Abstracts
Résumé
Le rôle social des bibliothèques est de plus en plus mis de l’avant. En effet, la bibliothèque peut être comprise comme un troisième lieu, dans le sens où elle remplit des fonctions sociales, culturelles et éducatives qui sont difficilement reproductibles dans d’autres espaces publics en raison de son ouverture et de son accessibilité. Cependant, nous en savons peu sur le potentiel de ce lieu pour agir sur certaines réalités sociales (santé mentale, pauvreté, itinérance, intégration des personnes immigrantes, etc.). Cet article vise à faire état d’une collaboration entre la Bibliothèque publique de Moncton et une équipe de recherche de l’Université de Moncton qui a eu pour but d’accompagner la Bibliothèque dans ses réflexions sur son rôle auprès de la communauté. Ainsi, nous présenterons l’origine et l’évolution de notre collaboration, qui se décline en deux projets de recherche distincts. Nous montrerons en quoi les connaissances issues de cette collaboration ont un impact direct auprès de la communauté de Moncton en amenant une institution phare de la ville à affirmer son rôle dans la communauté en entamant des démarches afin de répondre aux besoins de la population.
Abstract
The social role of libraries is increasingly being emphasized. The library can be seen as a third place, in the sense that it fulfils social, cultural, and educational functions that are difficult to reproduce in other public spaces because of its openness and accessibility. However, we know little about the potential of this place to act on certain social realities (mental health, poverty, homelessness, integration of immigrants, etc.). The purpose of this article is to report on a collaboration between the Moncton Public Library and a research team from the Université de Moncton, the aim of which was to help the library reflect on its role in the community. We will present the origins and development of our collaboration, which is divided into two separate research projects. We will show how the knowledge gained from this collaboration has a direct impact on the Moncton community, by encouraging a flagship institution in the city to affirm its role in the community by taking steps to meet the needs of the population.
Article body
Introduction
Le rôle social des bibliothèques est de plus en plus mis de l’avant (Kelley et al., 2017). Cependant, le potentiel de ce lieu pour agir sur certaines problématiques sociales (santé mentale, pauvreté, itinérance, etc.) demeure moins exploré dans le champ du travail social. De plus, la bibliothèque peut être comprise comme un troisième lieu (Courchesne, 2019), dans le sens où elle remplit des fonctions sociales, culturelles et éducatives qui sont difficilement reproductibles dans d’autres espaces publics (Fisher et al., 2007) en raison de son ouverture et de son accessibilité. Ce caractère polyvalent offre donc plusieurs possibilités en ce qui a trait à la rencontre du milieu bibliothécaire et celui de la recherche et de l’intervention sociale. Cet article vise à faire état d’une collaboration entre une bibliothèque publique de ville de petite taille — la Bibliothèque publique de Moncton — et d’une équipe de recherche universitaire. Cette collaboration a eu pour but d’accompagner la bibliothèque dans ses réflexions sur son rôle auprès de la communauté. Tout d’abord, nous avons mené une étude exploratoire en 2020 afin de poser un premier regard sur les perceptions du personnel quant à leur rôle, leurs interactions avec les personnes utilisatrices et sur les incidents plus critiques pouvant se produire. Nous avons confirmé le besoin de mener une recherche plus élargie et approfondie qui permettrait de comprendre les besoins du personnel et des partenaires communautaires de la Bibliothèque publique de Moncton, d’identifier les besoins sociaux des personnes utilisatrices et d’explorer le rôle et l’apport d’intervenants et intervenantes sociales intégrées au sein de bibliothèques canadiennes. Ainsi, nous présenterons l’origine et l’évolution de notre collaboration par le biais des deux projets de recherche, pour ensuite montrer en quoi les connaissances issues de cette collaboration ont un impact direct auprès de la communauté de Moncton en amenant une institution phare de la ville à affirmer son rôle social auprès dans la communauté en entamant des démarches afin de répondre aux besoins de la population. En fin d’analyse, nous reviendrons sur la pertinence des collaborations entre le champ de la recherche en travail social et le milieu des bibliothèques publiques.
Problématique
Le contexte néo-brunswickois et monctonien
Le Nouveau-Brunswick est l’une des provinces les pauvres du Canada. En 2020, le pourcentage de personnes à faible revenu dans la province était de 7,6 %, comparativement aux taux canadien et québécois de 6,4 % et 5 % respectivement (Statistique Canada, 2023). En ce qui concerne les taux de littéracie dans la province, 62 % des Francophones du Nouveau-Brunswick auraient des difficultés de compréhension des informations écrites (Codac NB, s.d.). Ce taux est plus élevé qu’au Québec, ou près d’un adulte sur deux éprouverait des difficultés semblables (Fondation Alphabétisation, 2021).
En juillet 2022, la région métropolitaine de recensement de Moncton a connu un taux de croissance estimé à 5,4 % ainsi qu’une hausse marquée du taux d’immigration (75 %) entre 2021 et 2022 (Gouvernement du Canada, s.d.). D’après le Comité sur l’inclusion et la pauvreté, la ville de Moncton comptait en 2020 le plus de pauvreté infantile au Nouveau-Brunswick, avec un taux de 28 %, comparativement à la moyenne provinciale de 22 % et la moyenne nationale de 17 % (CBC News, 2020). L’augmentation des personnes en situation d’itinérance est aussi remarquée par les organismes communautaires : il est estimé qu’en 2022, il y avait environ 400 personnes en situation d’itinérance dans la ville (CTV News, 2022). La Bibliothèque publique de Moncton se situe au coeur du centre-ville de Moncton et est aux premières loges de ces transformations démographiques et socioéconomiques, d’où l’importance d’explorer le rôle social des bibliothèques.
