Dossier : Québec-Chili, 1973-2023 : mémoire d’un coup d’État et d’une expérience de solidaritéTémoignages : les amis du Chili

Le Chili d’Allende et du coup d’État[Record]

  • Frantz Voltaire

Ce texte ne prétend pas à la vérité historique, il s’agit plutôt d’un témoignage, d’un travail de mémoire sur une époque charnière de l’histoire chilienne par un nomade venu d’Haïti, une île lointaine de la Caraïbe. J’ai en effet eu le privilège de vivre à Santiago entre 1968 et 1973, les meilleures années de ma vie. Cinquante ans plus tard, ce texte est une confrontation entre le mythe et la réalité de l’Unité populaire. Il est avant tout le récit de mon expérience à la fois singulière, mais aussi universelle, d’un retour sur une période particulière de l’histoire du Chili. Je suis né à Port-au-Prince en 1948 au sein d’une famille de classe moyenne. Mon père était comptable, avait étudié aux États-Unis et venait du Cap-Haïtien. Ma mère était originaire d’Aquin et mon grand-père avocat avait été maire et député de la ville. J’ai appris l’espagnol au collège et je suivais régulièrement les émissions de radio cubaine ainsi que les programmes de la Voz Dominicana. À dix ans, j’avais visité Cuba où vivait, à Santiago, un oncle de ma mère. J’ai vu La Havane et Santo Domingo, rebaptisé Ciudad Trujillo entre 1936 et 1961 par le dictateur mégalomane Rafael Leonidas Trujillo. J’avais aussi visité Puerto Rico qui avait acquis depuis 1946 le statut ambigu d’État associé aux États-Unis. J’ai aimé la langue espagnole depuis cette époque. En 1967, la situation devenait de plus en plus difficile avec le durcissement de la dictature de Duvalier et les Haïtiens commençaient déjà un exode vers les États-Unis, le Canada et la France. Cette fuite devait aussi se poursuivre au XXIe siècle vers le Brésil, mais surtout au Chili, où nous n’étions, en 1969, qu’une cinquantaine à y vivre. Je suis donc parti en France en 1967 après un bref séjour à Madrid, dans l’Espagne de Franco. À Paris, je n’ai pas fait d’études formelles, mais je me suis consacré à suivre des grandes conférences, à lire les revues et les livres interdits dans mon pays et à participer aux discussions politiques avec les exilés haïtiens, africains et latino-américains. Plus tard, je suis parti pour l’Afrique en passant de l’Algérie nouvellement indépendante au Mali, la Haute-Volta, le Dahomey, jusqu’au Sénégal de Senghor. De Dakar, j’ai pris un bateau pour le Brésil. J’y ai découvert l’horreur des dictatures militaires du Brésil et de l’Argentine avant de finalement me rendre au Chili après avoir traversé la cordillère des Andes. Entre 1968 et 1973, j’ai vécu à Santiago et j’ai commencé des études à l’Université du Chili, au Pedagógico de Macul, un superbe campus, et aussi le plus politisé de l’université. J’ai été admis au département d’histoire grâce à l’intervention du grand historien du mouvement ouvrier, le professeur Hernán Ramírez Necochea, directeur du département. J’ai obtenu une bourse de l’université. J’étais très intéressé par les recherches du professeur Rolando Mellafe, un pionnier de la recherche sur l’histoire de l’esclavage au Chili, domaine peu étudié par l’historiographie chilienne. Je suivais aussi avec passion le cours du grand géographe des Andes, le professeur Pedro Cunill. Parallèlement, je suivais librement au département de sociologie les cours d’Enzo Faletto et d’Andre Gunder Frank. Je me suis intéressé particulièrement à l’enseignement du philosophe Juan Rivano, grand spécialiste de la pensée de Hegel et de Karl Marx. En 1971, ayant terminé mes études au département d’histoire, j’ai commencé une maîtrise à la Faculté latino-américaine de sciences sociales (FLACSO). Nous avions d’excellents professeurs comme les Argentins Atilio Borón et Emilio de Ípola, ainsi que des conférenciers comme Alain Touraine et Fernando Henrique Cardoso. Nous étions une vingtaine d’étudiants latino-américains et un Québécois, …

Appendices