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Salvatore D’Onofrio, L’esprit de la parenté. Europe et horizon chrétien. Préface de Françoise Héritier. Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2004, xx + 299 p., bibliogr.[Record]

  • Jean-Claude Muller

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  • Jean-Claude Muller
    Département d’anthropologie
    Université de Montréal
    C.P. 6128, Succursale Centre-ville
    Montréal (Québec) H3C 3J7
    Canada

Il semble que l’anthropologie n’en finira jamais avec de nouvelles perspectives sur l’inceste et, à lire ce livre, c’est tant mieux! Après l’étude des conséquences de cette prohibition, vue par Lévi-Strauss comme créatrice de la société en empêchant des consanguins proches de se marier, donc en obligeant les hommes à donner leurs soeurs à d’autres hommes et à recevoir des épouses d’autres groupes selon des modalités diverses, Françoise Héritier, il y a vingt-cinq ans, décrivait en grand détail à partir d’exemples tirés des quatre coins du monde un autre type d’inceste, reconnu comme tel dans beaucoup de sociétés, dont la nôtre : celui de deux personnes consanguines de même sexe qui partagent un même partenaire sexuel. Pour distinguer cet inceste du premier, qui s’appelle dorénavant inceste du premier type, Françoise Héritier nomma ce nouvel exemple, inceste du second type. Or, quelques années plus tard, Salvatore D’Onofrio mettait en lumière un inceste du troisième type dont la base est l’interdiction de tout rapport sexuel entre une mère et le parrain de son enfant, une relation encore plus réprouvée que l’inceste du premier type dans la chrétienté ancienne et qui a perduré encore ici et là, en particulier en Sicile où l’auteur a fait son terrain et où il enseigne toujours. Le présent volume est consacré à cet inceste du troisième type. Remarquablement préfacé par Françoise Héritier, il réunit huit articles quelque peu modifiés et publiés auparavant, mais souvent dans des revues difficilement accessibles. Ceux-ci, augmentés d’une introduction qui les met en contexte, forme maintenant un tout qui se révèle un vrai régal ; c’est un livre vraiment passionnant. L’introduction montre que « l’atome de parenté », isolé en 1945 par Lévi-Strauss, constitué par un homme, sa femme, leur enfant, le plus souvent un fils, et le donneur de femme, l’oncle maternel de l’enfant, a été modifié, dans la parenté chrétienne, par l’effacement de l’oncle maternel, remplacé par le parrain du nouveau-né. Le parrain est un père spirituel de l’enfant, qui remplace sur ce point le vrai père, quelquefois si complètement que celui-ci est même caché lors du baptême. Le parrain devient un compère (co-père) de la mère de l’enfant alors que la mère devient pour le parrain une commère (co-mère). Cela, pour paraphraser Lévi-Strauss, crée un « atome de parenté spirituelle » dans lequel la relation frère-soeur de l’atome de parenté classique est remplacée par la relation compère-commère, d’où l’interdiction des contacts sexuels entre les deux. Mais ce couple reproduit aussi celui de Marie et de Joseph ; il évoque la naissance virginale de la première (elle n’a pas de mari physiologique dans cette structure) et le rôle de simple tuteur du second. Dans cette structure, une mère vierge et un tuteur, l’enfant reproduit symboliquement Jésus au sein de la Sainte Famille. Même si cette parenté spirituelle est datée dans notre monde chrétien, D’Onofrio nous assure qu’il n’en a pas l’exclusivité en évoquant deux exemples, l’un africain et l’autre sud-américain, qui montrent brièvement comment elle se crée dans certaines circonstances en engendrant les prohibitions de l’inceste du troisième type en même temps qu’elle ouvre des orientations possibles pour de futurs mariages. C’est une nouvelle piste de recherches en parenté qui s’avère très prometteuse. Le premier chapitre explore deux humeurs, le lait et le sperme, qui sont censées provenir des os. Entre autres, on y apprendra, avec une certaine surprise, pourquoi les cocus portent des cornes, comment, en Sicile, le lait maternel est classifié en deux sortes distinctes et pourquoi les enfants siciliens mangeaient, à la Fête des morts et à la Toussaint, des pâtisseries représentant des ossements. Cette dernière coutume est …