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Les ligues de sport professionnel constituent un monde très particulier où les meilleurs athlètes, employés par diverses équipes, déploient leurs talents devant des milliers de spectateurs. Au Canada, la Ligue nationale de hockey (LNH) est incontestablement la ligue de sport professionnel de prédilection.

La LNH compte 30 équipes, soit 6 au Canada et 24 aux États-Unis[1], qui se disputent annuellement la Coupe Stanley, emblème par excellence du joueur de hockey professionnel. Depuis sa formation en 1917, la LNH est devenue une industrie qui génère des milliards de dollars de revenus, que se partagent une poignée de joueurs et de propriétaires de franchises réparties en Amérique du Nord.

Avec ces milliards de dollars en jeu provenant des revenus générés par les ventes de billets achetés par le public qui assiste aux parties, des droits de télévision et des ventes de produits dérivés, la LNH est désormais considérée comme une industrie majeure où les joueurs, comme les propriétaires, tentent d’obtenir la plus grosse part des profits. D’un côté, les propriétaires ont un intérêt légitime à ce que leur équipe soit rentable financièrement et, dans l’éventualité où cela devient impossible, certains voudront déménager leur concession vers un marché plus lucratif ou vendre à des investisseurs potentiels. De l’autre, le désir des joueurs d’obtenir le meilleur salaire annuel possible est tout aussi légitime, d’autant plus que leur carrière est relativement courte. Pour ce faire, ils recherchent constamment de nouveaux moyens de négociation pour mieux se vendre et s’assurer de lucratifs contrats[2]. Inversement, les propriétaires sont à la recherche de moyens pour économiser davantage sur les salaires versés aux joueurs, leur but étant d’augmenter leur marge de profitabilité ou, du moins, d’éviter d’être déficitaires.

C’est sur cette confrontation idéologique et économique que s’est graduellement mis en place, de manière autonome, un système de relations de travail pour le moins original, parce qu’il a été institué en marge du droit du travail tel qu’il est connu. Ce système a atteint sa pleine maturité en 2005 avec l’entrée en vigueur de la Collective Bargaining Agreement (CBA)[3], intervenue à la suite d’une négociation entre la LNH et l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey (AJLNH). Depuis le milieu des années 90, les relations de travail entre les deux parties ont en effet éprouvé certaines difficultés qui ont mené à la première grève de l’histoire du hockey professionnel en 1992, au premier lock-out en 1994-1995, suivi du second en 2004-2005, lequel cette fois a conduit à l’annulation de la saison de hockey tout entière, y compris les séries éliminatoires, une première dans l’histoire du sport professionnel nord-américain[4]. Ce dernier lock-out a connu son dénouement avec la conclusion de la CBA.

Cette convention collective de portée sectorielle et dont le champ d’application s’étend à l’échelle nord-américaine décrète d’autorité la grande majorité des conditions de travail applicables à tous les joueurs de la LNH peu importe l’équipe pour laquelle ils jouent. Au surplus, elle encadre directement la négociation du contrat individuel de travail à intervenir entre le joueur et son équipe, en imposant toute une série de normes qui englobent les différentes facettes de la relation d’emploi.

Au-delà de la curiosité que suscite la faculté dont dispose une équipe, c’est-à-dire l’employeur, d’« échanger » l’un de ses propres salariés, un joueur, à une autre équipe concurrente sans que celui-ci puisse s’y opposer(!)[5], le système institué est d’un intérêt certain pour quiconque s’intéresse à la théorie du droit du travail et aux enjeux fondamentaux auxquels celui-ci doit actuellement faire face.

Il faut rappeler en effet que, historiquement, le droit du travail, notamment celui qui est applicable au Québec, s’est développé sur la base de deux substrats de règles distinctes mais interreliées[6]. Le premier substrat, apparent surtout depuis 1925, se caractérise par une intervention directe de l’État : des conditions de travail minimales pour les salariés liés à leur employeur par un contrat de travail sont dès lors imposées. Par exemple, la Loi sur les normes du travail énonce le caractère d’ordre public et minimal de la protection offerte au salarié (salaire minimum, durée du travail, vacances annuelles, préavis de cessation d’emploi, etc.)[7]. Le second substrat de règles est axé sur le principe de l’« autonomie collective » des parties à la relation d’emploi : c’est le régime collectif, institué au Québec en 1944. Le législateur prenait acte, de ce fait, d’une pratique antérieurement constatée dans plusieurs milieux de travail, soit celle qui veut que des salariés s’associent et négocient collectivement, par l’entremise de leur syndicat, une convention collective, après que l’employeur aura librement accepté de le faire, si ce n’est qu’il en aura été contraint, résultat net des moyens de pression exercés efficacement par les salariés. Quelques éléments caractérisent ce régime, aujourd’hui consacré dans le Code du travail[8].

D’abord, les salariés peuvent choisir, à la majorité, un représentant — le syndicat — lequel pourra être « accrédité » pour devenir leur mandataire exclusif à l’égard de tout ce qui englobe la négociation, l’application et l’administration de la convention collective[9] ; le cas échéant, les parties auront l’obligation de négocier de bonne foi et avec diligence les conditions de travail des salariés formant un groupe au sein d’une entreprise donnée[10]. Une fois conclue, la convention collective détermine les conditions de travail qui s’imposent à tous les salariés présents et futurs compris dans le groupe visé, de même qu’à l’employeur, sous réserve de l’ordre public[11] ; puisque les droits de grève ou de lock-out n’existent que pour la négociation d’une première convention collective ou au moment de son renouvellement, il s’ensuit que de tels moyens de pression demeurent interdits pendant la durée de la convention collective[12]. Enfin, l’arbitrage de grief est le « tribunal » exclusif et obligatoire pour les litiges découlant de l’interprétation et de l’application de la convention collective ; les tribunaux de droit commun sont, par conséquent, exclus de cette fonction d’adjudication[13].

Ces premiers constats révèlent les limites d’un droit du travail, dont l’applicabilité est essentiellement nationale, voire, en ce qui a trait au Canada, provinciale. Cette territorialité implique qu’il ait, sauf exceptions[14], vocation à ne s’appliquer que localement[15]. La dimension transnationale des activités de l’employeur et des rapports de travail avec les salariés est dès lors évacuée. À titre d’exemple, le régime collectif des relations de travail s’impose à l’échelle de l’entreprise d’un employeur déterminé. L’accréditation est accordée à une seule association à l’égard d’un groupe de salariés formé au sein d’un employeur ou d’un établissement, d’une succursale, d’un département appartenant à cet employeur[16]. L’accréditation multipatronale est donc interdite. De plus, une seule convention collective régit les conditions de travail de ce groupe de salariés[17].

