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Volume 40, Number 4, 1999
Table of contents (17 articles)
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Présentation
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La liberté de religion entre liberté individuelle et revendication collective
Geneviève Koubi
pp. 721–739
AbstractFR:
Une liberté ne se qualifie pas par l'objet qu'elle concerne. L'objet de la présente recherche n'est donc pas de définir le champ d'une liberté religieuse mais de saisir la substance de la liberté de religion. La garantie de la liberté de religion suppose que soit reconnue la liberté de choix, d'option, de sélection, parmi l'éventail des systèmes de croyances ; la notion de liberté religieuse répond à une autre approche des droits et libertés articulée par des autorités morales, religieuses ou idolâtres. La demande de légitimation de la liberté religieuse modifie ainsi les referents, car à la théorie des droits de l'homme est substituée la philosophie des droits de la personne. Or, la combinaison du besoin de reconnaissance des individus et des demandes de reconnaissance des groupes induit l'étude de la distinction entre libertés personnelles et libertés individuelles, droits collectifs et droits communautaires. Dans les sociétés libérales démocratiques, le principe est que seul l'individu est titulaire de droits. Il s'oppose à une réception de la notion de « droits de groupe ». Les « groupes religieux » ne peuvent solliciter pour eux-mêmes la protection de leurs droits en arguant des droits de l'homme. Il existe alors une règle imperative, opposable à tous : « Aucun État, aucun peuple, aucun collectif, aucun groupe ne peut poser le droit, ne peut disposer de droits à l'encontre des droits de l'homme. »
EN:
Freedom cannot be qualified as a function ofthat to which it applies. This research does not have as its purpose to define the scope of specific religious freedom, but rather to apprehend its substance. The guarantee of religious freedom presupposes the recognition of freedom of choice, exercising options and making selections from various systems of belief. The concept of religious freedom also corresponds to another approach to rights and freedoms set forth by moral, religious or idolatrous authorities. The demand for making religious freedom legitimate also changes the referents because the philosophy of human rights takes the place of the theory of human rights. Yet, the combination of the need for recognition of individuals and the demands for recognition of groups leads to the study of the distinction between personal freedoms and individual freedoms, collective rights and community rights. In democratic liberal societies, the principle is that rights vest only in the individual. It is opposed to accepting the concept of « group rights. » « Religious groups » cannot solicit proprio motu the protection of their rights by invoking human rights. There exists then an imperative rule that may be invoked against all : « No State, people, collectivity, or group may set the law or rights up against human. »
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Revendications foncières, « autochtonité » et liberté de religion au Canada
Ghislain Otis
pp. 741–772
AbstractFR:
La liberté de religion peut-elle être assurée par un système juridique en dehors de l'idéologie individualiste et « universalisante » des droits fondamentaux ? L'auteur tente de répondre à cette question en prenant pour champ d'investigation le droit canadien relatif aux peuples autochtones. Dans la première partie de son étude, il souligne l'importance de la référence religieuse dans les revendications foncières des autochtones et explique comment le droit constitutionnel canadien, en reconnaissant les droits ancestraux et les droits issus de traités des peuples autochtones, consacre le principe de l’« autochtonité » comme fondement autonome de droits religieux afférents à la terre et aux ressources naturelles. De cette analyse, il ressort que les communautés autochtones pourront revendiquer des droits sur certains sites qu'elles tiennent pour sacrés ainsi que des droits d'usage religieux des terres et ressources naturelles du domaine public.
Si la consécration constitutionnelle de droits religieux sui generis en marge de toute charte des droits individuels ne fait pas de doute, l'auteur met en évidence dans la seconde partie de l'article les diverses contraintes inhérentes à la conception traditionaliste que se fait la Cour suprême du Canada de l’« autochtonité » comme assise des droits ancestraux. Ces contraintes religieuses tiennent principalement à l'importance déterminante que la Cour accorde au réfèrent culturel précolonial dans la définition des droits ancestraux et à la représentation « sacralisante » de la terre qui imprègne le régime du titre aborigène esquissé dans l'affaire Delgamuukw c. Colombie-Britannique.
