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Inroduction

Définir une bibliothèque au XXIe siècle est une tâche complexe et nécessite la prise en compte de plusieurs évolutions. Avec le développement des technologies de l’information, l’évolution des collections, des services, des locaux, etc., les bibliothèques ne sont plus seulement une collection organisée, mise à disposition du public, mais un lieu de socialisation. Qualifiée de bibliothèque du futur, de bibliothèque 3.0 ou encore de 3e lieu, la bibliothèque actuelle se caractérise par l’innovation et la création de nouveaux services, l’usage accru des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour atteindre le public distant, l’implication effective des lecteurs dans l’animation de la bibliothèque, l’arrivée de nouveaux métiers dans les bibliothèques, et surtout une nouvelle approche pour les collections. La bibliothèque, dans le souci de rester au coeur de l’accès à l’information et face à la rude concurrence d’autres acteurs de la production et de la facilitation de l’accès à l’information documentaire, se réinvente et agit sur des registres complètement nouveaux et parfois difficilement conciliables avec la vision classique d’une bibliothèque en tant que lieu calme et propice à la lecture. C’est le cas, par exemple, de l’intégration de l’imprimerie (Jost, 2014 ; Andro et Klopp, 2015 ; Mathieu et Patissier, 2016), des fab labs (Simon, 2015), des cafés ou du cinéma dans les bibliothèques (par exemple dans l’Openbare Bibliotheek Amsterdam, la bibliothèque publique d’Amsterdam). L’intégration de ces nouvelles initiatives fait l’objet de débats passionnés entre bibliothécaires, notamment sur leur compatibilité avec les services classiques des bibliothèques, comme la lecture silencieuse (Blanpain, 2014). Les partisans de leur adoption attirent l’attention sur l’existence très ancienne dans les bibliothèques du zoning qui permet un découpage spatial de la bibliothèque, incluant des activités bruyantes comme la préparation d’exposés entre élèves. Les innovations dans les bibliothèques font ainsi l’objet de diverses interprétations. Signe de la démocratisation culturelle (Servet, 2010), elles tendent, pour certains, à faire perdre à la bibliothèque son essence (Calenge, 2015) et à exiger des bibliothécaires de nouvelles compétences, voire de la reconversion.

Les bibliothèques se métamorphosent considérablement en Occident. Les différentes innovations susmentionnées, la place de plus en plus grandissante du numérique dans l’acquisition, le traitement, le stockage et la diffusion des collections, et surtout l’évolution de l’édition numérique incitent certains à prédire la fin certaine et proche des bibliothèques (Texier, 2016). Cependant, l’évolution technologique ne suit pas la même courbe en Occident qu’en Afrique. Si la fracture numérique existe des deux côtés, en Afrique, elle se pose très souvent en termes de disponibilité même des services. Dans bon nombre de pays africains situés au sud du Sahara, l’accès à Internet et parfois à la téléphonie est limité aux villes et agglomérations de taille moyenne ou disposant de routes bitumées (Steiner, 2011). Il est à noter aussi que le niveau de développement des TIC dans ces pays est fonction de plusieurs réalités : leur accès à la mer ou non, leur niveau de développement économique, leur politique en matière de TIC, leur état d’organisation des bibliothèques, et leur niveau de partenariat avec les organismes de promotion du livre et de la lecture. Globalement, les pays anglophones situés au sud du Sahara (Ouganda, Kenya, Nigeria, etc.) semblent disposer d’une longueur d’avance sur les pays francophones. En effet, ils bénéficient déjà de plusieurs projets de promotion du numérique dans les bibliothèques, notamment le Public Library Innovation Programme (EIFL-PLIP) de l’Electronic Information for Libraries (EIFL).

Le numérique dans les bibliothèques africaines doit s’analyser sur fond global du développement des bibliothèques et des TIC sur le continent. Ainsi, il est à noter que les bibliothèques africaines n’avaient pas atteint le même niveau d’organisation et de service que leurs homologues de l’Occident à l’introduction du numérique en général et d’Internet en particulier. En Occident, par exemple, la mise en réseau des bibliothèques était très avancée, voire menée à bien, et les bibliothèques avaient mis en place le prêt interbibliothèques pour une meilleure circulation de l’information documentaire à l’échelle d’un pays. Le service questions–réponses par téléphone ou par d’autres moyens de communication était également pratiqué. À l’arrivée d’Internet, cette volonté de faciliter l’accès du public distant aux ressources documentaires et à l’information s’est développée et s’est adaptée aux possibilités offertes par Internet.

