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En droit québécois, l’admission de l’autonomie de la volonté pour la détermination de la loi applicable à la succession internationale pourrait trouver sa première justification dans le principe de la liberté de tester qui domine la matière en droit interne. Or, la liberté de choisir la loi successorale s’estompe devant certaines règles protectrices des proches parents du défunt, alors qu’en droit matériel la liberté de disposition du testateur ne trouve aucune limite directe motivée par des considérations familiales. Il en résulte une divergence des conceptions de l’autonomie de la volonté dans le domaine des successions entre le droit international privé et le droit interne au Québec.

Placée sous un regard comparatiste, la problématique devient d’actualité dans un contexte caractérisé par l’essor du principe de l’autonomie de la volonté comme instrument privilégié d’anticipation successorale, tel qu’en témoigne le Règlement no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen[1], qui ne prévoit pas une telle limite au choix de loi, sous réserve de l’exception d’ordre public international.

L’originalité du choix de loi en vertu du Code civil du Québec découle de son aptitude à satisfaire au principe de l’unité dans le règlement d’une succession internationale. En effet, l’élection d’une loi pour régir l’ensemble de la succession devient un instrument permettant d’échapper aux inconvénients du système scissionniste qui soumet la transmission à des lois différentes dépendant du caractère meuble ou immeuble des biens. Nous estimons dès lors pertinent d’aborder l’impact des mesures de protection familiale susceptibles de mettre en échec l’objectif de l’unité de la succession et l’autonomie de la volonté en droit international privé québécois. À l’aide du droit comparé, nous fournirons quelques illustrations des règles protectrices de la famille qui prévalent sur l’ordre juridique désigné au moyen d’une professio juris, et nous analyserons de façon critique la portée de ces restrictions sur le principe de l’autonomie de la volonté conflictuelle en matière successorale. 

Notre étude portera successivement : sur les systèmes de détermination de la loi applicable à une succession internationale et sur la place réservée à l’autonomie de la volonté par la règle de conflit successorale au Québec (partie 1) ; sur l’identification des règles ayant vocation à s’appliquer au détriment de la loi choisie par le testateur et sur leur articulation avec celle-ci (partie 2) ; et, finalement, sur l’effet dérogatoire de ces règles à l’égard du choix de la loi applicable à la succession (partie 3).

1 La loi applicable à la succession et la position du Code civil du Québec

La question de la loi applicable à la succession comportant une dimension internationale divise les systèmes législatifs autour de deux grands principes : d’une part, celui qui préconise l’unité dans le traitement du patrimoine successoral ; d’autre part, celui qui commande la scission du patrimoine en deux masses selon la nature immobilière ou mobilière des biens.

1.1 Les systèmes unitaire et scissionniste

Le système unitaire est présenté comme une extension du principe de l’unité successorale de droit interne, tirant sa source de la conception romaine de l’héritier en tant que continuateur de la personnalité juridique du défunt, successeur universel et responsable du passif de la succession ultra vires hereditatis. La conséquence en droit international privé serait de soumettre l’entier règlement de la succession à l’emprise d’une loi unique fondée sur un rattachement personnel (soit la nationalité, le dernier domicile ou la dernière résidence habituelle du défunt)[2].

Par contre, dans les pays qui ont adopté le système de la succession aux biens, une pluralité de lois a vocation à régir la transmission successorale du patrimoine. Les biens immeubles seront assujettis à la loi de l’État de leur situation, tandis que les biens meubles seront généralement régis par la loi de l’État du dernier domicile du défunt.

Le système unitaire a été accueilli par le mouvement codificateur de la seconde moitié du xixe siècle en Europe, inspiré de la doctrine de Mancini, qui préconisait le rattachement de la matière successorale à la loi nationale régissant le statut personnel[3]. Quant au système scissionniste, son fondement historique s’explique par le régime féodal organisé autour de la terre comme pierre angulaire des rapports juridiques familiaux, économiques et sociaux. L’immeuble était alors nécessairement régi par la « coutume de la terre[4] », « the law of the land[5] », seule loi apte à garantir la cohésion juridique du territoire. Le Code Napoléon se situe dans le prolongement de la tradition dualiste[6], et la scission territoriale se répand par son influence dans plusieurs États civilistes[7]. Les États appartenant à la famille de la common law suivent également l’approche scissionniste, dans sa conception territoriale et fonctionnelle.

En présence d’un système scissionniste, la diversité des lois successorales applicables entraîne des difficultés pratiques importantes. La loi régissant les biens meubles, et celle(s) régissant les biens immeubles détermineront de façon indépendante les règles à appliquer pour la transmission de chaque masse séparée de biens.

La pluralité de lois applicables conduit nécessairement à une multiplicité de solutions difficilement conciliables sur le plan matériel. Voyons l’exemple d’un testateur français ayant son dernier domicile en Angleterre qui possède un immeuble en Angleterre et un immeuble en France. Voulant traiter équitablement ses deux enfants dans son testament, il désigne sa fille légataire de son immeuble anglais, et son fils légataire de son immeuble en France. Au décès, la succession sur l’immeuble français étant gouvernée par le Code civil français, la fille pourrait réclamer sa part réservataire sur ce bien, alors que le fils se verrait empêché de faire pareille réclamation à l’égard de l’immeuble en Angleterre, le droit des successions anglais ne prévoyant pas de système équivalent à la réserve héréditaire française. D’où l’iniquité successorale que le testateur voulait précisément éviter.

