Dossier : Le projet du bilinguisme canadien : histoire, utopie et réalisationArticles

La protection des droits linguistiques au sein du pacte confédératif canadien : une promesse non oubliée[Record]

  • Janique Dubois and
  • Justin Dubois

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  • Janique Dubois
    École d’études politiques, Université d’Ottawa

  • Justin Dubois
    Avocat, Emond Harnden

Selon la Cour suprême du Canada, « [l]a Constitution d’un pays est l’expression de la volonté du peuple d’être gouverné conformément à certains principes considérés comme fondamentaux et à certaines prescriptions qui restreignent les pouvoirs du corps législatif et du gouvernement ». Issue du processus confédératif, la constitution canadienne exprime une entente entre ses membres constitutifs qui est non seulement reflétée dans l’organisation structurelle du pouvoir, mais est aussi basée sur des principes et prescriptions qui rassemblent ces membres au sein d’une même communauté politique. Établis par les élites politiques, ces principes représentent ce qu’Arendt Lijphart appelle le « consensus minimum » nécessaire pour que les membres se rassemblent sous un même régime politique de façon pacifique. Cet architecte de la théorie de l’accommodement des élites politiques souligne que ces derniers participent à légitimer un régime politique par le biais de récits qui font adhérer les membres à une communauté politique partagée. Comme le rappelle Peter Russell, la légitimité des récits de fondation ne dépend pas de leur exactitude historique, mais de leur capacité d’établir des principes qui unissent les membres sous un même régime politique. Dans l’affaire Caron-Boutet en 2015, la Cour suprême du Canada a réitéré que « les droits linguistiques constituent un point important » dans les pourparlers qui ont mené à la Confédération en 1867. La décision Caron-Boutet souligne que les droits linguistiques ont continué à revêtir une grande importance dans le projet confédératif, notamment lors des négociations menant à l’annexion des territoires qui deviendront éventuellement la Saskatchewan et l’Alberta. Alors que les droits linguistiques étaient au coeur du discours des élites politiques de l’époque, les jugements majoritaire et minoritaire arrivent à des conclusions différentes sur l’effet de ceux-ci. Dans leur jugement majoritaire, les juges Cromwell, Gascon, Karakatsanis, McLachlin, Moldaver et Rosthein soutiennent que la promesse des droits linguistiques ne bénéficie d’aucun statut constitutionnel. Selon l’opinion dissidente des juges Abella, Wagner et Côté, cette promesse jouit d’un statut constitutionnel qui reflète l’« importance extrême » que la population des territoires de l’époque attribuait aux droits linguistiques. Étant donné ces interprétations divergentes, comment déterminer la place que la promesse de droits linguistiques occupe au sein du pacte confédératif ? Pour nous aider à répondre à cette question, il est utile de faire la distinction entre la dimension descriptive et normative du pacte. Comme l’explique Sébastien Grammond, la première sert à décrire les étapes qui ont mené à la création d’un régime politique, tandis que la deuxième se sert des moments de fondation pour légitimer ce régime. Au-delà de leur caractère descriptif, les récits de fondation contribuent à produire des références identitaires, voire un consensus minimum, qui incitent les membres à adhérer au nouveau régime. Par conséquent, l’envergure et le sens du pacte confédératif évoluent avec l’adhésion de nouveaux membres – un constat reflété dans les événements qui mènent à l’expansion de l’État canadien ainsi que dans les récits de fondation. Dans ce texte, nous soutenons que les droits linguistiques s’inscrivent comme fondement normatif du pacte confédératif – nonobstant leur statut constitutionnel. Dans la première partie, nous nous appuyons sur les preuves présentées par les appelants dans l’affaire Caron-Boutet pour retracer les négociations entre les représentants des territoires et du gouvernement canadien lors de l’expansion de l’État canadien vers l’Ouest. En mettant l’accent sur la place des droits linguistiques au sein de ces négociations, nous démontrons que la promesse de droits linguistiques fait partie du consensus minimum qui mène à l’expansion pacifique de l’État canadien vers l’Ouest et s’inscrit ainsi comme fondement normatif du pacte confédératif dans l’ensemble des territoires où se situent aujourd’hui l’Alberta et la …

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