Volume 47, Number 2, 2006
Table of contents (8 articles)
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L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada
Louis LeBel and Pierre-Louis Le Saunier
pp. 179–238
AbstractFR:
L’état des relations entre la common law et le droit civil à la Cour suprême du Canada se caractérise par plusieurs types de rapports qui s’articulent de manières différentes selon les époques et les domaines du droit. Alors qu’au début de son histoire la Cour suprême pratiquait une politique d’uniformisation du droit, la reconnaissance de la spécificité et de l’autonomie du droit civil a permis l’émergence d’un véritable dialogue entre les deux traditions juridiques. Ce rapport dialogique est aussi accentué par la présence de facteurs sociologiques, culturels, techniques, institutionnels et juridiques. À travers leur dialogue, les traditions exercent une infuence réciproque par l’emprunt épisodique de solutions juridiques ou encore par des références dans le cadre d’analyses de droit comparé. Les auteurs font aussi ressortir le fait qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de véritable convergence entre les deux traditions juridiques. Les rapports de convergence se limitent aux situations où les traditions ont des concepts ou des problèmes juridiques similaires. Par ailleurs, les traditions s’opposent parfois dans des rapports de divergence. Ainsi, les auteurs demeurent d’avis que le droit civil et la common law continueront d’évoluer en parallèle en se laissant infuencer mutuellement dans le respect des principes généraux et de l’économie des régimes juridiques qui leur sont propres.
EN:
The interplay between the common law and the civil law at the Supreme Court of Canada is characterized by several types of relationships that are structured in ways that vary from one period to another and from one area of the law to another. Although the Supreme Court’s concern in its early years was to standardize the law, the specificity and autonomy of the civil law came to be recognized, which has led to a genuine dialogue between the two legal traditions. This dialogic relationship has been reinforced by sociological, cultural, technical, institutional and legal factors. As a result of their dialogue, each of the traditions infuences the other through the occasional borrowing of legal solutions or through references made in comparative law analyses. The authors also show that there is at the present time no real convergence between the two legal traditions. Convergent relationships are limited to situations in which similar legal concepts or problems exist in the two traditions. Moreover, divergent relationships sometimes lead to confict between the traditions. The authors accordingly believe that the civil law and the common law will continue to evolve in parallel, while infuencing each other in a manner consistent with the general principles and structure of each tradition’s legal system.
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L’égalité des identités religieuses : principe ou finalité pour les juges français et québécois de droit civil?
Christelle Landheer-Cieslak
pp. 239–317
AbstractFR:
Dans les textes constitutionnels et quasi constitutionnels français et québécois, la notion d’égalité présente un double sens : un sens formel qui fait de l’égalité un principe au fondement de l’application de la règle de droit ; un sens matériel qui fait de l’égalité une finalité de l’application de la règle de droit.
Ce double sens de l’égalité n’est pas accueilli de manière semblable par les juges français et québécois de droit civil. Pour le juge français, l’égalité n’est ni un principe ni une finalité de la règle de droit civil : ce juge traite de manière différenciée les identités religieuses, en favorisant celles qui s’enracinent dans une « religion » et en déniant celles qui reposent sur une « secte ». Au contraire, pour le juge québécois, l’égalité est un principe et une fnalité de la règle de droit : tout en s’imposant un traitement uniforme des différentes identités religieuses, ce juge reconnaît, toutefois, sur le fondement du droit à l’égalité, la possibilité de favoriser certaines identités religieuses, minoritaires sur le territoire national.
En fait, la défiance du juge français à l’égard de la différence des identités religieuses l’incite à la contrôler en organisant un régime différencié des cultes, alors que le désir du juge québécois de préserver la différence des identités religieuses le conduit à intervenir pour la préserver en affirmant et en assurant l’égale expression de chacune des identités religieuses au sein de la société.
EN:
The notion of equality has a dual meaning in French and Quebec constitutional and quasi constitutional texts : a formal meaning, which establishes equality as a founding principle for the application of the rule of law ; a material meaning whereby equality is a purpose of the application of the rule of law.
French and Quebec civil law judges do not accept this dual meaning of equality in the same way. For the French judge, equality is neither a founding principle nor a purpose of the civil rule of law : his treatment will differentiate between religious identities, by favouring those which are rooted in a « religion » and by denying those which stem from a « sect ». On the other hand, for the Quebec judge, equality is a founding principle and a purpose of the rule of law : while taking it upon himself to treat different religious identities equally, he will nonetheless recognize, on the basis of the right to equality, the possibility of favouring certain religious identities which are minorities on the nation’s territory.
In fact, the French judge’s distrust of the difference between religious identities prompts him to control it by organizing a system of different cults, whereas the Quebec judge’s wish to preserve the difference between religious identities, brings him to intervene in order to preserve it, while asserting and insuring the equal expression of each religious identity within society.
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La notion d’expertise du décideur administratif aux fins de l’application de la méthode pragmatique et fonctionnelle
Mathieu Socqué
pp. 319–375
AbstractFR:
Dans le contexte de l’application de la méthode pragmatique et fonctionnelle, l’interrogation fondamentale qui doit guider une cour de justice, lorsqu’elle examine la décision rendue par un décideur administratif, est celle de savoir si le législateur a voulu que l’examen d’une question donnée ou la solution à y apporter relève de la compétence conférée au tribunal. En théorie, le problème est résolu puisque le tribunal supérieur doit appliquer la méthode pragmatique et fonctionnelle qui comporte quatre facteurs à examiner. Une difficulté se pose toutefois. En effet, la notion d’expertise qui, selon la Cour suprême du Canada, constitue le facteur le plus important qu’une cour doit examiner pour arrêter la norme de contrôle applicable, n’a pour l’instant fait l’objet d’aucun examen exhaustif. À ce jour, la Cour suprême n’a proposé aucune grille d’analyse qui permettrait de déterminer de façon systématique et cohérente le degré d’expertise du décideur administratif. Toutefois, ce facteur est d’une importance capitale lorsqu’un tribunal supérieur doit se demander si un décideur administratif mérite que l’on fasse preuve de retenue au moment de l’examen de la légalité d’une décision qu’il a rendue. Selon la Cour suprême, l’expertise constitue la justification fondamentale de la déférence judiciaire.
