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Beaucoup de plantes génétiquement modifiées ont été développées au cours des dernières années. Quatre d’entre elles (soja, maïs, coton et colza) sont aujourd’hui largement cultivées, principalement en Amérique. Pourtant, le scepticisme est présent dans la doctrine scientifique et dans le grand public, notamment en ce qui concerne l’autorisation à la modification génétique de plantes et d’animaux pour l’alimentation animale ou humaine. Un projet commercial avancé concerne, entre autres choses, le traitement génétique de diverses espèces de poissons, plus faciles à transformer génétiquement pour deux raisons : leur conception et leur croissance ont lieu dans l’eau et de nombreux oeufs sont facilement accessibles. Dans ce contexte, les saumons dopés génétiquement à l’hormone de croissance[1] représentent de nos jours un cas important, parmi les organismes génétiquement modifiés (OGM) chez les animaux, qui se trouve en attente d’une autorisation de commercialisation à grande échelle.

Les objectifs de l’élevage de poissons par modification génétique sont multiples, en particulier la croissance très rapide des espèces (p. 18-19)[2] et l’acquisition d’une résistance au froid et aux maladies (p. 21-24)[3] ; par conséquent, les producteurs visent la rentabilité de l’élevage lui-même et une augmentation de la consommation du produit alimentaire. Cependant, des risques pour la santé animale, pour la santé humaine et, en général, pour l’écosystème sont à craindre. À ce dernier propos, les réticences de la communauté internationale (élargissement des applications du génie génétique en aquaculture versus atteinte à la biodiversité ; augmentation de la productivité versus risques d’hybridation) nourrissent le débat bioéthique.

Le thème de la modification génétique des espèces de production halieutique, qui a dernièrement rouvert le questionnement général en matière de dissémination et de traçabilité des OGM, a déjà été abordé par les scientifiques durant les années 90. Il suffit de rappeler que, déjà en 1996, la société Aqua Bounty Farms inc. avait déposé un brevet pour un saumon transgénique (p. 38 et 39)[4]. En 1999, une recherche menée par des génétistes montrait en simulation informatique les effets de la fuite de quelques poissons japonais « medekas » transgéniques sur les populations sauvages. Les chercheurs soulignaient ainsi la propagation de la progéniture transgénique et le risque de disparition de la moitié de la population sauvage au bout de cinq générations[5].

À partir de tous ces constats, Marie-Ève Couture-Ménard se questionne sur le rapport entre le marché des salmonidés d’aquaculture et les applications biotechnologiques, ainsi qu’à propos des profils juridiques, de législation et éthiques qui, désormais, s’imposent à ce sujet. De cette manière, elle « vise à clarifier le rôle des acteurs impliqués dans la problématique du saumon transgénique ainsi qu’à identifier et à vérifier l’adéquacité des législations canadiennes applicables » (p. 10).

Présenté en 2006 comme mémoire de maîtrise[6], l’ouvrage développe, après une introduction d’ordre général, trois thèmes principaux : la protection de la santé du saumon (p. 41-102), la protection de l’environnement (p. 103-148) et la protection de la santé humaine (p. 149-191). L’auteure veut mettre en lumière le fait que la préoccupation, l’expertise et le pouvoir sont des voies, différentes, complémentaires et parfois conflictuelles, d’encadrement du risque (cf. p. 10).

Après avoir proposé une recognition des effets de la transgénèse sur la morphologie et le comportement des saumons (p. 11-40), l’auteure s’attache d’abord au bien-être du saumon transgénique. Tout en précisant le fait que, « [d]epuis la première loi britannique protégeant le bétail et les animaux domestiques, le bien-être des animaux n’a cessé de croître en importance dans la société occidentale » (p. 47), Couture-Ménard se questionne par rapport à l’applicabilité du cadre normatif canadien existant au sujet de l’élevage des animaux : la voie qui consiste à protéger l’animal, sa santé et son bien-être serait ainsi garantie. L’auteure investigue alors et décrit minutieusement trois « avenues législatives » permettant la veille et le suivi des effets de la transgénèse sur l’espèce elle-même : a) le recours aux directives du Conseil canadien de protection des animaux (p. 48-62)[7] ; b) l’application de la Loi sur la santé des animaux[8] par l’entremise opérationnelle de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui garantit à présent son expertise scientifique et juridique (p. 62-90) ; c) l’application de la Loi sur les pêches[9], donc la mise en oeuvre du mandat attribué au ministère des Pêches et des Océans (MPO) (p. 90-98)[10]. Après avoir tracé un véritable excursus normatif, ayant parfois la prétention d’une analyse sémantique qui n’est pourtant pas approfondie, l’auteure conclut cette première tranche descriptive en soulignant, d’un côté, qu’aucune des pistes ne se révèle concluante à elle seule et, de l’autre, que le sujet du bien-être animal n’est quand même pas négligé par le cadre normatif canadien. De plus, bien qu’un vide juridique et réglementaire demeure en ce qui a trait aux animaux transgéniques, cela n’empêche pas une prise de position opérationnelle de l’expertise.