Les bibliothèques africaines en général, et celles du Mali en particulier, lorsqu’elles veulent exploiter le numérique et fournir des services semblables à ceux proposés dans les bibliothèques des pays développés, sont confrontées à plusieurs difficultés d’organisation, de financement, d’équipement, de ressources humaines, mais aussi de vision stratégique. Peuvent-elles faire un saut organisationnel et offrir des services numériques qu’elles n’ont pas l’habitude de proposer ? Ou doivent-elles d’abord s’organiser, initier des services classiques de base, les informatiser et les offrir plus tard sur Internet ? Une réflexion approfondie mériterait d’être conduite sur le sujet. Quoi qu’il en soit, le numérique est déjà présent dans des bibliothèques maliennes et s’affirme tant bien que mal. Dans le présent article, qui s’appuie sur les résultats d’une enquête conduite dans le cadre d’une thèse, nous essaierons d’analyser l’introduction et l’appropriation du numérique, ainsi que les difficultés que cette appropriation suscite.

Bref aperçu des bibliothèques maliennes

La bibliothéconomie malienne remonte à l’âge d’or de Tombouctou, qui déjà au XIVe siècle connaissait l’enseignement coranique. Au XVIe siècle, l’université de Sankoré (composée de trois mosquées d’enseignement, à savoir Sankoré, Djingareyber et Sidi Yahya) a contribué à la naissance des bibliothèques dans la ville, notamment dans les familles des érudits et des marabouts. Cette tradition de création de bibliothèques dans les familles maraboutiques a persisté pendant des siècles et elle est à l’origine des bibliothèques de manuscrits actuelles. Les bibliothécaires d’alors étaient très souvent propriétaires de leurs bibliothèques. Durant la colonisation, la première bibliothèque en langue française a vu le jour (Andriamirado, 2006). Ces bibliothèques étaient gérées par les colons et destinées à servir le personnel colonial.

La bibliothéconomie du Mali indépendant commence à se forger à partir de 1960. À l’indépendance du pays, la bibliothèque de la représentation soudanaise de l’Institut Français d’Afrique Noire (IFAN) devient l’Institut des Sciences Humaines avec en son sein la Bibliothèque du Gouvernement, les Archives nationales et une section Recherche. La bibliothèque du Gouvernement donne officiellement naissance, en 1984, à la Bibliothèque nationale du Mali. Au début des années 60, les premiers bibliothécaires maliens commencent à être formés au tout nouveau Centre régional de formation des bibliothécaires pour l’espace francophone, créé suite aux recommandations du stage sur le développement des bibliothèques publiques en Afrique, tenu à Ibadan au Nigéria en 1953. La formation des bibliothécaires maliens continuera à se faire plus tard au Sénégal, en Belgique, en France, au Maroc et en ex-Union soviétique. Il faudra attendre 2004 pour voir la formation diplômante en sciences de l’information se tenir dans une école nationale malienne.

Aspect institutionnel

Au Mali, la Direction Nationale des Bibliothèques et de la Documentation (DNBD), créée en 2001, définit les éléments de la politique nationale du livre, et coordonne l’activité des bibliothèques, quel que soit leur type. Elle compte un service rattaché, le Centre National de la Lecture Publique (CNLP), qui coordonne spécifiquement l’action des bibliothèques de lecture publique. À ce centre revient la mission de maillage du pays en bibliothèques publiques que devait assurer l’Opération Lecture Publique (OLP). Jusqu’en 1977, les bibliothèques étaient construites au compte-goutte. Puis, à cette date, un projet franco-malien, l’OLP, voit le jour : il crée des bibliothèques publiques dans les 46 cercles que compte alors le Mali, ainsi que dans quelques arrondissements. Les 66 bibliothèques publiques ainsi créées, souvent situées dans les écoles fondamentales, ont joué jusqu’en 2000 le rôle de bibliothèques scolaires tout autant que de bibliothèques publiques. À la création de la Cellule des bibliothèques scolaires (CBS) en 2000 au sein du ministère de l’Éducation, le statut et la tutelle de ces bibliothèques font l’objet de débats véhéments entre la nouvelle structure en charge des bibliothèques scolaires et l’OLP. En 2001, l’OLP devient le Centre national de la Lecture Publique et se voit rattaché à la Direction nationale des Bibliothèques et de la Documentation, nouvellement créée. Bien que les textes confient à la Direction Nationale des Bibliothèques et de la Documentation, dont la tutelle est le ministère de la Culture, la coordination de tous les types de bibliothèques sur le territoire national, celle-ci connaît dans les faits de nombreuses limites. Tout d’abord, aucun texte ne définit les modalités de contrôle des bibliothèques d’autres départements ministériels et les recours en cas de non transmission de documents ou d’exécution indue de tâches par les bibliothèques. Ensuite, aucun mécanisme de coordination des activités n’est défini entre la DNBD et la CBS afin d’éviter des doublons dans le contrôle et l’assistance aux bibliothèques scolaires. À ces difficultés s’ajoute le fait que la DNBD ne dispose pas de moyens logistiques pour identifier les bibliothèques, leurs besoins et coordonner leurs activités[1]. Or les acteurs responsables de la création des bibliothèques sont nombreux et ne se réfèrent pas à la DNBD. Parmi eux, on trouve l’Association pour la Lecture Éducation et le Développement (ALED) et ses 44 bibliothèques scolaires, Culture et Développement qui soutient les bibliothèques de la région de Tombouctou, MaliRA (Mali – Rhône-Alpes) qui compte 6 bibliothèques, Acte Sept, les détenteurs de manuscrits, les organismes internationaux, les associations, les ONG, les acteurs religieux, etc. Les grandes écoles et les universités publiques du pays comptent également dix bibliothèques. Elles ne disposent d’aucun organisme spécifique de contrôle et leurs rapports d’activités ne sont pas envoyés à la DNBD. Selon la base CDOC[2], le pays compte 206 bibliothèques, toutes créations confondues. Ces chiffres ne tiennent toutefois pas compte des bibliothèques situées dans les communes V et VI du district de Bamako, qui ne sont pas encore couvertes par la mission de recensement de la Direction Nationale des Bibliothèques et de la Documentation.