Le rôle social des bibliothèques
Pour plusieurs raisons, dont le besoin grandissant de la population générale d’accéder à Internet et la croissance des inégalités sociales, le rôle social des bibliothèques est de plus en plus mis de l’avant (Kelley et al., 2017 ; Johnson et Wahler, 2023 ; Shephard et al., 2023). Ainsi, les bibliothèques publiques sont souvent les derniers lieux publics accessibles gratuitement à tous les membres de la société. L’infrastructure physique de ce lieu, les informations disponibles sous son toit, l’accès gratuit à Internet et la programmation offerte attirent une diversité d’individus (Giesler, 2017). De façon générale, les bibliothèques sont vues comme un espace accueillant et chaleureux (Richter et al., 2019). Néanmoins, le personnel des bibliothèques a toujours dû composer avec ce que la littérature appelle une « clientèle difficile » (Courchesne, 2020 ; Easton, 1977 ; Ferrell, 2010 ; Jackson, 2002 ; Toot, 2002). En effet, le personnel des bibliothèques doit souvent faire face à des situations qui dépassent son mandat traditionnel de courtier à l’information et interagit quotidiennement avec des personnes ayant des comportements problématiques (Westbrook, 2015) ou exprimant des besoins qui dépassent ce que la bibliothèque peut offrir comme soutien.
Dans la première figure de cas, il s’agit de personnes utilisatrices dont le comportement pose un problème au personnel ou aux autres personnes utilisatrices (Chattoo, 2002). Il est question ici de comportements agressifs ou violents (Pease, 1999), de harcèlement, de non-respect du code de conduite (bruit excessif, refus de quitter les lieux, etc.), qui mettent en péril la sécurité de la communauté qui fréquente la bibliothèque ou celle du personnel (Shuman, 2002). Les membres du personnel peuvent se sentir victimisés et mal outillés pour intervenir dans ces situations (Fescemyer, 2002). Dans la deuxième figure de cas, les personnes utilisatrices tentent d’obtenir de l’assistance qui ne peut pas être fournie par la bibliothèque, ou qui ne peut être fournie que de façon limitée par la bibliothèque. Les écrits à ce sujet ont tendance à associer ces besoins à des tranches de la population qui peuvent être perçues comme étant plus vulnérables ou ayant des besoins particuliers (Chelton, 2002). Il est question ici de groupes tels : les adolescents (Chelton, 2002), pour qui la bibliothèque peut être un lieu de rassemblement et d’étude ; les personnes âgées (Chattoo, 2002), les personnes ayant des problèmes de santé mentale ou qui vivent une situation de crise (Westbrook, 2015 ; Hall et McAlister, 2021) ; les personnes immigrantes (Grossman et al., 2019 ; Kelley et al., 2017), les personnes à la recherche d’emploi ou qui doivent remplir des formulaires d’assistance sociale ou de chômage, etc. L’itinérance constitue l’une des réalités fréquemment mentionnées dans les études, surtout en contexte urbain (Anderson et al., 2012 ; Courchesne, 2019 ; Courchesne, 2020 ; Dowdell et Liew, 2019 ; Kelleher, 2013 ; Richter et al., 2019).
En effet, la bibliothèque se veut un endroit sécuritaire ou il est possible de se mettre à l’abri des intempéries, et où l’accès à l’information est aussi à portée de main (Kelleher, 2013). Étant donné que les refuges n’admettent habituellement pas d’individus dans leurs locaux durant le jour, la bibliothèque s’avère un endroit accessible et sécuritaire pour les personnes en situation d’itinérance (Wong, 2009). Les rapports du Saint John Human Development Council (s.d.) montrent une augmentation du nombre de personnes en situation d’itinérance. Comme mentionné plus haut, les organismes communautaires ont estimé qu’en 2022, il y avait près de 500 personnes en situation d’itinérance dans la ville. Cette augmentation a des répercussions sur la fréquentation de la bibliothèque, et dans les écrits qui explorent l’usage des bibliothèques par les personnes en situation d’itinérance, il en ressort que le personnel des bibliothèques peut se sentir désemparé devant cette situation (Dowdell et Liew, 2019 ; Giesler, 2017).
Le travail social en bibliothèque publique : l’ancrage de notre collaboration
C’est dans ce contexte que de plus en plus de bibliothèques publiques ont mis sur pied des collaborations avec le champ du travail social. Selon Johnson et Wahler (2023), ces collaborations prennent diverses formes. Certaines bibliothèques ajoutent des professionnels et professionnelles en travail social parmi leur personnel ; d’autres créent des partenariats avec des organismes communautaires ou institutionnels ; lancent un appel aux bénévoles qui auraient une formation en travail social, ou encore, accueillent des stagiaires en travail social afin de développer certains services. La majorité des collaborations travail social-bibliothèques publiques se situe aux États-Unis, mais cette tendance gagne de l’ampleur ailleurs dans le monde, notamment au Canada (Johnson et Wahler, 2023 ; Shephard et al., 2023). Cette tendance a alimenté la collaboration entamée par notre équipe de recherche et la Bibliothèque publique de Moncton. En effet, le rôle social des bibliothèques publiques est de plus en plus saillant et ne peut être assumé pleinement par le personnel des bibliothèques qui ne détient pas de formation à cet égard. La Bibliothèque publique de Moncton ne disposant pas de ressource en travail social au début de notre collaboration, nous avons voulu explorer les réalités rencontrées dans ce milieu. Nous avons aussi décidé d’ancrer notre exploration à l’aide de deux concepts qui ont animé notre démarche, soit le concept du troisième lieu et celui du capital social.
