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Le droit français connaît trois formes légalisées de vie en couple qui, même si elles semblent se rapprocher, ont néanmoins un périmètre différent et se distinguent par leur nature juridique et les conséquences qui en résultent. Les couples heureux se passent de droit : peu importe la forme qu’ils empruntent, car chacun de ses membres a à coeur de compenser au profit de celui qui partage sa vie les inégalités ou les manques qui en résultent. De même, au moment de la rupture, la loyauté et la générosité peuvent faciliter une séparation rendue plus rapide et moins traumatisante par la contractualisation qui s’impose peu à peu à toutes les formes de vie en couple. Aussi, la sociologie invite à oublier qu’il y en a trois, porteuses de droits différents, et à les assimiler. Cependant, le droit doit être « l’armurier des innocents[1] » et prêter sa force aux sujets les plus faibles. Il importe donc pour le juriste de vérifier que la contractualisation des ruptures de couple assure toujours une protection suffisante à celui qui est délaissé et n’a pas pour conséquence de soumettre les plus faibles aux diktats des plus forts.

Le mariage est tout à la fois un contrat et une institution[2], ce qui le différencie du pacte civil de solidarité (PACS), contrat, et du concubinage, situation de fait. Contrairement à ces deux autres formes de vie en couple, le mariage change le statut inscrit à l’état civil, crée une famille formée de parents et d’alliés et présente une dimension publique. Le rapport du contrat et de l’institution au sein du mariage ne peut pas être pacifique, car la liberté contractuelle est, par nature, contraire au cadre contraignant que forge l’institution. Il existe donc entre les deux une tension permanente qu’attisent le PACS et le concubinage à l’heure où les libertés fondamentales remodèlent le droit des personnes en plaçant la volonté individuelle au coeur de l’organisation familiale et de sa rupture.

Le mariage en tant qu’institution ne peut être dissout du vivant des époux que par un divorce judiciaire, dans lequel il est possible de voir, selon la formule du doyen Carbonnier, un « démariage », soit un mariage à l’envers. Ses deux natures s’y affrontent en permanence. La loi Naquet du 27 juillet 1884[3] en rétablissant le divorce judiciaire pour faute avait affirmé la prééminence de l’institution. Avec la loi du 11 juillet 1975[4], l’accent a été mis, au contraire, sur sa nature contractuelle. Un choix riche de quatre causes de divorce dont un divorce sur requête conjointe[5] était proposé aux époux qui voulaient mettre un terme à leur union. Ce principe a été renforcé par la loi du 26 mai 2004[6] dont il a été dit qu’elle avait consacré un véritable droit au divorce. Tout époux peut, s’il le veut, mettre fin à son mariage. En effet, le divorce pour altération définitive du lien conjugal est acquis après deux années de séparation effective à compter de la date de l’assignation et sans conséquences particulières pour le demandeur, contrairement à ce qu’impliquait la formule antérieure du divorce pour rupture de la vie commune. La procédure de divorce par consentement mutuel est allégée. Enfin, les conséquences des divorces contentieux[7] sont totalement détachées de la cause de la rupture. Il ne sert à rien à la victime d’une faute imputable au conjoint d’entamer un long processus judiciaire dès lors que cette démonstration ne lui procure aucun avantage. Le divorce par consentement mutuel est ainsi favorisé, par la rapidité de sa procédure, d’une part, et par l’aménagement contractuel de ses conséquences d’autre part. L’analyse contractuelle du démariage par consentement mutuel est donc aujourd’hui « réellement crédible, puisqu’il s’agit du droit de rompre unilatéralement un contrat à durée indéterminée, conformément au principe civiliste traditionnel[8] ». Le démariage est ainsi confronté à la tentation de la privatisation (1).

Les autres ruptures de couple se présentent différemment. Le PACS peut être rompu d’un commun accord ou par décision unilatérale. Les partenaires disposent alors d’une totale liberté et procèdent eux-mêmes à la liquidation des droits et des obligations qui résultent de leur séparation[9]. Une liberté identique préside à la rupture du concubinage. Dans ces deux hypothèses, la contractualisation de la rupture s’impose comme la seule solution logique, celle qui correspond à la situation juridique de ceux qui se séparent. Cependant, comme le démariage révèle la nature profonde du mariage, la rupture des autres formes de vie en couple met en évidence les faiblesses de la contractualisation, faiblesses invisibles tant que le couple s’entend bien. Les limites et l’inadéquation de la technique contractuelle aux situations à résoudre se traduisent en violence et injustice. Paradoxalement, des voix s’élèvent pour demander plus de protection, plus de statut. Le PACS et le concubinage, à l’inverse du divorce, sont soumis à la tentation de l’institutionnalisation (2).

