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Introduction

Il est établi que les personnes âgées entre 18 et 24 ans (adultes émergents) sont surreprésentées en regard de la prise de risque. Par exemple, au Canada, les 19-24 ans constituent le sous-groupe de la population qui présente le plus haut taux d’accusations au Code criminel pour conduite avec facultés affaiblies (Statistique Canada, 2008). C’est d’ailleurs au sein des 18-24 ans que l’on retrouve, au Québec, la plus grande proportion de consommateurs réguliers (83 %) et excessifs (binge drinking) d’alcool (40 %) (Institut de la statistique du Québec, 2011). La prise de risque chez les jeunes adultes au Québec se traduirait également par davantage de contacts sexuels non protégés et de partenaires sexuels comparativement au reste du Canada (Statistique Canada, 2005 ; 2012), haussant le risque de contracter une infection transmissible sexuellement ou par le sang (ITSS) (Agence santé du Canada, 2011), d’avoir des relations sexuelles non planifiées ou non souhaitées, de vivre une grossesse non désirée et d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse (Fédération québécoise de cégeps (FQC), 2010). En outre, la prévalence des problèmes tels que le jeu pathologique, le surendettement lié à une mauvaise gestion du crédit (Lyons, 2008 ; Worthy, Jonkman et Blinn-Pike, 2010), la déviance et la délinquance (Ministère de la Sécurité publique, 2012), serait particulièrement prégnante chez ce groupe d’âge spécifique.

Rationalité, émotivité et prise de risque

Bien que certaines variables psychologiques soient généralement associées à la prise de risque (par ex. : recherche de sensations fortes (Arnett, 1991 ; Zuckerman, 2007)), telles l’impulsivité (Miller, 2010 ; Zuckerman, 2007), l’égocentrisme (Greene, Kremar, Walters, Rubin, Hale et Hale, 2000), l’extraversion (Miller, 2010), le statut identitaire diffus (Schwartz, Waterman, Vazsonyi, et al., 2011), ces dernières ne permettraient pas, à elles seules, d’expliquer le phénomène complexe menant à l’adoption de conduites à risque. Figner et Weber (2011) soutiennent plutôt que la prise de risque est le résultat d’une analyse « coûts-bénéfices » subjective, influencée par les caractéristiques individuelles (par ex. : l’âge, le genre, la maturation cérébrale) et le contexte (situation à contenu affectif ou chargé émotivement, expériences antérieures, etc.). C’est donc l’interaction entre ces deux catégories de variables (individuelles et contextuelles) qui pourrait jouer sur les différences de perception quant aux risques encourus (coûts) et les gains escomptés (bénéfices) en regard de l’adoption ou non de conduites à risque (Figner et al., 2011 ; Harris et Jenkins, 2006). Ainsi, une décision à prendre en présence de pairs, lorsqu’on est pressé par le temps ou encore, après avoir vécu des émotions intenses, est susceptible d’être moins éclairée ou délibérée (Figner et al., 2011). Vu le contexte social et scolaire (Molgat, 2007) dans lequel ils évoluent, les adultes émergents sont sujets à expérimenter de nombreuses situations engageant la sphère affective ou émotive.

Les contextes d’études postsecondaires

À ce titre, plusieurs auteurs ont proposé que les contextes d’études postsecondaires favorisent l’émergence et le maintien des conduites à risque chez les étudiants. Que ce soit par la présence ou l’influence directe des pairs étudiants (Duangpatra, Bradley et Glendon, 2009 ; Scott-Sheldon, Carey et Carey, 2008 ; Varela et Pritchard, 2011), des organisations sociales comme les associations étudiantes (Canterbury, Gressard, Vieweg et Grossman, 1992 ; Scott-Sheldon et al., 2008) et des événements qu’ils organisent (Ragsdale, Porter, Zamboanga, St-Lawrence, Read-Wahidi et White, 2012) ainsi que de l’unicité des milieux de vie comme le campus ou les fraternités (Keller, Maddock, Hannover, et al., 2008 ; O’Neill, 2008 ; Willoughby et Carol, 2009), le milieu scolaire offrirait un terreau fertile à la prise de risque. Ces contextes particuliers combinés à une autonomie accrue et à une diminution de la supervision parentale (Kairouz, Gliksman, Demers et Adlaf, 2002) pourraient expliquer la prise de risque particulièrement élevée chez les adultes émergents. En outre, la première incursion au sein de milieux de vie comme le campus ou les fraternités contribuerait à augmenter le désir de relever des défis en vue de s’intégrer, de prendre part à des activités nouvelles et de se conformer au groupe (Schwartz et al., 2011 ; Willoughby et al., 2009).

