Cygne noir
Revue d'exploration sémiotique
Number 8, 2020 Quand ego signe : sémiotique, fantasme, fantaisie Guest-edited by Simon Levesque and Laurance Ouellet Tremblay
Table of contents (6 articles)
Dossier
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Le sujet-signe et la trahison du fantasme : introduction au 8e numéro du Cygne noir
Simon Levesque and Laurance Ouellet Tremblay
pp. 1–13
AbstractFR:
Fantasme et fantaisie partagent une même racine étymologique grecque : φαντασία et φάντασμα renvoient tous deux à l’idée d’apparition, d’image présentée à l’esprit. Tour à tour construction imaginaire, vision hallucinatoire, illusion ou rêverie, la fantaisie est aussi associée à la liberté psychique du sujet, à la singularité de son caractère (un type fantasque). Dans la fantaisie tiendrait donc une part de l’identité du sujet, ce que le concept de fantasme en psychanalyse problématise. C’est pourquoi nous avons choisi d’associer ces deux termes dans l’intitulé du présent numéro, en y adjoignant celui de sémiotique, car une investigation sur le fantasme, comme on s’en rendra compte, a tôt fait de forcer une réflexion sur le signe. Quant à la formule « quand ego signe », elle voudrait signifier cette façon singulière qu’a le sujet de trouver ses points d’organisation hors lui, dans le langage et dans le fantasme qui le traversent et par rapport auxquels sa position, le signalant, le trahit également.
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L’« idiorrythmie » selon Roland Barthes : entre éthique et fantasme
Louis Rouquayrol
pp. 14–32
AbstractFR:
Quand Roland Barthes découvre un signifiant disponible, « idiorrythmie », la question se pose de savoir s’il investit ce dernier d’une charge fantasmatique absolument personnelle ou si, au contraire, le mot idiorrythmie ne produit pas de lui-même les conditions du fantasme en question. L’analyse de cette tension suppose de distinguer nettement le mouvement du fantasme propre à l’auteur, mouvement dont le rapport avec la parole est problématique, de la logique du concept, ou de la signification, qui s’impose de l’extérieur au fantasme. Que les deux – mouvement du fantasme, logique du concept – puissent se rejoindre, c’est tout l’enjeu du Cours au collège de France de 1976-1977. Or, si le fantasme de Barthes est étrange, puisqu’il prétend associer l’idiorrythmie à la solitude, le concept est lui-même contradictoire, car ce dernier cherche à lier la communication au contournement de l’empire du langage. Dès lors, bien que le fantasme, pour être effectif, doive être une « image mise en fonction dans la structure signifiante » (Lacan), il lui faudra peut-être plutôt, à moins de passer à côté de sa réalisation, s’éteindre dans le silence. Pour parvenir ainsi à une clarification de la notion d’idiorrythmie dans son rapport au fantasme, il faudra faire appel non seulement au texte de Barthes, mais également à la psychanalyse (pour la décomposition du mouvement du fantasme) et à la philosophie (préoccupée depuis longtemps par le problème de la « vie en commun »).
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La formule du fantasme : image, signe et perversion d’après Yukio Mishima
Alexis Lussier
pp. 33–55
AbstractFR:
Un texte de Freud, « Ein Kind wird geschlagen » : « Un enfant est battu », publié en 1919, représente généralement le texte paradigmatique de référence sur la question du fantasme, dans l’optique freudienne, en même temps qu’il ouvre sur tout un pan théorique et analytique à propos de la relation entre sémiotique et psychanalyse. Dans ce texte, l’analyse freudienne n’est plus systématisée en fonction du modèle de l’interprétation du rêve, mais propose un autre modèle d’analyse où vient jouer l’articulation entre sujet de l’énonciation et sujet de l’énoncé, logique grammaticale et logique du fantasme, quand le fantasme se résume à une formule qui lui donne une forme verbale cependant tronquée ou elliptique. Parce qu’elle est envisagée sous l’angle de sa forme verbale, la formule du fantasme semble communiquer directement avec le fantasme tel qu’on le trouve sur le plan de l’écriture. Cependant, c’est aussi à partir de là qu’un certain nombre de questions se posent. Partant de l’oeuvre autobiographique de l’écrivain japonais Yukio Mishima, Confession d’un masque, publié en 1949, cet article propose de mettre à l’épreuve les points de contact, mais aussi les points de rupture, entre la formule du fantasme, telle que Freud se la représente, et la déliaison littéraire du fantasme, telle qu’on la trouve dans l’oeuvre de Mishima.