Cadre théorique
Les troisièmes lieux
Afin de bien situer le rôle social des bibliothèques et d’ancrer nos réflexions dans des assises théoriques pertinentes, notre collaboration s’appuie sur deux concepts clés : le troisième lieu et le capital social. Tout d’abord, il importe de conceptualiser la bibliothèque comme un troisième lieu (Oldenburg, 1999 ; Perreault, 2014 ; Courchesne, 2020), qui se distingue de la maison (premier lieu) et du travail (second lieu). Les troisièmes lieux sont des endroits ouverts et accessibles à la grande majorité des membres de la communauté (Aabø et Audunson, 2012). La bibliothèque remplit plusieurs critères des troisièmes lieux dans le sens où elle remplit des fonctions sociales, culturelles et éducatives qui sont difficilement reproductibles dans d’autres espaces publics (Fisher et al., 2007 ; Leckie et Hopkins, 2002). Elle peut constituer un espace privé selon les besoins des personnes utilisatrices. Le concept de troisième lieu nous apparait utile pour penser le rôle de la bibliothèque, tout en reconnaissant que celle-ci est un espace dynamique où les conditions d’utilisation sont le sujet d’une négociation perpétuelle entre le personnel et les personnes utilisatrices (McKechnie et al., 2013). En lien avec ce concept, il est important de souligner que les bibliothèques s’inscrivent dans l’infrastructure sociale des communautés, dans le sens où elles entretiennent des relations durables et dynamiques (Klinenberg, 2018 ; Latham et Layton, 2019). De surcroît, les troisièmes lieux sont des endroits où peut se cultiver le capital social (Johnson, 2012).
Le capital social
Ensuite, nous mobilisons le concept de capital social tel que développé par Putnam (2000). Le capital social fait référence aux normes et aux réseaux qui lient les individus et les communautés, et qui donnent lieu à une confiance plus élevée et qui renforcent la capacité des gens à travailler ensemble pour résoudre des problèmes (Putnam, 1995 ; Johnson, 2012). Puisque le capital social semble augmenter la cohésion sociale, il est important de bien comprendre le rôle des institutions sociales dans le renforcement des communautés. Le capital social possède des caractéristiques qui peuvent renforcer des liens déjà existants entre les membres d’une communauté et permettre de tisser de nouveaux liens (Putnam, 2000 ; Johnson, 2012). Plusieurs études ont exploré le rôle des bibliothèques dans le développement du capital social (Griffis et Johnson, 2014 ; Hodgetts et al., 2008 ; Vårheim, 2011 ; Johnson, 2012 ; Wojciechowska, 2021). La bibliothèque est donc un lieu très pertinent pour étudier la production de capital social non seulement du point de vue de la variété de la programmation et des services offerts au sein de ses murs, mais aussi du point de vue des relations entre les membres du personnel des bibliothèques et les personnes utilisatrices, et des liens qui peuvent aussi être tissés avec d’autres personnes utilisatrices au fil de leur fréquentation de la bibliothèque (Johnson, 2012 ; Feldstein et Putnam, 2003). Ainsi, la bibliothèque peut être comprise comme un lieu où se développe le capital social ; où les individus peuvent trouver des solutions à des problèmes individuels et sociaux (Wojciechowska, 2021 ; 2022). Vårheim (2007) résume les trois plans sur lesquels les bibliothèques peuvent générer du capital social : en favorisant la participation sociale et citoyenne ; en constituant un lieu de rencontre ; et en fournissant des services de base universellement accessibles. Les études recensées montrent que la bibliothèque peut effectivement jouer un rôle d’inclusion et de cohésion sociale, améliorant ainsi les interactions se produisant au sein de ce type d’infrastructure sociale. Ceci est d’autant plus vrai dans un contexte où l’accès à des espaces publics gratuits et inclusifs se fait de plus en plus rare (Giesler, 2019). Malgré le nombre relativement élevé d’études s’intéressant au potentiel des bibliothèques comme génératrices de capital social, Wojciechowska (2021) note le besoin de mener plus d’études sur la capacité des bibliothèques de contribuer à la lutte contre l’exclusion sociale. Cette réflexion rejoint les observations de Westbrook (2015), qui remarque que les groupes marginalisés peuvent effectivement bénéficier de la capacité des bibliothèques à combler certaines lacunes au niveau des services sociaux.
Méthodologie
Cette section présentera la méthodologie employée dans les deux projets que nous avons développés avec la Bibliothèque publique de Moncton.
Projet 1
Objectifs du projet
La première collaboration avec la Bibliothèque publique de Moncton nous a permis de brosser un portrait des réalités rencontrées par le personnel de la bibliothèque. Les objectifs étaient de 1) saisir les perceptions du personnel de la bibliothèque publique de Moncton quant à leur rôle dans la communauté ; 2) comprendre les expériences et perceptions du personnel quant aux personnes utilisatrices de la bibliothèque et aux besoins de celles-ci ; 2a) comprendre les expériences et les enjeux vécus par le personnel dans le cadre de leur travail auprès des personnes utilisatrices et 3) identifier les besoins du personnel afin de faire face aux enjeux rencontrés dans leur travail.