Outre la scission territoriale qui résulte d’une pluralité de lois applicables à la transmission du patrimoine héréditaire divisé en fonction de la nature mobilière ou immobilière des biens, les États de common law connaissent la scission fonctionnelle. Ce dernier phénomène se traduit dans l’application de lois différentes à plusieurs aspects ou opérations du règlement successoral sur le même bien ou groupe de biens[8]. La division de compétences législatives se produirait cette fois-ci entre la dévolution et l’administration de la succession.

La conception anglo-américaine de la succession exige l’intervention d’un personal representative habilité judiciairement pour administrer les biens de la succession et distribuer le solde de l’actif aux héritiers. Pour être considéré comme executor ou administrator sur les biens situés dans le ressort territorial du for, il est impératif d’avoir obtenu cette investiture par l’autorité locale, au moyen d’un grant of probate (dans la succession testamentaire) ou d’un grant of letters of administration (dans la succession ab intestat).

La doctrine anglo-saxonne distingue entre, d’une part, les rules of succession, qui gouvernent la détermination des héritiers et de leurs parts respectives dans le résidu des biens successoraux après le paiement des dettes, ainsi que la validité formelle et substantielle des testaments ; et, d’autre part, les rules of administration, qui concernent les opérations de liquidation du passif de la succession et les pouvoirs du personal representative à l’égard des biens héréditaires[9]. Alors que les premières relèvent de la loi successorale désignée conformément au rattachement scissionniste expliqué plus haut, les dernières sont qualifiées comme une question de procédure soumise à la lex fori[10].

1.2 Le choix de la loi applicable à la succession en droit international privé québécois : un pas timide vers le système unitaire

Le Code civil du Québec suit la tradition française qui rattache la succession au statut réel fondé sur le principe de la territorialité des biens (art. 3098). Le principe de l’unité dans le traitement de la succession internationale préconisé par la Convention du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort[11] a pourtant séduit le Québec, qui a trouvé dans le choix de la loi applicable par le testateur la façon de réussir à placer l’ensemble du patrimoine successoral sous l’égide d’une loi unique.

Dérogeant au rattachement objectif scissionniste en matière successorale, la professio juris a été adoptée par le nouveau Code civil du Québec à l’article 3098 al. 2[12] afin d’accorder au testateur un certain degré d’autonomie dans la planification de sa succession et d’introduire un facteur de flexibilité dans le règlement successoral. La disposition permet au testateur de désigner la loi applicable à la succession parmi les lois suivantes : pour régir l’ensemble de sa succession, 1) celle correspondant à l’État de sa nationalité au moment de la désignation ; 2) celle correspondant à l’État de son domicile au moment de la désignation ; 3) celle correspondant à l’État de sa nationalité au moment de son décès ; 4) celle correspondant à l’État de son domicile au moment de son décès ; pour régir la succession sur des biens immeubles en les soustrayant à l’application de la loi désignée pour le reste, 5) celle(s) correspondant à l’État de leur situation.

Nous n’examinerons pas les conditions d’application de la professio juris en droit international privé québécois, cette question ayant fait l’objet d’une étude monographique récente[13]. Notre analyse portera sur les mesures de protection familiale comme exception à l’efficacité de la professio juris québécoise prévue par l’article 3099 al. 1 C.c.Q.[14].

En tant que moyen de déroger à la séparation par masses selon la nature mobilière ou immobilière des biens successoraux, la professio juris est pour le Québec un mécanisme exceptionnel. Il s’agit d’un instrument fragile au service de l’unité successorale, en ce sens que la faculté d’option de loi est doublement limitée. D’une part, la professio juris est sans effet dans la mesure où la loi choisie prive dans une proportion importante le conjoint ou un enfant du défunt des droits successoraux assurés par la loi objectivement applicable. D’autre part, elle est également dépourvue d’effets dans la mesure de l’atteinte aux « régimes successoraux particuliers » prévus par la loi de l’État de situation des biens. En outre, la possibilité de choix partiel en faveur de la loi de situation des immeubles contribue à la fragilité flagrante de la professio juris comme mécanisme orienté vers l’unité successorale[15]. Ce faisant, le législateur québécois inverse la logique de la Convention du 1er août 1989 en consacrant comme exception ce que celle-ci élève au rang de principe général : l’unité de la loi applicable à la succession.

Les deux limites à la liberté d’élection mentionnées ci-dessus répondent à des fondements différents. Dans le premier cas (art. 3099 al. 1 C.c.Q.), il s’agit d’une version modifiée de la formule protectrice des droits héréditaires des proches parents du de cujus introduite par l’article 24 (1) d) de la Convention[16] comme tempérament au choix de loi permis à son article 5. Au moyen d’une réserve, la Convention offrait la possibilité aux États d’éviter le contournement par le testateur du devoir de solidarité familiale lui incombant en vertu de la loi objectivement applicable, afin de préserver les règles limitatives de la liberté de tester établissant des droits réservataires ou alimentaires au profit du conjoint et des enfants du défunt[17].

