Article body

Post-truth et fake news ont été consacrés respectivement « mots de l’année » en 2016 et en 2017 par les dictionnaires Oxford (Agence France-Presse, 2016) et Collins (Lelièvre, 2017). Dans ce contexte, les bibliothécaires membres de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA) se sont mobilisés autour des enjeux liés à la fiabilité des informations circulant sur le Web et ont produit en 2017 un guide permettant au lecteur de vérifier la véracité des informations qu’il consulte. Traduit en 37 langues, « How to spot fake news » (« Comment repérer des fake news » dans sa version française) se présente comme un document imagé et peu disert, téléchargeable de façon à être imprimé sur une feuille de papier de format standard (8 ½ par 11).

« Critical thinking is a key skill in media and information literacy, and the mission of libraries is to educate and advocate its importance[1] », peut-on lire sur le site de l’IFLA[2] présentant ce guide. Inspirée d’un travail mené par le site Internet américain Factcheck en 2016, l’initiative des bibliothécaires se voulait la plus accessible possible, de façon à pouvoir être comprise par le plus grand nombre d’utilisateurs dans le monde. Le guide a notamment été traduit en mandarin, estonien, hébreu, perse et turc, ce qui témoigne non seulement de l’ambition des bibliothécaires qui en ont eu l’initiative, mais aussi de l’impact planétaire du phénomène. « Download, print, translate, and share – at home, at your library, in your local community, and on social media networks[3] », enjoignent les auteurs anonymes, toujours sur le site de l’IFLA. L’aide-mémoire fait appel à des notions élémentaires de littératie médiatique (media literacy) que tout professionnel de l’information se doit de maîtriser depuis sa première année de formation universitaire (identifier la source, aller au-delà du titre, vérifier la crédibilité de l’auteur, consulter des sources différentes, etc.), mais dont les profanes pourront tirer le plus grand bénéfice.

fIGURE 1

Le document de l’IFLA qui a été traduit en 37 langues, incluant le mandarin et le perse

-> See the list of figures

Dans un des blogues de l’IFLA, Library Policy and Advocacy Blog, Andersdotter (2017) fait la promotion de cette infographie et présente un aperçu des enjeux soulevés par les fake news et des moyens d’y faire face grâce aux professionnels travaillant dans les bibliothèques. Pour elle, la désinformation n’est pas nouvelle : « There have also always been charlatans, liars and forgers, aiming to gain money, power or simply attention[4]. » (Andersdotter, 2017) Mais elle ajoute que cette désinformation a pris une ampleur planétaire en 2016, d’abord au cours de la campagne électorale américaine, puis durant les premiers mois d’activité de l’administration Trump.

La déferlante de fake news est à mettre en relation avec le changement de paradigme de la circulation de l’information. La vitesse à laquelle se déplace l’information a en effet radicalement changé. Un fait divers, une maison qui brûle par exemple, prenait jadis un temps fou à voyager de son premier témoin jusqu’au lecteur final. Le reporter livrait son article et le photographe ses clichés ; il fallait ensuite corriger le texte et le mettre en page, avant de pouvoir l’imprimer. Les photographies devaient suivre de multiples étapes entre les bains de négatifs et les tirages avant d’être envoyées au montage. La même maison qui brûle aujourd’hui se retrouve en vedette sur de multiples plateformes avant même l’arrivée du premier reporter (qui est aussi photographe, vidéaste, etc.).

Les nouveaux moyens de diffusion, donc, permettent une circulation quasi immédiate de l’information. Mais l’expertise des professionnels formés à la diffusion de cette information (Y a-t-il des victimes ? Quelle maison brûle et depuis quand ? L’incendie a-t-il une origine criminelle ?) a été sacrifiée au passage. En plus d’ouvrir la porte à diverses interprétations erronées (acte terroriste, règlement de comptes, décès multiples, etc.), ce nouveau mode de diffusion ne laisse plus la place à la démystification a posteriori des informations trompeuses, qui en limitait les méfaits. Corrections, errata et excuses n’ont plus leur place ici.