Il a été démontré que la consommation d’alcool et plus particulièrement le binge drinking qui souvent, est caractéristique de ces contextes d’études postsecondaires, jouerait un rôle important dans l’adoption de conduites à risque en agissant comme un désinhibiteur (Abbott-Chapman, Denholm et Wyld, 2008). D’ailleurs, l’étude américaine de Keller et al. (2008) qui a sondé 1 262 étudiants universitaires de première année sur leurs conduites, démontre que près de 90 % d’entre eux consomment de l’alcool et que les deux tiers s’adonnent au calage. Dans le même sens, au Canada, les résultats d’une étude de Kairouz et al. (à paraître) s’intéressant à la cooccurrence des conduites addictives chez les étudiants universitaires révèlent que 30 % de l’échantillon total sondé (n = 2139 ; âge moyen = 22 ans) pouvait être considéré « à risque élevé » d’adopter des conduites addictives, sur la base des résultats autorévélés à des questionnaires standardisés (Alcohol Use Diagnostic Identification Test (AUDIT) et Indice Canadien de Jeu Excessif (ICJE)). Près du quart (23 %) des étudiants de ce sous-groupe à risque élevé révélaient adopter trois ou quatre conduites à risque en matière de consommation de substances psychoactives et de jeu au moment du sondage, alors que 46 % manifestaient deux de ces conduites et 36 % en adoptaient une seule. Au total, 53,6 % des étudiants identifiés comme étant « à risque élevé de dépendance » présentaient une consommation problématique d’alcool, 80 % rapportaient consommer du cannabis, 34,6 % révélaient consommer d’autres drogues illicites et 8,6 % présentaient un problème de jeu.

La prise de risque au féminin

Lorsque comparés avec les jeunes femmes qui fréquentent les mêmes établissements d’enseignement postsecondaire, les étudiants masculins adopteraient des conduites à risque plus intenses et fréquentes en matière de consommation de substances psychoactives (SPA), de jeu pathologique et de participation à des sports extrêmes (Khallad, 2010 ; Pillon, O’Brien et Chavez, 2005 ; Rosenbilt, Soler et Jonhson, 2001 ; Wagoner, Blocker, McCoy, Sutfin, Champion et Wolfson, 2012). Toutefois, une étude effectuée auprès de 954 étudiants australiens suggère que la génération actuelle de jeunes femmes de 16 à 30 ans présenterait moins d’écart avec les jeunes hommes dans la prise de risque en matière de sexualité, de consommation d’alcool (calage) et de conduite automobile avec les facultés affaiblies que la génération précédente (Abbott-Chapman et al., 2008). Ainsi, la majorité des étudiantes interrogées dans le cadre de leur étude rapportait observer une hausse de ces conduites à risque au sein de leur groupe de pairs, tant et si bien que la consommation d’alcool et de cannabis était considérée comme plutôt « habituelles ». Or, malgré cette recrudescence marquée de certaines conduites à risque chez les jeunes femmes, notamment la consommation de substances psychoactives (Abbott-Chapman et al., 2008), de même que l’observation de nouvelles formes de conduites sexuelles à risque qui seraient plus spécifiques au genre féminin (par ex. : « hook up », voir Hipwell, Step et Chung, 2012 ; Paul, McManus et Haynes, 2000 ; Yost et McCarthy, 2012), très peu d’études récentes ont documenté les conduites à risque typiques des étudiantes de niveau postsecondaire.

Objectifs

En conséquence, les objectifs de cette étude exploratoire étaient 1) d’évaluer la propension à la prise de risque au sein d’un échantillon québécois d’étudiantes de niveau postsecondaire ; 2) préciser les conduites privilégiées par ces dernières lorsqu’elles s’adonnent à la prise de risque ; 3) Comparer la propension à la prise de risque dans différents domaines en fonction de certaines caractéristiques individuelles (âge, niveau de scolarité) et contextuelles (statut civil, milieu de vie, programme d’études, région sociosanitaire, niveau socio-économique) ; 4) Vérifier la cooccurrence des conduites à risque. Comme cette recherche se veut exploratoire, aucune hypothèse de départ n’est émise.