La seconde exception à la professio juris prévue à l’article 3099 C.c.Q. poursuit une autre finalité. Elle n’entend pas préserver les mesures de protection impératives dérivées du devoir de solidarité familiale du défunt, mais l’emprise de l’État de situation sur les biens soumis à des dispositions successorales spéciales, même si le critère de la destination familiale de certains biens y est présent. La préoccupation qui anime le législateur est de l’ordre de l’effectivité. En reconnaissant la supériorité effective du droit étranger quant à la maîtrise des biens relevant des « régimes successoraux particuliers », l’alinéa 2 de l’article 3099 C.c.Q. soumet à la lex situs les attributions successorales conférées sur des biens particuliers, dans l’objectif de conserver la destination familiale, sociale ou économique dont ces biens faisaient l’objet avant le décès de leur titulaire : par exemple, le logement familial et l’entreprise exploitée par le défunt.

Les deux alinéas de l’article 3099 C.c.Q. rouvrent les portes à la division de la loi applicable à la succession et le principe scissionniste en matière successorale est ainsi restauré. L’esprit unitaire de la Convention du 1er août 1989 pâlit irrémédiablement sous les restrictions à la professio juris de l’article 3099 C.c.Q.

2 Les mesures de protection familiale visées par l’article 3099 al. 1 du Code civil du Québec

L’article 3099 al. 1 C.c.Q. exige de façon explicite la nature successorale des droits dont le respect constitue le seuil de tolérance à l’égard du choix de la loi applicable par le testateur. Il est dès lors nécessaire d’identifier les règles protectrices de la famille — de la loi québécoise et d’une éventuelle loi étrangère — revêtant une qualification successorale qui auront vocation à s’appliquer à l’encontre de l’ordre juridique désigné au moyen d’une professio juris.

2.1 Un aperçu des mesures de protection familiale en droit comparé des successions

Les règles de droit interne ayant pour finalité la protection des proches parents du défunt ont pour effet de restreindre la sphère de liberté de disposition pour cause de mort, sur le fondement du principe de solidarité familiale. En droit comparé, ces entraves[18] à la liberté de tester sont généralement conçues sous deux modalités fondamentales. La première approche est celle qui limite son étendue à une partie de la succession pour en destiner une certaine quotité à des proches parents du défunt (généralement les descendants, le conjoint survivant et, dans certains cas, les ascendants appartenant au degré le plus proche). C’est le système classique de la réserve successorale ou de la légitime. Cette quotité indisponible ou part réservataire représentative d’une fraction du patrimoine peut emprunter la forme d’une portion des biens héréditaires (pars hereditatis) ou d’une créance à l’encontre de la succession (pars valoris). Ce système est suivi par les États de tradition civiliste, avec cependant des différences pouvant porter sur l’extension objective de la protection, les modalités de paiement, le cercle des bénéficiaires, etc.

La seconde approche place la liberté de tester au rang de principe suprême, tout en prévoyant des contrepoids à cette liberté de disposition qui relativisent sa valeur en apparence absolue. Sans constituer strictement une limite à l’exercice de la liberté de tester, étant donné l’absence de restriction directe à la disponibilité des biens, ce deuxième type d’intervention législative pour protéger les proches du défunt se concrétise dans l’octroi d’une créance à finalité alimentaire ou compensatoire à charge de la succession (financial relief). Il s’agit des mécanismes judiciaires qui ont une incidence sur la liberté de tester postérieurement à l’ouverture de la succession tels les family maintenance ou family provisions des États de common law.

Le droit successoral québécois peut, d’après nous, être rangé au sein du second système, les anciennes institutions de la légitime et de la réserve successorale reconnues par la Coutume de Paris en Nouvelle-France ayant été abolies et le principe de la pleine liberté de tester étant consacré depuis l’Acte de Québec de 1774 décrété par le gouvernement britannique.

La créance alimentaire post mortem et les droits résultant du patrimoine familial sont pourtant envisagés comme des limitations indirectes à la liberté de tester sous le Code civil du Québec[19]. La protection à caractère alimentaire se traduit par un droit d’obtenir de la succession un certain montant qui sera fixé par le tribunal selon l’état de besoin du créancier (le conjoint marié ou uni civilement et les parents en ligne directe au premier degré[20]). Par ailleurs, le patrimoine familial se compose de certains biens expressément désignés par la loi (les résidences de la famille, les véhicules à l’usage de la famille, les rentes accumulées durant le mariage) dont la valeur au moment de la dissolution du mariage est distribuée équitablement entre les conjoints ou entre le conjoint survivant et les héritiers de l’autre[21]. Étant donné l’affectation purement personnelle de ces biens en tant que destinés au paiement d’une créance, le testateur peut en disposer librement, car il demeure propriétaire de ceux-ci.

2.2 Le choix de la loi successorale et les droits découlant du patrimoine familial

Le patrimoine familial constitue en droit interne un élément du régime primaire applicable aux époux et aux conjoints unis civilement, « quel que soit leur régime matrimonial » (art. 391 C.c.Q.). Au moment de la dissolution du mariage et de l’union civile, le patrimoine familial est partagé en valeur entre les époux ou les conjoints unis civilement, la créance en résultant pouvant être payée « en numéraire ou par dation en paiement » (art. 419 C.c.Q.).