« The relationship between information and opinion has always been fluid and uncertain. This has been as much the case in politics as in science or any other area of life[5] », reprend Andersdotter (2017), en ajoutant : « One person’s fake news is another person’s opinion[6]. » À cette citation, on peut opposer celle de Daniel Patrick Moynihan, ancien sénateur démocrate de New York, qui déclarait bien avant les élections présidentielles américaines de 2016 : « Tout le monde a droit à sa propre opinion, mais pas à ses propres faits. » (Cité par Clinton, 2017)

Fake news, fausse nouvelle, infox, « infausse »

Mais qu’entend-on par fake news ? Avant d’aller plus loin, il importe de préciser la définition de cet anglicisme qui s’impose subrepticement dans notre langue. Dans le débat qui depuis deux ans enflamme le milieu académique sur ce thème, à en juger par la succession de colloques, conférences, monographies et publications thématiques, deux écoles s’affrontent. Dans la première, la fake news est tout simplement un « nouveau vin dans une vieille bouteille », pour reprendre l’expression de Michael M. Epstein[7]. Il y a toujours eu de fausses nouvelles, des canulars et des campagnes de propagande. Les fake news de l’ère Donald Trump ne diffèrent aucunement des manipulations habituelles. Pour la seconde école, la fake news est un concept nouveau, fruit de la multiplication des sources de diffusion de l’information par les réseaux sociaux. Il appelle un regard original et une approche novatrice que les intellectuels sont en mesure de proposer.

Il faut convenir que le premier obstacle auquel se confronte le chercheur qui s’aventure dans le domaine de la fake news est d’ordre sémantique. Une fake news est-elle une fausse nouvelle ? L’Académie française (2017) reconnaît en ces termes le problème dans la section « Dire, ne pas dire » de son site Web :

Depuis plusieurs mois l’expression fake news s’est largement répandue en France. Celle-ci nous vient des États-Unis et nombre de commentateurs et de journalistes semblent avoir des difficultés pour lui trouver un équivalent français. Pourtant, ne serait-il pas possible d’user de termes comme bobard, boniments, contre-vérité, mensonge, ragot, tromperie, trucage ?

L’Académie conseille alors de dire « la prolifération des contre-vérités » au lieu de « la prolifération des fake news ».

De son côté, l’Office québécois de la langue française (OQLF) déconseille explicitement le terme anglais et privilégie l’expression « fausse nouvelle », définie comme une « publication qui imite la structure d’un article de presse, qui comprend à la fois des renseignements véridiques et des renseignements erronés ». L’OQLF (2017) précise :

L’emprunt intégral fake news est déconseillé parce qu’il a été emprunté à l’anglais depuis peu de temps et qu’il ne s’intègre pas au système linguistique du français. De plus, son emploi est caractérisé par une certaine réticence linguistique, notamment à l’écrit, où il est souvent marqué typographiquement, que ce soit par l’utilisation des guillemets ou de l’italique. En outre, le terme français « fausse nouvelle » est employé depuis de nombreuses années pour désigner un concept plus général ; l’extension de sens est naturelle, dans ce cas-ci.

Cependant, l’usage dans la francophonie n’obéit pas toujours à ces consignes. Au Québec, l’expression anglaise ne s’est pas imposée dans les médias écrits et électroniques. Par exemple, lorsque la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, Diane Francoeur, a accusé les médias d’avoir mal interprété un message envoyé à ses membres, le 24 février 2018, elle a écrit que « les fake news deviennent la vérité de ceux qui nous accusent de nous être fait greffer un portefeuille à la place du coeur » (cité dans Gentile, 2018). La semaine suivante, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a demandé à la Dre Francoeur des excuses pour avoir accusé les journalistes d’avoir eu recours « à la désinformation et aux fausses nouvelles » (cité dans Cision, 2018).

