
Cahiers Charlevoix
Études franco-ontariennes
Volume 7, 2007
Table of contents (8 articles)
Études
-
L’École du fort Frontenac (1676) : faits et mythes
Gaétan Gervais
pp. 13–84
AbstractFR:
Gaétan Gervais sonde les fondements historiques de la fameuse « école mère » du fort Frontenac (aujourd’hui Kingston). Cette institution, que Cavelier de la Salle y aurait fait construire, en 1676 ou 1678, pour l’instruction de la population qui y séjournait et confiée aux récollets, aurait été le premier établissement d’enseignement de l’Ontario. Analysant tour à tour les caractéristiques qu’on supposait à cette petite école et les arguments avancés par Arthur Godbout, qui se fit le principal diffuseur de cette thèse, il en trouve les sources chez trois historiens de la fin du xixe et du début du xxe siècle (Louis Le Jeune, Camille de Rochemonteix et Benjamin Sulte) et la reconnaissance officielle par trois groupes de chercheurs de la mouvance pédagogique qui tous, à une exception près, ont accepté cette hypothèse sans sourciller (historiens, chercheurs et pédagogues) et l’ont colportée, jusqu’à tout récemment, en amplifiant même le « fait ». Après avoir aussi noté les « lourds silences » des groupes d’acteurs (militants, historiens, compilateurs et récollets) qui n’auraient pas manqué de relever une telle réalité, Gervais conclut qu’il n’y a jamais eu d’école au fort Frontenac et que cette thèse appartient au monde du mythe : elle s’accordait si bien aux revendications scolaires que défendait Godbout et qu’ont soutenues, après lui, d’autres chercheurs engagés, pourtant mieux outillés, que l’idée d’une remise en cause n’effleura aucun de ces militants.
-
Le Chercheur de trésors ou l’influence d’un livre : Marius Barbeau et le Romancero du Canada
Jean-Pierre Pichette
pp. 85–141
AbstractFR:
Sept décennies après la parution du Romancero du Canada, un livre capital de Marius Barbeau qui figure certes en bonne place au palmarès franco-ontarien des oeuvres marquantes de la première moitié du xxe siècle, Jean-Pierre Pichette en donne une relecture attentive. Il fait voir comment la substance de l’anthologie – cinquante chansons de tradition orale –, son ordonnance thématique et le contenu des commentaires dévoilent les intuitions profondes et les positions théoriques qui animent l’anthropologue, en particulier sur l’origine française et la haute qualité de la tradition canadienne. Comparant les influences opposées admises par l’auteur – Ernest Gagnon au Canada et George Doncieux en France –, il montre la problématique originale du projet que portait Barbeau à partir de ses nombreux terrains. D’autre part, considérant que Barbeau signale les recherches de ses prédécesseurs au Canada, rappelle ses propres enquêtes, présente son réseau de collaborateurs, évoque ses rencontres avec ses informateurs et décrit ses efforts de diffusion de la chanson populaire, il établit que cette oeuvre de maturité s’avère, bien plus qu’un simple florilège, un « traité » discret sur la chanson populaire au Canada français et, en outre, qu’elle prépare son grand « répertoire de la chanson folklorique française au Canada ». Le soin que l’auteur apporta à sa publication, la fortune de cette « oeuvre de haute vulgarisation scientifique » et « l’influence » qu’elle exerça sur de nombreux collaborateurs et disciples confirment la place privilégiée de ce livre fondateur, tant dans la carrière de l’auteur que dans l’histoire de l’ethnologie française au Canada.
-
L’Ontario français du Centre et du Sud-Ouest, 1940-1970
Yves Frenette
pp. 143–181
AbstractFR:
C’est des régions du Centre et du Sud-Ouest, réunies en raison de leur identité commune et fragmentée, et d’une conscience régionale en voie d’éclosion, que traite l’étude d’Yves Frenette. Par la relecture de documents divers (entrevues, témoignages, recensements et études), il brosse un portrait concret de la vie française de ce coin de l’Ontario pour la période 1940-1970. En retraçant les courants migratoires qui ont amené des populations françaises dans ces régions, il sonde leurs motivations, indique les zones d’attraction (Détroit-Windsor, Sarnia, baie Georgienne, Toronto, Hamilton, Welland) et les îlots de peuplement, et parle de leur adaptation au milieu à la faveur du réseau institutionnel chargé de les encadrer. Mais les migrants durent réagir aux préjugés qu’entraînait leur minorisation et qui eurent des effets sur la place de ces nouveaux Franco-Ontariens. Aussi, les problèmes d’anglicisation les confrontèrent-ils très tôt et les divisèrent : sympathie ou trahison des clercs, apathie de plusieurs, incompréhension et rivalités entre groupes francophones (Québécois et Acadiens, Canadiens français et Français) contribuèrent à de nombreux transferts linguistiques. Malgré une assimilation galopante, qui inquiète l’élite, l’école et la progression du réseau institutionnel auraient commencé à freiner l’assimilation.