L'auteur relève en outre les dangers que pourrait poser pour la liberté individuelle de religion le communautarisme foncier propre au titre aborigène. Il indique à cet égard les moyens juridiques susceptibles d'être déployés, au nom des droits fondamentaux, pour préserver les individus de l'enfermement religieux par le groupe. Enfin, l'auteur conclut que, dans l'état actuel de la jurisprudence, les droits religieux particuliers reconnus aux peuples autochtones ne s'accompagnent pas d'une véritable liberté de religion permettant aux autochtones contemporains de redéfinir librement leur rapport à la terre et aux ancêtres.
EN:
Can a legal system effectively protect freedom of religion without grounding such freedom on the individualistic and « universalisée » ideology of human rights ? The author addresses this issue by investigating aspects of Canadian aboriginal law. In the first part of the paper, he underscores the importance of religious discourse in aboriginal land claims and explains how Canadian constitutional law, in recognizing and affirming the aboriginal and treaty rights of first peoples, enshrines « aboriginality » as a discrete basis for religious rights pertaining to the land and.its natural resources. From this analysis, it is maintained that aboriginal communities may lay claim to rights on certain sites that they hold as sacred as well as entitlements to the religious use of resources on Crown land.
In the second part of the paper, the author shows that while the constitution undoubtedly recognises sui generis religious rights that are distinct from individual Charter rights, various constraints arise from the Supreme Court's traditionalist conception of aboriginality. These religious constraints are due to the central significance given by the Court to precolonial aboriginal culture in defining aboriginal rights and to the fact that the aboriginal title regime spelled out in Delgamuukw c. British Columbia is dominated by the notion that an aboriginal community's land is sacred.
The author then outlines the dangers for individual freedom of religion which could result from the communal nature of aboriginal title. He identifies legal techniques whereby basic human rights principles can be employed to preserve individuals from religious confinement by the group. Professor Otis concludes that the special religious rights of the aboriginal peoples, as they are currently defined in the case law, do not afford true freedom of religion since current day aboriginal communities and individuals are not entirely free to revisit their relationship with the land and their ancestors.
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La protection des religions autochtones en droit américain
Mélanie Chartier
pp. 773–790
AbstractFR:
La religion amérindienne possède des caractéristiques et des valeurs pour le moins différentes de celles des autres religions que pratiquent les Américains. Dans cette perspective, il est arrivé à plusieurs reprises que les intérêts des deux groupes entrent en conflit. Afin de pallier les divers problèmes engendrés par les revendications religieuses des autochtones, le Congrès américain a adopté en 1978 l’American Indian Religious Freedom Act (AIRFA). Au départ, le but de cette loi était de mettre en évidence les pratiques religieuses qui méritaient une protection en vertu de l'article premier de la Constitution. Malheureusement, les tribunaux n'ont pas toujours su reconnaître le caractère distinct de la religion autochtone et ne lui ont pas toujours accordé la protection à laquelle elle avait droit. Le point culminant de l'évolution de l'Ai RFA fut la décision de la Cour suprême des États-Unis rendue en 1988 dans l'affaire Lyng. La Cour y a clairement établi que cette loi ne conférait aucune voie de recours effective. Le gouvernement ainsi que les autochtones travaillent donc encore en vue de trouver des solutions qui pourront répondre autant aux besoins religieux des Amérindiens qu'aux besoins économiques du peuple américain.
EN:
Amerindian religions safe guard features and values that at the very least, are quite different from those of other religions practiced by Americans. From this perspective, it has occurred on several occasions that the interests of these two groups have come into conflict. To work around the various problems issuing from the religious demands of Native Peoples, in 1978 the U.S. Congress passed the American Indian Religious Freedom Act (AIRFA). At the outset, the purpose of this Act was to highlight religious practices worthy of protection under section one of the Constitution. Unfortunately, the courts have not always known how to recognize the distinct nature of Native Peoples' religions and have not always afforded the protection to which such religions are entitled. The high point in the evolution of AIRFA came in a decision handed down by the U.S. Supreme Court in 1988 in the Lyng Case. The Court clearly ruled that this Act did not institute any effective means of recourse. Hence, government and Native Peoples continue working to find solutions that will answer both the religious needs of Amerindians and the economic needs of the American people.
