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Cet ouvrage se propose d’emblée d’examiner les « rapports dialectiques entre le pouvoir, l’espace et la production de ce dernier » à travers différentes échelles de temps. Se plaçant résolument dans le champ de la géopolitique, les auteurs précisent avec raison que ce domaine constitue « un fourre-tout qui couvre un vaste champ d’analyse, voire la simple description de faits politiques », depuis que le terme est devenu à la mode et synonyme de relations internationales, voire de schéma d’explication trop souvent simpliste des structures de ces relations. Les auteurs rappellent pertinemment à quel point la géopolitique est souvent invoquée par des non-géographes qui se servent du caractère prétendument objectif des données dites naturelles pour faire jouer un déterminisme archaïque dans l’explication des phénomènes politiques ; ou encore comme alibi commode à des raccourcis scientifiques douteux.
Après une critique de la géopolitique classique et de ses fonctions idéologiques, ce livre examine, dans une approche malheureusement très historique, l’évolution des rapports dialectiques entre le pouvoir, les formations sociales et la production de l’espace, dans les temps longs de l’histoire. Il articule formation du système-monde et construction des États-Nations. S’il s’attache aux liens entre formation économique et formation politique dans l’espace et dans le temps, il ne néglige pas pour autant la sphère en partie autonome des représentations et des processus de légitimation. C’est pourquoi il s’attarde longuement sur la géographie électorale, en particulier à l’échelle européenne. Un chapitre s’intéresse spécifiquement à la géographie politique de la Belgique. L’ouvrage se termine par un examen systématique de la place des États contemporains dans l’ordre politique mondial. Il débouche sur des interprétations des ordres et désordres géopolitiques.
La première partie revient sur l’histoire de la géopolitique, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, selon une approche critique fort appréciable, quoique manifestement largement inspirée par Claude Raffestin (Géopolitique et histoire, 1995). Les auteurs soulignent bien les contingences épistémologiques de l’évolution du discours géopolitique, sans toutefois parvenir à trancher sur la différence potentielle (à mon avis inexistante) entre géopolitique et géographie politique. De plus, en intitulant ce premier chapitre « Les géopolitiques classiques », les auteurs auraient-ils eu la prétention de produire une approche de la géographie politique en rupture avec tout ce qui s’est écrit sur la question ? On peut leur laisser le bénéfice du doute, mais il est certain que le reste de leur discours, pour intéressant qu’il puisse être, ne constitue pas vraiment une révolution dans la façon de concevoir le rôle que tiennent, dans la production politique et sociale des territoires, les rapports entre pouvoir (encore trop souvent conçu comme incarné par l’État) et espace.
Le second chapitre aborde « les territorialités antérieures à la mise en place du système-monde », dans un effort intéressant d’étude des rapports qui peuvent se nouer entre pouvoir et espace. Mais, en voulant faire un tour d’horizon du monde en 20 pages, cette revue historique suppose de très nombreux raccourcis qui laisseront sur leur faim les lecteurs désireux d’approfondir les processus sociaux et politiques qui structuraient la mise en place des rapports entre pouvoirs et espace. En particulier, est passée sous silence toute la littérature sur la formation concentrique des États d’Asie du Sud-Est et sur la problématique de l’évolution du concept de frontière en Chine, où, contrairement à une tenace idée, le concept de frontière linéaire a pu coexister dans certaines conditions et à certaines époques avec l’idée d’un empire non borné par les cultures barbares. Le chapitre 3 se concentre sur la formation de l’État moderne en restant très orienté vers le monde européen. Cet accent permet de préciser, au demeurant, l’évolution de la territorialité en Europe, du système féodal (caractérisé par le chevauchement, sans hiérarchie, de territorialités foncière, politique et juridique) vers la constitution de domaines unifiés politiquement et juridiquement, parallèlement à l’avènement du concept de frontière linéaire. Le chapitre 4 poursuit avec une étude de la territorialité de l’État-nation en Europe, sans critique de ce concept (tous les États ne sont pas des États-nations), selon une approche très classique : formation de l’État, organisation politique, rôle des capitales. Un accent particulier est mis sur les constructions politiques balkaniques et centre-européenne.
Après le chapitre 5 sur la géographie électorale, et le chapitre 6 sur l’évolution géopolitique de la Belgique (« un État-nation failli » – mais devait-il nécessairement devenir un État-nation ?), le chapitre 7 s’efforce de dégager une « typologie des États », selon une approche où se mêle régionalisme (les États d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine), analyse de sociologie politique (« Les États subsahariens dominés par des parabourgeoisies compradores et la difficile formation des États-nations » (sic encore !), approche politique de base (« les États démocratiques du centre »). Le chapitre 8 achève l’ouvrage sur une réflexion post-guerre froide sur « ordres et désordres mondiaux ».
Bref, une somme de travail certes érudite, certes crédible dans sa définition de la géopolitique et dans sa prudence épistémologique, et intéressante dans son effort de rendre compte de la sociologie du rapport entre le pouvoir politique et l’espace, mondial ou étatique. Mais on peut regretter les raccourcis historiques, et la prétention à vouloir refonder une approche géopolitique alors que l’on découvre finalement un ouvrage qui, pour être savant, n’en présente pas moins un contenu finalement très classique, où l’État demeure l’acteur central, voire unique, au détriment d’autres géopolitiques, à d’autres échelles et impliquant d’autres acteurs. Le fait de conclure l’ouvrage de façon lapidaire en se demandant, en une demi-page, si le modèle de l’État-nation serait dépassé, ce qui ne fait plus de doute – sans pour autant que l’État soit un acteur dépassé –, témoigne peut-être du caractère un peu lacunaire de la réflexion sur le large éventail de problématiques que peut couvrir la géopolitique.