À l’ère de la mondialisation et de l’internationalisation des échanges, et à une époque où les entreprises transnationales sont devenues des acteurs incontournables[18], le régime de relations de travail institué au sein de la LNH offre un modèle de représentation syndicale et de négociation collective transnationales fort intéressant — et notre texte n’a d’ailleurs pour objet que d’exposer à grands traits les principales caractéristiques de ce régime. Sa réalisation permet, en effet, d’outrepasser cette territorialité inhérente au droit du travail, qu’il soit d’origine étatique ou conventionnelle, ainsi que les limites inhérentes à son effectivité. Il s’agit aussi d’un régime dont la portée normative est incontestablement transnationale et multipatronale, sans compter la force obligatoire des règles contenues dans le régime et leur mise en oeuvre qui sont assurées par un mécanisme d’arbitrage liant les parties.

Du reste, sur le plan de la théorie du droit du travail, le régime proposé offre des perspectives de réflexion pour le moins séduisantes. Sa teneur est, d’abord et avant tout, de source privée et sa nature, strictement contractuelle. Ce régime est fondé primordialement sur un volontarisme mutuel, ainsi que nous le verrons, comme à l’époque qui a précédé l’adoption au Canada, à partir de 1944, des lois instituant les régimes des rapports collectifs du travail. Ce faisant, il s’inscrit dans une logique d’« autonomie collective » pure[19], du moins au sens où l’entendaient les premiers grands théoriciens du droit du travail : d’abord, un regroupement de travailleurs qui revendiquent de meilleures conditions de travail auprès de leur employeur ; puis, des normes juridiques régissant le travail applicables à une communauté donnée — l’usine, la manufacture, l’entreprise, l’industrie — qui sont élaborées par la voie de la « négociation collective » et consacrées dans une « convention collective » devenue la « loi des parties[20] ». Cependant, il est aussi plausible de voir en ce régime un « lieu de pluralisme juridique[21] » : construit, développé et affranchi indépendamment de l’État, il se situe définitivement et quasi exclusivement, dans sa normativité, en marge des règles étatiques régissant le travail[22].

Cela dit, le régime comporte deux niveaux de négociation. Les rapports collectifs de travail se situent au niveau sectoriel. La négociation collective des conditions de travail est définitivement centralisée, puisqu’elle a lieu entre les représentants de toutes les parties en présence, soit les dirigeants de la LNH, les propriétaires des équipes et tous les joueurs de hockey qui travaillent pour l’une de ces équipes. La CBA, conclue en 2005 à l’issue de ce processus, uniformise certaines des conditions de travail des joueurs dans toute la LNH ; mais surtout elle comporte un mécanisme original de détermination de la rémunération pouvant être versée aux joueurs par leur équipe respective, sur lequel il conviendra longuement d’insister, soit un « plafond salarial » (1).

Quant aux rapports individuels de travail, ils se rattachent au niveau local, c’est-à-dire à l’échelle de l’« entreprise ». Si, en effet, la CBA encadre de manière significative la négociation du contrat de travail entre le joueur et son équipe, celle-ci demeure une négociation décentralisée et individualisée, se déroulant entre l’équipe et le joueur. S’il y a impasse et que l’objet de la négociation consiste à déterminer la rémunération devant être versée au joueur, les parties peuvent, en certaines circonstances, recourir à l’arbitrage salarial, selon une procédure sophistiquée qu’il nous faudra analyser dans les détails ; il en est de même lorsque le litige porte sur l’interprétation ou l’application de la convention collective ou du contrat individuel de travail (2).

1 Les rapports collectifs de travail dans la Ligue nationale de hockey

Le système de relations de travail institué dans la LNH comporte un régime de négociation des conditions de travail de caractère multipatronal et centralisé à l’échelle nord-américaine (1.1). Ce processus de négociation collective a abouti en 2005 à la conclusion d’une nouvelle convention collective dont l’objectif consiste, d’une part, en l’uniformisation d’un certain nombre de conditions de travail dans l’ensemble de la LNH et, d’autre part, en l’harmonisation de la rémunération versée aux joueurs par l’intermédiaire de l’imposition d’un plafond salarial (1.2).

1.1 La négociation collective des conditions de travail : un processus centralisé à l’échelle nord-américaine et de caractère multipatronal

Le principal secteur d’activité de la LNH réside dans la production et la mise en marché des compétitions sportives que se livrent entre elles les équipes de la Ligue. Le préambule de la convention collective de 2005[23] révèle que la LNH est un « joint venture[24] organized as a not-for-profit unincorporated association […] which is recognized as the sole and exclusive bargaining representative of the present and future Clubs of the NHL ». La LNH est donc l’entité juridique commune que se sont créée les propriétaires d’équipes afin d’ériger une ligue de hockey professionnelle. La LNH est aussi, selon cette définition, la représentante exclusive de ses équipes actuelles et futures à l’occasion des négociations collectives de travail avec l’AJLNH, ce qui ressemble fortement à une association d’employeurs[25] tel que nous le connaissons en droit québécois. À ce propos, notons que chaque équipe demeure individuellement l’employeur véritable des joueurs et que le pouvoir ultime au moment de la négociation repose entre les mains des équipes.

Enfin, la LNH, dont le siège social est situé à New York, est dirigée et supervisée par un conseil d’administration (board of governors), composé d’un membre représentant chacune des équipes. La LNH accorde les franchises aux propriétaires d’équipes, ce qui leur confère le privilège de se joindre aux autres équipes qui la composent. Le conseil d’administration détermine à qui les franchises doivent être accordées et à quel prix et, le cas échéant, si une franchise peut être vendue ou relocalisée. La LNH possède également le pouvoir de retirer une franchise à son propriétaire si ce dernier ne respecte pas ses obligations contractuelles, s’il viole les règlements de la LNH ou s’il est en voie de déclarer faillite ; la LNH décidera par la suite à qui la franchise pourra être vendue ou relocalisée.

L’AJLNH est l’association qui représente tous les joueurs de la LNH. Son siège social est situé à Toronto. L’origine de l’AJLNH sous sa forme actuelle remonte au mois de juin 1967[26]. Le tout a débuté par une résolution des représentants des joueurs des six équipes originales[27] qui ont élu un joueur des Maple Leafs de Toronto, Bob Pulford, au poste de président de l’AJLNH et Alan Eagleson, agent de joueur influent de l’époque, à titre de directeur général de cette association. Les archives révèlent que, lors d’une réunion, Pulford, conseillé par Eagleson, a lancé un ultimatum aux propriétaires concernant la reconnaissance de leur nouvelle association, sans quoi les joueurs allaient s’affilier au puissant syndicat des Teamsters et se faire accréditer en vertu des lois du travail canadiennes[28].

Les propriétaires étaient évidemment contre cette proposition, mais comme le souligne un auteur, « notorious Teamsters Union was beginning to cause some rumblings with the league, [so] Eagleson seemed to be the lesser of two evils[29] ». L’AJLNH a donc été reconnue par les propriétaires et elle est, depuis ce temps, selon les termes mêmes de la CBA, « the sole and exclusive bargaining representative of the present and future [Clubs] in the NHL[30] ».

