Volume 34, Number 2-3, Fall–Winter 1998 L’automatisme en mouvement Guest-edited by Gilles Lapointe and Ginette Michaud
Table of contents (23 articles)
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Présentation
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« Breton seul demeure incorruptible » (Borduas) : mise au point sur la référence surréaliste
François-Marc Gagnon
pp. 13–29
AbstractFR:
Quelle fut l'influence de la pensée d'André Breton sur le peintre canadien-français Paul-Émile Borduas ? Peut-on au moins circonscrire les domaines où elle fut spécialement importante ? Y a-t-il eu par ailleurs des prises de position nettement divergentes de la part de Borduas sur un aspect ou l'autre de la pensée de Breton ? Certes, Borduas a découvert l'écriture automatique par et dans Breton, même s'il n'y a pas vraiment trouvé la manière de la transposer en peinture. Mais il semble que c'est surtout une certaine interprétation de Freud et du freudisme que Borduas a lue dans Breton. Mais pour comprendre la portée de cette influence, il importe de bien marquer les distances prises par Breton par rapport à Freud. Quant à la seconde question, il semble que c'est surtout à propos des conceptions si particulières de Breton sur l'amour que Borduas a marqué ses divergences.
EN:
What was the influence of André Breton's thought on the French Canadian painter Paul-Emile Borduas? Is it possible to circumscribe the area where it was specially important? Did, on the other hand, Borduas detach himself from one or the other dimensions of Breton's thought? Sure enough, Borduas discovered écriture automatique through and in Breton's text, even though he had to find his own way to transpose it in painting. But it seems that it was more an interpretation of Freud and freudianism that Borduas was able to find in Breton. To understand the bearing of that influence, it is important to establish clearly in what Breton's interpretation diverged from Freud. Regarding our second question, it seems that it is about Breton's peculiar conception of love that Borduas dissented.
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Pierre Gauvreau, provocateur
Ray Ellenwood
pp. 31–39
AbstractFR:
Mobilisé en Angleterre de 1943 à 1946, Pierre Gauvreau écrit à son frère Claude des lettres qui montrent non seulement son intérêt pour l'automatisme et le surréalisme, mais aussi son aptitude à remettre en cause les idées reçues. Ce trait de caractère est également sensible dans sa remise en question, mené de concert avec Riopelle, des propositions de Borduas relativement aux rapports du surréalisme et de Refus global, de même que, de manière plus significative, dans sa critique publique de l'exposition des Rebelles. C'est peut-être ce scepticisme qui a entraîné ultérieurement la marginalisation de Pierre Gauvreau dans les histoires de l'automatisme, en dépit de tout le travail d'animation et de réflexion qu'il fit en faveur du mouvement et de ses membres.
EN:
Stationed in England from 1943 to 1946, Pierre Gauvreau sent letters to his brother, Claude, which show not only his interest in Automatism and international Surrealism, but also his taste for disputing received opinions. This same tendancy showed in his questionning, with Riopelle, of Borduas ' pronouncements concerning Surrealism in Refus global and, more important, his public criticism of the Rebelles exhibition. It may be this scepticism that has caused Pierre Gauvreau to be marginalized in histories of Automatism, in spite of the work he did on behalf of the movement and its members.
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Borduas dans les salons littéraires : lectures comparées de deux portraits (Éthier-Blais, Ferron)
Ginette Michaud
pp. 41–74
AbstractFR:
La figure de Borduas a fait l'objet d'une lecture à la fois démystificatrice et mythographique de la part des littéraires. Comparant les portraits que lui ont respectivement consacrés Jean Éthier-Blais et Jacques Ferron, l'auteure dégage trois perspectives afin de mesurer les différences à l'oeuvre dans la construction — ou la défiguration — de la persona fictive du maître de l'automatisme : d'abord, le portrait physique et moral esquissé par chacun des écrivains ; le portrait idéologique ensuite qui se dessine dans certaines scènes clés où ils lui « prêtent » la parole ; leur manière enfin de décrire les toiles du peintre, expérience qui les amène à réfléchir sur leurs propres moyens esthétiques confrontés à un autre langage, le langage pictural. À travers toutes leurs ambivalences, leur envie et leur admiration, ces constructions fictives de l'image de Borduas projettent une réfraction certes déformante, mais essentielle de notre compréhension de l'automatisme.