Méthode

Participants

Vu le caractère exploratoire de l’étude, la taille de l’échantillon n’a pas été prédéterminée à l’avance et correspond plutôt au nombre total de participantes ayant complété le sondage durant la période de recrutement (décembre 2012 à juillet 2013) et répondant aux critères d’inclusions de l’étude. L’échantillon est composé de 233 étudiantes inscrites dans un établissement collégial ou universitaire québécois durant l’année 2012-2013. Vingt et un participants additionnels ont été exclus des analyses, puisqu’ils ne répondaient pas aux critères d’inclusion de l’étude. Seules les femmes âgées entre 18 et 30 ans inscrites dans un des deux établissements d’enseignement postsecondaires visés par le projet (Collège de Maisonneuve et Université du Québec à Trois-Rivières) ont été incluses dans l’étude. Les résultats ne sont donc pas représentatifs des résultats de l’ensemble de la population étudiante postsecondaire au Québec. L’âge moyen des répondantes était de 22,14 ans (ÉT = 2,89 ; étendue = 18-30). La quasi-majorité de l’échantillon est d’origine canadienne (96,6 %), alors que le reste (n = 7) est d’origine culturelle variée (française, chinoise, irlandaise, autochtone, écossaise). Un peu moins de la moitié (44,6 %) des répondantes étaient en couple au moment du sondage (union libre ou mariage) alors que la balance de l’échantillon était célibataire ou divorcée. Seulement treize des participantes (5,6 %) avaient au moins un enfant. En ce qui concerne le milieu de vie, 30,9 % des répondantes habitaient au domicile parental, 11,3 % étaient propriétaires d’une résidence et la majorité vivait en appartement autonome avec ou sans colocataire (54,3 %). De ce nombre, 3,4 % vivaient sur le campus de l’établissement d’enseignement fréquenté.

Une majorité des répondantes était inscrite dans un programme universitaire (67,8 %). De ce nombre, 51,9 % évoluaient dans un programme de premier cycle et 15,9 % au niveau des cycles supérieurs. Le domaine d’études des participantes (universitaires et collégiales) était majoritairement lié à la psychologie, la psychoéducation et le travail social (61,4 %), suivi du domaine de l’administration (12,0 %), des sciences de la santé (7,7 %), des arts et lettres (4,7 %), des sciences naturelles (3,4 %) et des sciences de l’éducation (2,1 %). Le domaine d’études de cinq des répondantes n’a pas été précisé.

Procédure

Le recrutement s’est déroulé entre les mois de décembre 2012 et juillet 2013. Les participantes ont été approchées grâce à des affiches publicitaires placées sur des babillards et dans les salles communes des deux établissements d’enseignement postsecondaires visés par l’étude. Les participantes ont aussi été sollicitées à travers les réseaux sociaux, via les pages Facebook des associations étudiantes des deux établissements. Les participantes intéressées pouvaient accéder au sondage électronique accessible en ligne, via un site sécurisé ou en relevant le code QR imprimé sur les affiches publicitaires à l’aide d’un téléphone intelligent ou d’une tablette électronique. Un formulaire de consentement devait être signé électroniquement avant d’accéder au sondage. Pour chaque signature, le logiciel demandait aux répondantes de créer un compte d’utilisateur et un mot de passe qui servaient de clé unique. Les données nominatives recueillies lors du consentement (adresse courriel, nom) étaient automatiquement dirigées vers une banque de données distincte de la banque de données anonymisées (réponses au questionnaire). En guise d’incitatif à la participation, une tablette électronique d’une valeur d’environ 250 dollars a été tirée au hasard parmi l’ensemble des répondantes à la fermeture du sondage en juillet 2013. Les comités d’éthique des deux établissements sondés ont donné leur approbation au protocole.

Mesures

La propension à la prise de risque a été mesurée à partir du DOSPERT révisé (Domain-Specific Risk-Taking scale for adults), qui mesure l’intention d’adopter un comportement à risque auprès d’une population adulte. La version québécoise traduite par Blais et Weber (2006), qui est composée de 30 items mesurant la propension à la prise de risque dans cinq domaines (éthique, financier, santé-sécurité, social, occupationnel) a été utilisée. Les items du domaine éthique font référence aux conduites irresponsables ou de tricheries (par ex. : présenter le travail de quelqu’un d’autre comme le sien). Les items du domaine financier s’intéressent aux conduites liées au jeu (gambling) et la gestion financière (par ex. : parier une journée de salaire lors d’une partie de poker à enjeu important). Les items du domaine de la santé et sécurité sondent les comportements relatifs à la consommation de substances psychoactives, la sexualité, la conduite automobile dangereuse et d’autres conduites pouvant compromettre la santé et/ou la sécurité (par ex. : rentrer chez soi à pied le soir dans un quartier peu sécuritaire). Les items du domaine social font référence aux comportements d’affirmation de soi en contexte social, où le jugement d’autrui est influent (par ex. : être en désaccord avec un symbole d’autorité sur une question importante) et, finalement, les items du domaine récréationnel s’intéressent aux activités à sensations fortes (parachutisme, rafting, piloter un avion, etc.). Les participantes devaient répondre à la consigne suivante : « Pour chacune des phrases suivantes, veuillez indiquer la probabilité que vous preniez part à l’activité spécifiée ou que vous adoptiez le comportement spécifié si vous vous retrouviez dans la situation décrite. » Pour chacun de 30 items, les participantes devaient situer leur réponse selon une échelle de Likert à sept points, allant de « Extrêmement peu probable » à « Extrêmement probable ». Ce questionnaire démontre des indices de validité et de fidélité adéquats, tel que démontré par la procédure de validation inverse (back-translation method), bien qu’il soit suggéré que certains items soient modifiés et ajoutés pour consolider davantage les scores de consistance interne et ainsi, augmenter la fidélité et la validité de l’outil auprès d’échantillons québécois (Blais et al., 2006).