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Au-delà du signifiant imaginaire : repenser l’inscription du fantasme au cinéma
Louis-Paul Willis
pp. 56–77
AbstractFR:
Le rapport entre la théorie du cinéma et la psychanalyse demeure trouble, tant sur le plan conceptuel qu’épistémologique, et ce, depuis les toutes premières études psychanalytiques du cinéma. Ce rapport se trouve complexifié par des avancées distinctes dans les cercles savants francophones et anglophones. Voulant faire le pont entre les réflexions françaises et anglo-saxonnes, cet article se propose de relire les fondements de l’ouvrage Le signifiant imaginaire en articulant les enjeux soulevés par Christian Metz aux relectures lacaniennes offertes par des penseurs contemporains tels que Joan Copjec, Todd McGowan, Elizabeth Cowie et Slavoj Žižek – des penseurs qui prennent acte de certaines lacunes largement présentes dans la théorie des années 1970. Il en ressort une réflexion voulant repenser le régime de signification opérant au cinéma, puisqu’à l’époque de Metz, certains concepts lacaniens (le fantasme, le désir, l’objet a, le Réel) demeuraient absents des discours théoriques en études cinématographiques. Il s’agira donc de redéfinir le désir spectatoriel en l’articulant à une « réelle » pensée lacanienne, le tout afin de resituer la place du signifiant cinématographique en le liant au rôle du fantasme. De nature avant tout programmatique, cet article ne consolidera pas son propos par le biais d’analyses filmiques, mais s’attardera plutôt à des enjeux théoriques afin de plaider pour l’approche mise de l’avant par l’américain Todd McGowan dans l’ouvrage The Real Gaze. Si le fantasme joue un rôle central dans l’articulation du désir spectatoriel, il nous appartiendra de voir comment ce rôle se rapporte au regard, au Réel et au fameux signifiant cinématographique.
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L’économie sémiotique du fantasme et le signe unique dans l’oeuvre littéraire de Pierre Klossowski
Simon Levesque
pp. 78–101
AbstractFR:
L’oeuvre littéraire de l’écrivain et peintre français Pierre Klossowski (1905-2001) présente d’importantes récurrences sur le plan thématique. Le bain de Diane (1956), Les lois de l’hospitalité (1965) et La monnaie vivante (1970) forment le corpus ici à l’étude. C’est au personnage de Diane/Roberte que nous nous intéressons plus particulièrement, en tant qu’elle est le « signe unique » et le symbole organisateur de la scène fantasmatique dans l’oeuvre littéraire klossowskienne. Nous profitons de la parution récente de feuillets inédits de l’écrivain rassemblés sous le titre Du signe unique (2018) pour revisiter sa pensée et tâcher de cerner les propriétés singulières de ce « signe unique », de même que le rôle que tient celui-ci dans l’économie du fantasme klossowskien. C’est aux aspects proprement sémiotiques de cette oeuvre que nous voudrions accorder une attention particulière. La mise en rapport des propriétés singulières du signe unique klossowskien avec l’utopie de la monnaie vivante envisagée par l’écrivain en 1970 nous fournit l’occasion d’interroger le signe du point de vue de la valeur et des moeurs pour repenser à nouveaux frais la fameuse loi d’hospitalité formulée par Klossowski en 1956. En nous intéressant à la notion de signe dans la pensée klossowskienne, nous pensons contribuer à une mise en rapport productive entre les écrits « fictionnels » et les écrits « notionnels » de l’écrivain, dont la connexion n’est pas toujours aisée.
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« Language was being » : à rebours du fantasme de l’être chez Kathy Acker
Laurence Pelletier
pp. 102–125
AbstractFR:
Dans cet article, je propose une analyse du fantasme ontologique comme objet du désir féminin dans My Mother : Demonology de Kathy Acker. En prenant comme prémisse le statut suspect de l’« être féminin », j’entends montrer comment Acker reprend et réinvestit les tropes des traditions philosophique et psychanalytique pour produire le possible ontologique du sujet féminin. Le phallus est considéré traditionnellement comme le signifiant privilégié de la différence sexuelle. Il détient un privilège épistémique masculin quant à l’« idéalisation originaire » de l’être. La nécessité de produire d’autres modes de subjectivation amène Acker à faire du sexe féminin le lieu de ce fantasme conceptuel. De fait, l’écrivaine parodie la prémisse psychanalytique qui lie la sexualité féminine au déni de son manque, reléguant l’être et l’énonciation du sujet féminin du côté de l’absence. Mettant en oeuvre dans l’écriture un désir qui ne suit pas la logique métonymique et métaphorique phallogocentrique, mais convoquant plutôt un régime de sens qui obéit à la fonction littérale et matérielle du langage, Acker opère une transition de l’ordre symbolique à l’ordre sémiotique. L’être du sujet féminin devient ainsi l’objet d’un désir d’énonciation.