EN:
Comparing the literary portraits of Borduas by Jean Éthier-Blais and Jacques Ferron, the author examines three planes which allows us to grasp the differences in these fictional representations of the painter: first, the physical and moral portrait of Borduas as painted by each writer; secondly, the ideological portrait which derives from certain key scenes; and finally, the portrait of automatist painting itself as they perceive it, an experience which leads them to reflect on their own art when confronted to another language. Through all those conflicting images, these representations of Borduas give us a "deformed" yet revealing refraction of the literary reception of the automatist movement.
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Temps de l’un, temps de l’autre : Beauté baroque et Nadja
Lucie Bourassa
pp. 77–96
AbstractFR:
Bien qu'écrits dans un style presque opposé, Beauté baroque de Claude Gauvreau et Nadja d'André Breton présentent plusieurs affinités. Les deux textes flirtent de manière ambiguë avec l'autobiographie, notamment parce que le récit de soi s'y construit à partir de l'histoire d'un autre. Cet autre est une femme qui, dans sa manière de vivre, incarne l'idéal surréaliste ou automatiste de désir et de liberté, et qui pour cela est associée au possible, au devenir. En revanche, c'est aussi cette manière d'être qui condamne Nadja comme Beauté baroque à la mort, symbolique pour la première, charnelle pour la seconde. Chacun des récits présente donc, à travers son personnage éponyme, un conflit temporel entre le possible et la fatalité. Le présent article essaie de décrire ce conflit et sa résolution en analysant la structuration de l'expérience du temps que proposent ces textes à travers leur sémantique, leur composition narrative et leur rythme. La différence de traitement du conflit temporel entre les deux récits se révèle emblématique de divergences importantes entre les poétiques surréaliste et automatiste.
EN:
Though written in almost opposite styles, Claude Gauvreau s Beauté baroque and André Bretons Nadja display several similarities. Both texts flirt ambiguously with autobiography, in particular in that the narration of the self is constructed from the story of the other. This "other" is a woman who, in the way she lives her life, embodies the surrealist or automatist ideal of desire and freedom, and who is therefore associated with possibility and becoming. On the other hand, this way of being also condemns both Nadja and Beauté baroque to death: symbolically speaking for the former, in physical terms for the latter. Both stories, through their eponymous characters, thus show a temporal conflict between possibility and fate. This article attempts to describe this conflict and its resolution by analysing the structuring of the experience of time in these texts through their respective semantics, narrative composition and rhythm. The difference in how the temporal conflict is dealt with in the two stories is shown to be emblematic for significant differences between surrealist and automatist poetics.
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Derrière la femme‑objet : la représentation de Muriel Guilbault dans Beauté baroque
Patricia Smart
pp. 99–111
AbstractFR:
Le roman Beauté baroque de Claude Gauvreau est un « récit de vie » biographique et autobiographique où l'auteur raconte l'histoire de la vie de Muriel Guilbault telle que la lui a confiée la jeune comédienne avant sa mort en 1952. En même temps, Gauvreau fait du personnage de 1'« actrice » dans son récit une incarnation de l'idéal surréaliste de la « femme-enfant », force de la nature et voie d'accès à un domaine transcendant et surrationnel. La présente étude est une tentative pour extraire de cette image idéalisée et quelque peu misogyne du personnage un portrait de la « vraie » Muriel Guilbault et de sa relation avec Claude Gauvreau.
EN:
Claude Gauvreaus novel Beauté baroque is an example of "life writing", both biographical and autobiographical, in which the author recounts the story of the life of the young actress Muriel Guilbault as she confided it to him in the period preceding her 1952 suicide. But the female protagonist is also modelled on the Surrealist ideal of the "woman-child" who represents a force of nature and a mediation with the realm of the surrational and the transcendant. This study is an attempt to extricate a portrait of the real Muriel Guilbault and her relationship with Claude Gauvreaufrom the idealized and somewhat misogynist image projected onto her in the novel.