« L’expression anglaise “fake news” fleurit depuis quelques mois dans les médias, sans véritable traduction en français, pour désigner une information délibérément fausse circulant généralement sur Internet », écrivent Thibault et Ickes en avril 2017. Le journal français Le Monde a choisi son camp et emploie fake news. « On les traduit souvent à tort par “fausses informations” ou “faux articles”, ratant que la fake news n’est pas seulement erronée : elle est volontairement trompeuse. C’est un faux, une imitation, une contrefaçon [...] qui emprunte à la presse traditionnelle ses codes et sa présentation, pour se maquiller comme un exercice journalistique. » (Audureau, 2017) Quoi qu’en dise le président Donald Trump qui s’enorgueillit d’avoir inventé le terme, le concept de fake news est antérieur à l’élection américaine de novembre 2016. Il est indiscutable, toutefois, que l’administration Trump a contribué à sa popularité, puisque selon les lexicographes du Collins, l’utilisation du terme a bondi de 365 % entre 2016 et 2017 (Lelièvre, 2017).

Du côté académique, les définitions convergent autour de la nouvelle inventée ou tronquée, mais vraisemblable. « We define “fake news” to be news articles that are intentionally and verifiably false, and could mislead readers[8] », écrivent Allcott et Gentzkow (2017), qui ont mené un sondage auprès de 1 200 électeurs américains après que Donald Trump a été porté au pouvoir. À leur avis, l’influence des fake news a été déterminante dans ces élections. Sans elles, Hilary Clinton serait actuellement présidente des États-Unis.

Par la voix de son blogueur Mike Wendling (2018), la British Broadcasting Corporation (BBC) présente la fake news moderne comme un concept lié aux réseaux sociaux qui s’est imposé en un temps record. Wendling relate la découverte par le fondateur du réseau Buzzfeed, Craig Silverman[9], d’un village macédonien (Veles) abritant une forte densité de créateurs de fake news. On y retrouve l’origine de 140 sites « spécialisés » ayant alimenté massivement en désinformation le réseau Facebook. L’auteur y situe l’acte de naissance des fake news à un moment précis : le 10 juillet 2016. C’est ce jour-là que quelques jeunes de Veles qui ne connaissaient presque rien de la politique américaine ont lancé sur le site WTOE 5 News quelques « nouvelles » inspirées de l’actualité internationale, mais aucunement basées sur des faits. Leurs deux premières fake news s’intitulent « Pope Francis Shocks Wold, Endorses Donald Trump for President[10] » et « FBI Agent Suspected in Hillary Email Leaks Found Dead in Apparent Murder-Suicide[11] ». Leur intention n’était pas tant de leurrer les lecteurs que d’attirer les annonceurs sur leur site, ce qui a été une réussite, puisqu’ils ont reçu d’importants dividendes du diffuseur. À la suite de ce succès, de nombreux jeunes du village les ont imités, transformant le hameau en capitale mondiale de l’information trompeuse.

Ces jeunes étaient-ils vraiment des boute-en-train sans orientation politique ? Certains en doutent. Cvetkovska, Belford, Silverman et Feder (2018) révèlent que des vérificateurs de faits ont découvert qu’un avocat macédonien proche des adolescents, Trajche Arsov, a entretenu des liens étroits avec des personnalités américaines durant les élections de 2016. Un site de conspirateurs de droite, le Gateway Pundit, serait aussi lié au réseau, et on soupçonne les Russes d’avoir tiré les ficelles de ces manipulations.

Quoi qu’il en soit, la définition de la fake news doit tenir compte d’éléments-clés tels que le mode de diffusion de l’information et ses objectifs parfois mercantiles. Sans réseaux sociaux et sans annonceurs pour en monnayer l’affluence, les fake news ont plus de difficulté à se frayer un chemin vers le lecteur. De plus, il ne faut pas sous-estimer la puissance de cette désinformation aux yeux des stratèges politiques qui ne reculent devant rien pour manipuler l’opinion publique. Les agents russes seraient parmi les plus habiles en la matière, comme le révèle Pigman (2018) dans un article du New York Times.

Il y a des types multiples de fausses informations, mais la fake news se distingue des autres car elle est insaisissable : rectificatifs et errata ne peuvent stopper son élan. La rapidité de sa diffusion, due à l’instantanéité des informations diffusées sur les réseaux sociaux, est un des facteurs de ce caractère insaisissable. Enfin, si la fake news peut être utilisée comme une stratégie politique destinée à influencer l’opinion publique, elle se révèle être parfois une simple blague devenue virale.

