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Vanessa Harding, The Dead and the Living in Paris and London 1500-1670. Cambridge, Cambridge University Press, 2002, 345 p., illustr., append., bibliogr., index.[Record]

  • Joël Noret

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  • Joël Noret
    Fonds national de la recherche scientifique
    Centre d’Anthropologie Culturelle
    Institut de Sociologie de l’Université Libre de Bruxelles
    44 Avenue Jeanne
    B-1050 Bruxelles
    Belgique

L’objectif déclaré de cet ouvrage très documenté, reposant sur un travail important dans les archives des deux villes étudiées, est d’éclairer la vie urbaine et le changement social à l’époque moderne à partir des pratiques de prise en charge de la mort. Celles-ci sont considérées comme un révélateur, comme un angle d’approche « de la culture et de l’expérience urbaines » (p. 2), et le propos se centre donc d’emblée sur les pratiques sociales plutôt que sur l’expérience de la mort, le deuil ou les attitudes face à la mort (p. 7). Le travail de V. Harding est bien informé des paradigmes sociologiques et anthropologiques, et il intègre par exemple pleinement l’idée que les acteurs urbains possédaient diverses identités et étaient partagés entre différentes loyautés (p. 2-3), ou encore que cohabitaient dans les villes étudiées différents points de vue et opinions (p. 11-12). V. Harding souligne plutôt la continuité des pratiques entre Paris et Londres, même si les contextes politiques et religieux furent assez différents dans les deux villes pendant la période considérée. L’histoire parisienne fut, en particulier, plus troublée et violente, et les changements introduits à Londres par la Réforme, sans conflit majeur, menèrent aussi à des évolutions incontestables des pratiques. Les divergences entre les deux villes ne sont pas ignorées. V. Harding montre aussi, rejoignant entièrement la perspective anthropologique ouverte par R. Hertz (qui figure en bibliographie mais n’est pas cité), comment les morts faisaient, dans les sociétés urbaines étudiées, pleinement partie du monde des vivants. Elle privilégie un découpage thématique, à l’intérieur duquel elle réintroduit des exposés chronologiques. Elle aborde ainsi d’abord la question de la présence massive de la mort dans les contextes urbains parisien et londonien à partir des taux de mortalité très élevés et des épidémies régulières qu’ont connus les deux villes au cours de la période qu’elle considère. L’auteure développe ensuite sur plusieurs chapitres les enjeux sociaux et symboliques liés au placement des morts dans l’espace urbain. Elle insiste sur le rapport étroit entre inégalités sociales et distribution spatiale des défunts. Certains lieux étaient évidemment plus valorisés socialement (religieusement et statutairement) que d’autres, comme l’intérieur des églises ou leur pourtour immédiat dans les cimetières qui les entouraient. Mais les couches moyennes et pauvres de la population urbaine devaient se contenter d’inhumations à la périphérie des cimetières paroissiaux, ou dans d’autres cimetières situés hors des paroisses, voire dans des fosses communes. Les chapitres suivants évoquent les funérailles urbaines, qui sont considérées, une fois encore de façon pertinente d’un point de vue sociologique ou anthropologique, comme des moments de ressaisissement des identités et des affiliations du mort et des groupes impliqués dans les obsèques. Mais le développement de courants protestants méfiants à l’égard du fait rituel, ou la place occupée par l’économie des funérailles et les enjeux sociaux de celle-ci, ne sont pas pour autant ignorés. Soucieuse de restituer la complexité des contextes urbains qu’elle décrit, V. Harding ne cherche jamais à simplifier. Ce respect de la complexité et le souci de restituer les différents points de vue coexistant sur les funérailles et la place des morts dans les deux villes tout au long de la période considérée constituent un autre point fort de l’ouvrage. Par ses qualités méthodologiques, son souci du contrôle empirique des interprétations avancées et sa pertinence théorique, l’ouvrage est impressionnant et présente un caractère heuristique pour l’ensemble des sciences sociales des faits funéraires et du changement social. Un regret cependant, pour terminer. V. Harding semble reprendre à son compte le vieux schéma hertzien et durkheimien selon lequel les rites funéraires restaurent nécessairement l’unité sociale et renforcent l’intégration d’une société. Cela la …