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Olivier Le Deuff, maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3, mène des recherches sur la culture de l’information et les mutations engendrées par le numérique. Le but de ce petit ouvrage, dans les mots mêmes de l’auteur, est de « donner au lecteur une culture technique et folksonomique qui lui permette de mieux cerner les effets produits par le fait de taguer ou de cliquer sur un bouton like » (p. 10), symbolisé par l’image du pouce levé vers le ciel. Il s’agit de « replacer le like dans la lignée de l’indexation, opération qui vise à décrire le contenu d’une ressource ou d’un document par des mots-clés » (p. 7). La thèse est intéressante : l’auteur voit ce clic de souris comme le résultat d’une dissolution progressive de la reconnaissance de l’importance des mots-clés jusqu’à la manifestation d’une dualité simple entre j’aime et je n’aime pas. Il s’interroge aussi sur la direction à donner aux actions de taguage[1], d’annotation, de commentaires, sur le plan individuel comme sur le plan collectif.

Le Deuff fait un rapide historique de l’indexation et des métadonnées, ne retenant que les événements, dates et noms pertinents à son propos, choisis pour que le lecteur perçoive plus facilement les liens entre les objectifs, outils, systèmes ayant connu une popularité, à un moment ou l’autre de l’histoire, et les nouveaux instruments d’indexation sociale en vogue aujourd’hui. Un peu plus loin, une image est particulièrement frappante, celle de métadonnées comme source d’identité passive reposant sur un ensemble de traces laissées de manière involontaire (p. 21). L’auteur reviendra à plusieurs reprises sur la transformation de l’individu en document, à force de générer des métadonnées sur lui-même, métadonnées sur lesquelles il n’a pas le plein contrôle.

Le deuxième chapitre présente les tags et les folksonomies comme métadonnées. Le Deuff y décrit les grandes catégories d’outils du Web qui permettent le taguage : plateformes d’images et de photos, de vidéos, de musique, de stockage et de partage de documents, sites de jeux en ligne ou de questions-réponses, etc. Son analyse détaillée des possibilités offertes par ces sites, des niveaux de permission, des types de ressources, etc., sera utile au lecteur. La typologie des tagueurs (p. 51-53) est éloquente ; les six catégories sont-elles de l’auteur ? On ne le précise pas.

Le chapitre 3 s’ouvre sur l’énoncé de trois points qui, selon l’auteur, aideront à mieux comprendre la portée des folksonomies : 1) les folksonomies n’ont pas révolutionné l’indexation et ont moins influencé la recherche d’information que les moteurs de recherche ; 2) les folksonomies recouvrent différentes réalités suivant qu’elles sont utilisées sur un blogue, une plateforme en ligne, un intranet ou un site collaboratif ; 3) les folksonomies n’ont pas remplacé ou effacé les ontologies ou les langages documentaires (p. 55). Citant Jérôme Bertonèche, Le Deuff assimile les folksonomies à des Post-it numériques (p. 57), les liant ainsi à la mémorisation et à l’annotation. Le Deuff ne révèle rien de nouveau cependant lorsqu’il affirme, comme Adam Mathes le faisait déjà en 2004, que la force des folksonomies, soit leur souplesse d’utilisation, constitue également leur faiblesse. L’auteur se dit en faveur de la formation des individus au taguage et reprend une liste de conseils, un peu hétéroclites il faut le dire, pour bien taguer (p. 74).

Les chapitres 4 et 5 sont consacrés aux lieux d’application et d’exploitation des tags et des folksonomies. Le Deuff y décrit les environnements qui permettent aux professionnels d’exploiter les tags de manière plus complexe : bibliothèques 2.0 (LibraryThing, Babelio, etc.) et sites de signets sociaux (Delicious, Diigo, etc.). Il rappelle à juste titre (mais se trouve-t-il encore des gens dans nos milieux qui croient le contraire ?) qu’il ne suffit pas d’intégrer les fonctionnalités de taguage pour qu’elles soient utilisées par les usagers. Des exemples d’utilisation réussie dans des projets de grande envergure (Flickr Commons, par exemple) sont bien illustrés. L’auteur souligne que les grands moteurs de recherche, Google et Yahoo par exemple, n’exploitent même pas les tags et les signets générés sur des sites dont ils sont eux-mêmes propriétaires.

C’est au chapitre 6 que Le Deuff revient sur le like pour décrire le lien évoqué dans le titre de l’ouvrage. Il constate que le remplacement des tags par une annotation binaire (j’aime/je n’aime pas) équivaut à remplacer un exercice de réflexion et d’évaluation de sources d’information par une stratégie simple de captation de l’attention reposant sur l’impulsion (p. 137). La popularité est devenue plus importante que l’autorité, et on ne cherche même plus à dissimuler la logique commerciale derrière les sites, outils, etc., qui attirent et retiennent l’individu sur le Web.

Dans son introduction, Le Deuff promettait au lecteur des réponses à ses questions sur l’utilité des tags, pour son bénéfice personnel et pour s’inscrire dans une démarche collaborative. Il nous laisse cependant imaginer quelles pourraient être ces questions et il n’est pas possible de déterminer s’il a ou non atteint le but qu’il s’était fixé. Il est indéniable que l’auteur possède une excellente connaissance du Web et de ses composantes les plus actuelles. De plus, sa culture générale étendue lui permet de poser des hypothèses intéressantes et de développer des réflexions originales. On ne sait pas vraiment cependant à qui s’adresse son ouvrage : l’initié n’y trouvera rien de particulièrement innovateur ou révolutionnaire tandis que le novice se butera à de nombreux détails techniques non expliqués, des définitions peu révélatrices, etc.

Si le contenu, un peu brouillon, est malgré tout agréable à parcourir (une fois accepté le fait que nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage scientifique ou même didactique), la présentation et la mise en forme laissent cependant à désirer et rendent l’exercice plus laborieux. Le texte a de toute évidence été écrit rapidement, ce dont nous ne tiendrons pas rigueur à l’auteur qui connaît très bien son sujet. Néanmoins, il est difficile de comprendre comment une maison d’édition peut publier un tel texte sans une révision syntaxique et grammaticale stricte qui aurait permis d’éliminer de nombreuses erreurs (fautes d’accord, mots manquants, mauvaise typographie, etc.).

D’autre part, nous déplorons que l’auteur ne fournisse pas systématiquement tous les détails qui permettraient de repérer sur le Web ou ailleurs les sources auxquelles il fait référence et les sites ou logiciels qu’il a choisi de présenter. Certains des tableaux et des figures dispersés çà et là dans le texte (non numérotés, souvent sans titre) seraient beaucoup plus utiles si leur contenu était commenté et expliqué. L’utilisation des notes en bas de pages, pour donner des références bibliographiques ne devrait en aucun cas remplacer une liste des sources consultées ou une bibliographie en fin d’ouvrage. Comme le contenu de ce texte est très riche en éléments d’information, un index des sujets en aurait augmenté la valeur informative et didactique. Il est d’ailleurs paradoxal que Le Deuff insiste lui-même sur l’intérêt des index de livres, déplorant l’absence d’un index dans un ouvrage qu’il apprécie (p. 20), sans s’inquiéter ensuite de fournir un tel outil dans un ouvrage du type de celui qu’il propose.

Enfin, notons qu’un chapitre supplémentaire, « De l’indexation documentaire à l’indexation personnelle », sans doute complété trop tard pour être intégré à la publication, a été mis en ligne en décembre 2012. On le trouvera en libre accès à l’adresse <http://www.guidedesegares.info/wp-content/uploads/2012/12/Chapitre-bonus.pdf>.