Il faut préciser qu’il n’existe actuellement aucune définition consensuelle du concept dans la francophonie, ce qui donne lieu à une certaine confusion au Québec. Le 29 mars 2018, par exemple, le ministre des Finances, Carlos Leitão, a dénoncé publiquement les fake news qui circulent au sujet du projet de réseau électrique métropolitain[12]. Deux éditorialistes de La Presse ont réagi dès le lendemain, Paul Journet (2018) en écrivant qu’il n’y avait « pas d’industrie de “fake news” » au Québec, et François Cardinal affirmant qu’il n’y avait pas de fake news au Québec[13], suscitant de nombreuses réactions sur Twitter (73 commentaires, 33 retweets, 186 likes[14]).

Compte tenu de cette réalité, voici la définition que nous proposons : une fake news (« infausse ») est une information inexacte, insaisissable, diffusée sans contrôle journalistique à un large public par l’intermédiaire des réseaux sociaux. Elle a pour but d’amuser ou de tromper le public à des fins mercantiles ou idéologiques.

Quant au vocable français le plus approprié pour nommer ce concept, aucun consensus ne se dégage pour l’instant. Le ministère français de la Culture, par le biais de sa Commission d’enrichissement de la langue française, propose le terme « infox[15] ». Mot-valise composé de « info » et « intox », l’infox est un mot féminin invariable. « Fausse information, conçue volontairement pour induire en erreur et diffusée dans les médias à large audience », peut-on lire sur le Wikitionnaire[16] qui précise qu’il s’agit d’un néologisme. Nous lui préférons le québécisme « infausse » qui a été présenté notamment au congrès de l’Association francophone pour le savoir en 2018[17]. Contraction des mots « information » et « fausse », ce terme s’accorde en genre et en nombre : « Une loi contre les infausses ; Attention aux infausses ! »

La tentation des lois

Pour les élites politiques, la possibilité de légiférer contre les fraudeurs de l’information est tentante. Pourquoi ne pas bannir les infausses et autres faits alternatifs comme plusieurs pays (Iran, Chine, Italie, Allemagne) l’ont déjà fait ? La France a lancé un projet de loi dans ce sens après avoir vu les informations tronquées se multiplier durant la campagne présidentielle de 2017. Feertchak (2017) rapporte les cinq plus importantes fake news de la présidentielle[18] :

  1. Emmanuel Macron serait financé par l’Arabie Saoudite ;

  2. Jean-Luc Mélenchon porterait une montre Rolex d’une valeur de presque 18 000 euros ;

  3. Le suicide supposé de l’épouse du candidat François Fillon aurait été annoncé à la télévision ;

  4. Un sondage du Figaro montrerait Marine Le Pen comme ayant été la plus convaincante lors d’un débat entre différents candidats à l’élection présidentielle française ;

  5. Jean-Luc Mélenchon ferait l’apologie du Front national dans une entrevue datée de 1991.

Tout cela est faux, bien entendu, et il aura fallu attendre les démentis des personnes visées pour que les messages qui les avaient mis en cause soient effacés, quand ils l’ont été. Ces démentis, du reste, n’ont atteint qu’une petite partie du public. Peu après sa victoire, le président de la République française, Emmanuel Macron, a annoncé que son gouvernement allait instaurer une loi pour lutter contre les fake news en période électorale. L’opinion publique s’est montrée favorable à un tel projet, puisque 79 % des Français en ont approuvé le principe selon un sondage mené en janvier 2018 par Le Figaro[19]. Et cet appui est venu de sympathisants de gauche comme de droite.