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Distances du poèmes : Gilles Hénault et Refus global
Michel Biron
pp. 113–124
AbstractFR:
Dès son émergence sur la scène littéraire et artistique, Gilles Hénault partage l'univers esthétique et idéologique des signataires de Refus global, comme en fait foi un poème écrit en 1948 intitulé « Bagne ». Toutefois, Hénault — qui n'a pas été invité à signer le manifeste de Borduas — projette l'esprit de révolte dans une curieuse fantaisie poétique qui prend ses aises avec le discours sérieux, fût-il celui-là même qui la sous-tend.
EN:
Since his arrival on the literary and artistic scene, Gilles Hénault has often been associated with the aesthetic and ideological framework o/Refus global, even though he had not been invited to sign Borduas ' manifesto. In reading a poem like "Bagne", written in 1948 and similar in several respects to the revolutionary spirit of the manifesto, one notices that Hénault s concept of revolution does not have the same meaning as described in Refus global. This article studies how, paradoxically, the poem diverges from the one social text with which it is most closely connected.
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Jean-Paul Mousseau : pour un nouvel espace scénique
André G. Bourassa
pp. 125–139
AbstractFR:
Jean-Paul Mousseau a reçu, à l'École du meuble, une formation en ébénisterie et en décoration. S'ajoute à cette formation la découverte de l'art contemporain auprès de son professeur de dessin, Paul-Émile Borduas, en compagnie des jeunes automatistes. Pour les spectacles de ces derniers, il crée des décors extrêmement dépouillés, en toile de jute. Par la suite, Mousseau collabore comme régisseur de plateau auprès de Jacques Mauclair, un metteur en scène français, spécialiste de l'avant-garde qui l'initie non seulement à la nouvelle dramaturgie, mais à la scénographie proprement dite. Puis il découvre Andy Warhol en lisant un reportage sur ses « discothèques » et ses tournées théâtrales. Le pop art, brusquement mis en rapport avec l'espace public, va mener Mousseau vers des constructions environnementales spectaculaires. Il nous présente enfin, dans ses dernières réalisations scéniques, des espaces dépouillés comme ses rideaux de jute, mais ruisselants de lumière.
EN:
Jean-Paul Mousseau received training in cabinetmaking and design from the École du meuble. In addition to this study, he discovered contemporary art through his drawing teacher, Paul-Emile Borduas, and the young Automatists. For them, he designed sparse sets made ofhessian curtains. Later, Mousseau worked as stage manager with Jacques Mauclair, a French director of the avant-garde who initiated him not only to new dramatic works, but to scenography as such. Then he discovered Andy Warhol while reading an article on his discoes and his theatre tours. Pop Art, suddenly applied to public space, would lead Mousseau to construct interiors with theatrical ambiance. Finally, in his last stage designs, he offered us bare spaces reminiscent of his hessian sets, but streaming with light.
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Un photographe chez les automatistes. Entretien avec Maurice Perron
Serge Allaire
pp. 141–155
AbstractFR:
Maurice Perron évoque ici pour la première fois les conditions liées à sa pratique de la photographie lors des différentes manifestations du groupe automatiste. Il explicite les principes qui le guidaient dans ses prises de vues, ses affinités avec l'esthétique automatiste, mais aussi le statut problématique que la photo, non reconnue comme art, avait au sein du groupe à l'époque.
EN:
Maurice Perron evokes here for the first time the conditions of his photographic work at the time of the different activities of the automatist group. He explains the principles which guided him in his taking of photographs, his affinities with the automatist aesthetics, but also the problematical status of photography as an art, which was not recognized as such by the group at that time.
