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Dans l’ouvrage L’évaluation du fonctionnement social. Du quoi au comment, Steve Audet et Denise Rondeau-Robitaille abordent l’acte évaluatif du fonctionnement social des individus, des couples et des familles. La notion de fonctionnement social y est exposée, ainsi que les modalités de son évaluation.

Les premiers chapitres posent les bases théoriques de la notion de fonctionnement social et exposent les caractéristiques de son évaluation (nature, objectifs, modalités, etc.). S’appuyant sur la définition de Boily et Bourque (2011), le fonctionnement social est conçu comme un équilibre entre « les besoins et les capacités des individus et (…) les opportunités et les ressources qu’offre l’environnement » (p. 9). Afin de souligner l’importance des interactions entre les individus et ses différents systèmes, une modélisation arrimant fonctionnement social et modèle bioécologique de Bronfenbrenner (1979) est présentée.

Du point de vue des auteurs, l’évaluation du fonctionnement social consiste en un processus interactif et « porte sur un problème que vit un système-client, lequel affecte ses capacités à transiger avec l’environnement, à répondre à ses besoins et à assurer son bien-être » (p. 50). En raison de sa proximité avec les valeurs du travail social, l’approche court terme planifié systémique a été retenue pour encadrer l’évaluation du fonctionnement social.

La partie la plus importante de l’ouvrage comprend les chapitres présentant les différentes étapes du processus d’évaluation du fonctionnement social (prise de contact, exploration, analyse, opinion professionnelle, plan de travail, etc.), en insistant sur l’étape de l’exploration.

Pour l’ensemble du processus, les auteurs soulignent la pertinence du recours à la technique du questionnement circulaire, particulièrement dans la phase de l’exploration. Cette technique vise « à explorer une situation-problème par un processus de coréflexion structurée partant des plus simples éléments et allant vers les plus complexes » (p. 106). L’un de ses postulats repose sur l’effet bénéfique des rétroactions constantes entre les questions de la travailleuse sociale et la posture du système-client à l’égard du changement. Une dynamique d’interinfluence se crée à partir des échanges entre les acteurs, notamment grâce à un passage de questions linéaires vers des questions circulaires, de sorte qu’une nouvelle perspective à l’égard de la situation-problème et du changement peut émerger. En s’appuyant sur les travaux de Tomm (1987, 1988), le questionnement circulaire est modélisé selon quatre cadrans (perceptions, interprétations, changements possibles et changements acceptables), distincts par la nature et les objectifs des questions posées, mais néanmoins interreliés.

Lorsque l’étape de l’analyse a conduit à l’identification du problème retenu et qu’une opinion professionnelle a été émise, les auteurs suggèrent de procéder à une évaluation de la motivation du système-client face au processus de changement. L’intervention s’achève par la co-rédaction d’un plan d’action ou de soutien dans lequel le questionnement circulaire permet de mieux suivre l’évolution de la situation.

L’évaluation du fonctionnement social étant au coeur de la pratique professionnelle des travailleuses sociales, cet ouvrage peut alimenter les réflexions sur la nature, les objets et les finalités d’une telle évaluation dans l’intervention individuelle et familiale.

L’ouvrage est bien structuré. Les objectifs énoncés au début des chapitres, de même que les synthèses insérées à la fin de ceux-ci permettent une meilleure compréhension des notions abordées. La structuration du propos suit la logique annoncée par le titre : du quoi au comment, accompagnant ainsi le lecteur vers la réalisation des étapes de l’évaluation du fonctionnement social. La présence de tableaux et figures présentant des synthèses ou des modèles d’intervention aident à l’intégration des perspectives des auteurs. De leur côté, les nombreux exemples et annexes favorisent la visualisation d’une application concrète du modèle proposé. De plus, lorsqu’il s’agit de situations d’intervention auprès des familles, des grilles d’analyse distinctes permettent d’orienter l’évaluation selon ce mode d’intervention, en insistant sur certaines de ses particularités, par exemple la prise en compte de la réalité de plus d’un système-client, l’observation des dynamiques familiales, etc.

Si le titre laisse présager une attention autour de l’évaluation du fonctionnement social, force est de constater qu’il s’agit davantage d’un guide présentant le questionnement circulaire et ses applications dans les différentes étapes de l’intervention sociale personnelle et familiale. Étant surtout dédié à la présentation d’un outil efficace et pertinent à l’évaluation et au processus d’intervention, l’ouvrage ne propose pas une réflexion critique sur l’acte évaluatif. La technique du questionnement circulaire est intéressante, mais ne représente pas l’activité professionnelle évaluative propre aux travailleuses sociales. D’ailleurs, moins de trente pages de l’ouvrage sont consacrées à l’analyse et l’opinion professionnelles, alors qu’il s’agit de composantes essentielles à l’évaluation et sont souvent celles qui suscitent le plus de défis dans le processus d’intervention.

La section quoi, dédiée au fonctionnement social et à son évaluation, ne permet pas d’en exposer les bases conceptuelles. Si le choix des auteurs d’articuler le fonctionnement social au modèle bioécologique de Bronfenbrenner est intéressant, celui-ci est peu convaincant, dans la mesure où un certain manque d’explications soutenant cet arrimage fait par endroit obstacle à la compréhension.

La couleur du travail social aurait mérité d’être davantage mise en exergue dans cet ouvrage. Les exemples apportés et les éléments soulevés au regard de l’intervention nous semblent évoquer surtout des contextes de pratique privée, voire de psychothérapie, notamment en ce qui concerne les cibles de l’intervention. Peu d’attention est portée aux conditions organisationnelles pouvant influencer l’évaluation du fonctionnement social. En outre, malgré le fait que la santé soit une notion associée au fonctionnement social dans l’ouvrage, il est étonnant de constater une absence de référence aux déterminants sociaux de la santé.

Bien que pertinentes, les lectures suggérées à la fin des chapitres apparaissent peu exhaustives et plusieurs sont plutôt anciennes. On y utilise d’ailleurs l’ancienne appellation Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec (OPTSQ), plutôt que l’actuelle : Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ).

En conclusion, si l’ouvrage permet de revoir le processus d’évaluation du fonctionnement social, le fait qu’il s’apparente davantage à une forme de soutien à l’évaluation grâce à la technique du questionnement circulaire nous apparaît peu accessible aux étudiants. Les composantes du questionnement circulaire nous semblent s’adresser plutôt aux intervenants d’expérience déjà à l’aise avec les techniques d’intervention et souhaitant approfondir leurs techniques d’exploration et impliquer davantage l’usager dans ce processus. La richesse des informations relatives au questionnement circulaire peut être confondante pour les étudiants en formation initiale, celles-ci risquant de leur paraître trop spécifiques et complexes à ce stade de leur parcours académique. À notre avis, le Cadre de référence : l’évaluation du fonctionnement social de Boily et Bourque (2001), auquel se réfèrent les auteurs, demeure plus adapté à l’enseignement de l’évaluation du fonctionnement social selon les normes de l’OTSTCFQ.