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« Faire classe dehors » s’inscrit dans une histoire de l’éducation qui n’est pas nouvelle, mais que la récente crise sanitaire a remis au-devant de la scène. Au-delà des aspects sanitaires, les motivations qui conduisent les enseignants à délocaliser leur pratique hors de la classe et plus particulièrement dans des milieux dits « naturels » ou considérés comme tels sont diverses et souvent complexes à déchiffrer. Il s’agit à la fois de redonner du sens aux apprentissages, de réduire l’anxiété, de canaliser l’hyperactivité de certains élèves et de mener des actions concrètes en faveur de la biodiversité. Comprendre et analyser l’école dans et avec la nature, c’est à la fois saisir les défis actuels de notre système éducatif et proposer des perspectives nouvelles. Le moment n’est-il pas venu d’instaurer un nouveau rapport entre l’humain et son environnement en éducation pour faire de cette école avec la nature la révolution pédagogique du XXIe siècle ? C’est tout l’enjeu de l’ouvrage de Corine Martel et Sylvain Wagnon, L’école dans et avec la nature : la révolution pédagogique du XXIe siècle qui vient de paraître aux éditions ESF.
Dans cet ouvrage, les auteurs envisagent l’école dans et avec la nature selon plusieurs perspectives complémentaires - historique, philosophique, sociologique, écologique et pédagogique - afin d’en préciser les contours. Ce livre présente également de nombreuses pistes très concrètes afin d’engager sans attendre la « révolution de velours » que les auteurs appellent de tous leurs vœux.
Enseigner dans et avec la nature : une idée qui fait son chemin
L’idée de nature est très présente chez les réformateurs de l’éducation, qu’il s’agisse de Jean-Jacques Rousseau, Johann Heinrich Pestalozzi ou de tous les pédagogues de l’éducation nouvelle du début du XXe siècle. Ces derniers - Maria Montessori, Ovide Decroly, Rudolf Steiner, Elise et Célestin Freinet - ont tous souligné cette nécessité d’une harmonie entre le corps et l’esprit à travers la présence de la nature. Dans les deux premiers chapitres du livre, les auteurs nous rappellent que cette idée d’une école dans et avec la nature s’enracine dans une histoire dont les réformateurs de l’éducation ont posé les bases, celles d’une éducation intégrale qui envisage l’enfant dans toutes ses dimensions, intellectuelle, mais aussi corporelle et affective. Le passage de la salle de classe à l’extérieur s’inscrit ainsi dans cette perspective d’éducation intégrale et représente bien, encore aujourd’hui, une affirmation de nouvelles finalités éducatives liées à un projet de société que cet ouvrage nous aide à imaginer. Pour Corine Martel et Sylvain Wagnon, penser ce nouveau projet de société nous amène à ré-envisager notre façon de concevoir les liens entre les êtres vivants et notre environnement par l’éducation. Cette approche interroge « la reconstruction du réseau des relations personne-société-environnement » souvent évoqué par la chercheuse Québécoise Lucie Sauvé reconnue internationalement comme l’une des pionnières de l’éducation relative à l’environnement.
Enfin et puisque la nature occupe dans cette réflexion une place centrale, nous avons apprécié que les auteurs abordent dans le premier chapitre les différentes conceptions et représentations qui se rattachent au terme « nature » en éducation. Les éducateurs trouveront là les éléments nécessaires pour expliciter les différentes valeurs qui sous-tendent leurs actes pédagogiques.
Un défi éco-pédagogique plus que jamais d’actualité
Dans les chapitres suivants, l’analyse détaillée d’une diversité de pratiques en France et sur le plan international, étayée par une connaissance approfondie de la littérature scientifique, permet aux auteurs de mettre en valeur les éléments constitutifs du défi éco-pédagogique qui s’impose à nous.
Cette analyse qui se veut à la fois théorique et pratique permet aux enseignants, formateurs, animateurs, éducateurs et parents de structurer une véritable réflexion d’ensemble sur cette question de l’école dans et avec la nature.
