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Dans cet ouvrage sur les femmes zapotèques tisserandes de Teotitlán del Valle (4 564 habitants en 2000) dans l’État mexicain du Oaxaca, Lynn Stephen analyse la manière selon laquelle le genre adopte un sens particulier dans un contexte économique et culturel spécifique – dans ce cas, en relation avec le capitalisme global, le système de classes qu’il génère (marchands et tisserands) et les formulations des identités ethniques influencées par la culture locale ainsi que par les images d’indianité promues par l’État. L’auteure soutient que la vie des femmes zapotèques est constamment façonnée, non seulement par la demande accrue de produits textiles sur les marchés régionaux, nationaux et internationaux, mais aussi par les interconnections de l’implication de ces tisserandes dans ces différents marchés avec leur niveau d’éducation, les changements idéologiques locaux et nationaux relatifs au genre, à la migration, aux mutations des systèmes politiques locaux et nationaux ainsi qu’aux processus locaux, nationaux et internationaux d’étiquetage ethnique et de constructions identitaires.

Il s’agit d’une deuxième édition du livre, publié originellement en 1991, qui offrait à l’époque une percée dans les études du genre en milieu autochtone. L’ouvrage reflète des préoccupations et méthodologies caractéristiques des années 1980 et bien que partiellement actualisé et particulièrement fouillé, il garde généralement une perspective descriptive externe où manque l’approche emic qui aurait pu servir de point de départ pour analyser les questions de genre en milieu indien. Certes, des extraits d’entretiens apparaissent à travers l’ouvrage, mais ils n’arrivent pas à restituer le point de vue indigène de la réalité sociale complexe vécue actuellement par les teotitecos, entre l’attache aux traditions et les impératifs de l’économie de marché. Cette approche externe s’applique également à la partie originale de la seconde édition qui est pourtant au coeur de la démonstration de Stephen, à savoir la formation de coopératives de femmes tisserandes, laquelle passe par l’apprentissage (douloureux) de l’indépendance personnelle, économique et politique dans un climat social encore traditionnel et machiste où les femmes (mais aussi les hommes) souffrent du poids des normes et des rumeurs.

L’auteure brosse un vaste panorama historique, économique, politique et social pour situer le système festif local et par extension, le tissu social et les relations de genre dans la communauté. L’appartenance locale se fonde sur les obligations civiles auxquelles sont tenus les membres du village et sur un dense réseau d’entraide dans le travail agricole et festif.

Ainsi, les fêtes familiales (baptêmes, mariages, etc.) condensent les relations sociales locales, influencées par le global. Elles sont devenues plus fastes et ostentatoires après le déclin dans les années 1960 des mayordomías (le financement, par une personne désignée ou volontaire, de la fête communautaire vouée à un saint qui tout en la ruinant lui procure prestige et statut au sein de la société). Stephen soutient que le statut des femmes qui accomplissaient avec leur époux la charge de mayordomía s’est estompé avec l’affaiblissement de cette institution, mais qu’il a retrouvé son importance à travers les fêtes du cycle de vie. Grâce aux systèmes d’entraide fondés sur les relations de compadrazgo (parenté spirituelle qui lie essentiellement les parrains d’un enfant aux parents de celui-ci) et sur la guelaguetza (échange de biens ou de travail), les femmes teotitecas arrivent actuellement à célébrer des fêtes qui leur apportent statut et prestige dans leur société. Ce processus de renforcement des fêtes familiales au détriment de fêtes communautaires se constate actuellement à travers d’autres études de cas au Mexique. Une approche plus emic aurait sans doute permis de dépasser l’analyse du pan uniquement féminin de ces systèmes en reflétant le fait qu’il faut être deux (un couple marié composé d’un homme et d’une femme) afin qu’ils puissent fonctionner.

Dans ce système d’entraide, les marchands, particulièrement occupés, ne peuvent pas toujours rendre à leurs compères tisserands le travail en nature apporté par ces derniers. Ils se font donc remplacer par d’autres moyennant paiement. Stephen y voit une confrontation entre classe et ethnicité par le retrait des obligations sociales, ou une forme d’exploitation. On aurait aimé savoir ce qu’en pensent les locaux, car même s’il s’agit d’une certaine distanciation des normes, on pourrait y voir aussi le revirement de cette institution d’entraide à cause des mutations économiques. Le travail et l’argent qui le remplace peuvent être considérés comme équivalents dans certains cas car ce qui compte, en tout cas dans d’autres sociétés indiennes mésoaméricaines, est l’investissement de travail et d’énergie pour l’obtenir. D’où l’acceptation de l’argent des migrants pour financer les fêtes communautaires qui garantit également le maintien de leurs droits en tant que membres de la communauté.

Les sociétés indiennes étudiées, en permanentes mutations, justifient donc des rééditions continues et suivies.