Le droit au partage du patrimoine familial est alors une conséquence de la dissolution ou de la nullité du mariage ou de l’union civile, à l’exception de la séparation de corps qui peut aussi donner ouverture au partage (art. 416 C.c.Q.). Lorsque le partage a lieu au décès de l’un des conjoints, la créance qui en résulte intègre l’actif ou le passif de la succession selon que le titulaire soit le prédécédé ou le conjoint survivant, respectivement. Prenant sa source dans le lien de mariage ou d’union civile (art. 415 et 521.6 al. 4 C.c.Q., respectivement), ce droit ne revêt pas une nature successorale.

Or, les règles sur le partage du patrimoine familial sont effectivement des mesures impératives de protection familiale et elles produisent l’effet de réduire la valeur de l’actif successoral net destiné aux héritiers (cas où le conjoint survivant en est le titulaire). Ces deux caractéristiques (l’impérativité de la mesure de protection familiale et l’incidence sur l’actif héréditaire) ne font pourtant pas du patrimoine familial une sorte de « réserve successorale » en faveur du conjoint survivant du type pars valoris. L’impact du droit au partage du patrimoine familial sur la succession est seulement économique, et dès lors, il ne se distingue pas des autres dettes envers la succession.

En outre, le fondement du patrimoine familial réside dans l’établissement de l’égalité économique entre les conjoints : le droit au partage se traduit dans une « créance égalisatrice[22] ». En revanche, en matière successorale, les restrictions au pouvoir de disposition du testateur au bénéfice de la famille ne sont pas de simples incidences économiques sur la liquidation de la succession. Elles trouvent leur raison d’être dans le devoir de solidarité familiale du de cujus envers certains proches parents et non dans la recherche d’un équilibre économique entre le patrimoine du de cujus et celui des bénéficiaires. L’idée de rétablissement d’une équité entre patrimoines est absente des systèmes successoraux où la liberté de tester est limitée en raison de considérations familiales.

Cela dit, le droit au partage du patrimoine familial à la suite du décès de l’un des conjoints se situe sur le plan des rapports pécuniaires entre époux et ne peut être considéré parmi les mesures de protection familiale qui limitent l’autonomie de la volonté conflictuelle à l’article 3099 al. 1 C.c.Q.[23]. Bien que la loi applicable au patrimoine familial ait fait l’objet de vifs débats entre les partisans de la thèse des effets du mariage et ceux qui postulent la qualification de régime matrimonial, la nature successorale de l’institution n’a jamais été en cause.

Lorsque le droit au partage s’ouvre au décès, sa réalisation ne peut être examinée sous l’angle de la loi applicable à la succession. Selon la théorie dominante dans la doctrine et dans la jurisprudence, le patrimoine familial relève de la catégorie « effets du mariage » (art. 3089 C.c.Q.)[24]. Par conséquent, le partage du patrimoine familial sera effectué préalablement au partage de la succession, entre le conjoint survivant et les héritiers du conjoint prédécédé, d’après la loi déterminée en fonction de l’échelle de rattachements prévue à l’article 3089 C.c.Q., la loi successorale étant appelée à gouverner la transmission du patrimoine héréditaire une fois déduit le montant de la créance.

La qualification successorale ayant été rejetée à l’égard du patrimoine familial, il est maintenant temps de répondre à la question de savoir si la créance alimentaire post mortem est l’une des règles protectrices visées par l’article 3099 al. 1 C.c.Q.

2.3 Un choix de loi portant atteinte à la créance alimentaire

La doctrine qualifie la créance alimentaire post mortem en faveur du conjoint survivant et des parents désignés à l’article 585 C.c.Q. comme un droit de nature successorale, en raison des arguments suivants. C’est un droit qui survit au décès du débiteur des aliments (art. 684 al. 2 C.c.Q.) ; il s’exerce sur l’actif héréditaire en y intégrant la valeur des libéralités consenties par le défunt (art. 684, 686 et 687 C.c.Q.) ; et son existence est conditionnée à l’absence des causes d’indignité successorale chez le bénéficiaire (art. 684 C.c.Q.). En droit international privé, la créance alimentaire dont la succession est redevable est régie par la lex successionis, ce qui est conforme à la qualification successorale des institutions dont le but est d’instituer un droit de nature alimentaire ou compensatoire au profit des proches parents (family provisions), en vigueur dans les systèmes de common law où il n’existe pas de réserve successorale classique. Dès lors, son inclusion dans le domaine de l’exception à la professio juris prévue à l’article 3099 al. 1 C.c.Q. ne fait pas de doute dans la doctrine[25].

Suivant la qualification successorale de la créance alimentaire post mortem, il devient pertinent de s’interroger sur la portée que doit recevoir l’exception contenue à l’article 3099 al. 1 C.c.Q., dans le cas où un testateur choisirait comme loi applicable à sa succession un droit étranger qui méconnaîtrait cette mesure protectrice de la famille, la loi québécoise étant par hypothèse objectivement compétente en vertu de l’article 3098 al. 1 C.c.Q.