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Réflexion sur les assises juridiques de la liberté religieuse au Cameroun
Bernard-Raymond Guimdo
pp. 791–819
AbstractFR:
La question de la liberté religieuse est aujourd'hui au coeur des droits fondamentaux. Parce qu'elle concerne l'individu et la collectivité, elle préoccupe aussi bien les États que la société internationale. Il ne s'agit plus seulement d'une question philosophique ou purement religieuse. Elle touche aussi, et davantage, le droit, qu'il soit national ou international. Il est ainsi possible de parler des assises juridiques de la liberté religieuse.
Au Cameroun, ces assises juridiques sont nombreuses et variées. Quelles sont-elles et qu'engendrent-elles ? Autrement dit, qu'elle est la substance de ces fondements juridiques et quelle en est la portée ? Telles sont les interrogations fondamentales que le problème des assises juridiques de la liberté religieuse soulève.
Dans ce pays, la substance des assises juridiques de cette liberté fondamentale est relative, d'une part, à son énonciation et, d'autre part, à sa protection. Les textes internationaux et nationaux en vigueur y énoncent la liberté religieuse en consacrant un droit à la liberté religieuse et en organisant ses modalités d'exercice. Ils protègent, avec la jurisprudence, les personnes et les communautés religieuses, tandis que les textes nationaux déterminent les mécanismes de protection des biens appartenant aux communautés religieuses. Par ailleurs, la portée de ces assises juridiques est ambivalente. D'abord, il se produit un relatif effritement du monopole des religions classiques, lequel se traduit par la prolifération des sectes et de nouveaux mouvements religieux de même que par la réémergence de la religion traditionnelle africaine. Ensuite, il y a une persistance des limitations à l'exercice de la liberté religieuse. Celles-ci sont de deux ordres: juridique et extrajuridique. Au total, les assises juridiques de la liberté religieuse sont, comme Janus, « biface » : elles favorisent en même temps qu'elles défavorisent son exercice.
EN:
Today the issue of religious freedom is at the heart of fundamental rights and since it affects both individuals and society as a whole, it is a concern for state governments and the international community. This issue goes beyond philosophical and purely religious considerations. It is one that also involves to an even greater extent the legal substrata upon which national and international communities are based and in this case, one may speak of the legal foundations for religious freedom.
In Cameroon, these foundations are varied and numerous. What are these foundations and what tangible effects do they produce ? Or, one may ask : What is the substance of these legal foundations and their scope in practice ? Here then are the basic questions that underpin the legal issues arising from religious freedom.
In Cameroon the substance of these legal foundations for religious freedom depends, on the one hand, upon the statement of such rights and, on the other, upon the protection thereof. National and international texts in force in Cameroon guarantee religious freedom by granting a right to religious freedom and stipulating the terms and conditions for exercising such a right. They, along with the rule of court law, also extend to the protection of individuals and religious communities, while national texts provide the legal machinery for protecting property belonging to religious communities. Yet the effects of these legal foundations are somewhat ambivalent. First, there has been an erosion of the monopoly held by conventional religious bodies, which has turned into a proliferation of sects and new religious movements, plus the re-emergence of traditional African religions. Then there are the ongoing limitations in the exercising of religious freedom that assume two forms : legal and extra-legal — a Janus-faced freedom pointing in the two directions for favouring and discouraging religious practice.
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La laïcité de l'État dans l'espace camerounais
Bernard Momo
pp. 821–847
AbstractFR:
D'origine lointaine, le principe de la laïcité de l'État est consacré en France par la Loi du 9 décembre 1901 et étendu au Cameroun en application de l'article 7 de la Convention du mandat, puis du Décret du 28 mars 1933. Ces textes ainsi que les diverses constitutions de la République, lois et règlements y relatifs posent le principe du libre exercice de tous les cultes non contraires à l'ordre public et aux bonnes moeurs, à savoir que l'État n'est ni religieux ni ecclésiastique, bref le fait religieux est extérieur à l'État.
