989 marque l’ouverture d’une troisième période, celle d’un nouveau paralympisme qui veut s’élargir encore, en rassemblant toutes les fédérations sportives internationales représentant des sportifs avec différents types de déficience ou d’in/capacités. Le Comité international du sport sourd (CISS), qui regroupe depuis 1924 les sportifs déficients auditifs, et l’INAS-FID, qui réunit les sportifs ayant des déficiences intellectuelles, rejoignent dès 1986 la dynamique internationale de l’ICC, puis de l’IPC. Au tournant du 21e siècle, le paralympisme se transforme radicalement. Il produit l’irruption de nouveaux imaginaires et de nouvelles figures paralympiennes les incarnant, tels le « paralympien hybride technologique » (surhumain hyperperformant), mais aussi le « faux paralympien ». L’histoire du mouvement paralympique et de ses Jeux est donc aussi celle de la mise en lien et du regroupement de sportifs singuliers ; une histoire de rencontres, d’adaptations, d’ingéniosité et d’innovations permanentes pour créer les conditions de l’équité dans des compétitions rassemblant des sportifs aux in/capacités extrêmement diverses.

A. Une décennie d’expérimentation du nouveau paralympisme (1989-2000)

Ce mouvement sportif singulier, qui se structure progressivement, reçoit des signes de reconnaissance politique de plus en plus importants. En France, les présidents de la République successifs se montrent désormais aux côtés des sportifs. C’était le cas de Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. En 1993, c’est en tant que maire de Paris que Jacques Chirac inaugure le bâtiment parisien du siège de la Fédération française handisport, pionnier en termes d’accessibilité. L’institutionnalisation du mouvement se repère également au travers des signes identitaires visuels que sont les logos, que l’IPC transforme progressivement. Initialement proche du logo olympique, avec ses 5 virgules aux couleurs des 5 anneaux olympiques, le visuel du mouvement paralympique s’allège ensuite marquant ainsi une émancipation symbolique et la marche vers une identité propre et affirmée. Mais le projet initial de l’IPC d’associer les sportifs sourds et ceux ayant des déficiences intellectuelles à un large mouvement paralympique va s’avérer très complexe.

B. Les nouvelles figures paralympiennes et la question des classifications (2000-2012)

Au début du 21e siècle, les systèmes de classification de ces sportifs « autrement capables » deviennent peu à peu une inspiration pour penser l’égalité des chances et la prise en compte de la diversité dans les sociétés contemporaines. Pour faire concourir ensemble des athlètes avec des in/capacités différentes, il a fallu penser un système équitable. Les classifications dites « fonctionnelles » prennent en compte la relation entre les exigences propres à chaque tâche sportive et les in/capacités du sportif. De nouvelles figures paralympiennes émergent, détrônant celle jusqu’alors dominante du sportif en fauteuil roulant :

  • Le sportif avec déficience intellectuelle capable de performances remarquables dans un environnement adapté et accompagnant ;

  • Le sportif avec déficience visuelle capable de jouer un football adapté et inclusif (le cécifoot à 5 devient discipline paralympique en 2004) ;

  • Le sportif amputé appareillé avec des lames de course ou de saut, qui devient une figure de l’hybridation homme-technologie.

IV. Londres 2012, vers le grand spectacle de la fierté

Les Jeux de Londres 2012 constituent un moment de bascule vers un grand spectacle de l’inclusion et de la fierté. Les médias s’emparent de l’évènement pour mettre en scène des performances sportives d’un genre inédit. La rupture est affirmée avec le slogan « Rencontrer les superhumains » et un clip vidéo qui mêle des références aux super-héros des bandes dessinées de Marvel à des images choc. Ces Jeux permettent également la réintégration des athlètes avec déficience intellectuelle dans trois sports : la natation, le tennis de table et l’athlétisme. Les Jeux de Tokyo 2021 voient l’apparition de nouveaux para-sports : le parabadminton (6 catégories) et le parataekwondo (2 catégories).

De nouveaux types de champions émergent, comme Charles-Antoine Kouakou (Classe T20, avec déficience intellectuelle) ou Therezinha Guilhermina (Classe T11, avec déficience visuelle quasi totale). Les paralympiennes prennent également place, comme Marie-Amélie Le Fur, qui concourt en longueur et en 100 m, 200 m et 400 m, équipée d’un Flexfoot. Elle remporte 9 médailles dans la catégorie T44 (simple amputée d’une jambe sous le genou) entre 2008 et 2016, avant de s’impliquer dans la candidature de Paris 2024. L’évolution des mascottes paralympiques révèle la possibilité d’exhiber désormais un appareillage sportif prothétique avec fierté.

Cette exposition permet ainsi d’aiguiser le questionnement du grand public sur l’évolution sociohistorique des rapports au handicap et sur la place des pratiques sportives dans cette évolution. Les Jeux paralympiques sont l’évènement le plus médiatisé des pratiques sportives des personnes « autrement capables », et un des héritages attendus des Jeux de Paris 2024 est la reconnaissance positive des différences et la compréhension des besoins particuliers d’une diversité de sportifs. Cette compréhension collective constitue une clé pour favoriser la mise en oeuvre d’un double mouvement de reconnaissance nécessaire pour construire un sport inclusif. D’une part, il y a un mouvement de reconnaissance des organisations sportives spécifiques et de leurs compétences et présences essentielles dans le mouvement sportif. D’autre part, il y a le mouvement de reconnaissance et de soutien aux clubs dits « inclusifs » ou « para accueillants », c’est-à-dire ceux qui apprennent, avec les sportifs concernés et les organisations sportives spécifiques, à assurer une accessibilité universelle de leurs pratiques sportives et de leur vie associative pour l’avenir.