1 Le démariage ou la tentation de la privatisation

Le droit positif du divorce, s’il admet la liberté de divorcer, impose néanmoins l’homologation judiciaire des accords passés entre les époux pour régler les conséquences de leur rupture. En particulier dans le divorce par consentement mutuel, le juge ne prononce le divorce que s’il homologue la convention que doivent lui présenter les époux. Ainsi la tentation de la privatisation du divorce est-elle jugulée par l’homologation judiciaire qui l’encadre et qui rappelle que l’État est concerné par le mariage en tant qu’institution (1.1). Cependant, aux prises avec un contentieux familial particulièrement abondant puisqu’il représente, en volume, la moitié des procès civils, le gouvernement affiche son intention d’aller plus loin dans la contractualisation en déjudiciarisant totalement le divorce par consentement mutuel lorsque les époux n’ont pas d’enfant. Cette position n’est pas neuve : à l’occasion de la réforme du divorce par la loi du 26 mai 2004, elle avait déjà été envisagée. En décembre 2007, une nouvelle proposition de divorce « devant le notaire » a été formulée dans le contexte de la révision générale des politiques publiques[10]. La commission chargée de réfléchir à une nouvelle répartition du contentieux sous la présidence de M. le recteur Serge  Guinchard  a remis le 30 juin 2008 à Mme la Garde des Sceaux un rapport défavorable au transfert du divorce par consentement mutuel vers la profession notariale[11]. Pour autant, la tentation d’abandonner l’homologation judiciaire au profit d’un enregistrement administratif du divorce n’est pas écartée (1.2).

1.1 Une tentation jugulée en droit positif : l’homologation judiciaire

Dans toutes les causes de divorce, les époux peuvent soumettre à l’homologation du juge aux affaires familiales des conventions réglant tout ou partie des conséquences de leur divorce[12]. Dans le divorce par consentement mutuel, ils doivent, à peine de nullité, lui soumettre une convention qui en règle toutes les conséquences[13]. Dans cette cause, le divorce a pour socle l’intention commune de divorcer des époux. Ainsi, la rupture repose sur leur seule volonté. Cependant, le juge aux affaires familiales obligatoirement saisi doit procéder à une double vérification : d’une part, il doit s’assurer que la volonté de divorcer de chaque époux est réelle, libre et éclairée[14] ; d’autre part, il doit vérifier que la convention préserve suffisamment les intérêts des enfants ou les intérêts d’un époux. Il ne peut prononcer le divorce que s’il homologue la convention. Toutefois, le contrôle judiciaire peut sembler superficiel, et il est permis de s’interroger sur son rôle et sa nécessité.

Ainsi, le juge doit s’assurer que la volonté de divorcer de chaque époux est réelle et libre. Cependant, il ne pénètre guère dans l’intimité du couple qui se sépare. En effet, les époux n’ont aucune explication à lui fournir ni dans la convention ni au cours de l’unique entretien, souvent très rapide[15], qui précède le prononcé du divorce. Les audiences sont surchargées et le temps consacré par le juge aux affaires familiales à chaque dossier est minuté. Or, fréquemment, un des époux ne veut pas la rupture, mais s’y résigne. Il sait, en effet, que son refus ne fera pas obstacle au divorce que son conjoint peut toujours obtenir sur une autre cause. Il sait également qu’en dehors du divorce par consentement mutuel les conséquences de la rupture sont tranchées par le juge. Aussi, bien qu’il ne souhaite pas la fin de son mariage, il constate que son intérêt est de se résigner et qu’il n’a d’autre choix que d’accepter le divorce voulu par son conjoint. En acceptant une séparation de toute façon inéluctable, il peut en négocier les conséquences. La volonté de divorcer d’un des époux complétée par la résignation[16] de l’autre réalise le plus souvent ce qui est présenté comme l’intention commune de divorcer. En réalité, chacun l’aura compris, l’intervention judiciaire n’a pas pour objet de vérifier la réalité et la profondeur de l’adhésion des deux époux à la dissolution de leur union. Elle répond à une autre nécessité. Ce contrôle juridictionnel préalable et obligatoire confère à la décision gracieuse l’autorité de la chose jugée sur les points contrôlés[17]. Ainsi, le juge ayant admis que la volonté de chaque époux présentait les caractères requis, il sera ultérieurement impossible de la remettre en cause et de contester la détermination commune de divorcer. Ce contrôle rend ainsi le divorce incontestable.