En fait, il apparaît à l'analyse que la réalité sociopolitique a profondément édulcoré le principe de la laïcité de l'État au Cameroun. L'État a pris conscience du rôle des religions non seulement dans la formation morale des citoyens, mais aussi dans le développement tout court. Par l'investissement qu'elles réalisent dans le pays, les religions déplacent, d'au moins une borne, la neutralité de l'État à leur égard. C'est ce qui explique la collaboration entre les deux pouvoirs : laïque et religieux, collaboration d'autant plus nécessaire que la paix sociale en dépend dans une certaine mesure. La mitoyenneté entre eux est ainsi très fluette et fragile. Et les religions, dans leur ambition souvent inavouée, agissent en véritables forces politiques; par conséquent, elles ne peuvent être écartées de l'entreprise de la construction de l'État. Dès lors, il n'y a plus une sphère réservée à tel ou tel pouvoir.
EN:
Of distant origin, the principle underlying the separation of Church and State is laid down in France under the Act of December 1901 and extended to Cameroon through the application of section 7 of the Convention of Mandate, followed by the Decree of March 28, 1933. These texts, plus the various constitutions of the Republic, its laws and regulations, establish the principle of free practice for all religions not in contravention of public order and good mores, namely that the State is neither religious nor ecclesiastic ; in all, the religious phenomenon remains outside the State.
In fact, however, an analysis shows that the sociopolitical reality has profoundly watered down the principle of State secularism in Cameroon. The State is well aware of the role played by religions in the moral upbringing of citizens, and also in their general education. Through the initiatives taken by religions in the country, these do to a certain extent affect State neutrality with regard to religion. This explains the cooperation between the two powers : secular and religious, a collaboration all the more necessary as social peace does to some degree depend thereupon. This co-participation between them remains a precarious and fragile undertaking. Just the same, the religions — often acting on unavowed ambition — conduct themselves as true political forces ; and as such, they cannot be shut out of the tasks of building and running the State. In this context, there can no longer be spheres reserved for one power or the other.
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Les religions et l'égalité en droit français
Pierre-Henri Prélot
pp. 849–886
AbstractFR:
L'absence de reconnaissance institutionnelle des religions ainsi que l'affirmation de neutralité religieuse de l'État imposent à ce dernier de les traiter toutes de manière égale, sans en privilégier ni en défavoriser aucune. Posées dans le cadre français, ces règles simples dans leur principe soulèvent en droit de nombreuses difficultés. En effet, les solutions juridiques mises en oeuvre pour aménager l'exercice de la liberté religieuse créent parfois des discriminations au désavantage de certains cultes. Pour des raisons notamment de tradition historique, la place du catholicisme est à certains égards favorisée, au détriment en particulier des religions dites minoritaires ou encore d'implantation plus récente.
La première partie de l'exposé, établit un bilan du droit français actuel et il met ainsi en évidence trois causes de discrimination : l'imprégnation chrétienne du droit laïque, la loi de 1905 portant séparation de l'Église et de l'État elle-même et, enfin, les motifs d'ordre public, opposés à des religions comptant peu d'adeptes, au nom de la lutte contre les sectes. La seconde partie, cherche à proposer les conditions d'un traitement non discriminatoire des religions. Cela implique notamment de tenir compte de leurs spécificités et de renoncer lorsque le traitement est inadapté à un régime uniforme au profit d'aménagements particuliers. Le droit français s'est déjà engagé, au reste, dans cette voie.
EN:
The absence of institutional recognition of religions along with the State's affirmation of religious neutrality put the onus on the State to treat all religions equally without favouring one over another. Seen from within the French social context, these apparently simple rules based on principle raise numerous difficulties in applying law. Indeed, the legal solutions advanced to frame the exercising of religious freedoms sometime create discriminations to the disadvantage of various cults. For reasons especially historical in nature, the place occupied by Catholicism is in some ways a privileged one, to the detriment, in particular, of so-called minority religions or more recently formed churches.