Dans le but de documenter des types de conduites à risque de façon plus spécifique, huit questions supplémentaires ont été ajoutées, notamment en matière de consommation de substances psychoactives, de sexualité, de conduite automobile dangereuse et de délinquance. Les huit questions devaient être répondues à partir de la même échelle de type Likert que celle utilisée dans le DOSPERT et la même consigne de départ a été utilisée.

Questionnaire sociodémographique

Un questionnaire sociodémographique composé de 19 variables a été créé spécifiquement pour l’étude. Chaque item mesurait une variable et comportait des choix de réponses. En plus des variables sociodémographiques, le questionnaire documentait également le revenu annuel moyen des participants et celui de leurs parents, le dernier niveau de scolarité complété, l’intérêt à poursuivre des études postsecondaires (oui ; non ; je suis indécise), l’âge et le nombre de crédits accumulés dans le programme d’étude actuel. Le sondage électronique prenait environ dix minutes à compléter.

Résultats

Les données recueillies à partir du sondage électronique ont été exportées dans une banque de données SPSS et ont été analysées à partir de sa version 9.0. Huit des participantes (3,4 %) au sondage ont été exclues des analyses, puisqu’elles n’ont pas complété la section sur le DOSPERT et les questions ajoutées. Le taux de complétion du sondage est donc de 96,6 %, portant l’échantillon utilisé pour les analyses à 225 participantes. Aucune particularité n’a été notée à la suite de l’analyse des données sociodémographiques des répondantes exclues.

Les conduites de prédilection

Le tableau 1 présente le score total et les scores moyens aux cinq grands domaines du DOSPERT révisé. Les résultats indiquent que les participantes adoptent en moyenne davantage des conduites à risque en lien avec le domaine social (M = 31,16, ÉT = 5,23), les activités récréatives (M = 22,21, ÉT = 8,36) et la santé et sécurité(M = 21,33, ÉT = 5,91). L’adoption de conduites à risque dans le domaine éthique (M = 13,09, ÉT = 4,43) et financier (M = 11,04, ÉT = 4,04) est généralement plus faible. La moyenne des étudiantes au score global est assez faible (M = 98,82, ÉT = 17,42) et affiche une distribution presque normale. Les scores varient de 50 à 145, sur une possibilité de 210 (score maximal).

Tableau 1

Résultats des scores moyens au DOSPERT (n = 225)

Résultats des scores moyens au DOSPERT (n = 225)

Note : Les scores minimums et maximums possibles aux cinq échelles sont respectivement de 6 et 42.

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Afin de documenter plus spécifiquement la propension à la prise de risque en matière de sexualité, de consommation de substances psychoactives, de conduite automobile et de délinquance, les huit items ajoutés au DOSPERT ont été considérés. Les réponses à l’échelle initiale de type Likert à 7 points ont été recodées en trois catégories, soit Probable ou très probable (qui inclut les réponses « Assez probable », « Moyennement probable » et « extrêmement probable », Incertain (réponse Incertaine) et Peu probable (qui inclut les réponses « Assez peu probable », « Modérément peu probable », « Extrêmement peu probable »). Les résultats indiquent que plus du quart des répondantes estime probable ou très probable d’avoir un rapport sexuel avec une personne rencontrée quelques heures auparavant (24,9 %). De plus, 15,1 % des étudiantes estiment probable ou très probable qu’elles adoptent des comportements sexualisés (par ex. : se dévêtir, attitude aguichante) dans un bar ou une fête et cette propension augmente considérablement s’il y a consommation de substances psychoactives (25,4 %). D’ailleurs, 16,3 % des étudiantes sondées estiment probable ou très probable qu’elles consomment volontairement de l’ecstasy. Les conduites automobiles à risque telles que rouler à plus de 140 km/h sur l’autoroute (12,5 %) et conduire un véhicule avec les facultés affaiblies (9,0 %) sont aussi estimées probables ou très probables par une proportion non négligeable des répondantes. Finalement, la participation à un méfait simple (délit mineur, vol) en groupe (4,3 %) ou seule (3,0 %) ne semble pas faire partie des conduites à risque de prédilection pour l’échantillon.