Méthodes employées
Au courant de l’automne 2020, nous avons débuté ce projet en abordant l’objectif 2a. Nous avons analysé 547 rapports d’incident datant des années 2015 à 2019. Afin de préparer les données à l’analyse, nous avons créé un tableau Excel regroupant en premier lieu les métadonnées de chaque rapport (le nom du PDF contenant le rapport ; les pages auxquelles se retrouvait le rapport ; l’année, le jour, le mois et l’heure du rapport ; ainsi que la langue du rapport). Ensuite, des données sur la nature des incidents ont été recueillies afin de rendre explicite le type d’incident ; le lieu de l’incident ; ainsi que les actions prises pour résoudre l’incident. Nous avons également ressorti les caractéristiques sociodémographiques des personnes qui faisaient l’objet du rapport (genre, âge, race lorsque disponible). Finalement, nous avons rédigé un résumé de chaque rapport afin d’avoir un accès rapide au contexte des informations se retrouvant dans le tableau. Les catégories ont fait l’objet d’une triangulation ; c’est-à-dire qu’elles ont été validées par les trois membres de l’équipe de recherche afin d’assurer la rigueur de l’analyse (Savoie-Zajc, 2019). Il est important de noter que très peu d’études semblables ont été menées dans le monde universitaire. Nous n’avions trouvé qu’un seul article qui rend compte d’une recension de rapports d’incidents dans une bibliothèque américaine (Parsons, 2015). La démarche est semblable à la nôtre, mais elle s’est plutôt intéressée à l’analyse de rapports d’incidents s’étant produits lorsque le personnel régulier n’était pas présent sur les lieux. La bibliothèque en question était aussi une bibliothèque universitaire.
Les autres objectifs de cette étude exploratoire nous ont menées à interviewer 7 membres du personnel de la Bibliothèque publique de Moncton qui interagissent d’une manière ou d’une autre avec les personnes utilisatrices de la bibliothèque. Les entretiens se sont déroulés en personne ou en vidéoconférence selon la préférence des personnes participantes en septembre et octobre 2020. Les entretiens ont duré entre une et deux heures et ont été enregistrés afin d’en faciliter l’analyse. Nous avons retranscrit chaque entretien dans son intégralité et procédé à une analyse de contenu générale (Blais et Martineau, 2006) des entrevues à l’aide du logiciel NVivo 12, qui permet d’organiser et de classifier les données qualitatives de la recherche.
Projet 2
Mise en contexte et objectifs du projet
Alors que le premier projet nous a permis de brosser un portrait des réalités rencontrées à la Bibliothèque publique de Moncton, nous avons entamé un deuxième projet[1] visant à répondre à certaines interrogations ayant découlé du premier projet. Il est important de noter que ce projet s’appuie sur des tenants de la recherche participative, qui consiste avant tout en une quête de connaissances avec la collaboration des personnes affectées par l’enjeu en question, et ce, dans le but d’approfondir ses connaissances et d’entreprendre des actions concrètes visant le changement (Israel et al., 2005). En lien avec cette dimension participative, nous avons mis sur pied un comité orienteur dès le début du projet. Nous voulions nous assurer que la recherche corresponde toujours aux besoins identifiés par la Bibliothèque publique de Moncton et que celle-ci soit impliquée dans toutes les étapes du projet. Ce comité est composé de membres du personnel de la bibliothèque, de membres du personnel du Service des bibliothèques publiques du Nouveau-Brunswick (SBPNB) et des personnes utilisatrices de la bibliothèque. Nous effectuons des rencontres régulières avec ce comité afin d’orienter et d’ajuster, au besoin, la démarche de collecte de données (Hacker, 2013). Le comité a proposé des questions à inclure dans les guides d’entrevue ainsi que des stratégies pour recruter certaines personnes participantes. Il a aussi réagi aux résultats préliminaires quand nous en avions à présenter.
Les objectifs de ce projet, qui est toujours en cours, sont de : 1) comprendre les besoins du personnel et des partenaires communautaires de la Bibliothèque publique de Moncton ; 2) identifier les besoins des personnes utilisatrices de la Bibliothèque publique de Moncton ; 3) explorer le rôle et l’apport des intervenantes et intervenants sociaux intégrés au sein de bibliothèques canadiennes. Le projet privilégie un devis mixte (Richter et al., 2019).
Méthodes employées
En lien avec l’objectif 1, nous avons mené des groupes focus avec deux membres du personnel de la Bibliothèque publique de Moncton et sept partenaires communautaires. Le but était d’identifier des lacunes dans les services existants afin de préciser le rôle que pourrait jouer la bibliothèque dans ce contexte et de cibler des partenariats potentiels.
Pour atteindre l’objectif 2 du projet, nous avons mené un sondage auprès des personnes utilisatrices de la bibliothèque (n=136). Ce sondage, inspiré de Kelley et al. (2017) nous a permis d’obtenir un profil des répondants et répondantes et leurs raisons de fréquentation de la bibliothèque. Ensuite, nous avons listé 20 services psychosociaux face auxquels les répondants et répondantes devaient signifier leur intérêt, sur une échelle Likert de 5 points, à voir ce service offert à la bibliothèque. Le sondage a été administré en ligne et en personne afin de favoriser la diversité au sein des réponses. Les réponses ont fait l’objet d’une analyse statistique descriptive avec Microsoft Excel. N’ayant pas obtenu la diversité anticipée, et à la recommandation du comité orienteur, nous avons par la suite mené trois groupes focus avec 7 personnes qui fréquentent la bibliothèque pour s’y réfugier le jour afin d’obtenir un profil différent de celui des personnes répondantes. Ce nouvel échantillon a aussi commenté les résultats du sondage.