En somme, il existe un réel problème de coordination des bibliothèques au Mali. La DNBD ne dispose pas de textes suffisants et détaillés pour exercer son contrôle sur toutes les unités documentaires du pays. Elle ne dispose pas non plus de moyens financiers, humains et surtout logistiques pour identifier, coordonner et contrôler les bibliothèques. Par ailleurs, depuis sa création en 2001, elle n’a jamais émis de directive à l’attention des bibliothèques, que ce soit pour l’appropriation des TIC (informatisation, présence sur Internet, services web, etc.) ou pour tout autre sujet (locaux, formation, techniques documentaires, etc.).

Locaux

Le Mali ne dispose à ce jour d’aucune norme de construction de bibliothèque. Ainsi, aucun document officiel ne définit, en fonction du nombre d’usagers à servir, la superficie à bâtir, les compartiments fonctionnels à découper, ni même le type de terrain à privilégier comme site de construction. Seule existe une directive informelle de l’Opération Lecture Publique, qui recommande une superficie de 60 m². Ainsi, les bibliothèques ne sont pas perçues comme des entités distinctes devant répondre à des normes architecturales précises et à des critères d’esthétique ou de sécurité spécifiques. Les bibliothécaires ne sont pas associés en amont à la définition des espaces des futures bibliothèques. Qu’elles soient scolaires, universitaires ou spécialisées, les bibliothèques sont très souvent intégrées au bâtiment principal de leur service de tutelle, ce qui ne permet pas d’avoir une architecture spécifique et un compartimentage professionnel. Les espaces fonctionnels sont généralement limités à une seule salle. C’est le cas pour 74 % des bibliothèques concernées par notre enquête (Sidibé, 2018).

La salle unique ne favorise pas la diversification des services, donc la prise en compte des besoins spécifiques des usagers (lecture silencieuse, préparation d’exposés, écoute ou visionnement de documents sonores ou audiovisuels, pratique de jeux, etc.). L’absence d’architecture spécifique pour les bibliothèques pose la question de l’esthétique. La question est de savoir comment susciter la curiosité des lecteurs, les attirer et leur fournir un cadre de lecture et de travail commode. L’exception à cette règle semble être la Bibliothèque nationale, construite en 2001, qui présente plusieurs espaces, y compris des box pour les chercheurs, un amphithéâtre et une salle de réunion.

Fonds documentaires

Les bibliothèques maliennes sont rarement dotées d’un budget d’acquisition. Selon l’enquête susmentionnée, seules 8 bibliothèques sur les 39 plus grandes du pays (soit 20,5 %) disposent d’un budget d’acquisition (Sidibé, 2018). L’analyse qualitative des fonds documentaires des bibliothèques universitaires, par exemple, montre que « les collections d’ouvrages sont insuffisantes, inadaptées et obsolètes » (Cartellier et Delcarmine, 2009). L’enrichissement des collections dépend fortement des dons. Dans les bibliothèques publiques, la situation n’est pas rassurante. Après les années de dotation des bibliothèques de lecture publique en documents par la France dans le cadre du projet OLP, les achats de documents sont maintenant gérés par le Centre national de la Lecture Publique (CNLP). Or les fonds alloués à l’acquisition des documents sont très insuffisants, chaque bibliothèque de lecture publique ne recevant annuellement qu’une dizaine de volumes. Dans les bibliothèques spécialisées, les achats de documents sont rares. Globalement, les achats de documents, peu importe le type de bibliothèque, souffrent d’un manque de transparence, et dans certains cas, d’un manque de professionnalisme.

