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Au cours de nombreux séjours prolongés et s’étendant sur une dizaine d’années, Brian Morris a étudié les Malawis en se vouant principalement à leur ethnobiologie. La république de Malawi est une ancienne colonie britannique (Nyassaland) située entre la Zambie, la Tanzanie et le Mozambique. Après avoir exploré les techniques cynégétiques et les classifications animales en usage dans les pratiques alimentaires et médicinales (Morris 1998), l’auteur livre ici sur six chapitres une étude complémentaire qui aborde le rôle de l’animal dans la vie rituelle et religieuse des Malawis, la relation entre l’animal, les dieux et les esprits.

Morris consacre une partie de sa réflexion à poser une attitude ethnographique a-théorique et à s’opposer très clairement à la vogue des théories critiques postmodernes en anthropologie. Contre le déni de l’empirisme, « la rhétorique arrogante et intolérante des anthropologues postmodernes » (p. 3), la réduction de la culture à un simple texte, il propose et revendique un ouvrage qui se veut avant tout descriptif, modeste et lisible. Cette description ne peut cependant pas s’effectuer sans aucun descripteur. Aussi, plutôt que de déconstruire le dualisme nature-culture, propose-t-il de les relier dialectiquement. Au lieu de rejeter le concept de culture, il en redéfinit l’extension : pour se soustraire aux critiques d’une « Culture » a-historique et homogène, il montre et inclut dans son analyse le rôle de l’histoire qui explique la coexistence de formes culturelles contradictoires. Morris concède donc que la « Culture » est un processus, mais il maintient, par ailleurs, que les représentations culturelles persistent, possèdent même une unité relative et une efficacité causale sur les conduites… Sans autres précisions, il confie son attrait pour l’épidémiologie des représentations de Dan Sperber.

Dans un second temps, Morris explore les multiples relations qu’entretiennent ou ont entretenues les Malawis avec les animaux domestiques et sauvages. Ces relations permettent d’établir le type de conception que se font les Malawis du rapport Nature-Culture : il existe une continuité animal-humain ; ils partagent des attributs communs ; il n’y a pas de distinction radicale. De ce fait, la définition de la nature humaine et de la personne prend une tout autre dimension. Pour en montrer les ressorts, Morris ajuste une distinction entre trois concepts de la « personne » : être social distinct ; catégorie culturelle, soi (psychologique) (voir Morris 1994). Il détaille ensuite les conceptions africaines de la personne puis des Malawis à partir du langage des sentiments moraux. Il remarque l’absence du concept de « mental » (mind) et d’individualisme. Mais ces absences, assure-t-il, n’impliquent pas l’ignorance de l’individu. La description progressive des rituels de naissance, d’initiation féminine et masculine s’effectue dans un troisième temps. Morris expose tout d’abord le rôle symbolique des animaux dans ces rites. Il propose ensuite une exégèse du rôle symbolique du caméléon au sein du mythe malawi de création et de ses variantes. Finalement, il montre comment l’esprit des ancêtres peut prendre forme visible grâce aux formes animales. Il dégage une logique essentiellement analogique.

Au terme de cette présentation, il faut bien remarquer et même regretter que l’animal ou une anthropologie de l’animal soient moins au centre de l’analyse que l’étude des usages des représentations animales et de leurs conséquences sur les conceptions de la personnalité et du genre chez les Malawis.