Dans un système se caractérisant par l’absence de limites directes à la liberté de tester, il est difficile de déterminer dans quelle mesure la désignation d’une loi étrangère pourrait devenir sans effet pour cause d’atteinte à la créance alimentaire attribuée à des proches parents par la loi québécoise. La créance alimentaire étant par essence un droit à l’obtention d’une somme, elle pourrait s’exercer sur l’actif héréditaire soumis objectivement au droit québécois, à l’encontre d’une loi choisie qui ne contiendrait pas une protection équivalente, sans que cela suppose nécessairement l’inefficacité de l’option de loi.

En présence d’une lex electa ne prévoyant pas l’institution de la créance alimentaire post mortem au profit des enfants du défunt et du conjoint survivant (seules personnes bénéficiaires protégées par l’article 3099 al. 1 C.c.Q.), mais qui leur attribue à la place un droit réservataire, il convient de se demander si les créanciers d’aliments pourraient obtenir le paiement de leur créance sur les biens héréditaires soumis au droit québécois selon la règle de conflit objective. La formule légale exigeant qu’ils soient privés « dans une proportion importante » (art. 3099 al. 1 C.c.Q.) n’écarte pas cette possibilité. Cela suppose une opération intellectuelle en deux étapes. En premier lieu, on déterminera la loi applicable selon le rattachement objectif, ce qui implique la division de la succession entre les biens meubles et les immeubles. En second lieu, il serait nécessaire de comparer la valeur de la protection patrimoniale offerte par la loi choisie et celle à laquelle le bénéficiaire aurait eu droit d’après les lois désignées par la règle de conflit objective.

Or, l’exercice d’évaluation peut se révéler complexe en raison de la dualité des compétences législatives et de la diversité dans le contenu matériel de la protection accordée par les lois en concurrence. La recherche de l’équilibre entre les attentes légitimes des parties et le respect de l’autonomie conflictuelle du défunt peut justifier le recours à l’adaptation pour obtenir des solutions flexibles qui permettent la coordination des règles matérielles applicables[26]. Un examen intégral de la situation litigieuse serait à privilégier, de façon que le juge puisse prendre en considération l’ensemble des biens pour déterminer l’importance de l’atteinte dont dépend la conséquence de l’inefficacité du choix de loi édictée par l’article 3099 al. 1 C.c.Q. Le degré d’inefficacité serait donc modulable en fonction de la gravité du manquement à la règle protectrice, mesurée de façon objective par un procédé de comparaison des avantages patrimoniaux effectivement conférés au réclamant sur la succession globale[27].

2.4 Un choix de loi portant atteinte à la réserve successorale : l’illustration d’une contradiction dans les relations européennes-québécoises

La nature essentiellement successorale de la réserve héréditaire prévue par les États civilistes ne soulève aucun débat quant à l’insertion de cette institution dans le domaine de l’article 3099 al. 1 C.c.Q.[28]. L’intérêt de sa mise en oeuvre en tant que limite à l’autonomie conflictuelle du testateur se déplace plutôt sur le terrain de ses conséquences pratiques. Un exemple nous permettra de mettre en relief les défauts de cohérence quant au degré de protection des proches parents conférée par les systèmes dans la succession internationale. Nous comparerons ci-dessous les effets de l’article 3099 al. 1 C.c.Q. avec la solution découlant du Règlement européen no 650/2012 qui ne contient aucun dispositif de protection analogue au modèle québécois dans le cas où une autorité européenne serait appelée à statuer en la matière.

À la différence du droit québécois, le Règlement no 650/2012 adopte le système unitaire dans le traitement de la succession internationale. La loi applicable à la succession est désormais celle de la dernière résidence habituelle du défunt (art. 21), notion de fait qui se réfère au lieu où se trouvait le « centre des intérêts de sa vie familiale et sociale » (voir les considérants 23 et 24).

En vertu de l’article 22 du Règlement, une personne peut désigner pour régir sa succession la loi de la nationalité qu’elle possède au moment du choix ou du décès, désignation pouvant revêtir une forme expresse au moyen d’une disposition à cause de mort ou résulter des termes d’une telle disposition (choix tacite).

En harmonie avec la volonté politique d’instaurer l’unité du règlement des successions internationales, aucune possibilité de choix partiel n’est admise. Quant à l’éventail de lois pouvant être choisies, la formule européenne est plus restrictive que celle qui a été adoptée par l’article 3098 C.c.Q. : celui-ci permet au testateur de choisir, outre la loi nationale, la loi de l’État de son domicile au moment du choix ou du décès, ainsi que la loi de l’État de situation d’un bien immeuble pour régir la succession sur ce dernier. Par contre, sur le plan de la protection familiale, la solution européenne devient plus libérale puisque le Règlement no 650/2012 ne prévoit pas de limitation du choix en fonction des droits des proches parents garantis par la loi applicable à défaut de choix[29]. La possibilité d’invoquer l’exception d’ordre public à l’encontre d’une loi ne connaissant pas la réserve héréditaire est en général rejetée par la jurisprudence et la doctrine de plusieurs États européens[30].