La pauvreté des fonds constitue un handicap à la diversification des services, ainsi qu’à l’exploitation accrue du numérique dans leur gestion et leur diffusion. Certaines bibliothèques disposant à peine de 400 documents, tous types confondus, il est nécessaire de s’interroger sur l’opportunité de les informatiser et de réfléchir à une présence sur le Web, surtout quand l’évolution des fonds documentaires reste tributaire des dons et du bon vouloir des responsables des services de tutelle des bibliothèques.

Équipement des bibliothèques

Les bibliothèques maliennes sont sous-équipées. Les équipements de projection sont quasi inexistants, et ceux de reproduction sont présents seulement dans les grandes bibliothèques, le plus souvent à Bamako. Quant aux équipements informatiques, la dotation est irrégulière et surtout insuffisante. 67 % des 39 bibliothèques de Bamako, Ségou et Fana concernées par notre enquête disposent d’un à quatre ordinateurs (Sidibé, 2018). Cartellier et Delcarmine (2009) constatent le même sous-équipement en ordinateurs dans les bibliothèques universitaires et attirent l’attention sur l’impossibilité pour ces bibliothèques de mettre à la disposition des publics des ordinateurs en accès libre.

L’équipement en matériel informatique reste concentré dans la capitale, Bamako. Dans les régions, il est limité par le sous-équipement des services de tutelle, par l’absence d’électricité, par le manque de personnel qualifié pour son exploitation, et par la mauvaise perception qu’ont certaines autorités des bibliothèques. Selon la base CDOC, seules 13 des 114 bibliothèques répertoriées dans les régions (soit 11 %) disposent d’un ordinateur (et un seul). Ces statistiques incitent évidemment à réfléchir sur l’impact que peut avoir cette faiblesse d’équipement sur l’appropriation du numérique dans les bibliothèques, surtout dans l’intérieur du pays.

Personnel

Comme nous l’avons écrit, la formation diplômante des bibliothécaires maliens a été jusqu’en 2004 réalisée à l’étranger. Ces formations, totalement dépendantes de la disponibilité des bourses d’études offertes par les pays partenaires ou par les organismes internationaux, ne permettaient pas de remplir les besoins d’une formation de masse des bibliothécaires documentalistes. En conséquence, le nombre de bibliothécaires qualifiés était insignifiant au regard des besoins du pays. De plus, les formations des professionnels de l’information documentaire ne faisaient pas l’objet d’une planification cohérente et suivie, puisqu’elles dépendaient du bon vouloir des pays partenaires et des organismes internationaux. Enfin, les bibliothécaires formés ne faisaient pas l’objet d’un suivi régulier par l’État. En conséquence, certains d’entre eux étaient débauchés par le secteur privé ou par les organisations internationales, avec des salaires et des conditions de travail plus avantageux.

L’insuffisance de personnel formé en bibliothéconomie a forcé les autorités administratives et scolaires à procéder à des mutations ou à des affectations d’enseignants, de techniciens des arts, de comptables, etc., auprès de bibliothèques pour en assurer la gestion. Le motif de ces mises à disposition d’agents non diplômés en documentation n’était pas toujours de permettre un bon fonctionnement des bibliothèques, mais plutôt, pour l’administration, de se débarrasser de certains agents encombrants, car fatigués, malades, proches de la retraite ou trop revendicateurs.

Avec la création de la filière Métiers du Livre, des Archives et de la Documentation à la Faculté des Lettres, Langues, Arts et Sciences Humaines (FLASH) en 2004, la formation de masse des professionnels de l’information documentaire est devenue une réalité au Mali. Mieux, le rythme de la formation est désormais devenu régulier et soutenu (plus de 20 détenteurs de DUT et de 15 détenteurs de licence par an depuis respectivement 2006 et 2011). La formation à la filière (devenue Institut Universitaire de Technologie) a permis à l’État de recruter des spécialistes en sciences de l’information pour de nombreux services publics. Chaque année, 20 à 25 services sont ainsi pourvus en documentalistes et en archivistes diplômés en Métiers du Livre, des Archives et de la Documentation. Dans un proche avenir, le taux de 46 % de diplômés dans le secteur devrait connaître une franche amélioration.