Notons que les parties semblent avoir choisi une loi américaine, la National Labour Relations Act[31], comme loi régissant leurs relations de travail[32]. Le Congrès américain a adopté cette loi en vertu de sa faculté de régir le commerce entre les États, pouvoir découlant de la Constitution américaine[33]. Une décision du National Labour Relations Board[34] aurait permis d’établir la compétence de la National Labour Relations Act et son applicabilité aux ligues de sport professionnel présentes aux États-Unis, dont la LNH[35]. En reconnaissant le principe de la liberté syndicale[36], la National Labour Relations Act permet non seulement aux joueurs de former leur propre association et de négocier collectivement leurs conditions de travail, mais aussi, implicitement, d’exercer un droit de grève, car il y est spécifié qu’ils peuvent s’engager dans d’autres activités concertées dans le but de négocier collectivement. De plus, la portée extraterritoriale de cette loi ne ferait pas l’ombre d’un doute quant à son application au Canada.

À cet égard, une situation mérite d’être rapportée et analysée : elle s’est produite en octobre 2005 lors du lock-out décrété par la LNH. À l’époque, le conflit de travail, qui avait déjà conduit à l’annulation de la saison 2004-2005, ne semblait pas en voie de se régler rapidement. La LNH s’est alors penchée sur la possibilité d’utiliser des joueurs de remplacement pour la saison 2005-2006. La National Labour Relations Act aurait permis, selon un mécanisme législatif complexe, d’utiliser des travailleurs de remplacement, ou « briseurs de grève », en cas d’impasse dans les négociations. En réalité, la LNH voulait peut-être seulement mettre de la pression sur les joueurs en leur rappelant qu’elle pouvait utiliser ce pouvoir. Quoi qu’il en soit, l’AJLNH a réagi à cette menace en se tournant vers la législation québécoise, où des dispositions anti-briseurs de grève existent depuis 1977[37], pour demander l’accréditation afin de représenter tous les joueurs du Club de hockey Canadien qui évoluent à Montréal. Selon les arguments fournis par les procureurs du Club de hockey Canadien et de la LNH, les parties en présence, à savoir la LNH et l’AJLNH, se sont elles-mêmes assujetties depuis plus de 40 ans à la National Labour Relations Act, laquelle a une portée extraterritoriale, ce que n’a pas le Code du travail québécois. De ce fait découlerait l’application de l’estoppel et, subsidiairement, de la doctrine du forum non conveniens et de l’article 3135 du Code civil du Québec[38]. Par conséquent, la Commission des relations de travail (CRT) aurait dû décliner sa compétence au profit du National Labour Relations Board américain qui est mieux à même de décider du litige. De plus, l’unité d’accréditation demandée par l’AJLNH n’était pas appropriée : elle aurait dû englober tous les joueurs de la LNH et non seulement ceux du Club de hockey Canadien[39]. Enfin, l’AJLNH, qui voulait se servir de ce moyen pour répondre aux pressions de la LNH, a abandonné la requête en accréditation.

Toujours à l’occasion du même conflit de travail, l’AJLNH a demandé l’accréditation en vertu de la législation applicable aux rapports collectifs de travail en Colombie-Britannique pour représenter tous les joueurs des Canucks de Vancouver. Or, le 31 juillet 2007, le British Columbia Labor Relations Board, agissant en révision administrative, a renversé la décision rendue en juin 2006 par un commissaire du travail, qui avait conclu que l’unité de négociation visée était « appropriée » au sens de l’article 22 (1) du Code du travail de la Colombie-Britannique[40]. L’historique des relations de travail entre les parties et le particularisme de l’industrie du sport professionnel et du système de représentation et de négociation collectives implanté dans la LNH ont été les facteurs déterminants pour refuser l’accréditation demandée[41].

Cette conclusion, qui accorde en quelque sorte la priorité à l’« autonomie collective » nord-américaine sur l’institution de rapports collectifs à l’échelle locale, serait-elle aisément transposable en droit québécois ? Cela pourrait être le cas, par exemple, si une demande ayant pour objet l’accréditation des joueurs du Club de hockey Canadien était de nouveau présentée devant la CRT. Une brève analyse de tous les arguments formulés par les parties et explicités dans les deux décisions rendues par les instances du British Columbia Labor Relations Board nous amène à conclure qu’un jugement rendu en faveur de l’accréditation des joueurs conformément au Code du travail du Québec semble peu réaliste, même si une telle éventualité ne peut être exclue totalement. Il est vrai que les joueurs appartenant au Club de hockey Canadien, l’employeur au sens du Code, pourraient former un « groupe distinct », ce qui leur permettrait d’obtenir l’accréditation, pourvu évidemment que l’association requérante soit en mesure d’établir son caractère représentatif[42]. La question principale demeure néanmoins de savoir si cette unité d’accréditation serait « appropriée », c’est-à-dire « celle qui, selon les circonstances particulières de temps et de lieu, comporte les attributs permettant de croire qu’ainsi constituée, la tenue de rapports collectifs pourrait être effectivement réalisable[43] ».

Certes, il faut avouer que la seule existence de la CBA, qui a la valeur d’un contrat conclu entre des parties privées, ne constitue pas un obstacle structurant à l’obtention de l’accréditation ni, le cas échéant, à la négociation d’une convention collective entre l’équipe et l’association qui représente les joueurs à l’oeuvre pour cette équipe. Il s’agit là d’éléments fondamentaux qui caractérisent le régime légal des rapports collectifs du travail, éléments impératifs qui relèvent fort incontestablement de l’ordre public. Du reste, l’existence même du contrat individuel — ou de plusieurs contrats individuels — ne peut entraver le droit à l’accréditation demandée par une association de salariés qui y auraient par ailleurs légalement droit. Toutefois, les difficultés potentielles découlant de la mise en oeuvre de rapports collectifs du travail, conformément au Code du travail, au sein d’une équipe de la LNH, notamment du fait que la CBA uniformise les conditions de travail applicables à tous les joueurs de la LNH et harmonise le niveau de leur rémunération, comme nous le verrons dans un instant, ont été clairement exposées en première instance par le British Columbia Labor Relations Board, et celles-ci ne peuvent être ignorées[44]. La décision rendue en révision administrative est sans équivoque à ce sujet. Ultimement, elle conclura au rejet de la demande d’accréditation concernant les joueurs des Canucks de Vancouver pour ces motifs :

Orca Bay is the employer, but Orca Bay itself is an integral part of the NHL, just as the BC-NHLPA is an integral part of the NHLPA, and the Canucks players, as a team, are an integral part of the hockey league within which they play. All three elements – the employer Orca Bay, the union BC-NHLPA, and the employee Canuck players – are well served by their current league-wide bargaining structure. This is a crucial factor in our finding that the applied for bargaining unit is inappropriate. If this circumstance were to change, such that either or both parties were no longer well served by the existing bargaining structure, it may be that we would have to revisit our decision. However, in light of the present circumstances, we find that the bargaining unit applied for is inappropriate[45].

