Abstracts
Résumé
La « disparition forcée » en Argentine questionne la capacité, pour l’anthropologie, d’aborder la violence et ce qu’elle a d’indicible. Il s’agit donc, comme tout préalable à l’immersion dans un terrain « miné », de questionner la tension qui nous habite. Faite d’oscillation entre empathie, engagement et distanciation, notre position ethnographique interroge notre rapport de sens à la société qui nous entoure et qui nous fait, alors même que nous en avons expérimenté la capacité d’autodestruction. Il s’agira d’éclairer ici ce que je comprends comme la double implication possible des chercheurs : réélaboration du sens, reconstruction des liens. Car face à la « mort sociale », l’anthropologue peut participer d’une dynamique sociale de reconnaissance (comme recomposition du lien social et politique depuis une relation de réciprocité). Participer de cette dynamique, c’est aussi en questionner les enjeux éthiques et politiques. Face au déni, à la dépersonnalisation de l’autre, à son effacement, s’engager sur la voie du personnel, de l’intime, c’est rappeler que ces crimes contre l’humanité ont d’abord touché des intimités. Cette démarche anthropologique, impliquée aux côtés des victimes de la « disparition », élaborée avec elles, est vécue comme une co-naissance du sens, comme un parcours menant de l’intimité blessée à l’histoire et la mémoire collectives (D. Fassin, F. Laplantine, C. Coquio). Il s’agit, somme toute, de transmettre l’intime pour penser la terreur.
Mots-clés:
- Verstraeten,
- disparition,
- terreur,
- émotion,
- implication,
- reconnaissance
Abstract
The « forced disappearance » in Argentina questions the capacity of anthropology to approach violence and its unspeakable elements. Before entering such a minefield it is necessary to examine our own internal feelings. Our ethnographical position is made up of changeable feelings of empathy, involvement and detachment and questions the relationship of sense in the society which surrounds and forms us, while at the same time experimenting with that same society’s capacity for self-destruction. In this article I intend to examine what I consider to be the possible doble involvement of the researchers: the reconstruction of sense and the rebuilding of relationships. Confronted by ‘social death’ the anthropologist may participate in a social dynamic of recognition (as a reconstruction of a social and political link resulting from a reciprocal relationship). Taking part in this dynamic means that its ethical and political implications are also called into question. Faced with denial, with the depersonalization and elimination of the other, we need to follow the way of individualization, of intimity. It indeedy reminds us that crimes against humanity were first perpetrated against that which is most intimate. This anthropological approach, involved by the side of victims of “disappearance”, and developed in conjunction with them, is experienced as a rebirth of sense, as a journey which leads us from wounded intimacy towards history and collective memory (D. Fassin, F. Laplantine, C. Coquio). In short, I’m trying to transmit the intimate to make possible thinking terror.
Keywords:
- Verstraeten,
- disappearance,
- terror,
- emotion,
- involvement,
- recognition
Appendices
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