Âge, état civil, parentalité et prise de risque

Afin de répondre à l’objectif 3 qui visait à comparer la propension à la prise de risque dans les cinq domaines en fonction de certaines caractéristiques individuelles et contextuelles, des tests de moyenne et des analyses de corrélations ont été menés entre les variables sociodémographiques et les résultats aux échelles de prise de risque (cinq domaines et score total au DOSPERT). Dans un premier temps, des tests T pour échantillon indépendant ont été conduits afin de comparer les scores moyens aux domaines de prise de risque en fonction de l’état civil et de la parentalité. Faute de puissance statistique suffisante, les petites tailles d’effets n’ont pu être détectées. Pour la variable état civil, le test était significatif (T(225) = -2,562, p < 0,05) pour le domaine éthique, les activités récréatives (T(225) = -2,863, p < 0,01), la santé et la sécurité (T(223,66) = -2,780, p < 0,01) et le score global au DOSPERT (T(225) = -2,906, p < 0,01). Ainsi, les participantes qui sont célibataires (Éth. M = 13,72 ; ET = 4,62, Act.Réc. M = 23,55 ; ET = 8,63, S.S. M = 22,32 ; ET = 6,29, Global M = 101,70 ; ET = 18,60) prennent significativement plus de risque que les participantes en couple (Éth. M = 12,23 ; ET = 4,04, Act.Réc. M = 20,40 ; ET = 7,75, S.S. M = 20,14 ; ET = 5,54, Global M = 95,04 ; ET = 15,29)[1]. Pour leur part, les comparaisons de moyenne effectuées en fonction du statut de parentalité sont significatives pour le domaine éthique (T(225) = -2,763, p < 0,01), le domaine social (T(225) = 2,454, p < 0,05) et la santé et la sécurité (T(225) = -2,407, p < 0,05). Ainsi, les participantes qui ont des enfants (Éth. M = 9,77 ; ET = 3,89, S.S. M = 17,14 ; ET = 4,91) prennent moins de risque que les participantes sans enfant (Éth. M = 13,25 ; ET = 4,39, S.S. M = 21,57 ; ET = 6,04) dans le domaine éthique et en ce qui a trait à la santé et à la sécurité. Cependant, elles (M = 34,63 ; ET = 4,05) prennent plus de risque sur le plan social que les participantes sans enfant (M = 30,96 ; ET = 5,28)[2].

Des corrélations linéaires ont été calculées afin de vérifier le lien entre l’âge et la propension à la prise de risque. Puisque la distribution de la variable « âge » est anormale (KS(225) = 0,156 ; p = 0,000), le test Rho de Spearman a été utilisé. Après avoir contrôlé les erreurs de type 1 avec la correction de Bonferroni, les résultats des tests de corrélations entre l’âge et les dimensions de prise de risque se sont tous avérés non significatifs (p>0,002).

Prise de risque et variables contextuelles

Des analyses de variance à un facteur (One-Way ANOVA) ont été menées afin de vérifier si la propension à la prise de risque se distingue en fonction du milieu de vie, du type de communauté (urbaine, rurale, agricole), des intérêts professionnels (domaine d’études) et du niveau de scolarité. Aucune différence significative sur les scores aux dimensions de prise de risque n’a été relevée en regard du type de communauté d’origine des participantes et du domaine d’études. Le tableau 2 présente les résultats obtenus en regard du milieu de vie des participantes et du niveau de scolarité[3]. Considérant la taille de l’échantillon, seuls les grands (milieu de vie) et moyens effets (niveau d’études) ont pu être détectés (faute de puissance statistique suffisante).

Des différences quant à la prise de risque sont notées pour la variable « milieu de vie » composée de trois catégories (chez ses parents, n = 77 ; en appartement ou en résidence, n = 123 ; propriétaire d’une résidence, n = 25) dans le domaine éthique (F(2) = 4,450, p < 0,05) et le domaine activités récréatives (F(2) = 3,689 ; p < 0,05). Des analyses complémentaires ont été conduites afin de préciser entre quels groupes se situaient les différences. Les résultats indiquent que les participantes qui habitent en appartement prennent significativement plus de risque sur le plan éthique que les étudiantes qui habitent chez leurs parents ou qui sont propriétaires (TukeyDM = 2,755 ; p = 0,012). Par ailleurs, les résultats sont inversés en ce qui concerne le domaine des activités récréatives, alors que les participantes qui habitent chez leurs parents prennent plus de risques à ce niveau lorsqu’on les compare aux étudiantes qui habitent en appartement (TukeyDM = 2,995 ; p = 0,035). L’homogénéité des variances pour les domaines éthique et récréatif est assumée.