Par conséquent, advenant que la CRT ait un jour à décider du caractère approprié ou non de cette forme d’unité d’accréditation, il semble douteux que les critères classiques relatifs à la cohérence du groupe de salariés, à l’historique des relations de travail entre les parties, à la structure organisationnelle de l’entreprise exploitée par l’employeur, son environnement géographique, et à l’objectif de paix industrielle soient respectés. D’autant qu’en pratique les seules demandes formulées en ce sens l’ont été à l’occasion — et au plus fort — d’un conflit collectif houleux entre la LNH et l’AJLNH. Le système contractuel mis en place et qui comporte, à la fois, un historique en matière de négociation collective et un contrat collectif de travail, de portée sectorielle, fonctionne bien ; et rien ne laisse croire que sa légitimité ou sa légalité pourrait sous peu être remise en cause par les parties.

En définitive, la reconnaissance du caractère représentatif de l’AJLNH effectuée volontairement par l’interlocuteur patronal et la mise en oeuvre d’un système privé de négociation collective transnationale, de caractère multipatronal, par surcroît, ne sont pas dénuées d’intérêt : elles se sont faites à l’extérieur du cadre législatif prévu par le droit du travail américain ou canadien, où la seule aire de représentation et de négociation collectives autorisée, avons-nous vu, est celle de l’entreprise. Les parties en présence ont ainsi créé un système qui leur a permis de négocier collectivement, sur une base sectorielle, à l’échelle de la LNH, l’ensemble des conditions de travail applicables aux joueurs et à leur équipe.

1.2 La Collective Bargaining Agreement : l’uniformisation des conditions de travail dans toute la Ligue nationale de hockey et l’harmonisation de la rémunération versée aux joueurs

La CBA est entrée en vigueur rétroactivement le 16 septembre 2004 pour une durée de six années[46]. Toutefois, l’AJLNH possède l’option de rouvrir les négociations après quatre années de mise en oeuvre, c’est-à-dire à la fin de la saison de hockey 2008-2009, ou de la prolonger pour une année supplémentaire à son expiration, soit pour la saison 2011-2012[47]. Ce document fort complexe détermine les droits et obligations respectifs de toutes les parties en présence, mais aussi, principalement, l’ensemble des conditions de travail applicables aux joueurs de la LNH de même qu’à toutes les équipes. En somme, par son contenu, la CBA impose contractuellement un « ordre public minimal » ; interdiction est d’ailleurs faite aux parties, c’est-à-dire l’équipe et les joueurs, de déroger aux prescriptions de la CBA, notamment dans le contrat individuel de travail[48], dénommé le Standard Player Contract (SPC)[49].

Sont, entre autres, englobées dans le SPC les matières suivantes, selon le même ordonnancement que comporte la CBA : le repêchage des joueurs amateurs (art. 8), les paramètres précis d’un premier contrat (art. 9), le processus conduisant au statut d’agent libre (art. 10), la conclusion du SPC (art. 11), l’arbitrage salarial (art. 12), les règles concernant les ballotages (waivers)[50] et le prêt de joueurs aux équipes des ligues mineures (art. 13 et 14), le camp d’entraînement et les dépenses afférentes engagées pour les joueurs (art. 15), la procédure de grief et d’arbitrage (art. 17), les allocations du type forfait quotidien (per diem) des joueurs (art. 19), le régime de retraite (art. 21), les assurances collectives (art. 23), les compétitions internationales (art. 24), les commandites et l’attribution du droit d’exercice (licensing) (art. 25), un programme antidopage (art. 47) et l’institution d’un plafond salarial (upper limit) (art. 50), l’une des spécificités du régime de relations de travail instauré depuis 2005 par la CBA, sur lequel il y aura lieu de se pencher davantage.

La LNH et l’AJLNH ont en effet convenu de limiter les dépenses consacrées aux revenus versés aux joueurs en proportion des revenus globaux de la LNH. D’une part, pour chaque saison, la masse salariale des équipes ne peut excéder un certain montant maximal déterminé annuellement. C’est ce qui est appelé, dans le jargon sportif, le plafond salarial. D’autre part, toujours sur une base annuelle, la CBA instaure un « salaire individuel maximal » pour les joueurs. C’est à l’intérieur de ce système que les équipes doivent disposer de leur masse salariale. Par conséquent, la négociation de la rémunération entre le joueur et son équipe est fortement encadrée par le mécanisme institué par la CBA.

Trois éléments préalables doivent être considérés pour l’établissement du plafond salarial annuel : les « revenus relatifs au hockey » (hockey related revenues ou RRH), le « pourcentage applicable » (applicable percentage) et les « avantages » (benefits). À partir de ces mêmes éléments, le calcul du plafond salarial est alors possible (1.2.1) ; de même en est-il pour le salaire maximal versé à un seul joueur (1.2.2).

1.2.1 Le calcul du plafond salarial

Le plafond salarial ou le team payroll range system, pour respecter la terminologie exacte de la CBA[51], établit une relation directe entre la masse salariale disponible pour chaque équipe et les RRH, premier élément à considérer. Ainsi, depuis la saison 2005-2006, le total des salaires annuellement versés aux joueurs varie, proportionnellement, en fonction de l’augmentation ou de la diminution des RRH, selon le cas. Le tout est recalculé chaque année[52], conformément à la formule établie par la CBA[53]. En d’autres termes, les RRH constituent le point de départ du nouveau système de rémunération applicable dans la LNH. Ce terme doit être interprété largement et englobe, entre autres, sans s’y limiter, « the operating revenues […] from all sources, whether known or unknown, whether now in existence or created in the future […] of each Club or the League […] derived or earned from, relating to or arising directly or indirectly out of the playing of the NHL hockey games or NHL-related events[54] ». Bref, tous les revenus de la LNH y sont réellement inclus, lesquels pourront être redistribués aux joueurs sous forme de rémunération, selon la méthode ci-après exposée.

Le deuxième élément à considérer pour le calcul du plafond salarial est le pourcentage applicable. Ainsi, chaque saison, les joueurs recevront un pourcentage des RRH totaux de la LNH. Comme nous l’avons mentionné précédemment, ce pourcentage augmentera ou diminuera, corrélativement à une augmentation ou à une diminution des RRH, selon la grille de distribution suivante[55] :

Tableau

Pourcentage applicable

RRH

54 %

Moins de 2,2 milliards $ US

55 %

De 2,2 à 2,4 milliards $ US

56 %

De 2,4 à 2,7 milliards $ US

57 %

Plus de 2,7 milliards $ US

-> See the list of tables

Le troisième élément à prendre en considération est celui des avantages que reçoivent les joueurs. Doit ici être comprise la somme totale des montants versés à titre de pensions, de programmes gouvernementaux (comme l’assurance sociale payée par l’équipe, l’employeur), d’indemnités dans le contexte du régime d’assurance collective (vie, médicale, dentaire), des primes versées par la LNH à la suite de la participation aux séries éliminatoires et des primes pour performance individuelle versées par la LNH selon l’annexe 5-B de la CBA[56]. Il s’agit, en l’occurrence, de tous les avantages sociaux dont les joueurs ont effectivement bénéficié. De cette somme totale des avantages, un montant de 6,5 millions de dollars américains devait être crédité pour les saisons 2005-2006 à 2007-2008. Pour les autres années de la CBA, le montant crédité sera de 6,75 millions de dollars américains[57].