Finalement, en lien avec l’objectif 3, nous avons mené 6 entretiens semi-dirigés avec des membres du personnel de bibliothèques publiques canadiennes qui ont intégré des intervenants sociaux et intervenantes sociales parmi leurs effectifs (5 travailleuses sociales et un gestionnaire ayant embauché une travailleuse sociale). Le but était de mieux comprendre le rôle de ces travailleuses sociales au sein de la bibliothèque (le rôle, les tâches et l’intégration au sein de la bibliothèque, et ce, dans une perspective de capital social. Nous souhaitions également saisir la spécificité de ce rôle en lien avec les autres services présents dans la communauté.
Globalement, la dimension qualitative du projet nous permet de saisir de manière plus « holiste et significative » (Gallagher, 2014, p. 13) les besoins du personnel et le sens accordé à ceux-ci, les perceptions des parties prenantes de la communauté face aux enjeux rencontrés au sein de la bibliothèque et aux ressources pouvant être mobilisées, et la nature du rôle des intervenantes et intervenants sociaux dans les bibliothèques. Les données qualitatives ont été soumises à une analyse qualitative de contenu (Forman et Damschroder, 2008) et une analyse thématique réflexive (Braun et Clarke, 2022), facilitée par le logiciel LiGRE. L’analyse des données qualitatives est toujours en cours.
Dans la section qui suit, nous présenterons un aperçu des résultats obtenus dans chacun des deux projets décrits pour ensuite nous pencher sur les impacts de ces projets au sein de la Bibliothèque publique de Moncton.
Résultats
Résultats du projet exploratoire : une meilleure compréhension des réalités rencontrées à la Bibliothèque publique de Moncton
L’analyse des rapports d’incident effectuée au sein du premier projet nous a permis de remarquer trois grandes tendances. Premièrement, nous avons noté une hausse des rapports d’incidents. En effet, en 2016, 52 rapports d’incidents ont été déposés et ce nombre a atteint 209 en 2019. Ensuite, le genre semblait être une caractéristique sociale significative. Le nombre d’hommes (421) faisant l’objet d’un rapport est vastement plus grand que le nombre de femmes (123) et donne un pourcentage de 76 % (hommes) versus 23 % (femmes). Nous notons donc une surreprésentation des hommes dans les personnes faisant l’objet d’un rapport d’incident. Finalement, en ce qui a trait au lieu des incidents, nous remarquons que quatre sections comptent pour la majorité des lieux où se produisent les incidents faisant l’objet d’un rapport : les ordinateurs publics (n=116) ; le comptoir de référence (n=85), situé à proximité des ordinateurs, le deuxième étage (n=53), où sont situés les ordinateurs et le comptoir de référence, ainsi que les salles de bains (n=51). En lisant les rapports, nous avons remarqué que certains incidents se produisaient à plus d’un autre endroit que celui qui était indiqué dans la section « Lieu de l’incident » ; cela été considéré dans l’analyse. Nous avons repris les mots utilisés dans les rapports pour désigner les endroits des incidents. En lisant les rapports d’incidents, nous avons été en mesure de déceler 8 actions/interventions découlant des situations rapportées. Encore ici, il était possible de repérer plusieurs actions prises lors d’un même incident. Par exemple, à la suite d’un avis verbal (ex. : demander de cesser son comportement), la personne pouvait de son propre chef quitter les lieux. Aussi, la personne pouvait être expulsée pour la journée, tout en recevant une suspension de la bibliothèque pour une période plus longue. Parfois, aucune action n’était prise, car la personne avait quitté les lieux et la personne employée n’avait pas pu rejoindre la personne avant son départ. Il est possible de constater que la suspension, l’expulsion, le fait de quitter les lieux et de recevoir un avis verbal constituaient les actions principales suivant un incident. Nous aurions souhaité avoir plus d’informations sur les personnes visées par les plaintes. Une des recommandations que nous avons émise à la Bibliothèque publique de Moncton à la suite de cet exercice était d’uniformiser la manière de rapporter ces informations, par exemple à l’aide de champs à remplir ou de cases à cocher pour les informations sociodémographiques.
En ce qui concerne les entrevues avec les membres du personnel de la bibliothèque, l’analyse révèle que les relations avec les personnes utilisatrices sont positives et cordiales dans l’ensemble. En effet, les gens se sentent souvent à l’aise lorsqu’ils sont dans l’établissement et interagissent positivement et cordialement avec le personnel de la bibliothèque. Les personnes participantes ont constaté que la raison principale de fréquenter la bibliothèque est d’avoir accès aux ordinateurs publics et à de l’information, suivi par l’intérêt envers la programmation, avoir un espace sécuritaire, et avoir un endroit pour socialiser. Des participantes et participants ont divulgué que parfois, les limites de leur rôle peuvent engendrer des frustrations chez les personnes utilisatrices de la bibliothèque. Les employées et employés disent avoir des interactions plus difficiles avec les gens dont les besoins vont au-delà des services offerts à la bibliothèque. Plusieurs mentionnent devoir composer avec des comportements agressifs, des personnes qui ne sont pas respectueuses envers le personnel et même des urgences médicales. Certaines formations sont offertes pour composer avec ces situations, mais le personnel n’est généralement pas formé pour composer avec ces situations sur une base régulière. Ce qui ressort principalement du discours des participantes et participants est le manque de soutien ressenti par certains membres du personnel lors d’interactions plus difficiles avec les usagers et usagères. Les propositions émanant des entrevues étaient d’accéder à plus de formations, de soutien, et d’offrir un meilleur sentiment de sécurité aux employés.