Les résultats des analyses de variances indiquent que seule la prise de risque dans le domaine éthique diffère significativement en fonction du niveau de scolarité (F(2) = 5,501, p < 0,001). En effet, les étudiantes inscrites au collège (TukeyDM = 1,700 ; p = 0,003) et les étudiantes universitaires inscrites au premier cycle (TukeyDM = 3,869 ; p = 0,037) prennent significativement plus de risques en matière éthique que les étudiantes universitaires inscrites aux cycles supérieurs. Aucune différence significative n’est notée entre les étudiantes inscrites au collège et les étudiantes universitaires de premier cycle. L’homogénéité des variances pour le domaine éthique est assumée.

Tableau 2

Résultats des comparaisons multiples significatives entre les dimensions du DOSPERT et les variables sociodémographiques (n = 225)

Résultats des comparaisons multiples significatives entre les dimensions du DOSPERT et les variables sociodémographiques (n = 225)

a Ces résultats ne sont pas considérés significatifs bien que p < 0,05, car les tests de comparaisons multiples (Tukey ou C de Dunnet, le cas échéant) présentent seuils de signification supérieurs à 0,05.

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La covariation des conduites à risque

Dans le but de vérifier la covariation de la propension à la prise de risque, des tests de corrélations de Spearman ont été menés[4]. De plus des tests de corrélations partielles ont été menés sur les domaines de risque pour vérifier l’existence de variables modératrices.

La figure 1 présente les résultats des corrélations linéaires. Considérant la taille de l’échantillon, seuls les effets moyens et grands ont pu être détectés.

Figure 1

Résultats des corrélations linéaires entre les dimensions du DOSPERT (n = 225)

Résultats des corrélations linéaires entre les dimensions du DOSPERT (n = 225)

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Selon les critères de Cohen, la propension à la prise de risque en ce qui a trait à la santé et la sécurité est faiblement associée à la propension à prendre des risques en matière d’activités récréatives et sociales. De plus, elle est modérément associée à la propension à prendre des risques dans le domaine éthique. La propension à prendre des risques financiers n’est pas associée à la propension à prendre des risques en matière de santé et de sécurité (p>0,05). L’envie de prendre des risques financiers est cependant faiblement associée à la propension à prendre des risques éthiques et dans le domaine des activités récréatives. En dernier lieu, la propension à la prise de risque en ce aui a trait aux activités récréatives est faiblement liée à la propension à prendre des risques sur le plan social.

Afin de savoir si les liens entre les dimensions santé et sécurité, financières et sociale sont influencées par des variables contrôles ou modératrices tels l’âge, l’état civil (célibataire, en couple), la parentalité, le milieu de vie (chez parents, appartement, propriétaire) et le niveau de scolarité (collégial, universitaire 1er cycle, universitaire cycles supérieurs), des tests de corrélations partielles ont été effectués. La méthode de Bonferroni a été utilisée pour contrôler l’erreur de type I. Par conséquent, des niveaux de signification inférieurs à 0,003 étaient requis pour considérer une association linéaire comme statistiquement significative. En ce qui concerne l’âge, les résultats indiquent que l’âge modère, mais ne contrôle pas (r ≠ 0) la relation entre la prise de risque éthique et financière, ce qui signifie qu’à âge égal, les participantes qui ont tendance à prendre plus de risques en matière éthique ont aussi tendance à prendre plus de risques en ce a trait à leurs finances (r(222) = 0,278 ; p = 0,000). Il en est de même pour la relation entre la prise de risque éthique et la prise de risque relative à la santé et à la sécurité (r(222) = 0,453 ; p = 0,000) et pour toutes les autres corrélations : à âge égal, les participantes qui ont tendance à prendre plus de risques dans un domaine ont aussi plus tendance à en prendre à tous les autres domaines. Les mêmes procédures statistiques ont été appliquées concernant l’état civil, la parentalité, le milieu de vie et le niveau de scolarité et les résultats sont similaires à ceux de l’âge. Aussi, la covariation entre les domaines de risque n’est pas expliquée par une des variables investiguées.

