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L’ouvrage collectif dirigé par Marc-Williams Debono, neurobiologiste de formation, se pose comme défi de donner un autre sens au concept d’« intelligence » pour qu’elle ne soit plus seulement humaine ou animale, mais aussi végétale. L’intelligence des plantes en question nous invite à repenser la place du règne végétal en transcendant la façon d’appréhender le monde à partir de la seule perspective humaine. De ce fait, la discussion sur l’intelligence des plantes dans ce livre ne consiste pas à prouver, d’une façon anthropomorphique, que les plantes sont douées de la capacité de penser ou de l’intentionnalité sentiente et consciente. Au-delà de ce qui est propre au monde humain et animal, il s’agit d’autres formes d’intelligence.

Cet ouvrage aborde l’intelligence végétale à travers le prisme de diverses disciplines : l’écophysiologie, la philosophie et le symbolisme des plantes. Il est organisé en trois parties composées de trois à quatre chapitres chacune portant sur ces domaines. La rencontre des connaissances scientifiques et métaphysiques ainsi que l’intégration de méthodologies diverses servent à interpréter et appréhender les différentes manières dont les humains existent dans le monde et perçoivent leurs relations avec d’autres formes de vie et les milieux sensibles.

La première partie, « Écophysiologie des plantes », s’intéresse aux réponses comportementales et physiologiques des organismes végétaux et explique la complexité de la façon dont les plantes ressentent, réagissent, communiquent, s’adaptent, se développent et se (dé)forment dans leurs milieux donnés. Des contributions dans cette partie, on peut retenir de Jacques Tassin (chap. 1) les nuances du vocable « intelligence » liées à la capacité du végétal à composer avec l’au-delà de soi, nous mettant en garde contre une tendance à confondre abusivement intelligence et adaptation évolutive. Luciano Boi (chap. 2) nous convainc pour sa part que pour bien aborder la question végétale, il faut une nouvelle philosophie de la nature pour les sciences actuelles.

La deuxième partie du livre, « Philosophie des plantes », s’ouvre sur la façon dont se croisent philosophie et sciences dans les controverses au sujet des aptitudes des plantes, qui est analysée par Quentin Herniaux (chap. 4). L’auteur propose d’aller plus loin qu’une conception de l’intelligence comme étant avant tout rationalité, cognition ou esprit, suggérant qu’elle déborde la conscience et notant qu’elle peut être mieux comprise selon une conception plus « pragmatique » et située. Cette deuxième partie met l’accent sur la subjectivité ancrée dans le corps des plantes. Emanuele Coccia (chap. 5) propose que le fait d’avoir un corps est suffisant pour que la réflexivité se retrouve chez tous les êtres vivants, soutenant qu’un « arbre est plus intensément “moi” qu’un être humain, car il l’est plusieurs fois simultanément » (p. 105). Dans cette optique, les vies autres qu’humaines n’ont pas besoin de la même structure corporelle que les humains pour être capables d’agir, voire de constituer des mondes. Faisant écho à Coccia, Michael Marder (chap. 6) suggère que la métaphysique tire sa raison d’être du retournement et de la négation de l’être végétal. Il évoque la nécessité non seulement de soustraire les plantes à leur objectification, mais aussi à leur subjectification, l’un et l’autre processus nous faisant tomber dans les pièges de la métaphysique et du capitalisme.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage, « Symbolisme des plantes », se consacre à la discussion des représentations plus abstraites des plantes, notamment à travers le regard pénétrant des artistes sur la signification symbolique de la pensée végétale. La contribution de Claudia Zatta (chap. 7) relatant le monde en mouvement, fluide et fuyant évoqué en l’an 8 av. J.-C. dans Les métamorphoses d’Ovide est enchanteresse. On y découvre un monde présocratique de coïncidences des vies dans le mélange, en particulier celles entrelacées des arbres et des nymphes. Le point important est de comprendre comment, dans les débuts de la philosophie grecque, les naturalistes avaient attribué au monde végétal sensations et pensée, joie et douleur. En outre, les oeuvres d’art moderne singulières d’Anaïs Lelièvre (chap. 8), Olga Kisseleva (chap. 9) et Yann Toma (chap. 10) soulignent que les plantes nous sont indispensables, surtout face à la croissance de l’urbanisation, à la destruction des écosystèmes et à la coexistence du passé, du présent et du futur. Les aspects artistiques liés aux végétaux transcendent la tendance esthétique et critiquent les écarts établis entre la culture et la nature.

En somme, L’intelligence des plantes en question nous permet de reconsidérer la place des végétaux et la façon de s’en inspirer de manières fortuites. La diversité disciplinaire des auteurs — littérature, mathématiques, neurobiologie, philosophie, écologie végétale, arts — pourra plaire à un auditoire aussi large que diversifié.