Impacts du projet exploratoire sur la Bibliothèque publique de Moncton
La Bibliothèque publique de Moncton a identifié des impacts significatifs au premier projet de collaboration : l’obtention d’un portrait objectif des types de comportements inappropriés et inacceptables fréquents à la bibliothèque ; des recommandations pour de meilleures approches à adopter face à ces comportements ; une confirmation que la bibliothèque est sur la bonne voie quant aux types de formations offertes au personnel ; des suggestions afin d’explorer diverses options d’ajout d’intervention sociale en bibliothèque.
L’analyse des rapports d’incidents sur une période de cinq ans a permis au personnel de la bibliothèque d’avoir des données objectives qui sont venues compléter les impressions basées sur l’expérience de travail vécue en première ligne, au sujet des types de comportements inappropriés et inacceptables auxquels le personnel est le plus souvent confronté, et qu’il documente ; de la section bibliothèque où ils sont le plus susceptibles de se produire ; et de l’augmentation significative de leur fréquence au fil des années. Le projet a donc confirmé certaines intuitions par le biais d’une exploration plus approfondie de certaines réalités. De cette analyse ont découlé des recommandations par l’équipe de recherche concernant le besoin d’actions préventives des conflits ou incidents ; et la révision de la façon de documenter les incidents et du système de sanctions.
Puisque la recherche a confirmé que la section des ordinateurs publics est le lieu où se produisait le plus grand nombre d’incidents, l’équipe de recherche a suggéré d’augmenter la limite de temps pour utiliser un ordinateur public, afin qu’elle suscite moins de frustration. Une autre suggestion touche l’aménagement de l’espace : disperser les ordinateurs publics dans plusieurs sections de la bibliothèque plutôt que de les regrouper à un seul endroit favoriserait l’intimité, réduisant ainsi le risque de conflits entre personnes utilisatrices.
Une partie des recommandations concernait aussi la « postvention », c’est-à-dire la manière de gérer l’après-incident. On souligne l’importance d’aménager et de promouvoir des espaces sécuritaires afin de permettre au personnel non seulement de se retirer rapidement, mais de discuter ce qui s’est passé avec son gestionnaire et/ou ses collègues avant de retourner au travail. Le débreffage favorise la réduction du stress, permet l’apprentissage par l’expérience et aussi l’implantation d’améliorations des processus (Eddy, Tannenbaum et Mathieu, 2013).
Il est également suggéré d’uniformiser la façon de rapporter les renseignements au sujet des incidents, ce qui permettrait une analyse plus concluante des données sociodémographiques. Quant à la politique au sujet du comportement des personnes utilisatrices, il est suggéré de la réviser afin de prioriser la prévention plutôt que l’approche punitive, car le système de sanctions ne réduit pas le nombre d’incidents, et ne semble pas les prévenir. La prévention peut se faire en adoptant une approche inclusive, en énonçant clairement les comportements qui ne sont pas tolérés, et en appliquant les règles de manière cohérente.
La recherche a permis de confirmer que la Bibliothèque publique de Moncton est sur la bonne voie lorsque sont offertes au personnel des formations de personnes alliées des communautés 2ELGBTQIA+, sur les compétences interculturelles, sur la santé mentale, sur l’intervention non violente, et sur le service aux personnes sans-abri en bibliothèque (Dowd, 2018). Puisque la bibliothèque sert des personnes d’horizons divers, ces formations aident à comprendre les expériences pouvant être vécues par celles-ci, en mettant de l’avant les avantages de l’empathie.
La recherche suggère diverses possibilités de collaborations permettant l’ajout de personnel détenant une formation en intervention sociale, comme la formation de partenariats avec des organismes locaux ou avec des institutions d’enseignement pour l’accueil de stagiaires. À l’hiver 2022, la Bibliothèque publique de Moncton a été pour la première fois un milieu de stage pour une étudiante de troisième année de l’École de travail social de l’Université de Moncton. Parallèlement, des démarches ont été entreprises afin d’aller de l’avant avec un projet pilote de travail social en bibliothèque publique pour le SBPNB.
Résultats du projet d’engagement partenarial : vers une diversification des points de vue et un approfondissement des enjeux
Le deuxième projet de recherche nous a permis d’approfondir certains constats et de solliciter différents points de vue de parties prenantes qui gravitent autour de la bibliothèque.