The first part of this paper provides an overview of current French law and in doing so, highlights three causes of discrimination : the permeation of lay law by Christian thinking, the 1905 Act governing the separation of the Church and State per se, and finally reasons based on public order in opposition to religions with few followers and in the name of repressing sects. The second part seeks to set forth conditions for the nondiscriminatory handling of religions. This means, especially, taking into account their specificities and renouncing the implementation of a standard policy with special arrangements, when such a course of action proves inappropriate. French law actually is already engaged in this process.
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L'appartenance à une secte et les droits et libertés de la personne en droit français
Nicolas Guillet
pp. 887–909
AbstractFR:
Les nouvelles sectes ne sont pas des groupements religieux comme les autres. Leur organisation et leur fonctionnement mais aussi leurs doctrines, dogmes et préceptes forment une logique particulière à partir de laquelle s'établissent et se développent des pratiques qualifiées de sectaires. Celles-ci sont une menace pour les droits et libertés des personnes — majeures et mineures — qui appartiennent à ce type de groupements. La nocivité des nouvelles sectes pour les adeptes s'oppose ainsi directement à la notion de dignité de la personne. Or, cette notion a acquis une valeur juridique eminente en droit français, à la fois principe à valeur constitutionnelle et composante de l'ordre public. Elle constitue par là même le fondement de la politique de lutte contre les dérives sectaires engagée par les pouvoirs publics. Pour autant, cela ne signifie pas que la protection de la personne contre elle-même soit pleinement assurée. C'est donc la question de l'étendue de la protection de ces personnes qui se pose.
EN:
The new sects are not religious groups in the traditional sense of the term. Their organization and operations, but also their doctrines, dogma and precepts constitute a specific body of thinking on the basis of which practices qualified as sectarian are founded and expounded. Such practices are a threat to the rights and liberties of persons — minors as well as those of full age — who adhere to these types of gatherings. The harm caused by new sects on their practitioners is also a direct attack at the notion of human dignity. This notion, however, has acquired under French law an eminent value both as a constitutional value and a component of public order. This very same notion lies at the basis of policy invoked by public authorities for combating sectarian splinter groups. Be that as it may, this does not guarantee that human beings are fully protected from themselves. Hence, the debate is one involving the extent of protection to be afforded to such persons.
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Liberté religieuse et respect de la dignité humaine : l'exemple de la question du port du foulard islamique dans les établissements d'enseignement en France
Stéphanie Evain
pp. 911–925
AbstractFR:
Oscillant entre sa qualité de principe fondateur et sa qualité de limite à la liberté religieuse, le respect de la dignité de la personne humaine pose avec acuité le problème du port du foulard islamique dans les établissements scolaires. Il imprègne toute construction juridique entourant la protection de la personne et appelle nécessairement une conciliation entre les droits et libertés qu'il légitime. Parmi elles, la liberté religieuse, élément essentiel de la liberté d'opinion étendue à la liberté de manifester et de pratiquer sa foi, peut être invoquée au nom de la dignité humaine. Or l'extériorisation des convictions religieuses ne saurait nuire à l'ordre public en général, à l'ordre interne des établissements scolaires en particulier. Ainsi, le port du foulard islamique dans l'enceinte de ces établissements, manifestation de la liberté religieuse, doit pouvoir être toléré tant qu'il ne porte pas « atteinte à la dignité [...] de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative » ( Avis du Conseil d'État du 27 novembre 1989 sur le port de signes religieux). L'exercice de la liberté religieuse trouve au sein même du principe qui le fonde une limite qui ne peut être évaluée à la lueur de considérations subjectives. Si la notion même de respect de la dignité humaine renvoie à une valeur absolue et intangible, son individualisation laisse la porte ouverte à toutes les interprétations relatives et évolutives.