Le juge contrôle également la convention de divorce que les époux doivent lui soumettre au moment de cet entretien. La rédaction de cette convention conforte le caractère contractuel de la rupture. Dans la majorité des cas, les époux ont pris le temps de négocier entre eux leur séparation, en ont mesuré toutes les conséquences et ont pu s’entourer des conseils de leur avocat commun ou de leurs avocats respectifs, de leur notaire, de leurs amis pour les résoudre. La convention est alors le fruit d’une négociation équilibrée. Cependant, ce n’est pas toujours le cas. Le juge ne peut refuser d’homologuer une convention dont les dispositions lui semblent injustes que si elle préserve insuffisamment les intérêts des enfants ou les intérêts d’un époux[18]. L’adverbe « insuffisamment[19] » fixe le critère unique et particulièrement vague du contrôle judiciaire. Il témoigne que l’égalité et l’équité ne sont pas exigées dans une convention qui peut être beaucoup plus favorable à l’un des époux qu’à l’autre. Le déséquilibre est admis. Il peut représenter le prix qu’accepte de payer celui qui veut sa liberté. Toutefois, il peut également être la traduction d’un rapport de force qui ne laisse aucune chance dans la négociation à l’époux le plus faible, intellectuellement le moins armé ou le plus sentimental. Le contrôle judiciaire ne joue donc pas le rôle protecteur qu’il serait possible d’en attendre. C’est un contrôle annoncé, qui doit inciter ceux qui divorcent à se comporter de manière loyale et conforme à ce que la société attend de deux époux[20]. Cependant, en lui-même le contrôle du contenu de la convention est superficiel, et il n’est pas demandé au juge de se livrer à des investigations plus sérieuses. En effet, avec quelle jauge ce dernier qui ignore le dessous des cartes pourrait-il mesurer, chaque dossier devant faire l’objet d’une appréciation concrète, le seuil tant patrimonial qu’extrapatrimonial à partir duquel la protection de chaque membre de la famille est suffisamment assurée ?

Obligatoire, l’intervention du juge démontre cependant qu’il est impossible de rompre un mariage comme cela se ferait dans le cas d’un PACS. Cette intervention est là principalement pour signer la spécificité de ce qui est rompu, pour affirmer la dimension institutionnelle du mariage et pour rappeler qu’il a une face privée et une face publique. D’une part, le juge, comme dans toute procédure judiciaire gracieuse, exerce un contrôle[21]. Et même si ce contrôle peut sembler léger, il a le mérite d’exister et d’avoir un sens en rappelant le caractère protecteur du mariage en tant qu’institution. Par sa seule existence, il impose en amont une limite aux excès que les époux pourraient être tentés de commettre dans la rédaction de leur convention. Parce que les époux veulent obtenir le divorce, ils rédigent leur convention de telle manière qu’elle ne suscite pas une réaction négative du juge lorsqu’elle lui est présentée. Il arrive néanmoins, rarement certes, que le juge, après en avoir pris connaissance, demande aux époux de modifier des dispositions à l’évidence inacceptables. D’autre part, le juge homologue cette convention. Ainsi, conformément au rôle reconnu au juge qui exerce une juridiction gracieuse, il ne se contente pas « de recevoir un acte de pur droit privé, comme le ferait un notaire, sans exercer un contrôle[22] ». Son contrôle débouche sur un véritable acte juridictionnel qui confère la force exécutoire au document contrôlé. Enfin, le juge aux affaires familiales exerce son imperium et prononce le divorce ; il dénoue ainsi les liens du mariage et, mettant fin à l’alliance, il confère à ceux qui étaient époux le statut de célibataire.