Tout d’abord, le sondage a permis de faire ressortir certains services qui suscitaient plus d’intérêt chez les personnes répondantes : les programmes d’alphabétisation pour les enfants (73 % des personnes répondantes ont indiqué être intéressées ou très intéressées) ; de l’aide à remplir des formulaires gouvernementaux (71,4 %), des ateliers d’informatiques pour les adultes (67,2 %), des groupes de soutien (66,9 %) et des ateliers d’informatique pour les enfants (63,5 %). Les services suscitant le moins d’intérêt étaient les ressources pour les gens qui consomment des drogues, le dépannage alimentaire, les services de garde et l’aide au logement. Afin d’aller chercher des réponses plus variées chez une tranche de la population qui n’a pas été représentée dans le sondage, nous avons ajouté des groupes focus avec des personnes qui utilisent la bibliothèque comme un endroit sécuritaire (physiquement et socialement). Notre analyse préliminaire révèle que les personnes interrogées apprécient l’ouverture de la bibliothèque et se sentent accueillies au sein de cet espace. Certaines améliorations ont été proposées comme le fait d’élargir les heures d’ouverture de la bibliothèque. Leurs réactions face au sondage ont mis de l’avant des besoins différents de ceux qui étaient ressortis dans le sondage, comme des services de santé mentale et de l’aide à l’accès au logement.
En ce qui concerne les groupes focus avec partenaires communautaires qui sont toujours en cours, nous avons rencontré au moment d’écrire ces lignes 7 personnes représentant des organismes communautaires qui desservent des populations faisant face à différentes formes de vulnérabilité comme la pauvreté, l’itinérance, les troubles de santé mentale, etc. Le constat principal émanant est que les organismes ne connaissent pas toujours le volet de programmation qui est offert à la bibliothèque. Les discussions ont aussi mis l’emphase sur le potentiel de la bibliothèque pour être un point de contact central pour que la population générale soit sensibilisée à l’existence des services sociaux, de santé et communautaires. La majorité des personnes ont souligné la pertinence de la bibliothèque pour offrir diverses formes de soutien pour renforcer le tissu social, tout en rappelant l’importance de ne pas dédoubler des services existant déjà dans d’autres organismes ou institutions.
Le dernier volet de ce projet nous a menées à discuter avec cinq travailleuses sociales et une personne occupant un poste de gestionnaire. Ces personnes nous ont parlé des divers rôles que peuvent jouer des membres du personnel formés en travail social au sein d’une bibliothèque publique. Les personnes interviewées pour ce volet voient l’alignement possible entre le milieu des bibliothèques et leur champ de pratique. Elles considèrent que celle-ci fait même partie du système de care de la communauté, notamment en raison du fait que la bibliothèque est un espace pour toutes les personnes citoyennes, incluant les plus marginalisées. C’est un contexte intéressant, propice, dans lequel on peut faciliter l’accès à certains services sociaux avec le souci de pas dédoubler. Les tâches peuvent inclure le soutien aux personnes utilisatrices de la bibliothèque, le soutien des membres du personnel (ex. : débriefing, formations, etc.), la révision de politiques et la création de partenariats communautaires. Chaque poste a été développé en réponse directe aux besoins de la communauté, ce qui explique la grande variabilité du travail social en bibliothèque publique. Il peut cependant y avoir des tensions entre les valeurs du travail social et le code de conduite des personnes utilisatrices, d’où l’importance de bien connaitre les limites de chaque profession.
Impacts du projet d’engagement partenarial sur la Bibliothèque publique de Moncton
Le second projet de recherche partenariale a permis à la Bibliothèque publique de Moncton de continuer sa réflexion par rapport à son rôle et ses besoins en lui fournissant des connaissances pertinentes. Il convient d’abord de souligner les avantages du transfert intégré des connaissances. Le partage des résultats préliminaires au fur et à mesure de la recherche a permis au comité orienteur, composé majoritairement de bibliothécaires du Nouveau-Brunswick, mais aussi d’une personne ayant utilisé la bibliothèque alors qu’elle était dans une situation vulnérable, de faire des suggestions pertinentes qui ont influé sur le déroulement de la recherche. Par exemple, à la suite du partage des résultats préliminaires du sondage auprès des personnes utilisatrices, il a été suggéré d’ajouter un groupe focus avec personnes vulnérables peu enclines à répondre à un sondage afin d’assurer une meilleure représentativité et l’inclusion de leur voix.
Par ailleurs, pendant la recherche, le SBPNB a débuté un projet pilote de travail social en bibliothèque ayant une portée provinciale, et ce à partir de la Bibliothèque publique de Moncton. Le fait de recevoir les connaissances de la recherche partenariale en parallèle a alimenté les discussions et réflexions de l’équipe dirigeant le projet pilote, et a permis de faire certains ajustements en cours de route. La recherche a également facilité les contacts avec d’autres travailleuses sociales en bibliothèque, avec leur consentement.
L’obtention du rapport de l’analyse des entrevues avec le personnel de bibliothèques canadiennes qui ont intégré des membres du personnel détenant une formation en travail social parmi leurs effectifs a été bénéfique à plusieurs égards. Ce rapport a permis de comparer l’approche adoptée dans le projet pilote de travail social avec ce qui a été développé ailleurs. À titre d’exemple, les entretiens ont révélé que l’accompagnement social offert au sein des bibliothèques n’implique pas forcément une prise en charge comme dans un milieu plus traditionnel offrant des services sociaux. Ceci a permis d’alimenter la réflexion sur les limites de ce qu’une bibliothèque devrait offrir en termes d’intervention sociale, compte tenu de son mandat et de son expertise en ressources informationnelles, mais aussi en tant que centre communautaire ou troisième lieu accessible à tous et ayant un impact positif sur la qualité de vie citoyenne et sur le développement du capital social. Les résultats de la recherche vont aussi nourrir une réflexion sur les politiques internes, particulièrement autour de la politique au sujet du comportement des personnes utilisatrices (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2019), en y ajoutant un regard ancré dans le travail social.