Ce dernier élément étant exposé, il devient alors possible de calculer le plafond salarial annuel imposé à chaque équipe. Pour être davantage précis, il faudrait ajouter que c’est un plafond salarial auquel vient s’ajouter un « plancher salarial » (lower limit). Le calcul de ces deux pôles de rémunération globale annuellement versée par chaque équipe de la LNH comporte donc trois étapes et les montants sont déterminés sur la base des RRH, du pourcentage applicable et des avantages[58] :

  1. « Point médian calculé » (calculated midpoint) = [(RRH × pourcentage applicable) – (avantages)] ÷ 30 (le nombre d’équipes dans la LNH) ;

  2. « Point médian ajusté » (adjusted midpoint) = point médian calculé × 1,05 (ajusté de 5 % par année, pour tenir compte de l’inflation) ;

  3. « Plancher salarial » (calculated lower limit) = point médian ajusté – 8 millions de dollars américains ;

    « Plafond salarial » (calculated upper limit) = point médian ajusté + 8 millions de dollars américains.

C’est dire que si, dans un cas donné, les RRH s’établissent à 2,3 milliards de dollars et que les avantages sont évalués à 66 millions de dollars américains, pour la saison suivante, le plancher salarial sera fixé à 34,4 millions de dollars américains et le plafond salarial à 50,4 millions. Prenons l’exemple suivant :

  1. Point médian calculé = [(2,3 millliards × 55,5 %) – (66 millions)] ÷ 30 = 40,35 millions ;

  2. Point médian ajusté = 40,35 millions × 1,05 = 42,4 millions ;

  3. Plancher salarial = 34,4 millions et plafond salarial = 50,4 millions.

Le plancher salarial et le plafond salarial étant clairement déterminés pour une saison donnée, il est alors possible d’établir le salaire maximal que peut toucher un joueur par saison.

1.2.2 Le salaire maximal versé à un joueur

Le salaire maximal annuel est une particularité nouvellement introduite dans la CBA de 2005. De ce fait, la rémunération annuelle de tout joueur, y compris les primes de performance individuelle, ne peut jamais dépasser 20 % du plafond salarial[59]. Ainsi, selon l’exemple précédent, un joueur ne pourrait gagner plus de 10,08 millions de dollars pour la saison en cours. Dans le cas d’un contrat dont la durée dépasse une saison, le salaire maximal permis pour les saisons subséquentes correspondra au salaire maximal établi au moment de la signature du SPC[60].

Cela dit, pour éviter toute confusion et, surtout, une nouvelle flambée des salaires dans la LNH, il est impératif que le SPC conclu entre l’équipe et le joueur indique un montant d’argent précis en guise de rémunération annuelle[61]. Il est conséquemment interdit de prévoir, à ce titre, que le joueur obtiendra un certain pourcentage du plafond salarial.

Qu’adviendrait-il si les revenus totaux de la LNH (RRH) diminuaient, entraînant de ce fait une diminution du plafond salarial, et que, par conséquent, pour la saison suivante, un joueur gagnait plus de 20 % de ce plafond ? Il faut souligner que les contrats sont conclus sur la base d’un terme prédéterminé et non pour une durée indéterminée. Le contrat doit être respecté par l’équipe et le joueur peut conserver l’intégralité de son salaire malgré le dépassement du seuil de 20 % fixé par le plafond salarial. En revanche, ce montant versé à titre de rémunération est imputé dans le calcul de la masse salariale de l’équipe. Cette règle incite les équipes à faire preuve de discipline. Elles doivent en effet se garder d’accorder le maximum permis à un joueur, de manière à ne pas réduire indûment leur marge de manoeuvre pour les années à venir, surtout dans l’éventualité d’une diminution globale des revenus de la LNH.

En définitive, le régime de représentation syndicale et de négociation collective des conditions de travail instauré au fil des années dans la LNH se caractérise par son transnationalisme et son multilatéralisme et il offre un modèle de régulation privée des conditions de travail. La négociation collective des conditions de travail est centralisée à l’échelle sectorielle : les propriétaires des 30 équipes et les dirigeants de la LNH et les représentants de tous les joueurs de hockey à l’oeuvre au sein de cette dernière . La CBA de 2005, résultat de processus de négociation, a pour objet d’uniformiser tout un ensemble de conditions de travail dans la LNH et de limiter, par le mécanisme du plafond salarial, la rémunération pouvant être versée aux joueurs. Ce faisant, elle établit un cadre obligatoire pour la négociation décentralisée, soit celle qui est relative au contrat individuel de travail, à intervenir entre le joueur et son équipe.

2 Les rapports individuels de travail dans la Ligue nationale de hockey

Les rapports individuels de travail dans la LNH ont lieu à l’échelle de l’« entreprise ». La négociation du contrat de travail entre le joueur et l’équipe, qui a pour objet principal d’établir la rémunération et la durée du contrat, doit se faire en conformité avec les règles prévues dans la CBA (2.1). En certaines occasions, s’il y a mésentente relativement à la détermination de la rémunération, un arbitre peut être saisi pour trancher le litige ; il en est de même, plus généralement, en cas de mésentente portant sur l’interprétation ou l’application de la CBA ou du contrat individuel de travail conclu en marge de cette entente (2.2).

2.1 La négociation du contrat de travail entre le joueur et son équipe

Outre qu’ils sont assujettis collectivement à la CBA, les joueurs sont aussi liés individuellement à leur équipe respective, le véritable employeur sur le plan juridique, par un contrat de travail appelé « SPC ». L’annexe 1 de la CBA contient les onze pages de ce SPC et l’article 11 de la CBA édicte les normes régissant de tels contrats. Seront notamment négociés individuellement entre l’équipe et le joueur les aspects suivants : le salaire annuel, fixé conformément aux règles exposées plus haut, et, dans certaines situations, les primes et les clauses dites de « non-échange »[62]. En ce qui a trait à la durée du contrat, elle fait également l’objet d’une négociation individuelle, sauf lorsqu’il s’agit du premier contrat conclu par le joueur dans la LNH[63]. Tous les autres aspects du contrat sont déjà prévus dans le formulaire standard de l’annexe 1 (SPC). Ainsi, en acceptant les modalités du SPC, le joueur « agrees to give his services and to play hockey in all NHL Games, All Star Games, International Hockey Games and Exhibition Games to the best of his ability under the direction and control of the Club in accordance with the provisions hereof[64] ».