Figure 1

Profil de formation des bibliothécaires à Bamako

Profil de formation des bibliothécaires à Bamako

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La nouvelle génération d’archivistes et de documentalistes compte dans son cursus de formation plusieurs compétences en informatique (bases et banques de données, création et gestion de sites web, bibliothèques numériques, archivage numérique, GED, etc.), ce qui constitue un atout pour la maîtrise et la vulgarisation du numérique dans les bibliothèques et services d’archives du pays. Quant à la formation continue du personnel bibliothécaire, les acteurs majeurs sont (ou étaient) les suivants : le projet Opération Lecture Publique (OLP) (devenu Centre National de la Lecture Publique), le Réseau malien de documentation pour le développement (REMADOC), le projet franco-malien Appui à la Filière du Livre au Mali (AFLAM), actif entre 2000 et 2007, la Cellule des Bibliothèques Scolaires (remplacée par la Direction du Livre et de la Pédagogie), et la Direction Nationale des Bibliothèques et de la Documentation. Outre les formations initiées ou négociées par ces acteurs, des bibliothécaires, de leur propre initiative, postulent et obtiennent des stages à l’étranger. Si certaines de ces formations, notamment les stages en administration de bases de données du réseau IBISCUS à Paris, de l’Université Libre de Bruxelles, ou d’autres acteurs, ont permis de rehausser le niveau de compétence des bibliothécaires maliens en gestion numérique des collections, les besoins restent toujours très importants. Les enseignants et autres corps affectés dans les bibliothèques n’ont la plupart du temps reçu aucune formation en gestion de bibliothèques. De plus, de nombreux bibliothécaires diplômés en sciences de l’information, après leur recrutement, ne bénéficient d’aucune formation continue, en l’absence d’un quelconque plan de formation.

Comme on peut le constater, les bibliothèques maliennes évoluent dans des conditions qui ne permettent pas leur plein épanouissement, surtout à l’ère du numérique. Les locaux sont exigus et souvent délabrés. Les ressources documentaires, matérielles et financières, sont très faibles. L’aide extérieure reste un recours important pour le développement de la plupart des unités documentaires, car elle leur apporte des ressources supplémentaires, de l’équipement et souvent le renforcement des compétences des bibliothécaires. Il existe plusieurs réseaux de bibliothèques relevant de l’État, d’acteurs culturels privés (ALED[3] par exemple) ou de la coopération entre États (MaliRA, Culture et Développement[4], EDDN[5], etc.). Mais à cause de la crise sécuritaire dans le nord du pays et de l’impécuniosité de l’État, ils ont du mal à se maintenir et à effectuer les missions de contrôle et d’assistance technique que l’on attend d’eux.

En dépit de toutes ces difficultés, le numérique est présent dans les bibliothèques maliennes. Certes, toutes les bibliothèques n’y ont pas accès, mais des initiatives existent et il est utile d’analyser les catégories, acteurs, et tendances qui les composent.

Le numérique dans les bibliothèques maliennes

Depuis les années 60, les bibliothèques ont connu plusieurs innovations technologiques. Depuis les bases de données primitives, facilitant le référencement, la localisation et l’accès des ressources physiques sur les rayons, le numérique s’est mué en un outil d’accès aux documents numérisés ou natifs numériques sur des réseaux locaux ou sur Internet. Les supports des documents ont aussi évolué. Bien que le numérique soit encore absent dans la majorité des bibliothèques maliennes, il représente quand il existe une ressource utile dans la gestion de la documentation. Il permet de gagner du temps, de simplifier les procédures et d’atteindre une efficacité certaine.

L’ère des bases de données bibliographiques

Le numérique a fait son entrée dans les bibliothèques du secteur public malien à la fin des années 80. En effet, la première bibliothèque de ce secteur à disposer d’un ordinateur a été la bibliothèque de l’Institut d’Économie Rurale (IER), grâce à un appui du fonds d’Aide et de Coopération de la France en 1989. En 1993, la Banque Internationale d’Information sur les États Francophones (BIEF) offre à la Bibliothèque nationale du Mali son premier ordinateur. La même année, grâce à l’appui du service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France au Mali, le REMADOC voit le jour. De cette date jusqu’à l’an 2000, ce réseau a mobilisé 31 bibliothèques et centres de documentation et a créé une base de données bibliographique « Mali », riche de plus de 22 000 références. Il a initié des sessions de formation au logiciel documentaire CDS-ISIS, devenu plus tard Winisis, et a édité plusieurs documents dont une bibliographie, un répertoire des unités documentaires du Mali, et un bulletin d’information, REMADOC Infos. Il a créé son site web et l’a fait héberger par le campus numérique francophone. Le rôle mobilisateur du REMADOC a été capital dans la maîtrise de l’outil informatique et des logiciels documentaires dans les bibliothèques maliennes. Un esprit de solidarité s’est installé entre les membres, ce qui a permis aux bibliothécaires ne disposant pas d’ordinateurs dans leur unité d’aller saisir leurs notices dans les bibliothèques qui en étaient pourvues. Outre les échanges d’expériences, le REMADOC a à son actif plusieurs sessions de formation à l’informatique documentaire, à la création et à la publication de sites web. Il a aussi lancé une initiative novatrice, la formation à la carte, permettant à des bibliothécaires de bénéficier d’une formation courte et ponctuelle (un jour, ou même une heure) sur un aspect concret de la gestion des bibliothèques ou du logiciel CDS-ISIS. À partir de 2000, le REMADOC a perdu de son dynamisme, faute de financement. En novembre 2018, des concertations se sont néanmoins tenues pour la relance de ses activités.