EN:
Respect for human dignity in matters of religious freedom ebbs and flows between its quality as a founding principle of such freedom and that of a limit thereto. The issue of dignity sharply underscores the problem raised by the wearing of the Islamic headscarf in academic institutions. It permeates all legal reasoning relevant to the protection of the human being and necessarily requires a reconciliation of the rights and freedoms that such dignity legitimatizes. Among others, freedom of religion, as an essential element of freedom of opinion extending to the freedom to manifest and practice one's faith, may be invoked in the name of human dignity. Yet, the externalization of religious convictions must not cause prejudice to public order in general and especially to the internal order of academic institutions. As such, the wearing of the Islamic headscarf within these institutions should be tolerated insofar as this does not constitute a « prejudice to the dignity (...) of the student or other members of the educational community » ( Ruling handed down by the Conseil d'État, November 27, 1989, on the wearing of religious symbols). The exercising of religious freedom centres squarely — from within the principle establishing it — on a limit that cannot be evaluated on the basis of subjective considerations. If the very concept of respect for human dignity refers to an absolute and intangible value, then its individualization leaves the door wide open to all relative and evolving interpretations.
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Les aménagements juridiques des libertés religieuses au Liban
Antoine Messarra
pp. 927–946
AbstractFR:
Le Liban fournit un exemple normatif quant aux modalités d'aménagement des libertés religieuses en vertu des articles 9, 10, 19 et 95 de la Constitution. Le fédéralisme personnel libanais, qui témoigne du caractère composite de la liberté de religion, constitue un système adapté aux pays où les minorités sont réparties sur tout le territoire national.
Dans certains pays arabes se manifestent des cas de discrimination religieuse en ce qui concerne notamment l'aménagement et la restauration des lieux de culte et le statut personnel. La liberté de conscience et de religion implique le droit de changer de religion, l'égalité des statuts personnels en cas de conflit de loi et des mesures jurisprudentielles pour éviter la fraude à la loi dans le passage à une autre religion, surtout en matière de mariage. Dans les autres cas, il faudrait renforcer la dimension individuelle des libertés religieuses et aménager un espace neutre, favorisant les mariages mixtes et la non-appartenance obligatoire à une communauté religieuse.
Le Liban est le seul pays arabe sans détermination d'une religion d'Etat et où un système consensuel de gouvernement se propose d'assurer l'égalité, la participation et le libre exercice des croyances religieuses dans une société multicommunautaire.
EN:
Lebanon constitutes a benchmark example of legislative organization of religious freedoms under sections 9, 10, 19 and 95 of the Constitution. The personal federalism of the Lebanese bears witness to the composite make-up of religious freedom and in turn constitutes the basis for a system adapted to countries where minorities are to be found everywhere within the national territory.
In Arab countries, there are cases of religious discrimination notably involving the organization and restoration of places of worship and personal status. Freedom of belief and religion suppose the right to change religions, the equality of personal status in the event of conflicting laws, and legal means for countering the fraudulent passing from one religion to another, especially found in marriage cases. In other cases, it would be necessary to reinforce the individual dimension of religious freedoms and to set aside a neutral zone for favouring mixed marriages and compulsory non-membership in a religious community.
Lebanon is the only Arab country that does not have a designated State religion, while a consensual system of government attempts to ensure equality, participation and free practice of religious beliefs in a society of many communities.
Chronique bibliographique
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QUATRIÈME COLLOQUE INTERNATIONAL DU CENTRE INTERNATIONAL DE LA COMMON LAW EN FRANÇAIS, Minorités et organisation de l'État, Bruxelles, Émile Bruylant, 1998, 675 p., ISBN 2-8027-1167-9.
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CHARLAINE BOUCHARD, La personnalité morale démythifiée : contribution à la définition de la nature juridique des sociétés de personnes québécoises, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1997, 312 p., ISBN 2-7637-7552-7.
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COLLECTIF, Homosexualités et droit — De la tolérance sociale à la reconnaissance juridique, dans Daniel BORRILLO (dir.), Paris, PUF, 1998, 329 p., ISBN 2-13-049439-0.