Discussion

Le premier objectif de cette étude exploratoire était de documenter la propension des étudiantes postsecondaires à adopter plusieurs types de conduites à risque, telles que mesurées par le DOSPERT (Blais et al., 2006). À ce titre, les résultats suggèrent une propension globale au risque relativement faible au sein de l’échantillon, bien que certains domaines de risque semblent plus prépondérants, notamment le domaine social, occupationnel et celui lié à la santé et à la sécurité. Ce résultat global est plutôt étonnant, puisqu’il est reconnu à travers la littérature scientifique que la transition entre l’adolescence et l’âge adulte constitue une période propice à la prise de risque (Claxton, et van Dulmen, 2013 ; Ragsdale et al., 2012 ; Valera et al., 2011) en raison de la conjoncture de plusieurs facteurs favorisant ce type de comportements (Arnett, 2007 ; Figner et al., 2011 ; Le Breton, 2007). Par ailleurs, les résultats obtenus aux items ajoutés contrastent avec ceux obtenus au DOSPERT. Ils mettent en lumière le pourcentage élevé d’étudiantes qui estime probable ou très probable d’adopter des conduites à risque telles des conduites sexualisées dans un bar avec ou sans intoxication volontaire, des rapports sexuels avec un inconnu et une consommation volontaire d’ecstasy. Il est possible que les résultats obtenus s’expliquent en partie par des limitations statistiques ou encore, par la difficulté de l’outil DOSPERT à bien représenter la réalité, en matière de prise de risque, d’une population d’adultes émergents (Arnett, 1991, 2007) alors qu’il a été développé pour des adultes. Il est également possible que l’outil ait sous-estimé l’ampleur réelle des conduites à risque adoptées par les répondantes du fait que les définitions de certains items ne soient pas optimales (Blais et al. 2006).

Par ailleurs, les résultats des analyses bivariées indiquent que la propension à la prise de risques dans le domaine de la santé et de la sécurité serait plus importante chez les étudiantes qui sont célibataires et sans enfant, comparativement aux étudiantes qui sont en couple ou qui sont parent. Ces résultats sont cohérents avec la littérature actuelle sur les adultes émergents qui suggère que cette période de transition est caractérisée par l’instabilité, l’égocentrisme et des comportements d’exploration (Arnett, 2007) qui se manifestent à travers l’expérimentation de multiples opportunités sur le plan affectif, professionnel, éducationnel et social (Arnett, 2000, 2007 ; Schwartz, Côté et Arnett, 2005). Dans une perspective psychodéveloppementale, la prise de risque pourrait s’inscrire dans un processus d’exploration lié au développement d’un sentiment de compétence, à la formation d’une identité adulte (Arnett, 2007) et à l’expression de soi (Le Breton, 2007). Dépendamment de l’intensité et du type de conduites à risque adoptées, ces manifestations peuvent engendrer de sérieuses conséquences pour soi-même et les autres (ITSS, grossesse non désirée, accident automobile avec lien avec la consommation de SPA ou la conduite dangereuse, casier judiciaire, etc.) (Aalsma, Tong, Wiehe et Tu, 2010 ; Paul et Hayes, 2002 ; Worthy et al., 2010).

D’ailleurs, les résultats des analyses de covariation indiquent que la prise de risque dans un domaine est généralement associée à la prise de risque dans d’autres domaines. Par exemple, la prise de risque dans le domaine récréatif serait liée à la prise de risque en matière de santé et de sécurité. À ce titre, plusieurs auteurs ont documenté certains traits de personnalité, telle la recherche de sensation forte, comme étant associés à l’adoption de plusieurs types de conduites à risque (Zuckerman, 2007 ; Worthy et al., 2010 ; Roberti, 2004 ; Ravert, Schwartz, Zamboanga, Kim, Weisskirch et Bersamin, 2009). Bien que cette variable n’ait pas été mesurée dans le cadre de l’étude, il est possible d’émettre l’hypothèse que la recherche de sensations fortes soit une caractéristique commune des étudiantes ayant obtenu un score élevé en matière de risque dans le domaine récréatif. La nature des items (par ex. : effectuer un saut à l’élastique (bungee) ; piloter un avion ; faire de la descente en eau vive au printemps quand le niveau de l’eau est élevé) et un sous-groupe de l’échantillon provenant du milieu collégial (dont une grande proportion est inscrite à la technique policière, un domaine d’étude qui cible généralement des étudiantes en bonne forme physique et qui ont de l’intérêt pour un métier où l’exposition au danger est importante) sont des facteurs pouvant plaider en faveur de cette hypothèse. Bien que l’hypothèse de la recherche de sensation forte n’ait pas pu être vérifiée, une mesure de cette variable parmi d’autres pourrait s’avérer intéressante dans le cadre d’une autre étude.

Dans un autre ordre d’idées, les résultats plus élevés pour la prise de risque sociale au sein d’un échantillon d’étudiantes postsecondaires ne sont pas surprenants. Il est probable que des conduites comme être en désaccord avec un symbole d’autorité sur une question importante (item 7) ou encore, dire son opinion sur une question controversée lors d’une réunion au travail (item 22) traduisent des habiletés sociales ayant été apprises, renforcées et encouragées dans un contexte académique. D’ailleurs, il est intéressant de noter que contrairement aux autres domaines mesurés, la prise de risque dans le domaine social est plus élevée chez les étudiantes qui habitent de façon autonome (appartement ou propriétaire) et chez celles qui ont des enfants. De plus, la prise de risque dans le domaine social n’est pas nécessairement associée à la prise de risque dans les autres domaines. Ces résultats suggèrent que les étudiantes qui assument des responsabilités importantes (être parent, être responsable d’un appartement ou d’une maison) pourraient avoir terminé ou être en voie d’achever la tâche développementale liée à la quête identitaire et, en ce sens, seraient davantage en mesure de s’affirmer et de se définir en tant qu’adultes.