-
Usage et représentation d’Internet chez les jeunes : comparaison entre les francophones et les anglophones du nord de l’Ontario
Simon Laflamme
pp. 183–228
AbstractFR:
Simon Laflamme poursuit son enquête sur l’utilisation des médias dans le nord de l’Ontario. Sa comparaison entre les francophones et les anglophones, réalisée en 2004 au moyen d’une enquête semi-dirigée, se concentre cette fois sur l’un d’eux : Internet. Dans sa première étude, il avait noté une légère infériorisation des francophones quant à la disponibilité de ce média dans leur foyer, mais il avait surtout convenu que les rapports aux médias, dans l’ensemble dépendent peu de la langue maternelle. Cela établi, il a voulu savoir s’il trouverait une quelconque différenciation en examinant les usages et les représentations d’Internet chez des jeunes gens, plus familiers avec ce type d’outil. L’auteur constate, ici encore, une grande ressemblance entre les deux groupes linguistiques. Les circonstances dans lesquelles on recourt à Internet, les routines, les sites qui sont visités subissent peu l’influence de l’origine linguistique ; la langue de navigation caractérise à peine la population francophone ; de même, dans les représentations où les notions de communication, d’information et de divertissement sont évoquées par chacun des groupes linguistiques, il relève peu de différences, sinon que les francophones sont portés à louer et à critiquer cette technique tandis que les anglophones l’associent plus volontiers au divertissement. La tendance vers l’homogénéisation est donc marquée au niveau de l’usage, mais la multiplication des contenus favorise l’individuation.
-
Diversification du parler des adolescents franco-ontariens : le cas des conjonctions et locutions de conséquence
Raymond Mougeon
pp. 229–276
AbstractFR:
Raymond Mougeon analyse un cas de diversité linguistique : les mots et locutions qui marquent la conséquence dans le parler des adolescents franco-ontariens. Bien que ce sujet paraisse de prime abord pointu, l’auteur entend montrer que ce « petit sous-système de la grammaire du français […] permet d’aborder la plupart des dimensions distinctives de la variation du français ontarien ». Ainsi, à l’aide du corpus Mougeon et Beniak, recueilli en 1978 au moyen d’entrevues enregistrées, il scrute les divers emplois des conjonctions ça fait que, so, alors et donc dans le parler des adolescents de North-Bay, Pembroke, Cornwall et Hawkesbury, en Ontario, qu’il met en rapport avec ceux des locuteurs montréalais, au Québec. L’auteur examine l’alternance entre ces quatre conjonctions en fonction de divers facteurs : la localité, l’appartenance socio-économique, le sexe, la fréquence de l’emploi du français et le registre (sujet abordé dans l’entrevue). Il relève des divergences dans l’emploi de ces marqueurs : par exemple, la tournure typique du français vernaculaire ( ça fait que ) est mieux préservée dans les communautés majoritaires ; une pression normative plus faible rend les minorités tolérantes à l’anglais et explique l’emprunt, plus ou moins fréquent de la conjonction so selon le milieu et la condition des locuteurs ; chez ceux qui sous-utilisent le français, on observe une tendance à la standardisation (emploi plus fréquent d’alors et de donc ).
-
Un exemple de « groulxisme » appliqué : l’Association de la jeunesse franco-ontarienne de 1949 à 1960
Michel Bock
pp. 277–331
AbstractFR:
Michel Bock présente un « exemple de groulxisme appliqué ». Dans cet article, qui brosse le portrait de la première moitié de l’histoire de l’Association de la jeunesse franco-ontarienne (Ajfo), un organisme fondé par l’Association canadienne-française d’éducation de l’Ontario (Acféo) et qui vécut de 1949 à 1972, Bock montre que l’Ajfo logeait bien à l’enseigne du « groulxisme », ses activités et sa « conception de l’identité des Franco-Ontariens s’inscrivant sans ambages dans le grand projet national du Canada français ». Traditionaliste, elle avait reçu le mandat de former les futurs dirigeants de la nation canadienne-française en Ontario et se considérait, par conséquent, comme une véritable école de « chefs ». La formule qu’elle privilégiait était celle de l’étude nationale et religieuse, formule austère qu’elle eut parfois beaucoup de difficulté à imposer à ses membres. L’Ajfo déploya de nombreux efforts pour rassembler la jeunesse de tout l’Ontario français, voire du Canada français, conformément à une conception organique et culturelle de la nation.