Au cœur de cette réflexion, Corine Martel et Sylvain Wagnon intègrent les enjeux de la lutte contre le changement climatique ainsi que l’érosion de la biodiversité qu’il est urgent de prendre en compte pour envisager la transition écologique à mettre en œuvre. La question est vaste, elle dépasse largement la seule sphère pédagogique et se veut holistique dans la mesure où elle interroge également notre sentiment d’appartenance au monde du vivant. Il s’agit là d’un véritable changement de paradigme auquel les auteurs nous invitent à réfléchir pour sortir de l’Anthropocène. Et pour ce faire, la pédagogie avec la nature ne doit pas être seulement envisagée sous l’angle d’un simple changement de lieu où s’effectuent les apprentissages. La pédagogie avec la nature fait ici référence à une réflexion plus globale sur l’éducation à partir d’une redéfinition des liens entre les êtres humains entre eux, mais également avec leur environnement végétal et animal. La présence de la nature influence nos comportements et nos émotions. Les enseignements à l’extérieur ne se légitiment pas uniquement par leurs impacts sur les apprentissages scolaires et le bien-être de l’enfant. Ils contribuent également à faire émerger ce sentiment d’appartenance à notre milieu de vie qui va stimuler l’engagement et ainsi permettre le changement. L’analyse rigoureuse, détaillée et documentée à laquelle se livrent ici les auteurs nous invite à penser sérieusement cette nouvelle façon de « faire école ».
Une approche pédagogique à construire
L’éducation hors des murs de la classe ne correspond pas seulement au fait de sortir de l’école, elle nous invite également à repenser l’espace scolaire dans son ensemble. Dans cette perspective, Corine Martel et Sylvain Wagnon se sont d’abord intéressés aux mouvements internationaux des Forest Schools et d’éducation à l’extérieur (Outdoor Éducation), très dynamiques dans les pays anglo-saxon et scandinaves et qui connaissent depuis quelques années un regain d’intérêt en France et en Belgique où plusieurs établissements revendiquent cette filiation. L’étude de ces mouvements est sans conteste d’un grand intérêt pour apprécier les points forts et les limites de ces approches pédagogiques.
En France, à l’heure où plus de 80 % de la population vit dans des espaces urbanisés, on peut particulièrement apprécier le chapitre 5 qui présente différents dispositifs permettant de ramener des espaces de nature en ville et notamment dans les cours de récréation. Cet ouvrage fournit de nombreux exemples qui viennent illustrer des expériences en cours comme les projets de « Cours Oasis » initiés dans les écoles et collèges parisiens, projets dans lesquels les cours de récréation sont progressivement transformées en « oasis ». L'objectif est ici de créer des espaces rafraîchis, plus agréables à vivre au quotidien et mieux partagés par tous. Il s’agit de nouveaux espaces « ensauvagés » où la nature n’est pas contrainte : le sol est déminéralisé, les végétaux poussent librement, les feuilles mortes sont laissées à terre afin de favoriser l’essor d’un environnement plus naturel… De tels oasis sont propices pour inspirer, motiver et accompagner des méthodes pédagogiques nouvelles. Ces lieux restent « rassurants » pour les enseignants et invitent ces derniers à expérimenter différentes postures comme le « lâcher prise » ou l’« accompagnement ». Ces postures favorisent la prise d’autonomie et la responsabilisation des élèves.
Au-delà d’une reconnexion à la nature toujours idéalisée et mythifiée, les auteurs défendent ici un projet d’éducation dans et avec la nature visant à inscrire une transition écologique assumée au cœur d’un véritable projet de société.
L’école dans et avec la nature nous offre une belle opportunité pour réfléchir à notre système éducatif et contribuer à son évolution. Une véritable bouffée d’oxygène ![1]
Appendices
Note
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[1]
Autre recension du même ouvrage par Aurélie Zwang (2022) dans Cahiers pédagogiques. www.cahiers-pedagogiques.com/lecole-dans-et-avec-la-nature-la-revolution-pedagogique-du-xxie-siecle/
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