Chronique

L’épopée des Éditions Marabout au Québec (1951-1973)[Record]

  • Jacques Hellemans

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  • Jacques Hellemans
    Collaborateur scientifique, Centre d’Études Nord-Américaines (CÉNA) et Centre de l’Édition et de l’Imprimé Contemporains (CÉDIC), Université Libre de Bruxelles (ULB)
    jhellema@ulb.ac.be

Qui sait encore que les livres « Marabout », présentés aujourd’hui comme une simple collection de livres pratiques dans le giron des Éditions Hachette, émanaient à l’origine d’une maison d’édition créée par André Gérard au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à Verviers, une petite ville industrielle du sud-est de la Belgique ? Si tant de jeunes Québécois des années 1950 à 1975 ont découvert les séries Géant Illustré, Marabout Université, Marabout Fantastique ou encore Marabout Flash, c’est grâce à Dimitri Kasan, un homme remarquable qui a consacré trois décennies à répandre « Marabout » dans tous les coins du Québec. Cet article est le fruit d’une recherche menée en 2006 à la suite de la découverte, à Québec, des archives de « Marabout-Amérique », déposées en 2009 à l’Université Laval, laquelle a organisé une exposition dont nous avons assuré le commissariat (voir l’inventaire sommaire du Fonds Dimitri-Kasan en annexe). Dimitry Kazanovitch naît le 20 mars 1921 à Ljubljana (capitale actuelle de la Slovénie), là où ses parents, fuyant la Révolution russe, trouvent un refuge provisoire. Ils se rendent ensuite en Afrique du Nord, plus précisément en Algérie. Son grand-père, ex-gouverneur de Kiev, se réfugie quant à lui à Bruxelles. Ils le rejoignent dans les années 1930. Ses études secondaires achevées, Dimitry s’inscrit à l’École des beaux-arts de Saint-Luc dans la commune de Saint-Gilles-lez Bruxelles. La Seconde Guerre mondiale déclarée, il souhaite s’engager dans l’armée belge qui décline l’offre des apatrides. En 1941, les Allemands embarquent les étudiants dans des camions, puis dans un train en direction du nord de l’Allemagne. Assigné au travail obligatoire, Dimitry se retrouve dans une usine métallurgique pour la fabrication de véhicules militaires. Profitant d’un bombardement allié, le jeune homme s’évade et fuit vers la France. À Paris, il se cache chez les parents de Geneviève — dite Ginette — Lassinat qu’il a rencontrée à Coxyde, sur la côte belge, à l’été 1937. Pendant l’année 1942, Dimitry Kazanovitch se terre dans le bois de Chaville, près de Versailles, dans l’attente de l’obtention de faux papiers remis par un commissaire de police acquis à la cause de la Résistance. Le 11 décembre 1943, devant le notaire Houdart, il se marie à Paris dans le 8e arrondissement avec Geneviève Lassinat. À la Libération de Paris, il s’enrôle comme engagé volontaire dans le 13e bataillon du génie de la division du général Leclerc, la célèbre 2e division blindée. Il est blessé en Alsace à la fin de l’année 1944. Début 1945, le général Leclerc le nomme photographe de la division. C’est dans ces circonstances qu’il croise un jour le chemin de René Lévesque, alors correspondant de guerre attaché aux forces américaines. À la démobilisation, la famille Kazanovitch s’installe à Bruxelles. Dimitry travaille un temps pour les Éditions de la Paix. En 1950, Paul Gagnon, responsable du bureau d’immigration du Canada à Bruxelles, reçoit un grand gaillard qui demande d’émigrer au Canada comme bûcheron, parce que, dit-il, il ne parle pas anglais. Il semble méconnaître le Québec ! À l’écouter, Gagnon se rend compte qu’il a déjà travaillé dans le secteur de l’édition. Dimitry Kazanovitch obtient d’André Gérard qu’il lui confie la représentation générale exclusive de Marabout pour l’Amérique du Nord. Il émigrera finalement au Canada non comme bûcheron, mais pour commencer une aventure qui deviendra un grand succès. C’est ainsi qu’un beau matin du printemps 1951, Dimitry Kazanovitch, son épouse et leur fils Serge, âgé de quatre ans, arrivent à Québec. Passant l’été dans la région du Bas-Saint-Laurent, la famille Gagnon leur prête leur appartement jusqu’à ce qu’ils trouvent un endroit où loger. …

Appendices