Est-ce la solution ? Frau-Meigs (Citée dans Eutrope, 2018) pense que le président Macron a fait un bon coup médiatique en annonçant cette mesure. Et cette annonce a aussitôt poussé l’industrie à accélérer son autoréglementation. Vouloir sanctionner les auteurs de fausses nouvelles est une chose, mais imposer des balises législatives à leur action est plus difficile. On entre dans le domaine de la liberté d’expression, un droit fondamental. « Si la loi est liberticide, elle sera arrêtée constitutionnellement et il y aura des recours au niveau de l’Union européenne avec l’article 10 de la Convention qui protège la liberté d’expression. Ce sera un coup pour rien. » (Citée dans Eutrope, 2018) Toujours selon Frau-Meigs, il vaut mieux mettre son énergie et ses finances au service de l’éducation aux médias dans les écoles. C’était d’ailleurs la volonté de l’ancienne ministre de la Culture, Françoise Nyssen, qui considérait que les jeunes doivent être mieux outillés pour lutter contre la désinformation. Cela dit, il est risqué pour tout gouvernement de s’aventurer vers la solution législative, parce que cette option entre en contradiction avec une valeur importante de la société démocratique : la liberté d’expression. Pour cette raison, le Canada ou les États-Unis semblent ne pas vouloir imiter la France.

L’autoréglementation est une autre solution. Accusés de favoriser la diffusion d’informations inexactes, Facebook et Google ont tenté de s’autoréguler, avec un certain succès. Mais la responsabilité revient finalement au consommateur de nouvelles lui-même. « Être informé, c’est être libre », avait déclaré l’ancien Premier ministre René Lévesque dans un discours prononcé devant des journalistes régionaux en congrès à Pointe-au-Pic, le 8 juin 1978. Mais aussi :

Quelqu’un qui n’est pas informé, qui n’a pas le minimum vital d’information, est un esclave. Il se fait manipuler par la presse, par la propagande, par n’importe qui, n’importe quand et n’importe comment. C’est la version moderne de ce qu’était l’esclave de l’antiquité. Ses chaînes sont invisibles, les chaînes du manque de connaissance des faits et de la réalité qui l’affectent[20].

À cette époque, l’information était beaucoup moins abondante qu’aujourd’hui. Le consommateur de nouvelles devait payer pour ses journaux et ses revues. Nous pourrions ajouter à la position de René Lévesque qu’il ne suffit pas d’être informé : il faut l’être adéquatement afin d’être en mesure d’exercer convenablement son devoir démocratique. Pour être libre, il faut être bien informé !

Cela revient à dire que la littératie médiatique est à promouvoir de nos jours comme on promouvait il y a trente ans la programmation informatique ou il y a cinquante ans le doigté dans l’utilisation de la machine à écrire. Les étudiants universitaires sont directement concernés par ces enjeux. Comme le souligne le bibliothécaire américain Donald A. Barclay, l’étudiant des années 1980 cherchant de l’information pour un travail de session sur les pluies acides devait décider s’il se basait sur une publication scientifique de la revue Nature ou sur un magazine généraliste comme Time[21]. Le choix de publications qui s’offre à l’étudiant de 2019 est infiniment plus vaste. Comme le dit Barclay (2017) : « Today’s students, however, must know how to distinguish between articles published by genuine scholarly journals and those churned out by look-alike predatory and fake journals that falsely claim to be scholarly and peer-reviewed[22]. » Un travail beaucoup plus difficile qui repose, là encore, sur une culture de l’information plus fine qu’autrefois.

Dans ce contexte, les bibliothécaires peuvent devenir en quelque sorte les gardiens de la vérification des faits. Ces professionnels sont probablement les mieux placés pour distinguer le bon grain de l’ivraie dans la pléthore de sources qui envahit l’univers du citoyen. Ce n’est pas un hasard si l’Association of College and Research Libraries a révisé ses standards pour la première fois en quinze ans. Dans cette nouvelle approche de littératie médiatique, on suggère aux étudiants d’investir le temps et l’énergie nécessaires à la bonne compréhension de la crédibilité des sources qu’ils utilisent :

Students have a greater role and responsibility in creating new knowledge, in understanding the contours and the changing dynamics of the world of information, and in using information, data, and scholarship ethically. Teaching faculty have a greater responsibility in designing curricula and assignments that foster enhanced engagement with the core ideas about information and scholarship within their disciplines[23].