Couture-Ménard dévoile subséquemment les « risques environnementaux occasionnés par le saumon transgénique » et les répartit entre les deux catégories des risques liés à l’impact des saumons transgéniques échappés de bassins piscicoles sur les populations sauvages[11], d’une part, et aux risques pour les écosystèmes, d’autre part (p. 103)[12].

En ce qui concerne la première catégorie, l’auteure fait ressortir que l’élevage dans des parcs en pleine mer comporte un risque d’échappée non négligeable[13]. Si, aux États-Unis, la solution envisagée par la Food and Drug Administration (FDA) consiste à garder les reproducteurs dans des fermes isolées dans les terres, et à traiter par choc hyperbare les oeufs obtenus, afin de les rendre stériles[14], au Canada des politiques pour la conservation du saumon sauvage du Pacifique (2005)[15] et de l’Atlantique (2007)[16] ont été adoptées. En outre, une expertise tripartite MPO/Santé Canada/Environnement Canada comble les lacunes existant à la fois dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)[17] et dans le Règlement sur les renseignements concernant les substances nouvelles (substances chimiques et polymères)[18] en contribuant « à l’élaboration d’une réglementation spécifique aux animaux aquatiques issus de la biotechnologie qui sera possiblement adoptée en vertu de la Loi sur les pêches » (p. 146) et qui devrait accorder au MPO le pouvoir d’administration d’« un règlement assurant une protection complète de l’environnement advenant l’élevage de saumon transgénique » (p. 144). Néanmoins, tout en adoptant une approche critique et en prenant en considération l’article 43 (b) de la Loi sur les pêches[19], l’auteure souligne ses doutes quant au caractère probable de cette prospective.

Le travail de recognition et analytique proposé se termine par la vérification du cadre normatif existant au Canada par rapport aux enjeux liés à la protection de la santé humaine. Une lecture croisée de quatre lois, c’est-à-dire la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), la Loi sur les aliments et drogues[20], la Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation[21] de même que la Loi sur l’inspection du poisson[22], montre que des vides normatifs existent, notamment en ce qui concerne le processus d’évaluation du saumon transgénique pour son introduction sur le marché et en matière de sécurité sanitaire après sa mise sur le marché. De plus, bien que des mesures de surveillance traditionnelles soient parfois adaptables, une certaine incertitude demeure en matière réglementaire.

Cela dit, Couture-Ménard met en lumière le fait que « l’utilisation du génie génétique dans le domaine de l’aquaculture et, plus globalement, dans celui de la production alimentaire, est une préoccupation internationale » et souligne qu’« il serait particulièrement pertinent de se pencher sur l’encadrement normatif du saumon d’élevage transgénique aux États-Unis » (p. 199).

L’ouvrage a le mérite de lancer le débat sur un thème où les écrits abondent, mais qui a peu été exploré de façon spécifique. Et la spécificité peut, en la matière, coïncider avec une espèce animale, voire un produit particulier de consommation alimentaire, comme c’est le cas du saumon modifié génétiquement.

Le travail de l’auteure, précis à la fois dans la considération du droit existant au niveau national et pour l’organisation des sources normatives, réglementaires, de doctrine et journalistiques, oublie pourtant de prendre en considération de manière plus approfondie le côté – du reste annoncé dans la préface – des préoccupations éthiques. Par exemple, l’auteure aurait pu mieux affirmer qu’aucune étude à long terme sur les risques sanitaires et toxicologiques liés à la consommation d’OGM n’existe encore, ce qui, dans les faits, a conduit l’Union européenne à l’application du principe de la précaution, à l’étiquetage et à la traçabilité obligatoire sur l’ensemble des produits alimentaires ainsi qu’à l’interdiction absolue du brevetage du vivant.

Dans son ouvrage, l’auteure n’a pas fait référence au moratoire qui caractérise encore beaucoup de pays sur toute importation d’OGM, ni aux lacunes éthiques persistantes au coeur du mandat de protection de la santé publique. Certes, elle a considéré les enjeux juridiques et structurels du sujet, mais il aurait au moins été souhaitable d’aider le lecteur dans son processus de réflexion et d’approfondissement personnels à cet égard.