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Cet ouvrage est le fruit d’un programme de recherche français « Entre privé et public : les rapports de cohabitation et les usages des espaces communs dans les ensembles résidentiels » lancé en 2001 par la Mission de l’Ethnologie (Ministère de la Culture et de la Communication) en association avec le Plan Urbain Construction Architecture et le Bureau de la recherche architecturale. En cherchant à saisir les situations de cohabitations dans les ensembles résidentiels, les auteurs s’interrogent sur la nature des négociations qui animent les relations entre voisins (affirmation des identités, pratiques et représentations).
La problématique de la proximité spatiale dont il est question dans cet ouvrage s’attache à souligner les différences entre les cultures de « l’habiter » au regard de la relation public-privé, intérieur-extérieur et les obligations de la cohabitation. Dans cette perspective, l’opposition dedans-dehors apparaît comme une ligne majeure de l’organisation de l’espace et des interactions quotidiennes qui s’y déroulent. Ces dernières reflètent à la fois des côtoiements, des évitements et les mécanismes de la régulation sociale. Dès lors, « les espaces intermédiaires constituent la scène principale de la reconnaissance de l’autre, le voisin » (p. 173). À distinguer le simple passant de l’habitué dans ces parties communes on s’interroge sur les appartenances sociales et leurs corollaires, les différences. Comme le laisse entendre le titre de l’ouvrage, « la société des voisins » s’inscrit dans des registres sociaux plus larges dans lesquels l’hétérogénéité des habitants et la diversité des modes d’habiter finissent par mettre à distance certaines catégories sociales et à faire exploser des conflits générés par la proximité : « pour certains, le clivage se fait entre le dedans et le dehors, pour d’autres entre le sale et le propre, pour d’autres encore entre le noyau familial et l’inconnu, ou la tribu et l’intrus, etc. » (p. 8). Ces « espaces intermédiaires » où se jouent la construction du lien social et l’expression des identités culturelles se situent dans un double rapport proximité-distance et intériorité-extériorité. L’intérêt de la recherche réside non pas dans l’apparent et le visible mais dans le sens caché des relations. La question est de savoir comment rendre compte des imbrications du social et des subtilités des relations ou des séparations, mais aussi comment renouveler les questionnements et les problématiques de la proximité. Les contributions s’inscrivent, pour l’essentiel, dans le champ classique de la sociologie (Émile Durkheim, Max Weber, Ferdinand Tönnies, Georg Simmel ou encore Marcel Mauss, Maurice Halbwachs, Norbert Elias) en mobilisant les notions de « densité sociale », « formes sociales », « individualisation ». Si cela conforte l’idée d’un ancrage profond dans la complexité des approches sociologiques, les auteurs ne renouvellent pas les questionnements, malgré la pertinence et la richesse des différentes analyses proposées.
En effet, cet ouvrage rassemble des appartenances disciplinaires diverses (anthropologie, architecture, démographie, géographie, histoire, sociologie, etc.) ainsi que des terrains d’investigation variés tant du point de vue des populations observées que des formes d’habitat et du statut résidentiel. Mais cette diversité n’aboutit pas à des positionnements théoriques contrastés, d’où l’effet d’une ossature fluide de l’ouvrage : « Espaces intermédiaires, de transition, semi-publics, ou prolongements du logement : histoire et critique des concepts », « Les incertitudes de la résidentialisation », « La vie en résidence : ordre, calme et urbanité », « Les pratiques de cohabitation à l’épreuve de la civilité », « L’appropriation des espaces communs : transgressions, conflits et négociation ».
L’un des thèmes les plus actuels est celui de la « résidentialisation », présentée de façon générale comme une réponse à « un constat d’échec où se mêlent vandalisme, insécurité et dégradation » (p. 77). Le processus de résidentalisation suppose que l’on requalifie les espaces en les privatisant ; mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un débat plus général sur la légitimité d’une régulation des espaces publics par la puissance publique notamment par les instances de « la politique de la ville ». Les gated communities à la française qui utilisent les espaces collectifs à des fins de protection avec un dispositif de fermeture et un système de sécurité renforcée apparaissent surtout comme des formes de regroupement mettant à mal la mixité et la cohésion sociales. Reste à savoir en quoi la thématique de la résidentialisation renouvelle « la question urbaine ».