En 1997, le Mali a été officiellement connecté à Internet, ce qui a ouvert de nouvelles perspectives pour les bibliothèques du pays, notamment la création de sites web et la production et la publication de contenus en ligne (bases de données bibliographiques, bibliothèques numériques de thèses, de rapports, de journaux anciens, etc.). D’autres initiatives de développement de bases de données bibliographiques ont vu le jour au début des années 2000. C’est le cas, par exemple de la base bibliographique du Réseau de Documentation et d’Information sur la Population (REDIPOP[6]), créée en 2000 et dont la base contenait quelques 4 000 références. Le numérique dans les bibliothèques maliennes, à cette période, tournait essentiellement autour de la création et de la gestion de bases de données, l’élaboration des listes d’acquisitions, la rédaction de courriers administratifs, ainsi que la formation. Beaucoup de bibliothèques maliennes n’ont pas dépassé ce stade basique d’appropriation des TIC. Ainsi, certaines ont perdu la base bibliographique commune « Mali » et leur propre base bibliographique « SAISI » suite à des pannes informatiques, au départ du bibliothécaire gestionnaire de la base de données ou à l’arrêt des activités du réseau documentaire REMADOC, ce qui a fait régresser l’appropriation du numérique dans ces bibliothèques.

Les bases de données en ligne et le numérique dans les bibliothèques maliennes

La connexion officielle du pays à Internet en 1997 a ouvert la voie à des initiatives d’appropriation du numérique, notamment avec la création de bibliothèques numériques. Plusieurs mesures salutaires ont été annoncées dans la Politique nationale (PN) et dans le Plan Stratégique National (PSN) des TIC en 2005[7]. Ce sont entre autres : la numérisation et la protection des archives des bibliothèques[8], la création de cyberespaces pour les jeunes dans les bibliothèques[9], et l’adoption de tarifs préférentiels de connexion des bibliothèques à Internet[10]. Mais aucune n’a été mise en oeuvre par les autorités maliennes ou par l’Agence des Technologies de l’Information et de la Communication (AGETIC) en charge de l’application de la Politique nationale des TIC. En conséquence, les bibliothèques n’ont pas connu en leur sein un développement planifié, homogène et régulier des services Internet. Faute d’application de la PN-TIC, les bibliothèques sont très peu connectées à Internet : sur les 206 bibliothèques de la base CDOC, seulement 40 bibliothèques (soit 19 %) ont une connexion à Internet.

Par ailleurs, les connexions Internet sont restées très chères et instables. À titre d’exemple, en 2018, la connexion Internet de 3 Mbps auprès de Orange Mali coûtait à la Bibliothèque nationale du Mali la somme de 400 000 F CFA/mois (soit plus de 600 euros par mois). Ce tarif dissuasif n’est soumis à aucune dérogation en faveur des bibliothèques. Il reste aussi très élevé comparé aux prix pratiqués en Europe, notamment en France où le haut débit par ADSL[11] ou par fibre optique est fourni pour moins de 60 euros par mois. Dans 75 % des bibliothèques maliennes connectées à Internet, le débit reste inférieur à 1Mbps. Mais en plus d’un débit faible, les connexions ne sont pas pérennes, ce qui constitue un défi à relever, vu la multiplicité et la nature des acteurs concernés. La répartition de la connexion Internet dans les bibliothèques par acteur donne 67 % de part à l’État, 25 % aux partenaires et 8 % au partenariat entre l’État et les autres acteurs. Et quand les partenaires se désengagent de la connexion Internet, l’État ne prend pas le relais.

Avec l’avènement d’Internet, certaines bibliothèques maliennes ont créé des sites web statiques, mais n’ont pas pu ou su mettre en ligne leurs bases de données bibliographiques. À l’exception de la bibliothèque du Commissariat à la Sécurité Alimentaire[12] (CSA), c’est le cas des autres bibliothèques membres du REMADOC, qui disposent toutes de leur propre base bibliographique. La Bibliothèque nationale du Mali a lancé son site web depuis février 2012, mais sa base de données n’est toujours pas en ligne. Les raisons de ce retard sont multiples : le fait que la base de données n’ait pas été créée avec un logiciel documentaire orienté web, l’absence de compétences de base en publication en ligne, et les difficultés d’hébergement, entre autres. Ainsi, la plupart des bibliothèques présentes sur Internet, y compris la Bibliothèque du Centre Culturel Américain, se sont limitées aux sites web statiques ou aux sites de présentation de l’institution ou de sa tutelle. La bibliothèque de l’Institut Français de Bamako constitue aussi une exception, car son catalogue est accessible en ligne[13].