1.2 En droit prospectif, une tentation extrême : l’enregistrement administratif

Imaginer un divorce « administratif » n’est pas en soi une nouveauté. En particulier, il a été pratiqué en France pendant la période révolutionnaire : de manière symétrique au consentement initial donné au moment du mariage, les époux faisaient une déclaration que l’officier de l’état civil se contentait d’enregistrer[23]. À l’époque contemporaine, certaines législations étrangères ont retenu cette formule. En revanche, la proposition d’un divorce par consentement mutuel devant le notaire est beaucoup plus novatrice. Seuls deux pays ont opté pour ce système comme mode exclusif de démariage, excluant toute procédure judiciaire : la Colombie et Cuba[24].

A priori, le choix du notaire peut s’expliquer par le rôle que ce professionnel joue déjà dans la procédure de divorce par consentement mutuel. En application de l’article 1091 du Code de procédure civile, les notaires, qui sont des officiers publics et ministériels ayant le monopole de constater par acte authentique les actes juridiques des particuliers, interviennent très souvent pour dresser l’état liquidatif du régime matrimonial qui doit figurer dans la convention de divorce. Ils interviennent obligatoirement pour établir cet état liquidatif lorsque la liquidation comporte des biens soumis à publicité foncière. Cependant, leurs interventions actuelles n’ont rien à voir avec ce qui leur serait confié : l’enregistrement de la volonté de divorcer des époux. Passer du juge au notaire consiste à substituer à l’homologation actuellement requise un enregistrement de la volonté mutuelle des époux, ce qui change la nature du divorce et, par voie de conséquence, celle du mariage.

Actuellement, le divorce par consentement mutuel relève, en l’absence de litige, de la procédure gracieuse. Les notaires ne sont pas des organes juridictionnels. Leur confier le divorce par consentement mutuel procède d’un raisonnement simpliste qui consiste à déduire de l’absence de litige l’inutilité du juge. La déjudiciarisation proposée consiste donc à permettre au divorce par consentement mutuel d’échapper totalement au juge mais aussi, par voie de conséquence, au contrôle qu’il assure. Sans procédure, l’aide juridictionnelle n’aurait plus lieu d’être[25] et le temps consacré par les magistrats au traitement des divorces devrait être réduit. Cependant, nul ne peut ignorer les effets pervers de cette proposition censée permettre une meilleure maîtrise des dépenses publiques. Les époux seront alors incités à choisir un divorce contentieux, en particulier le divorce accepté, pour continuer à bénéficier de l’aide juridictionnelle. Surtout, ce n’est pas parce que les époux sont en apparence d’accord qu’il n’y a rien à contrôler. Un notaire n’a pas, à l’instar d’un juge, le pouvoir de contrôler en droit et en opportunité les qualités des consentements et le contenu de la convention de divorce à la rédaction de laquelle il peut et parfois doit participer. L’absence de tout contrôle favorisera donc la loi du plus fort. Rien n’interdira à un époux d’imposer à son conjoint plus fragile, moins combatif, des dispositions particulièrement désavantageuses. Un notaire peut pointer ces excès et en alerter ses clients, mais il n’a pas le pouvoir d’imposer aux époux l’adoption d’autres dispositions. Au mieux, il peut leur faire signer une décharge d’avis donné. Dès lors, il serait permis de craindre que l’éviction du juge aux affaires familiales, garant par sa fonction de la protection des époux et des enfants, favorise tous les excès et provoque une augmentation considérable du contentieux de l’après-divorce fondée sur les vices du consentement ou la lésion, et cela, d’autant plus que, s’il n’est pas possible de choisir son juge, un des époux pourra choisir son notaire et l’imposer à l’autre.