Une armée de vérificateurs

Et s’il existait un site d’information général constamment mis à jour par des millions d’utilisateurs qualifiés, entretenant une vigilance internationale de tous les instants ? Un site qui préviendrait qu’une affirmation ne cite pas suffisamment ses sources, dans le cadre d’une solide procédure de vérifiabilité ? Ce serait une excellente façon de donner des outils aux lecteurs pour distinguer le vrai du faux.

Sur le blogue de l’IFLA, Andersdotter (2017) laisse entendre que l’encyclopédie en ligne Wikipédia pourrait être ce site. Après tout, cette encyclopédie née en 2001 compte près de six millions d’articles en anglais et plus de deux millions en français. La politique de vérifiabilité se lit comme suit :

La vérifiabilité est l’une des règles essentielles de Wikipédia qui découle du principe de la neutralité de point de vue. Avec l’interdiction de publier des travaux inédits, les règles déterminent ce qui peut ou non être publié dans Wikipédia. Elles doivent être interprétées les unes par rapport aux autres, et il est recommandé aux contributeurs de Wikipédia de bien les connaître et de se les approprier. Une information ne peut être mentionnée que si les lecteurs peuvent la vérifier, par exemple si elle a déjà été publiée par une source ou référence de qualité. Les contributeurs doivent fournir une telle source pour toutes les informations contestées ou susceptibles de l’être. Dans le cas contraire, elles peuvent être retirées[24].

L’encyclopédie en ligne Wikipédia est-elle la meilleure alliée des vérificateurs de faits ? Grâce à ses millions de contributeurs, elle est constamment surveillée par des citoyens qui ont à coeur la qualité de ses contenus. Après tout, ceux qui souhaitent une meilleure culture publique de l’information doivent faire en sorte que cette encyclopédie populaire, créée par des masses de contributeurs échappant en partie aux institutions scientifiques et universitaires, n’ait plus la réputation sulfureuse qu’elle a pu avoir par le passé, lorsque l’étudiant qui citait trop facilement Wikipédia risquait de relayer des aberrations et de s’attirer les foudres de ses professeurs. La note de bas de page contenant le « wiki » a ainsi longtemps été associée à la paresse documentaire. Aujourd’hui, on sait qu’un travail de veille international est assuré, nuit et jour, par 16 515 contributeurs français et plus de 281 000 contributeurs anglais, qui alimentent et mettent à jour l’encyclopédie en ligne afin d’assurer la crédibilité des faits.

À la différence des épais dictionnaires d’autrefois, cet outil est constamment mis à jour de façon à refléter les réformes de la carte politique, les révisions linguistiques, etc. Quand les sources sont incertaines et difficilement vérifiables, le lecteur en est informé sans détour. Andersdotter (2017) compare le travail des armées de vérificateurs de faits du réseau Wikipédia à celui qui assure la crédibilité de la production scientifique :

Just as academic publishing working assures quality through peer review, Wikipedia’s millions of users review and check its articles.In the flood of facts we’re faced with every day, this crowdsourced fact-checking is a game-changer in the verifiability business, delivering community trust in an age of suspicion[25].

Cela dit, l’encyclopédie en ligne a ses limites. La principale d’entre elles est sans doute son temps de réaction. Comme les infausses circulent très rapidement, la vérification des faits ne peut intervenir à la même vitesse. Wikipédia demeure un outil de référence qui ne peut assurer la validité de l’information virale du jour. Des sites de vérification des faits existent en anglais, comme Factcheck[26] ou le détecteur de rumeurs de l’Agence Science-Presse[27] qui fait sa part pour informer le public francophone sur les fake news scientifiques, mais ces initiatives demeurent rares dans l’environnement numérique.

Conclusion

Comme les journalistes, les bibliothécaires ont une formation qui les rend compétents pour distinguer les informations basées sur des faits des nouvelles tronquées, maquillées ou détournées. Ainsi que le démontre l’initiative de l’IFLA, ils veulent stimuler la pensée critique du public afin de valoriser une bonne littératie médiatique. Si les médias dotés de politiques rédactionnelles journalistiques traditionnelles demeurent des sources fiables d’information, les informations diffusées sur le web peuvent aussi être crédibles, grâce aux nouveaux moyens d’en assurer leur vérifiabilité.