En application de l’article 3098 C.c.Q., un testateur ayant la nationalité d’un pays membre de l’Union européenne, mais domicilié au Québec lors de la rédaction du testament, pourrait choisir la loi québécoise comme loi successorale, ou la loi de l’État du lieu de situation d’un immeuble pour régir la succession sur ce dernier. Nonobstant ce choix, si au moment du décès (survenu après le 17 août 2015, date d’entrée en application du Règlement no 650/2012), le défunt avait sa résidence habituelle dans un État membre (for de compétence général des autorités européennes selon l’article 4), la désignation postérieure à cette date ne sera pas admise par l’autorité européenne compétente en vertu du Règlement, et la succession sera régie par la loi du pays de la dernière résidence habituelle du défunt[31].

Si, dans l’exemple antérieur, le défunt avait sa dernière résidence habituelle au Québec et qu’une juridiction européenne était saisie sur le fondement des règles de compétence subsidiaire[32], le choix de la loi québécoise postérieur au 17 août 2015 ne produirait aucun effet en tant que manifestation de l’autonomie de la volonté conflictuelle, mais cette loi s’imposerait à titre de loi objectivement applicable conformément à l’article 21 du Règlement, sous réserve du renvoi à la loi d’un État membre ou à la loi d’un État tiers où se trouverait un immeuble de la succession, et dans ce dernier cas à condition que l’État tiers accepte sa compétence (art. 34.1). D’autre part, si le choix devait porter sur un ou plusieurs immeubles (une partie de la succession), aucune validité ne lui serait accordée en vertu du Règlement puisqu’il contreviendrait au principe de l’unité.

Prenons maintenant l’exemple d’un citoyen canadien ayant sa dernière résidence habituelle et son domicile en France et décédé également après le 17 août 2015 qui aurait rédigé un testament désignant la loi québécoise pour régir sa succession conformément à l’article 3098 C.c.Q. Si l’on compare les solutions qui se dégagent des deux systèmes conflictuels en jeu, il en résulterait des conséquences matérielles discordantes. Dans l’hypothèse où un tribunal québécois serait saisi de l’affaire[33], le choix de loi serait valide, mais il resterait sans effet dans la mesure où le résultat de son application méconnaîtrait dans une proportion importante les droits réservataires assurés par la loi française au conjoint et aux enfants, loi applicable en vertu du rattachement objectif sur la masse mobilière et sur les immeubles situés en France (dans ces conditions, l’article 3099 al. 1 C.c.Q. entraîne la mise en oeuvre de la règle de conflit scissionniste de l’article 3098 al. 1 C.c.Q.).

Par contre, si la requête était introduite devant un tribunal français compétent sur le critère de la dernière résidence habituelle du défunt en vertu du Règlement no 650/2012, le choix de la loi québécoise, admissible conformément aux articles 22 et 36.2 b) du Règlement, serait efficace sur la totalité de la succession, et les héritiers réservataires selon la loi française ne seraient pas protégés. Résultat curieux : le tribunal québécois pourrait refuser d’appliquer la loi québécoise au profit de la loi française sur la réserve héréditaire, tandis que le tribunal français appliquerait la loi québécoise choisie consacrant la pleine liberté de tester, n’hésitera pas à écarter sa propre loi (sous réserve de l’exception d’ordre public international)[34].

La divergence dans les solutions conflictuelles exposées inverse la logique de justice matérielle qui est à la base des limites au choix de la loi applicable au Québec, le contenu du droit interne à protéger ne trouvant pas de défense par les règles de droit international privé de l’ordre juridique concerné. Nous ne pouvons que nous en étonner. Le Code civil du Québec devient plus restrictif quant à la liberté de tester sur le plan international que sur le plan du droit interne[35].

3 Les conséquences d’un choix de loi inefficace

Les mesures de protection familiale comme limite au choix de la loi applicable ayant été analysées sous l’angle des intérêts protégés, nous les envisagerons maintenant dans leurs effets, à partir de la méthode de droit international privé que le législateur a employée dans la formulation de l’article 3099 C.c.Q.

3.1 L’article 3099 du Code civil du Québec comme règle de droit international privé à caractère matériel

La rédaction des deux alinéas de l’article 3099 C.c.Q. rappelle la méthode dite des règles de conflit à caractère matériel ou substantiel, dès lors que le procédé utilisé pour la détermination du droit applicable est directement imprégné de considérations matérielles. En effet, les hypothèses prévues dans les deux alinéas de cet article décrivent les situations suivantes : 1) la désignation d’une loi qui priverait l’époux, le conjoint uni civilement ou un enfant du défunt d’un droit de nature successorale dont ils seraient titulaires en l’absence d’une telle désignation ; et 2) la désignation d’une loi qui porterait atteinte aux régimes successoraux particuliers auxquels certains biens sont soumis par la loi de l’État de leur situation en raison de leur destination économique, familiale ou sociale.

La conséquence énoncée par la règle est l’inefficacité partielle de la désignation présentant de telles caractéristiques (« La désignation d’une loi applicable à la succession est sans effet dans la mesure où […] » (art. 3099 C.c.Q.)), ce qui signifie le retour à la règle de conflit objective. Ce raisonnement conduisant au rétablissement de la règle de conflit scissionniste à défaut d’un choix de loi efficace du point de vue de la politique législative poursuivie par l’auteur de la règle est conforme à la qualification des deux alinéas de l’article 3099 C.c.Q. à titre de règles de droit international privé substantielles.