Principalement, cette évolution pose une dernière difficulté : le divorce ne sera plus prononcé par un pouvoir de l’État. Il résultera de l’enregistrement sur les registres de l’état civil de l’acte authentique constatant l’accord des époux dressé par le notaire. Le divorce sera donc totalement privatisé, relevant de la seule volonté des intéressés. Dès lors, pourquoi les époux devraient-ils, en affirmant qu’ils veulent divorcer, soumettre au notaire une convention réglant les conséquences de la dissolution de leur mariage puisque le notaire ne pourra pas contrôler son contenu ? Mariage et PACS, rompus d’un commun accord, seront alors très proches, traités tous les deux sur un mode contractuel laissant aux intéressés le soin de procéder eux-mêmes à la liquidation de leurs intérêts. La commission présidée par M. le recteur Guinchard a constaté que confier l’enregistrement du consentement mutuel à l’officier de l’état civil aurait l’avantage du parallélisme des formes, puisque cet officier public prononce le mariage, mais aboutirait à la même privatisation du divorce. En effet, ni l’officier de l’état civil ni le notaire n’ont le pouvoir de contrôler la volonté de divorcer des époux : ils ne peuvent que l’enregistrer. Dans ces deux hypothèses, le mariage, devenu simple contrat, prendrait fin par une rupture à l’amiable, sur la seule déclaration mutuelle des intéressés. La privatisation du divorce se traduirait par la rupture, faute d’homologation, du lien indéfectible qui rattache aujourd’hui l’homologation de la convention de divorce à son prononcé.

Le démariage devant le notaire, par la totale privatisation qu’il implique, signe la mort du caractère institutionnel du mariage. Aussi, la commission présidée par M. le recteur Guinchard conclut ainsi son étude sur cette question : « Supprimer le juge dans le divorce par consentement mutuel c’est également rapprocher le mariage d’un contrat ordinaire ; c’est donc changer de modèle de société. Et cela, seul le législateur peut le faire[26]. » Le divorce sans juge n’est donc pas impossible si le législateur le veut. Tôt ou tard, placé devant l’extension des droits fondamentaux et l’individualisme qu’ils imposent, il sera saisi de la question de savoir ce qui justifie que l’État soit partie prenante et donne, en les instituant, une dimension publique à des relations sexuelles. La privatisation extrême du divorce pourra le tenter, en dépit des conséquences qui ont été pointées. Toutefois, la déjudiciarisation n’est envisagée à l’heure actuelle que pour les couples sans enfants. Ce choix est présenté comme impératif et est justifié par l’idée qu’un couple qui se sépare pourrait adopter des dispositions contraires à l’intérêt de ses enfants ; c’est pourquoi il est affirmé que le contrôle judiciaire doit être conservé lorsque le couple en a. Si les adultes peuvent se nuire, il est inacceptable qu’ils nuisent à leurs enfants. Cette restriction n’est pas logique. D’une part, en droit positif, il n’est pas permis d’imposer aux partenaires et aux concubins qui ont des enfants communs de passer obligatoirement devant un juge lorsqu’ils se séparent. Dans de nombreux cas, leurs accords relatifs aux enfants ne sont jamais soumis au juge aux affaires familiales pour homologation. D’autre part, il est difficile d’admettre que le mariage change de nature, contrat et institution ou contrat seulement, selon qu’il est fécond ou non. Il est donc vraisemblable que, une fois admis le principe de la privatisation du divorce par consentement mutuel pour les couples sans enfant, cette formule s’étendra inexorablement.

2 La rupture des autres formes de vie en couple ou la tentation de l’institutionnalisation

Pour beaucoup, vivre ensemble ou vivre mariés, c’est pareil. Il est vrai que l’entente qui règne au sein du couple masque l’absence de statut[27]. Cependant, le partenaire ou le concubin après la rupture n’est pas, contrairement à l’époux, un divorcé. L’absence de vocabulaire pour désigner sa nouvelle situation est significative : elle révèle que son statut juridique n’est pas modifié même si la situation de fait a changé. En couple ou séparés, concubins et partenaires sont des célibataires. Le conflit et la rupture des amants jouent dès lors comme un révélateur de leur situation en droit. Le contrat — qui est classiquement la technique juridique des rapports économiques entre contractants libres et égaux — se révèle inadapté lorsqu’il est mis au service de relations patrimoniales et extrapatrimoniales faites d’indifférence et d’égoïsme pour les uns, de rancoeur et d’affection bafouée pour les autres. Le législateur n’a cependant pas prévu d’autres modalités que la contractualisation de la séparation. Celle-ci se révèle particulièrement insuffisante pour gérer les rapports de force (2.1) et les rapports économiques (2.2), car elle permet à celui qui a une position privilégiée — parce qu’il est le plus fort, le moins sensible aux affects ou simplement économiquement favorisé — de dicter sa loi soit en imposant un accord défavorable à l’autre qui n’a pas les moyens de le refuser, soit en refusant le moindre accord, ce qui laisse le plus faible sans recours. Ce constat conduit à souhaiter une institutionnalisation minimale de la rupture des couples qui ont pourtant choisi la voie non institutionnelle.