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Le cercle des automatistes et la différence des femmes
Rose Marie Arbour
pp. 157–173
AbstractFR:
À la parution de Refus global, l'abstraction en peinture était la voie royale et logique pour marquer la rupture avec la tradition artistique et une société conservatrice. C'est dans ce contexte d'affrontement de l'abstraction gestuelle que les automatistes se sont fait connaître et que les stratégies du groupe se sont définies. Une telle conjoncture explique l'effacement de pratiques artistiques multidisciplinaires auxquelles les femmes du groupe étaient toutes reliées. C'est seulement beaucoup plus tard que le rôle des femmes artistes et leur apport multidisciplinaire au mouvement automatiste ont été réévalués, nous donnant une image plus complexe des rapports de pouvoir et de légitimation symbolique qui avaient alors cours au sein du groupe.
EN:
At the time of publication o/"Refus global, abstract painting was the obvious way to mark one's break off with artistic tradition and conservatism. It is in that context of confrontation that Automatists would acquire their reputation and clearly define theirs strategies. These circumstances explain the obliteration of multidisciplinary artistic practices to which the women of the group were all closely related. It is only much later that women's role within the group as well as their multidisciplinary contribution would be reassessed, providing us with a much more complex picture of the power struggles and status recognition that were then taking place within the automatist movement.
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Refus global : de la contestation à la commémoration
Brigitte Deschamps
pp. 175–190
AbstractFR:
L'auteure interroge la réception du manifeste Refus global et la tradition de célébration qui s'est mise en place avec toujours plus d'ampleur à l'occasion de chacun de ses anniversaires. De décennie en décennie, on observe en effet une transformation sensible dans la perception du manifeste qui, d'objet de scandale en 1948, deviendra dans les années soixante un modèle de contestation, avant d'être reconnu comme objet de savoir et lieu de mémoire lors des anniversaires suivants.
EN:
The author examines the various receptions of the manifesto Refus global and the celebratory tradition that grew with each anniversary. One observes that each decade gives way to a perceptible transformation of the manifesto which, after being rejected as an object of scandal in 1948, became a model of contestation in the sixties, before being fully recognized as an aesthetic subject and an important memory scene deserving commemoration in the following decades.
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Filiations et ruptures au sein de l’automatisme : la correspondance Borduas‑Riopelle
Gilles Lapointe
pp. 193–216
AbstractFR:
Longtemps tues, les dissensions entre les différentes factions automatistes commencent aujourd'hui à poindre. À partir de la correspondance échangée entre Borduas et Riopelle, l'auteur analyse ici les enjeux de l'antagonisme, resté longtemps inavoué, qui opposa les deux peintres. Le projet téméraire de Borduas de s'expatrier en France en 1946 où il espère être reconnu par le célèbre marchand d'art français Pierre Loeb qui consacrera plutôt quelques années plus tard Riopelle, le refus de l'artiste de participer avec son groupe à l'exposition internationale du surréalisme à la Galerie Maeght à Paris en 1947, l'accusation de « paternalisme » portée par Riopelle, qui poussera Borduas à rédiger pour sa propre défense en 1950 sa « Communication intime à mes chers amis », constituent quelques jalons importants de cette mésentente par laquelle s'opéra un renversement des générations entre maître et disciple. La rivalité non liquidée entre ces deux artistes de premier plan affecta de façon importante la place du mouvement automatiste dans l'histoire du développement de la peinture non figurative.
EN:
Hushed up for a long time, dissensions between different factions within the automatist movement have recently come to light. Through a close reading of the letters exchanged between renowned artists Borduas and Riopelle, the author analyses the antagonism long unavowed between them. Borduas ' rash plan to expatriate to France in 1946 where he hoped to gain Pierre Loeb 's recognition, a powerful art merchant who will successfully support Riopelle a few years later, his unwillingness to participate with his group in the International Surrealism Exhibition at the Maeght Gallery in Paris in 1947, the accusation of "paternalism " issued by Riopelle that will induce Borduas to write in his own defence in 1950 his "Communication intime à mes chers amis" map out some of the major steps that will eventually lead to a powerplay between the "master" and the alledged "disciple ". This potent rivalry played a significant role in the recognition of the automatist movement struggling to take its place in the history of non figurative painting.