Parmi les autres obligations qu’impose le SPC au joueur figurent celles de se présenter au camp d’entraînement de son équipe, au moment déterminé par cette dernière, et ce, en bonne condition physique[65], de se maintenir en bonne condition physique en tout temps durant la saison[66], de ne jouer que pour l’équipe avec laquelle il a conclu son SPC[67], de coopérer avec son équipe et de participer à toutes les activités promotionnelles raisonnables auxquelles cette dernière jugera opportun de l’assigner[68], de se conduire en tout temps, aussi bien sur la patinoire qu’en dehors de celle-ci, avec honnêteté, moralité et esprit sportif[69] et de se présenter au lieu et à l’heure indiqués par l’équipe pour la tenue des entraînements[70]. Le SPC contient enfin des dispositions concernant les amendes et les suspensions que l’équipe peut infliger au joueur qui viole les règles internes du club[71], des dispositions concernant le salaire et les frais médicaux liés à une blessure[72], etc.

Il reste que l’enjeu principal de la négociation du SPC demeure incontestablement la rémunération. La CBA institue, pour certaines catégories de joueurs, un mécanisme privé de règlement des litiges : l’arbitrage salarial.

2.2 L’arbitrage privé comme mode de résolution obligatoire des conflits entre le joueur et son équipe

La compétence matérielle de l’arbitre constitué en vertu de la CBA varie selon que l’objet du litige porte sur la rémunération du joueur (2.2.1) ou encore sur l’interprétation ou l’application de la CBA ou du SPC conclu entre le joueur et son équipe (2.2.2).

2.2.1 Les conflits en matière de négociation salariale

En droit sportif, l’arbitrage salarial est un outil mis à la disposition des parties pour régler leurs différends relatifs à la négociation du contrat d’un joueur avec son équipe. L’audition est tenue devant un arbitre indépendant, chaque partie étant généralement représentée par ses avocats (l’agent en plus pour le joueur, le directeur général ou son assistant pour l’équipe)[73]. L’arbitre tranche uniquement les questions relatives à la rémunération du joueur. Seulement deux ligues professionnelles en Amérique du Nord ont recours à ce système, soit la LNH et la Major League Baseball (MLB)[74]. La National Basketball Association (NBA) de même que la National Football League (NFL) n’ont pas adopté ce système dans leurs conventions collectives respectives.

La LNH est la première ligue professionnelle à avoir instauré, dès 1970, l’arbitrage salarial, et elle a été suivie par la MLB en 1973[75]. Sa raison d’être provient de l’insatisfaction générée par la « clause de préférence » (option clause), règle jadis insérée dans le SPC de la LNH depuis 1958[76]. Cette clause prévoyait qu’à son expiration le contrat d’un joueur pouvait être reconduit par l’équipe, unilatéralement, pour la même durée que le précédent contrat et en fonction du salaire déterminé par l’équipe[77]. Intégrée automatiquement dans le nouveau contrat du joueur, cette clause faisait en sorte que l’équipe pouvait renouveler perpétuellement ce contrat sans qu’il y ait de véritable négociation entre les parties. Au surplus, à cette époque, les conflits salariaux étaient soumis au président de la LNH. Ce dernier rendait une décision irrévocable qui établissait la rémunération versée au joueur[78]. Or, il existait un conflit d’intérêts réel puisque le président de la LNH est nommé, rappelons-le, par les propriétaires des différentes équipes. Finalement, à la suite d’un rapport publié en 1969[79] critiquant les effets pervers du régime sur la compétitivité des équipes de la LNH entre elles, les joueurs ont été en mesure de négocier, par l’entremise de leur nouvelle association syndicale, un système d’arbitrage qui allait permettre de résoudre les disputes salariales entre les joueurs et leurs équipes respectives[80].

2.2.1.1 L’admissibilité à l’arbitrage

L’arbitrage salarial peut être demandé par le joueur[81] et, désormais, ce qui constitue une nouveauté introduite dans la CBA, par l’équipe[82]. Pour être admissible, le joueur doit tout d’abord faire partie du groupe 2[83], c’est-à-dire être un « agent libre avec compensation » (restricted free agent)[84]. Il doit ensuite respecter les conditions énumérées explicitement à la CBA[85] :

Tableau

Âge au moment de la signature du premier SPC

Nombre minimal d’années d’expérience professionnelle requis pour être admissible

18-20 ans

4 années

21 ans

3 années

22-23 ans

2 années

24 ans et plus

1 année

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Pour se voir attribuer une année complète d’expérience professionnelle, un joueur âgé de 18 ou de 19 ans doit jouer au moins dix parties dans la LNH au cours d’une même saison, alors que le joueur âgé de 20 ans doit jouer dix parties ou plus au niveau professionnel[86] à l’intérieur d’un SPC[87]. Enfin, le joueur doit avoir reçu préalablement, de la part de son équipe, une offre qualificative[88]. Cette offre, dont la durée est limitée à une seule saison, permet à l’équipe de maintenir certains droits sur le joueur[89]. Si elle néglige de le faire, le joueur deviendra un « agent libre sans compensation » (unrestricted free agent)[90]. L’offre qualificative doit être faite au plus tard le 25 juin de chaque année ou le premier lundi suivant le repêchage de la dernière année du SPC du joueur ; elle doit également respecter ce qui suit :

Tableau

Salaire de la dernière année du SPC

Offre qualificative

Moins de 660 000 $ US

110 %

De 660 000 à 1 000 000 $ US

105 %*

Plus de 1 000 000 $ US

100 %

*

Le montant ne doit cependant pas dépasser 1 million de dollars américains.

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Après avoir reçu son offre qualificative, le joueur qui respecte toutes les conditions pré-mentionnées peut demander l’arbitrage salarial, mais uniquement s’il croit être en mesure d’obtenir un salaire annuel plus avantageux. Dans le cas contraire, il peut tout simplement accepter de jouer la saison suivante selon les modalités de l’offre qualificative ou refuser l’offre en question et ne pas demander l’arbitrage ; il sera alors dit, dans le jargon du métier, qu’il est un hold out ou un « joueur gréviste ». Dans ce cas, l’équipe pourra effectuer la demande d’arbitrage avant le 6 juillet si elle le juge opportun, ou bien laisser le joueur poursuivre sa grève. Le joueur gréviste aura jusqu’au 1er décembre (Signing Deadline for Group 2 Players)[91] pour s’entendre avec son équipe, sans quoi il ne pourra jouer pendant la saison en cours. Il faut préciser qu’en tout temps l’équipe peut offrir davantage que ce que prévoit l’offre qualificative, ce qui peut permettre une entente à court ou à long terme si le joueur y souscrit.