EN:
In the context of an application of the pragmatic and functional approach, the fundamental interrogation that must guide a Court of Law, when it is examining the decision rendered by an administrative decision maker, is to ask whether the legislator intended the analysis of a given question or the solution it requires to be within the jurisdiction conferred upon the tribunal. In theory, the problem is resolved since the reviewing court must apply the pragmatic and functional approach comprising four factors to be examined. A difficulty arises nonetheless. Indeed, the notion of expertise, which according to the Supreme Court of Canada constitutes the most important factor that a court must examine in order to establish the applicable standard of review, has yet to be thoroughly examined. To date, the Supreme Court has not proposed a single analysis grid that would provide a systematic and coherent means of determining the administrative decision-maker’s level of expertise. However, this factor is of the utmost importance when a reviewing court must ask itself if an administrative decision-maker is entitled to some degree of deference while the legality of a decision he rendered is being examined. According to the Supreme Court, expertise constitutes the fundamental justifcation for judicial deference.
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La nature des fictions juridiques au sein du nouveau mode de filiation unisexuée au Québec; un retour aux sources ?
Anne-Marie Savard
pp. 377–405
AbstractFR:
Relativement immuable et plutôt fidèle à ses origines pendant plusieurs décennies, le droit de la filiation a subi d’énormes bouleversements depuis quelques années, particulièrement au Québec. Par exemple, contrairement au modèle de la reproduction bisexuée y ayant toujours existé, il est désormais possible, depuis juin 2002, pour un couple de même sexe, de se voir reconnaître un lien de filiation avec un enfant, par l’entremise de l’adoption, ou encore, dans le cas de deux femmes, à la suite du recours à la procréation assistée.
Malgré ces changements profonds dans la façon dont le droit « aborde » la nature et le rôle du lien filial, la littérature juridique a surtout abordé le thème du droit de la filiation sous des angles positivistes. L’objet du présent article est d’apporter un éclairage nouveau à cette branche du droit en replaçant l’institution de la filiation dans une perspective historique axée sur l’étude de la fiction juridique. Plus particulièrement, l’auteure se demande si les fictions sur lesquelles repose ce nouveau lien filial unisexué rejoint les racines traditionnelles, romaines ou médiévales, de la fiction juridique ou encore s’en éloigne.
Après avoir défini les principaux termes de son questionnement juridique dans la partie introductive, l’auteure divise son article en deux parties principales. Dans un premier temps, elle décrit brièvement l’évolution de la notion de fiction juridique au sein du droit d’inspiration civiliste, d’abord en droit romain et ensuite en droit médiéval, autant civil que canonique. Dans un second temps, elle démontre comment les fictions qui se trouvent dans la nouvelle loi québécoise rejoignent davantage, avec certaines réserves, les racines romaines de la fiction juridique, fiction dénuée de limites, ce qui représente une rupture par rapport au modèle de la fiction d’influence médiévale, ayant régné jusqu’à tout récemment.
EN:
While relatively unchanging and somewhat faithful to its bygone history over many decades, the legal regime governing filiation has sustained signifcant changes over the years, particularly in Québec. For example, contrary to the bisexual model of reproduction that has always existed here, since June 2002 it is henceforth possible for a same gender couple have a bond of parentage recognized with a child by means of adoption, or in the case of two women, following the resorting to medically-assisted conception.
Despite these profound changes in the way the law « approaches » the nature and the role of parental bonding, legal literature has broached the subject of the legal regime governing filiation mainly from a positivist standpoint. The purpose of this paper is to shed new light on this branch of legal thinking by resetting the institution of filiation in an historic perspective centred on an analysis of the fiction of law. More particularly, the author speculates as to whether the fictions upon which are founded this new unisexual parental bond joins with traditional Roman or medieval roots of fiction of law, or to the contrary would further depart from them.
Once having defned the groundwork of her legal enquiry in the introduction, the author divides her paper into two main parts. First, she briefy describes the evolution of the notion of fction of law within the realm of civil law inspiration, beginning with Roman and then medieval law, both civil and canonical. Second, she demonstrates how the fctions found the new Québec law have more in common, with certain reservations, with Roman roots of legal fiction, a fiction devoid of limits, which represents a break in continuity with regard to the legal fiction model of medieval infuence, which remained in force until quite recently.
Chronique Bibliographique
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JEAN-FRANÇOIS GAUDREAULT-DESBIENS et FABIEN GÉLINAS (dir.), Le fédéralisme dans tous ses états / The States and Moods of Federalism – Gouvernance, identité et méthodologie / Governance, Identity and Methodology, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, 494 p., ISBN 2 89451-796-3.
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BARREAU DU QUÉBEC ET TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE (dir.), La Charte des droits et libertés de la personne : pour qui et jusqu’où ?, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, 536 p., ISBN 2-89451-866-8.
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FRANÇOIS GENDRON, L’affaire des « traîtres » : essai sur la liberté de parole en matière politique, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, 76 p., ISBN 2-89127-714-7.