Si les bibliothèques maliennes qui publient leurs bases bibliographiques en ligne sont rares, celles qui collaborent à l’alimentation de bases bibliographiques de réseaux documentaires basés à l’étranger sont relativement nombreuses. Elles relèvent particulièrement des secteurs de la santé et de l’agriculture. À titre d’exemple, on peut citer les bibliothèques de la faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontostomatologie (FMPOS), de l’Institut National de Recherche en Santé Publique (INRSP), de l’Institut national de formation en Sciences de la Santé (INFSS), qui participent à l’alimentation de la base de données commune du Réseau Ouest Africain de Documentation et d’Information Sanitaires (ROADIS) de l’Organisation Ouest Africaine de la Santé (OOAS). Cette participation régulière des bibliothèques maliennes à des bases de données situées à l’étranger et la non-disponibilité de leurs propres bases de données sur Internet peut trouver son explication dans les difficultés à disposer et à maintenir en état de fonctionnement des serveurs fiables dans le pays, ainsi que d’avoir des compétences en mise en ligne et en gestion de base de données.

La création de bibliothèques numériques est un défi dans les conditions actuelles de connexion à Internet des bibliothèques maliennes. Ainsi, seulement 4 bibliothèques (bibliothèque de la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontostomatologie, bibliothèque de la Faculté des Sciences et Techniques, bibliothèque de l’Université de Ségou et bibliothèque de la Chambre Régionale d’Agriculture de Ségou) sur les 40 bibliothèques connectées ont pu mettre en ligne une bibliothèque numérique plus ou moins riche. Ces publications sont parfois le fruit d’initiatives personnelles des bibliothécaires et non de leur administration de tutelle. Par exemple, la bibliothèque numérique de thèse de la Faculté de Médecine, conçue et hébergée chez Keneya Blown, le Réseau Malien d’Informatique et de Communication Médicale (REIMICOM), relève de l’initiative personnelle d’un bibliothécaire. Ceci pose naturellement la question de la pérennité de telles initiatives.

Les bibliothèques numériques maliennes sont en général conçues sous des solutions informatiques libres ou sous des gratuiciels, essentiellement Greenstone et Weblis. Toutefois, avec la percée des logiciels d’archivage ICA-ATOM, de l’éditeur de logiciels libres Maarch, et du logiciel bibliothéconomique PMB, en remplacement du logiciel documentaire CDS-ISIS pour Windows, devenu incompatible avec les systèmes Windows 64 bits, le choix des solutions GED va probablement évoluer dans un futur proche.

Les services sur Internet tels que les services questions/réponses (SQR), la formation en ligne, les conseils de lecture, etc., sont totalement absents des bibliothèques maliennes. Seule une bibliothèque, celle de l’Institut d’Économie Rurale, assure le SQR par téléphone.

Les réseaux sociaux dans les bibliothèques maliennes

Bien que l’usage des réseaux sociaux connaisse une forte progression dans le pays, surtout sur les appareils mobiles, les bibliothèques maliennes restent quasi-absentes de ces outils de communication rapides et peu coûteux[14]. Actuellement, seules deux bibliothèques (Bibliothèque nationale du Mali et bibliothèque de la Faculté de Médecine) sont présentes sur Facebook. Aucune présence sur d’autres réseaux sociaux (Twitter, Instagram, WhatsApp, Google+ ou autre) n’est signalée.

Les réseaux sociaux constituent un outil simple d’information des lecteurs sur les changements d’horaires, les fermetures, les manifestations autour du livre, les conseils de lecture, etc. Ils ont l’avantage d’être disponibles sur les appareils mobiles, qui n’est plus un luxe pour des millions de Maliens. L’usage des réseaux sociaux est donc une piste à explorer pour les bibliothécaires maliens afin de mieux communiquer avec leurs usagers.

Les terminaux mobiles en bibliothèque

Les bibliothèques maliennes ne se sont pas encore équipées en terminaux mobiles (tablettes, liseuses, lecteurs MP3, assistants personnels, smartphones, consoles de jeux, etc.). Aucune d’elles n’a non plus bénéficié d’un projet de vulgarisation de ces terminaux, à l’image du projet Connect Uganda project[15]. Les lecteurs ne peuvent ainsi exploiter les opportunités offertes par ces outils qui allient portabilité, connectivité et multimédia.