Pour illustrer notre analyse, nous évoquons une fois de plus l’analogie existante entre la formule québécoise et celle qui découle de l’article 24 (1) d) de la Convention du 1er août 1989 permettant à un État de ne pas reconnaître un choix de loi lorsque « l’application de la loi désignée […] priverait totalement ou dans une proportion très importante le conjoint ou l’enfant ». La réserve de l’article 24 (1) d) de la Convention dont les deux alinéas de l’article 3099 C.c.Q. empruntent la structure normative, peut être qualifiée comme une norme de droit international privé matérielle[36].

Le droit comparé fournit également d’autres illustrations de l’utilisation de cette technique dans le but d’obtenir une finalité comparable. L’article 46.2 de la loi italienne de 1995 sur la réforme du droit international privé[37], prévoyant que le choix de loi exercé par un citoyen italien ne porte pas atteinte aux droits que la loi italienne attribue aux réservataires résidant en Italie lors du décès, dont nous retenons la ressemblance de formulation avec l’article 24 (1) d) de la Convention et l’article 3099 al. 1 C.c.Q., est également qualifié d’après la doctrine dominante comme une « norma di diritto internazionale privato materiale[38] ».

Il faut toutefois signaler la différence de l’article 3099 al. 1 C.c.Q. par rapport à la formule italienne que nous venons de mentionner. Alors que cette dernière renferme un procédé unilatéral de désignation[39], car elle ne se préoccupe que de l’application du droit italien lorsque certains éléments de rattachement avec l’Italie sont présents (la citoyenneté italienne du défunt et la résidence en Italie de l’héritier légitimaire), l’article 3099 al. 1 C.c.Q. est rédigé sous forme bilatérale, en ce sens que la protection familiale pouvant être invoquée est celle attribuée par la loi désignée par la règle de conflit de l’article 3098 al. 1 C.c.Q.

L’article 3099 al. 1 C.c.Q. n’exige pas la vérification par le juge québécois de la volonté d’application internationale des règles octroyant la protection dans l’ordre juridique dont elles émanent. Dès lors, ce n’est pas une clause spéciale d’application des lois de police étrangères. Si la loi italienne est objectivement applicable à la succession d’un citoyen canadien, en raison, par exemple, de la situation d’un bien immobilier en Italie, les règles sur la réserve héréditaire du Code civil italien s’appliqueraient en faveur du conjoint et des enfants devant un tribunal québécois en dépit de la loi choisie qui y porterait atteinte dans une proportion importante, même si, dans un litige analogue devant une juridiction italienne, les règles italiennes sur la réserve seraient écartées.

3.2 L’inefficacité du choix de loi

Les effets du choix de la loi successorale sont expressément limités par le critère de l’importance de l’atteinte portée à un droit de nature successorale que le conjoint marié ou uni civilement ou encore un enfant du de cujus aurait pu faire valoir à défaut de choix. Il est à noter, cependant, que le libellé de l’article 3099 al. 1 C.c.Q. s’écarte de la formule de la Convention du 1er août 1989 sur deux points précis. Le législateur québécois a préféré l’exigence de l’atteinte « dans une proportion importante » à celle de la privation des droits « dans une proportion très importante ». Il a, en plus, omis de faire référence au caractère impératif des règles établissant ces droits.

L’assouplissement de l’exception est un indice révélateur de la volonté du législateur québécois de privilégier la protection des proches parents à l’autonomie de la volonté du défunt. L’omission de la condition relative à l’impérativité interne des règles octroyant ces droits pourrait trouver une explication dans les particularités du droit successoral québécois où l’absence de restriction directe au principe de la liberté de tester ne permet pas d’affirmer l’existence de règles impératives de protection familiale à l’instar du régime étranger de la réserve héréditaire. Toutefois, le zèle protecteur dont témoigne l’exception peut susciter des difficultés que le législateur n’avait pas envisagées lors de la conception de la règle, telle la possibilité d’écarter l’application des règles sur la dévolution ab intestat de la loi choisie lorsque celles-ci sont moins favorables à l’égard du conjoint ou d’un enfant du défunt.

En effet, la vocation héréditaire ab intestat résulte sans doute d’un droit de nature successorale conféré par la loi. Dans le cas où le testament, valide conformément à la loi choisie, devient cependant inefficace dans ces dispositions patrimoniales, pour cause de caducité des legs qu’il contient, l’ordre de dévolution légale de la loi choisie pourrait-il se substituer aux règles homologues de la loi objectivement applicable si, par hypothèse, certaines dispositions de la première étaient moins protectrices du conjoint survivant que celles établies par la seconde ? Selon nous, le caractère supplétif des règles sur la succession ab intestat n’est pas en soi un obstacle à leur inclusion dans l’exception de l’article 3099 al. 1 C.c.Q.[40].

