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Cousseau Vincent, 2012, Prendre nom aux Antilles. Individu et appartenances (XVIIe-XIXe siècle). Paris, Éditions du CTHS, coll. CTHS Histoire n° 50, 445 p., bibliogr., annexes, chronologie[Record]

  • Philippe Chanson

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  • Philippe Chanson
    Université de Genève, et Université catholique de Louvain-la-Neuve, Louvain-la-Neuve, Belgique

D’abord noyés de façon périphérique dans quelques chroniques d’époque et enfouis dans les registres des mairies et des paroisses avant d’être popularisés en 1964 par Édouard Glissant dans le fameux chapitre 5 de son Quatrième siècle, les questionnements liés à la problématique des noms donnés aux esclaves, et singulièrement à la suite de l’abolition de l’esclavage aux Antilles françaises, font aujourd’hui florès : recherches en archivistique et en onomastique, dépouillement des « registres d’individualité » (en Martinique) et des « registres des nouveaux libres » (en Guadeloupe), établissements de répertoires, études littéraires, travaux, expositions, colloques, conférences, etc., ne se comptent plus (de même que sur les insularités connexes de Maurice et de La Réunion). Historiens, linguistes, anthropologues, statisticiens et autres spécialistes de la littérature antillaise se sont emparés de ce sujet à forte charge symbolique, mais aussi hautement sensible, concret et affectif pour les descendants actuels des générations serviles. Dans cette trace issue d’une thèse, l’ouvrage de Vincent Cousseau – agrégé d’histoire et maître de conférences à l’Université de Limoges, en France –, de par son titre, laissait augurer une avancée complémentaire d’autant plus significative que son étonnant début d’intitulé, « Prendre nom aux Antilles », biaisant d’entrée le principe du nom reçu, donnait à penser. La lecture de l’ouvrage, présentant cette thématique du XVIIe siècle à l’Abolition de 1848, dévoile cependant que l’auteur, privilégiant le terrain martiniquais, ne traite pas des noms entendus en tant que patronymes, mais propose une analyse des prénoms comme nouvelle grille de lecture globale d’une société créole antillaise née de l’exploitation esclavagiste. Derrière la nouveauté bienvenue de cette approche, cette indistinction entre nom et prénom directement dans le titre (comme dans nombre de libellés de chapitres et paragraphes) reste malgré tout gênante. L’auteur s’en explique, certes, dans son premier chapitre, mais même si nous savons que les prénoms (comme les surnoms) servaient à ces époques de noms de substitution commodes (notamment pour les esclaves exclus de patronymes), ce choix prête d’emblée à confusion. La remarque, qui ne pouvait être occultée, n’entrave cependant pas le plaisir de la lecture de ce livre important s’adressant à un public universitaire et plus particulièrement aux historiens, sociologues et anthropologues s’intéressant aux facteurs d’identités et d’appartenances. Préfacé par Danielle Bégot, historienne des Antilles, l’ouvrage, d’une belle tenue esthétique et graphique, serti qui plus est d’un remarquable travail de synthèse et d’écriture, est fort bien construit et très sérieusement documenté. L’auteur respecte des protocoles méthodologiques rigoureux et s’appuie sur un corpus de sources impressionnant, exigeant et d’une grande variété, annonçant le dépouillement, entre autres, de 31 401 actes de naissance et de baptême. Le cadre théorique avancé est toujours bien suivi et l’auteur reste en général prudent, n’hésitant pas à convertir certaines lignes de force en hypothèses, relativement à la complexification reconnue du sujet. En fin de volume, il nous offre un registre précis des sources consultées, une bibliographie généreuse, éprouvée, et d’utiles annexes, notamment sur les noms/prénoms dominants au cours des époques – les libellés souffrant toujours ici de l’indistinction lexicale entre nom et prénom soulignée plus haut. L’ensemble se décline très méthodiquement en trois parties, rythmées chacune par trois chapitres et leurs paragraphes. La première traite méticuleusement de l’étayage de la société coloniale à travers la reconstruction historique d’une généalogie de la société martiniquaise que l’auteur décrypte significativement comme un « chaudron colonial » (p. 102). Cette excellente synthèse, qui sert de soubassement au thème, sans doute un peu longue par rapport au sujet annoncé (un tiers de l’ouvrage qui n’aborde aucunement la question des noms), livre des apports conséquents menant à relativiser et tempérer …

Appendices