Peu d’étudiantes ont estimé probable qu’elles adoptent des comportements éthiquement questionnables, comme par exemple présenter le travail de quelqu’un d’autre comme étant le leur (item 10) ou encore, tricher par un montant important dans leur déclaration d’impôt (item 6).

Finalement, les résultats obtenus en regard de l’âge posent la question de l’influence de cette variable sur l’adoption de conduites à risque, notamment dans le cas précis d’un échantillon d’adultes émergents. Les résultats de la présente étude suggèrent une absence de relation entre l’âge des répondantes et les domaines de conduites à risque documentés. Pourtant, plusieurs études rapportent des liens entre la prise de risque et l’âge (Vélez-Blasini et Brandt, 2000 ; Paterno et Jordan, 2012), notamment en raison des étapes de développement cognitif, moral, émotionnel et physique de l’individu. Cette divergence pourrait s’expliquer, comme le propose Molgat (2007), par le fait que les conduites adoptées par les adultes émergents ne dépendent pas tant de facteurs transitionnels concrets (par ex. : quitter la maison, occuper un emploi « de vie », avoir des enfants ou encore l’âge), mais bien de la perception que l’individu a de lui-même. Se considère-t-il adulte ? Vu la diversité des trajectoires de vie des étudiantes qui poursuivent des études postsecondaires, il est possible d’envisager que l’âge ne constitue plus nécessairement le meilleur indicateur des conduites à risque qui sont adoptées par ces dernières. Les différences importantes dans les patrons de prise de risque en fonction de certaines variables individuelles et contextuelles identifiées au sein de la présente étude semblent vouloir appuyer cette hypothèse. Ces derniers résultats portent à questionner l’existence d’un ou de certains profils d’étudiantes à risque d’adopter des conduites à risque. Malheureusement, les données issues de cette étude exploratoire ne permettent pas de répondre à cette question.

Limites

Les résultats présentés doivent être interprétés avec prudence, puisque l’étude présente des limites importantes. D’abord, les conclusions tirées sont basées sur les réponses de 233 étudiantes québécoises ayant des caractéristiques assez distinctives et provenant de deux milieux académiques seulement. Ainsi, la généralisation des résultats à l’ensemble de la population d’étudiantes postsecondaires est impossible. De plus, le questionnaire utilisé (DOSPERT) documente l’intention à adopter les conduites à risque et ne mesure pas la fréquence ni l’intensité des comportements qui ont été adoptés par les participantes. Par ailleurs, les résultats des analyses doivent être interprétés avec précaution, puisqu’en raison du caractère exploratoire de l’étude, la taille de l’échantillon et sa puissance statistique n’ont pas permis de détecter les petits effets. Il est possible que certaines différences significatives ou certaines relations entre les variables n’aient pas été détectées en raison de cette limite. Finalement, bien que l’utilisation d’un sondage Web pour recueillir des données de recherche comporte de nombreux avantages, notamment l’accès facile à un grand nombre de participants à faibles coûts et la réduction des biais liés à l’inconfort, l’anxiété et la désirabilité sociale lorsque des sujets sensibles sont évoqués (Mustanski, 2001), cette stratégie présente aussi des limites, puisqu’elle ne permet pas de vérifier l’exactitude des informations sociodémographiques recueillies (par ex. : âge, genre) et la compréhension juste des questions par les répondants. Par conséquent, des recherches portant sur des échantillons plus importants et représentatifs, qui croiseraient différentes méthodes de recrutement sont nécessaires pour documenter davantage la diminution de l’écart entre la propension à la prise de risque des filles et des garçons. En dernier lieu, il est également important de considérer que les résultats portant sur la covariation des conduites à risque investiguées dans la présente étude sont issus d’échelles provenant toutes de la même mesure. Il est donc possible que la force des liens rapportés soit biaisée. Cela implique que les études subséquentes devraient favoriser l’utilisation de diverses mesures pour statuer sur des domaines de prise de risque. De la même manière, des études qualitatives permettant d’approfondir notre compréhension du phénomène et de documenter le point de vue des jeunes eux-mêmes nous semblent indispensables. Les présentes données exploratoires, bien qu’elles comportent des limites importantes, illustrent la pertinence de poursuivre les travaux dans ce domaine.