Les ressources des bibliothèques ne sont pas accessibles non plus sur les appareils mobiles. Un projet de création d’une version mobile de la base de données Mali existe tout de même. Il pourrait permettre de mieux diffuser les ressources documentaires des plus grandes bibliothèques de la capitale et même du réseau des bibliothèques de lecture publique du pays. Les terminaux mobiles, dont l’usage dans les bibliothèques est à ses débuts même en Occident, pourraient connaître un développement fulgurant au Mali grâce aux taux de connectivité très élevé des populations maliennes à la téléphonie mobile sur laquelle la connexion Internet est souvent disponible.

La formation au numérique

La formation du public au numérique n’est pas très développée dans les bibliothèques maliennes à cause de la faiblesse d’équipement en outils informatiques. En outre, selon notre enquête, seulement 26 % des bibliothèques de Bamako ont plus d’une salle fonctionnelle (Sidibé, 2018). La disponibilité de bibliothécaires formateurs au numérique est aussi un défi à relever. En dépit de ces difficultés, 33 % des bibliothèques de Bamako initient leur public à la bureautique. Parmi elles, on trouve la Bibliothèque nationale du Mali dont les modules de formation sont, entre autres, la bureautique (Windows, Word, Excel), la recherche d’information en ligne et hors ligne, et le courrier électronique. La formation à la recherche d’information porte sur les moteurs de recherche (Google, Yandex, Ask, Bing) et sur des bases et banques de données spécialisées en médecine, en agriculture et en propriété intellectuelle telles que HINARI[16], MEDLINE[17], ROADIS[18], AGORA[19] et ARDI[20]. Les bibliothèques du secteur de la santé y sont particulièrement dynamiques.

Le coût de la formation à la bureautique se situe entre 10 000 F et 40 000 F CFA (15 à 60 euros) par session selon les bibliothèques. Elles sont sanctionnées par une attestation qui peut être prise en compte dans la validation des acquis lors des formations diplômantes. Ces formations sont importantes dans le cursus universitaire des étudiants, car les bacheliers arrivent majoritairement à l’université sans une réelle maîtrise de la bureautique[21], du fait de l’absence au programme des lycées de l’informatique jusqu’en 2010-2011.

Après l’échec des télécentres et la fermeture de la plupart des cybercafés dans le pays, les bibliothèques restent un lieu privilégié pour la formation de la population au numérique en général et à Internet en particulier. Elles peuvent contribuer à la baisse sensible ou même à l’annulation des coûts de formation. Mais pour cela, il est important qu’elles-mêmes soient mieux équipées en outils informatiques et dotées de personnels capables d’assurer la formation aux TIC. Il est indispensable aussi que les bibliothèques disposent de locaux suffisamment aménagés pour les activités de formation.

Perspectives

Au risque de paraître conservateur, voir technophobe, il semble que les bibliothèques maliennes ne soient pas encore prêtes à un usage professionnel pertinent, varié et riche du numérique. Certes, des mesures formidables et novatrices ont été définies dans la Politique nationale et dans le Plan Stratégique national des TIC. Certes, il existe actuellement, et ce grâce à la formation des bibliothécaires à l’IUT, des professionnels en sciences de l’information susceptibles de porter les projets numériques. Mais les fondamentaux du fonctionnement des bibliothèques ne sont malheureusement pas encore réunis. Il s’agit entre autres du budget d’acquisition (garant de la richesse et de l’actualité des fonds documentaires), des locaux appropriés, des équipements et outils informatiques adéquats, et surtout d’un cadre clair, fonctionnel et efficace de gestion et de coordination des bibliothèques. Ainsi, pour paraphraser Esther Olembé, Directrice des Archives nationales du Cameroun, au sujet des archives africaines, il serait préférable de garder les bibliothèques en l’état, de réunir d’abord les fondamentaux pour leur épanouissement plutôt que de se lancer dans des projets d’informatisation, de numérisation et de mise en ligne de ressources sans lendemain (Foka, 2018). Le proche avenir des bibliothèques maliennes n’est pas la recherche à outrance des moyens de mise en réseau informatique de leurs ressources, mais leur dotation en budget d’acquisition et en ressources matérielles, humaines et financières pour leur bon fonctionnement. Le numérique ne peut pas pallier l’absence d’un budget d’acquisition dans un contexte d’édition presque exclusivement papier et de faiblesse avérée des contenus numériques locaux.

Conclusion

Le numérique dans les bibliothèques maliennes reste marginal, tant en termes de ressources documentaires qu’en termes de moyens d’accès à ces ressources. Les réseaux informatiques dans les bibliothèques ne sont pas fiables et ne peuvent permettre une gestion professionnelle de ces bibliothèques et un accès rapide, fiable et diversifié aux ressources. Dans un contexte d’absence quasi-totale des fondamentaux du fonctionnement des bibliothèques, la priorité devrait être donnée à la recherche de moyens pour enrichir les fonds documentaires, améliorer les locaux, moderniser les équipements, recruter du personnel qualifié et perfectionner le cadre de gestion des bibliothèques.