Comme nous l’avons exposé antérieurement, l’équipe peut elle aussi demander l’arbitrage salarial[92]. Elle ne peut cependant le faire que dans deux situations bien précises. Premièrement, l’arbitrage salarial peut être réclamé par l’équipe lorsque le joueur a rejeté l’offre qualificative et n’a pas lui-même demandé l’arbitrage[93]. Dans ce cas-ci, elle doit lui offrir un salaire égal ou supérieur au dernier montant accordé à titre de salaire[94] en vertu du SPC conclu antérieurement. Deuxièmement, à l’égard d’un joueur ayant gagné 1,5 million de dollars américains et plus à titre de revenu lors de la dernière année de son SPC, l’équipe peut inscrire directement l’affaire devant un arbitre au lieu de présenter au joueur une offre qualificative[95]. À cette occasion, elle peut demander à l’arbitre d’accorder une diminution de salaire équivalente à un maximum de 15 % du dernier salaire annuel du joueur[96]. À noter que, dans tous les cas, le joueur est admissible à une seule séance d’arbitrage salarial inscrite par l’équipe au cours de sa carrière[97]. De même, une équipe ne peut demander plus de deux séances d’arbitrage salarial par année[98].

2.2.1.2 Le déroulement de l’arbitrage et les pouvoirs de l’arbitre

Pour être admissible à l’arbitrage salarial, le joueur doit inscrire sa demande avant le 5 juillet à 17 h (heure de New York)[99]. L’équipe, quant à elle, doit agir avant le 15 juin ou 48 heures après la conclusion de la finale de la Coupe Stanley, selon la date la plus tardive, toujours avant 17 h (dans le cas d’un arbitrage à l’égard d’un joueur ayant gagné 1,5 millions de dollars américains et plus à titre de revenu lors de la dernière année de son SPC)[100]. Tous les dossiers soumis à l’arbitrage doivent être entendus entre le 20 juillet et le 4 août de chaque année[101]. La LNH et l’AJLNH sélectionnent conjointement huit arbitres, tous membres de la National Academy of Arbitrators aux États-Unis. Ceux-ci seront nommés pour entendre les affaires inscrites[102]. L’audition se déroule devant un seul arbitre choisi par les parties selon un processus préétabli[103]. Dans un délai d’au moins 48 heures avant l’audition, les parties doivent transmettre à l’arbitre et à la partie adverse un mémoire (brief) d’au plus 40 pages (à l’exclusion des annexes) relatant les positions, arguments et statistiques allégués au soutien de leur prétention[104]. Durant l’audition, à tour de rôle, les parties disposent d’une période de temps pour argumenter (direct case) et ensuite pour réfuter les allégations de la partie adverse ou présenter leur contre-preuve (rebuttal case)[105].

Chaque partie dispose d’un maximum de 90 minutes pour ses représentations et répondre aux arguments de l’autre partie[106]. Le joueur, l’équipe, la LNH et l’AJLNH sont parties à la procédure et peuvent être représentés par leurs agents ou avocats respectifs[107]. À l’audience, les parties peuvent produire au soutien de leurs allégations tous documents et toute déclaration sous serment et faire entendre les témoins qu’elles jugent pertinents[108], sous réserve des restrictions qu’apporte la CBA[109]. La force probante des preuves soumises à l’audience relève exclusivement de l’appréciation de l’arbitre[110] et celui-ci n’est lié par aucune règle de preuve particulière, si ce n’est celles qui sont énumérées explicitement dans la CBA. Sont déclarées recevables les preuves suivantes[111] :

  1. la performance générale, y compris les statistiques officielles préparées par la LNH (offensives et défensives), du joueur au cours de la présente saison ou des saisons passées ;

  2. le nombre de parties auxquelles le joueur a participé, ses blessures ou ses maladies durant les saisons antérieures ;

  3. le nombre d’années d’expérience du joueur au sein de la LNH ou pour l’équipe ;

  4. la contribution générale du joueur au succès ou à l’échec de l’équipe la saison précédente ;

  5. toute qualité particulière du joueur, comme le leadership ou l’engagement auprès de la communauté ;

  6. la performance générale lors de la ou des saisons antérieures des joueurs allégués à titre de « comparables » ;

  7. la rémunération annuelle des joueurs utilisés comme « comparables ».

Ces « statistiques comparables » ont été consacrées par la jurisprudence arbitrale comme l’élément de preuve le plus important[112] : c’est en effet sur celles-ci que se fonde en grande partie la décision de l’arbitre. La LNH et l’AJLNH doivent conjointement créer un « document de comparaison » (comparable exhibit) révélant les modalités financières contenues dans les SPC de tous les joueurs admissibles à titre de « comparables » pour la séance d’arbitrage[113] : il s’agit de joueurs ayant signé leur contrat actuel en tant qu’agent libre avec compensation. De plus, afin qu’un joueur puisse être utilisé par l’arbitre à titre de comparable, les parties doivent y faire référence obligatoirement dans leur mémoire.

Finalement, l’arbitre rend sa décision au plus tard 48 heures suivant l’ajournement de l’audition[114], laquelle comprend, typiquement, les dispositions du nouveau contrat entre le joueur et l’équipe[115], sa durée[116], une « clause des ligues mineures[117] », le cas échéant, ainsi que les motifs, à l’appui de sa justification[118]. Les parties doivent se conformer impérativement aux ordonnances rendues par l’arbitre et rédiger le SPC en conséquence[119]. Enfin, les parties paient individuellement les honoraires engendrés pour leur représentation et elles ont la responsabilité, en parts égales, de rembourser le coût du processus arbitral[120].

2.2.1.3 Le droit de retrait de la décision arbitrale (walk-away right)

Malgré le caractère impératif de la décision arbitrale, l’équipe peut refuser de s’y soumettre en certaines circonstances[121]. Par contre, le joueur ne dispose pas d’une telle prérogative. Le droit de retrait existe seulement lorsque c’est le joueur qui a inscrit la cause en arbitrage[122]. De plus, l’équipe est admissible à exercer son droit de retrait uniquement lorsque le joueur obtient un salaire annuel de 1 042 173 millions de dollars américains ou plus à l’issue de la séance d’arbitrage[123]. Ce droit est exercé habituellement lorsque l’équipe est d’avis que le salaire accordé au joueur est trop élevé eu égard à ce qu’elle est prête à débourser.

Cela dit, voici les conséquences directes que génère l’exercice de cette faculté :

  • si la durée du SPC soumis à l’arbitrage était d’une saison seulement, le joueur se retrouve automatiquement agent libre sans compensation[124] ; il pourra dès lors négocier avec toute autre équipe, y compris celle qui a eu recours au droit de retrait ;

  • si la durée du SPC visé par la décision arbitrale était de deux saisons, le droit de retrait de la décision arbitrale s’applique uniquement à la seconde saison et transformera le SPC en contrat d’une seule saison ; après cette saison, le joueur deviendra automatiquement agent libre sans compensation : il pourra alors offrir ses services à l’équipe de son choix[125] .