2.1 L’insuffisance de la contractualisation de la rupture confrontée aux rapports de force

Pour qu’il y ait contractualisation de la rupture et de ses conséquences, il faut impérativement que ceux qui se séparent aient en commun la volonté de s’entendre. La nécessité première d’un accord est d’autant moins acquise que chacun des intéressés sait qu’à défaut le recours au juge est impossible : il n’existe pas de dissolution judiciaire du PACS ni, a fortiori, du concubinage. Celui qui est en position de force peut ainsi être tenté d’imposer unilatéralement une rupture dont il fixe les conséquences. Le PACS comme le concubinage le permettent. Si l’entrée dans le PACS impose la rédaction d’un contrat organisant la vie commune du couple[28], ce contrat peut ne comporter aucune disposition applicable à la rupture. En outre, la séparation peut soit procéder d’un commun accord, soit être imposée de manière unilatérale par une signification d’huissier faite à l’autre partenaire[29]. Il incombe aux partenaires de procéder eux-mêmes à la liquidation de ce qu’ils ont mis en commun[30]. La loi du 23 juin 2006[31], en privilégiant la séparation des biens des concubins, a rendu plus facile la liquidation à l’amiable des droits de chacun. En cas de désaccord sur cette liquidation, le juge de droit commun — juge de proximité, juge d’instance ou tribunal de grande instance en fonction du montant de la demande — doit trancher la contestation dont il est saisi en respectant les règles de preuve des obligations[32]. Quant au concubinage, situation par définition inorganisée, il ne comporte aucun aménagement contractuel préalable. Rien, cependant, n’interdit à un concubin de s’engager sur un point précis, au cours de la vie commune ou au moment de la rupture[33]. L’absence de conventions rédigées à l’avance et de recours judiciaire favorise la rupture brutale du PACS et du concubinage.

Le rapport de force peut prendre la forme de l’éviction brutale du domicile commun de celui avec qui le partenaire ne veut plus vivre[34]. Il suffit parfois de changer les serrures en son absence. Le logement où vit le couple marié est protégé par l’article 215 du Code civil, indépendamment du titre d’occupation, propriété commune du couple, propriété d’un époux ou location. Un des époux, même propriétaire, ne peut disposer sans l’accord de l’autre des droits par lesquels sont assurés le logement de la famille et les meubles meublants dont il est garni. Pour éviter tout acte de disposition intempestif, l’époux menacé peut saisir le juge aux affaires familiales qui prend toutes les mesures urgentes qui s’imposent[35]. Enfin, dans le contexte de la procédure de divorce, le logement familial est attribué au titre des mesures provisoires à un des époux moyennant ou non une indemnité d’occupation fixée dans l’ordonnance de non conciliation. Aucune de ces dispositions du régime primaire qui participe au statut des époux n’est applicable aux partenaires et aux concubins.

Même si les partenaires se sont engagés par contrat à avoir une vie commune, ils ne disposent pas d’un logement familial, protégé en tant que tel. Soit leur logement est indivis, s’ils en ont fait ensemble l’acquisition, soit il est loué par l’un d’eux[36] ou est un bien propre. Si le logement est indivis, ce n’est pas le titre de partenaire qui peut protéger contre l’éviction brutale mais celui de gérant de l’indivision[37]. En cette qualité, le partenaire évincé peut en théorie saisir le président du tribunal de grande instance afin d’obtenir les mesures urgentes dès lors qu’elles sont utiles aux intérêts communs[38]. Cependant, est-il possible de considérer que la réintégration du partenaire évincé est utile aux intérêts de l’indivision ? Le partenaire qui n’a pas la qualité de locataire ne peut pas s’opposer au congé donné par l’autre. Au mieux, il peut s’adresser au juge de droit commun pour obtenir réparation du préjudice subi en raison du non-respect de l’engagement d’avoir une vie commune. Le concubin est encore plus mal protégé. Menacé d’être chassé du logement qui appartient en propre à l’autre, il peut s’entendre dire par le juge : « Mme Y [la concubine propriétaire] est fondée à s’opposer au maintien du défendeur dans son habitation. Il convient d’ordonner l’expulsion de M. X [le concubin, père de l’enfant de Mme Y], occupant sans droit ni titre[39]. » Aucun engagement n’impose en effet aux concubins de vivre ensemble.