Enfin, cette collaboration avec l’équipe de recherche nous a amenées à réfléchir à l’importance d’assurer le développement d’approches équitables dans la programmation en bibliothèque afin de répondre, dans les limites du rôle d’expert en information et de troisième lieu de la bibliothèque, à certains besoins d’une clientèle moins bien desservie : pensons notamment au besoin de connexion humaine ou d’avoir accès à un espace sécuritaire. Nous pensons notamment à la possibilité pour la bibliothèque de répondre à ces besoins par des activités de groupe plutôt que sur une base individuelle, activités qui pourraient être facilitées par une intervenante ou un intervenant social.
Discussion et conclusion
Cet article avait pour but de faire état de la collaboration entre une équipe de recherche et la Bibliothèque publique de Moncton afin d’alimenter la réflexion entourant le rôle social de la bibliothèque. Nous avons repéré des articles faisant état des impacts de la collaboration interprofessionnelle entre le travail social et le monde des bibliothèques (Johnson et Wahler, 2023), mais peu d’écrits ont fait valoir les impacts d’une collaboration entre une équipe de recherche (en travail social) et une bibliothèque.
Comme points finaux d’analyse, nous estimons que notre collaboration a fait valoir l’importance de la bibliothèque comme troisième lieu. Les diverses parties prenantes ont maintes fois souligné que cette institution est un espace de rassemblement au sein de la communauté et qu’elle peut être un point de relais pour communiquer différentes informations et faciliter des connexions entre différents membres de la communauté. Cependant, il n’incombe pas à la bibliothèque à elle seule de lutter contre les problèmes socio-économiques de la région. Comme le soulignent Latham et Layton (2019), la bibliothèque publique est un espace dynamique qui peut être le lieu d’innovation sociale. Les bibliothèques publiques cherchent à offrir un accès équitable aux ressources informationnelles, sociales, culturelles et technologiques (Wynia Baluk et al., 2023) afin d’aider la communauté à naviguer les transformations socio-économiques que nous avons présentées en début d’article. Cependant, les pressions du système ne permettent pas toujours aux bibliothèques de prendre le temps d’approfondir certaines réflexions, d’où l’attrait de développer des partenariats avec des équipes de recherche universitaires (Wynia Baluk et al., 2023). Qui plus est, notre collaboration met en lumière la pertinence du travail interdisciplinaire, ayant mis en rencontre le champ de la bibliothèque et le domaine du travail social. Il importe de souligner que l’objectif des collaborations comme la nôtre ne vise pas à dénaturer la bibliothèque, mais d’accompagner cette institution dans ses démarches pour s’adapter aux besoins changeants. Ce type de collaboration doit être développé avec une ouverture et une appréciation de chacune des disciplines. Les recherches soulignent qu’il est important d’en arriver à une compréhension du milieu bibliothécaire à l’égard du travail social, et vice versa (Johnson et Wahler, 023). Ces deux disciplines partagent des valeurs semblables (comme l’équité), mais il peut tout de même émerger des tensions disciplinaires lorsque vient le temps de réfléchir aux solutions ou changements à prioriser au sein de la bibliothèque. Malgré ces défis, avec des objectifs développés conjointement et en mobilisant chacune de nos ressources (Wynia Baluk et al., 2023), les connaissances issues des collaborations entre les bibliothèques et la recherche en travail social peuvent contribuer à l’amélioration et à l’adaptation de l’offre des services offerts au sein des bibliothèques.
Appendices
Notes biographiques
Marie-Pier RIVEST est professeure agrégée à l’École de travail social de l’Université de Moncton. Ses recherches proposent une perspective critique sur les interventions en travail social dans le contexte de la santé mentale et de la vulnérabilité sociale. Elle est cochercheuse dans le cadre du projet Adapting Walk the Talk Toolkit for Equity Deserving Groups: A Pan Canadian Study (Piat et al., IRSC 2023-2028) et chercheuse principale de l’étude intitulée La bibliothèque face aux enjeux sociaux : quels besoins pour la Bibliothèque publique de Moncton ? (Subvention de participation en partenariat du CRSH, 2022-2023). Elle siège sur le comité de direction de la revue Reflets et elle a publié les résultats de ses travaux de recherche dans plusieurs revues scientifiques dont le British Journal of Social Work, International Journal of Mental Health Systems et Recherches féministes.
Directrice de la Bibliothèque publique de Moncton depuis 2006, Chantale BELLEMARE s’intéresse au développement de partenariats communautaires, aux enjeux liés à la diversité et l’inclusion, et aux besoins sociaux exprimés en bibliothèque publique. Elle a été membre du c.a. du Festival Frye de 2006 à 2022, et membre du Conseil Culturel de la Ville de Moncton de 2015 à 2021. Elle siège depuis 2015 au Groupe de travail sur l’établissement et l’inclusion du Partenariat Local en matière d’Immigration du Grand Moncton, et s’est récemment jointe au c.a. des éditions Perce-Neige. En 2022, elle a fait partie d’une équipe multidisciplinaire de la Ville de Moncton qui a suivi une formation intensive en méthode de gestion de l’innovation offerte par le Bloomberg Center for Public Innovation.
Note
-
[1]
Ce projet est financé par le Conseil des recherches en sciences humaines (CRSH) — subvention d’engagement partenarial (2022-2023).
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