Dans un cas comme dans l’autre, l’équipe doit exercer son droit de retrait dans un délai de 48 heures suivant la décision rendue par l’arbitre. Par contre, lorsque l’équipe doit être présente à diverses séances d’arbitrage salarial subséquentes avec un ou plusieurs joueurs et qu’elle dispose toujours d’un droit de retrait de la décision arbitrale, elle peut exercer ce droit dans un délai de 48 heures suivant la dernière décision arbitrale rendue dans ces affaires, l’idée étant de lui permettre de décider pour quel joueur elle utilisera ou non son droit de retrait[126].

Enfin, le nombre de droits de retrait de la décision arbitrale autorisé par saison et pour chaque équipe dépend du volume des dossiers inscrits par ses propres joueurs[127] :

Tableau

Nombre de droits de retrait de la décision arbitrale par année pour chaque équipe

Nombre de joueurs de l’équipe soumis à l’arbitrage

1

1 ou 2

2

3 ou 4

3

5 et plus

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2.2.2 Les conflits liés à l’interprétation et à l’application de la Collective Bargaining Agreement et du Standard Player Contract

L’arbitrage de grief doit être distingué de l’arbitrage salarial, principalement parce que la finalité recherchée par le mécanisme n’est pas la même. En droit du travail, l’arbitrage de grief constitue le mode judiciaire de règlement de toute mésentente entre un employeur et un syndicat accrédité relativement à l’interprétation et à l’application d’une convention collective de travail[128]. Pour sa part, la CBA définit de cette manière le terme « grief » (grievance) :

A « Grievance » is any dispute involving the interpretation or application of, or compliance with, any provision of this Agreement, including any SPC. All Grievances will be resolved exclusively in accordance with the procedure set forth in this Article, except wherever another method of dispute resolution is set forth elsewhere in this Agreement[129].

Certains griefs spéciaux (system grievance[130]), seront soumis exclusivement au mécanisme de l’article 48. Pour ce qui est de tous les autres griefs, la LNH et l’AJLNH en sont les seuls titulaires[131]. Le joueur visé par un grief n’a pas à être obligatoirement lié par un SPC au moment où le grief prend naissance ou lorsqu’il est déposé ou entendu[132]. Le grief doit être transmis à la partie adverse par télécopieur ; la notification doit alléguer les motifs du dépôt du grief, des explications sur les dispositions de la CBA qui ont été violées ainsi qu’un rapport concernant les remèdes envisagés[133]. La partie adverse dispose de dix jours suivant la réception du grief pour y répondre[134] ; elle peut soit admettre les faits allégués, soit les nier[135].

À ce stade, seules les parties sont impliquées dans le processus de grief ; il en sera ainsi jusqu’à ce que le dossier soit déposé à l’arbitre de grief. Cependant, avant de pouvoir déposer le dossier à ce dernier, les parties doivent préalablement tenter de régler leurs différends devant le comité de grief (grievance committee)[136]. Il s’agit d’un processus en vertu duquel les parties doivent se rencontrer au moins une journée par mois lorsqu’un grief est déposé, l’objectif étant de régler les griefs avant de recourir à un arbitre[137]. Les discussions et les offres de règlement qui y sont faites ne seront pas admissibles en preuve devant l’arbitre, le cas échéant[138]. Si le grief n’est pas résolu entre les parties durant cette rencontre, la partie plaignante pourra alors le déposer devant un arbitre de grief[139]. Tout comme dans le cas de l’arbitrage salarial, l’arbitre de grief, nommé conjointement par les parties, doit être membre de la National Academy of Arbitrators[140]. L’arbitre rend sa décision dans un délai de 30 jours suivant l’audition[141] ; il possède le pouvoir d’interpréter et d’appliquer les dispositions de la CBA, y compris les SPC des joueurs, mais il devra se garder d’ajouter des éléments ou encore de soustraire ou de modifier de quelque façon que ce soit les mêmes dispositions et la SPC[142]. Enfin, la décision de l’arbitre de grief est sans appel : elle met fin au grief et lie les parties[143].

Conclusion

Le régime de relations de travail institué dans la LNH présente un intérêt théorique certain et comporte des pistes de réflexion qui mériteraient d’être explorées davantage, compte tenu des enjeux fondamentaux contemporains auquel doit actuellement faire face le droit du travail.

Ainsi, en raison de son particularisme, ce régime se distingue amplement des accords-cadres internationaux signés entre des fédérations syndicales internationales et des entreprises transnationales, bien que certaines convergences puissent être observées[144]. D’abord, il s’est construit sur une base volontaire, la LNH ayant accepté le caractère représentatif de l’AJLNH et négocié une convention collective déterminant les conditions de travail pour l’ensemble des joueurs de la LNH. Le régime institué précède en ce sens la législation nationale relative aux rapports collectifs du travail : celle-ci, dans sa normativité et son effectivité, n’englobe généralement pas la dimension transnationale des activités de la LNH et du rapport de travail joueurs-équipes, ni le caractère multipatronal qui transcende ledit régime. Or, les conditions de travail prévues dans la CBA doivent être respectées par les 30 équipes et les joueurs de la LNH. Négociées à l’échelle globale et non locale, elles constituent la référence obligatoire pour la négociation individualisée, entre l’équipe et le joueur. Tel est l’apport juridique dominant de ce véritable contrat collectif. Et si, dans l’ensemble, l’uniformisation des conditions de travail est recherchée, les règles concernant l’instauration d’un véritable plafond salarial, quant à elles, ont pour finalité l’harmonisation de la rémunération dans l’ensemble de la LNH. Enfin, un mécanisme privé d’arbitrage salarial et de grief a été aménagé, ce qui permet ainsi d’assurer le caractère obligatoire et exécutoire des prescriptions de la CBA.

En d’autres mots, les conditions de travail constatées dans la CBA sont le résultat net d’un processus avancé de négociation collective de caractère multipatronal. Les dispositions qu’elle renferme s’imposent contractuellement, c’est-à-dire intégralement et globalement, à une pluralité d’employeurs — les 30 équipes de la LNH — dans leurs relations avec certains salariés qu’elles emploient — les joueurs de la LNH — à l’oeuvre dans une industrie particulière — une ligue de sport professionnel — et qui exercent leurs activités à l’échelle nord-américaine — dans deux États distincts.

Évidemment, l’industrie du sport professionnel en Amérique du Nord est un monde en soi. Cependant, il nous reste à souhaiter, sans néanmoins nous faire trop d’illusions, que le modèle d’« autonomie collective » transaméricain (cet exemple édifiant de « pluralisme juridique »), que nous fournit le régime de relations de travail de la LNH puisse servir d’inspiration à d’autres industries désireuses elles aussi de porter bien haut le flambeau…