Le rapport de force peut s’exprimer dans un recours à la violence qui exclut l’idée même de contractualisation de la rupture. L’importance croissante du nombre de cas de violence intraconjugale a incité le législateur à intervenir à plusieurs reprises. La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs[40] comporte un volet pénal et un volet civil. En application des articles 222-8 à 222-13 du Code pénal, la sanction des violences est toujours aggravée quand celles-ci sont commises par le conjoint, le concubin ou le partenaire. Le droit pénal ne procède à aucune différence de traitement selon la nature du lien, de droit ou de fait, qui rattache l’auteur à la victime[41]. En revanche, le volet civil ne protège que le conjoint, car la protection qui lui est reconnue passe par le logement familial. L’article 220-1 du Code civil autorise le juge aux affaires familiales à statuer en référé sur la résidence séparée des époux en précisant qui des deux continuera à résider dans le logement conjugal. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences. Ces dispositions ne peuvent pas s’appliquer à la concubine victime des actes de violence de la part de son concubin[42]. Ainsi, le partenaire ou le concubin maltraité ne peut échapper aux coups qu’en quittant le lieu où il vit, en abandonnant son environnement, ce qui rend sa situation de victime encore plus difficile à vivre… ce qui l’amène à être toujours plus vulnérable aux pressions exercées par l’autre.

2.2 L’insuffisance de la contractualisation de la rupture confrontée aux rapports économiques

La contractualisation de la rupture achoppe souvent sur la question des rapports économiques. Il n’y a ni régime matrimonial ni prestation compensatoire entre les partenaires ou entre les concubins. Même si les partenaires s’engagent à une aide matérielle, leurs obligations économiques réciproques ne valent qu’autant que dure le PACS. À la rupture, succède le régime de chacun pour soi. Le PACS protège plus les tiers qui bénéficient d’une solidarité passive des partenaires à l’égard des dettes contractées pour les besoins de la vie courante. Les concubins ne se doivent rien ni pendant ni après le concubinage : chacun doit supporter les dépenses qu’il a engagées[43]. Cependant, la réalité économique de ces couples ne colle pas parfaitement à la théorie. La vie quotidienne partagée entraîne une mise en commun de fait plus ou moins importante des ressources. Une égalisation des trains de vie s’opère peu à peu du seul fait de vivre sous le même toit et les ressources de chacun se mêlent à celles de l’autre.

Un partenaire ou un concubin évincé peut, au lendemain d’une vie commune cossue, car largement assumée par l’autre membre du couple, être privé de ressources. Sa situation est désastreuse en l’absence de toute prestation compensatoire. À quoi peut-il prétendre, à quel juge s’adresser ? Le fait de rompre un concubinage ou un PACS correspond à l’exercice d’une liberté et n’est pas en soi fautif. Toutefois, la jurisprudence a admis que le fait de rompre après avoir interdit à sa concubine de travailler et s’être engagé à subvenir à ses besoins constituait une faute, justifiant l’octroi de dommages-intérêts[44]. Dans ce cas, ce n’est pas la situation économique du concubin abandonné qui est prise en considération, mais l’inconséquence fautive qui consiste à imposer à ce dernier une totale dépendance économique puis de rompre sans en tenir compte. Aussi, les dommages-intérêts alloués ne compensent jamais les points de retraite perdus par celle qui a cru dans la parole donnée.