Que doit-on entendre par privation « dans une proportion importante » ? Nous y avons fait référence antérieurement dans la section relative au choix d’une loi ne prévoyant pas un mécanisme équivalent à la créance alimentaire du droit québécois. Le terme « proportion » doit-il se limiter à un examen quantitatif (valeur économique des droits attribués par la loi choisie et par la loi objectivement applicable) ou doit-il aussi prendre en considération la qualité du titre héréditaire (vocation héréditaire en usufruit ou en propriété ; réserve pars hereditatis ou pars valoris) de celui qui invoque l’exception de l’article 3099 al. 1 C.c.Q. ? Nous croyons que l’exercice comparatif ne peut porter sur le contenu in abstracto des lois en présence, mais qu’il doit plutôt reposer sur le résultat in concreto de leur application à la situation factuelle particulière. L’exigence voulant que les parents protégés par l’article soient désavantagés « dans une proportion importante » par le choix de loi effectué par le de cujus suggère qu’il s’agit de garantir un niveau de protection suffisant ou approprié, compte tenu de l’ensemble des circonstances, et qu’il n’est pas question de leur accorder un droit à la protection maximale offerte par la loi successorale objectivement compétente.

L’étendue de l’option de législation en matière successorale n’est alors pas limitée au domaine des règles supplétives de la loi désignée par le rattachement objectif. La loi choisie par le testateur régit la succession, y compris les mesures de protection familiales applicables, écartant de ce fait les règles impératives de la loi objective qui accorderaient des droits à certains proches parents. La doctrine majoritaire estime que l’inefficacité sanctionnée par la norme n’est pas totale mais partielle, c’est-à-dire limitée aux dispositions de la loi choisie qui portent atteinte dans une proportion importante, aux droits successoraux du conjoint ou des enfants du défunt, laissant intacte l’emprise de la loi choisie sur les autres questions successorales[41]. Nous souscrivons à cette position qui est conforme à une interprétation littérale du texte légal précisant que « la désignation d’une loi applicable à la succession est sans effet dans la mesure où la loi désignée » (art. 3099 al. 1 C.c.Q.).

Non seulement la lettre de la loi mais aussi l’esprit de la disposition suggèrent cette conclusion. La professio juris successorale est un instrument de planification de la transmission du patrimoine dans le but d’assurer à celui qui s’en sert la prévisibilité des solutions et l’obtention d’un certain résultat matériel dans le cadre du principe de proximité, lequel s’exprime à travers les facteurs de rattachement exigés comme condition à l’admissibilité du choix de loi (la nationalité ou le domicile du disposant au moment du choix ou du décès). Les mesures de protection familiale, en tant que limites à l’élection de la loi applicable à la succession, constituent une exception au principe de l’autonomie de la volonté conflictuelle et doivent, par conséquent, recevoir une interprétation restrictive[42]. L’interférence dans le domaine de liberté garanti par la loi choisie ne peut ainsi se justifier que si l’application de la loi successorale objective se limite à assurer un niveau de protection jugé suffisant eu égard aux conséquences découlant de la loi désignée sur les intérêts patrimoniaux du conjoint ou des enfants du défunt. L’adaptation des solutions matérielles dérivées de la concurrence des lois applicables peut s’avérer nécessaire pour éviter des résultats contradictoires.

Conclusion

Les limites au choix de la loi applicable prévues par l’article 3099 al. 1 C.c.Q. comme mesures de protection familiale dans la succession internationale désignent en droit québécois la créance alimentaire qui se maintient après le décès du débiteur, en raison de la qualification successorale que la doctrine accorde à cette institution. En revanche, une telle qualification étant rejetée à l’égard du patrimoine familial, ces règles impératives ne sont pas susceptibles de limiter l’autonomie de la volonté conflictuelle telle qu’elle est reconnue en droit international privé québécois.

La réserve successorale est sans doute l’institution qui se trouve au centre des préoccupations du législateur à l’article 3099 al. 1 C.c.Q. Bien que ces règles incarnent la manifestation la plus incontestable des mesures de protection familiale en droit comparé des successions, elle n’est pas toujours considérée par le droit international privé des États qui les prévoient comme une exception à l’application de la loi désignée, soit par un choix de loi ou par la règle de conflit objective. La méthode comparative nous a permis de dégager une tendance à la libéralisation des rapports successoraux internationaux, concrètement sous l’empire des nouvelles règles de conflit harmonisées en Europe. Sur le plan de la politique législative, le système québécois, dominé par le principe de la liberté de tester, se montre plus restrictif de celle-ci lorsque la succession comporte des éléments étrangers que lorsqu’elle se déploie entièrement dans le ressort du droit interne.

La dérogation à l’autonomie de la volonté conflictuelle résultant de l’article 3099 al. 1 C.c.Q. doit être proportionnelle à l’objectif de protection recherché par cette règle de conflit substantielle. Un tel objectif ne commande pas la substitution de la loi choisie par la loi successorale objective, pas plus qu’il ne conduit à l’application intégrale des dispositions protectrices de la famille prévues par cette dernière. Leur intervention doit au contraire s’articuler avec l’espace de liberté testamentaire garanti par la loi choisie, la finalité de l’exception étant de procurer au conjoint survivant et aux enfants du défunt un niveau de protection suffisant et non de leur accorder un droit à la protection maximale offerte par l’ordre juridique objectivement compétent. Cela suppose la mise en oeuvre d’un procédé de comparaison qui ne porte pas sur le contenu normatif des règles matérielles en présence mais sur les résultats de leur application in concreto.