Plus généralement, un contentieux abondant aborde la question du partage des richesses de l’un auxquelles l’autre a participé pendant la vie commune. Placés devant l’injustice de ces situations, les tribunaux ont forgé deux armes plus ou moins efficaces pour éviter qu’un concubin soit complètement exploité par l’autre ; celles-ci pourraient également être utilisées par un partenaire. Il s’agit de la société créée de fait et de l’enrichissement sans cause. La notion de société créée de fait implique la réunion de trois conditions, soit l’existence d’apports, l’intention de collaborer sur un pied d’égalité à un projet commun — l’affectio societatis — et enfin la participation aux bénéfices et aux pertes. Une jurisprudence antérieure fluctuante, tantôt laxiste, tantôt rigoureuse, a conduit la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 23 juin 2004, à rappeler avec vigueur que ces trois éléments sont cumulatifs et doivent être établis séparément. Les juges ne peuvent pas les déduire l’un de l’autre[45]. En outre, la communauté de vie ne suffit pas à établir l’intention de mettre en commun des biens[46]. Cette position stricte a considérablement réduit les hypothèses où la société créée de fait peut être admise[47]. La notion d’enrichissement sans cause est également appliquée par les tribunaux de manière restrictive. Une contribution même importante et bénévole à la vie commune n’est pas sans cause. Seule une intervention exceptionnelle — qui réellement enrichit l’un et appauvrit l’autre en se distinguant de la participation aux dépenses communes — justifie un remboursement fondé sur l’action de in rem verso[48].

Les juges du fond, très sollicités pour compenser l’absence de prestation compensatoire, cèdent parfois en admettant l’existence d’une obligation naturelle, soit le devoir de conscience de réparer le dommage matériel causé par la rupture, transformée en obligation civile[49]. Ils admettent même l’existence de cette obligation naturelle en l’absence de tout commencement d’exécution[50]. Ils ont retenu, ce qui est aussi juridiquement douteux, l’existence d’une obligation alimentaire pour justifier l’engagement du concubin de subvenir au coût du placement dans une maison de retraite de celle qui avait été pendant 40 ans sa concubine[51]. Par des motivations peu rigoureuses, les magistrats tentent donc de rétablir, au moment de la rupture du concubinage, une équité que son règlement contractuel n’assure pas et ne permet pas d’imposer. C’est pourquoi le législateur est aujourd’hui sollicité pour penser la judiciarisation du PACS[52]. La loi est appelée pour pallier les insuffisances du contrat[53].

M. Supiot affirme que « [l]e contractualisme déconstruit le Droit », en abolissant les différences et les limites[54]. La contractualisation de leur rupture par les couples témoigne de la justesse et de la clairvoyance de cette analyse. Les statuts, source de différences juridiques, sont arasés : la rupture du mariage est peu à peu traitée comme les situations contractuelles de concubins et de partenaires. Déjà l’institution matrimoniale, menacée de disparaître au terme de cette évolution, ne joue plus le rôle protecteur que beaucoup en attendent. Il y a privatisation des règles applicables au divorce. Chaque époux est censé définir ce qui lui convient — c’est-à-dire son intérêt personnel — afin de participer à l’élaboration de la convention qui gère les conséquences de la dissolution du mariage. Cependant, en pratique, acquiescer à la proposition de l’autre est assimilé à un consentement sans réserve. Dès lors, ceux qui se séparent ne jouent pas à égalité le jeu de la satisfaction de son propre intérêt. Ce constat est commun au divorce et aux ruptures de PACS et de concubinage. La situation est même aggravée dans ces dernières hypothèses par l’absence de recours au juge. Dès lors, la contractualisation soumet d’autant plus le faible au fort que les rapports affectifs et familiaux ne sont pas d’essence égalitaire, à la différence des relations contractuelles classiques. Domination, pressions, égoïsme et mépris de l’autre engendrent violence familiale, paupérisation et mal-être. Humainement et socialement, la protection de la partie la plus faible doit imposer de prendre acte de cette inégalité de fait entre les « contractants » époux, partenaires ou concubins pour y remédier au moment de la rupture, moment où l’être fragile devient encore plus vulnérable. Il faut, à l’instar de ce qui a été fait en droit du travail ou en droit de la consommation, imaginer des règles dérogatoires pour rétablir un minimum d’équité au sein du couple qui se sépare[55]. Comme le droit du travail ou le droit de la consommation qui ont évolué pour tenir compte de l’inégalité inhérente aux rapports contractuels qu’ils encadrent, il faut qu’un droit civil commun de la rupture vienne limiter la toute-puissance de la volonté individuelle ou le consentement des faibles à leur domination. Car seule la loi permet d’« assujettir le bon plaisir des plus forts à quelque chose de plus fort qu’eux, qui s’impose à tous et évite que la société des hommes ne se transforme en jungle[56] ».