Volume 48, Number 1, 2012 Paul-Marie Lapointe et Claude Gauvreau. Inédits Guest-edited by Gilles Lapointe
Table of contents (7 articles)
-
Présentation
-
Paul-Marie Lapointe ou le foisonnement du monde
Pierre Nepveu
pp. 11–19
AbstractFR:
Dans ce texte, Pierre Nepveu explore l’univers foisonnant, que ce soit en arbres, en fleurs, en animaux ou en hommes, de la poésie de Paul-Marie Lapointe, une poésie porteuse d’une vision du monde, non pas théorique ou abstraite, mais portée par l’écriture. Celle-ci se soutient de deux grands récits, l’un de nature cosmologique, l’autre de nature sociale. Le récit cosmologique dit que nous nous inscrivons, comme humains, dans le grand cycle qui régit les espèces et jusqu’aux astres les plus lointains, un cycle de vie et de mort, de fertilité et de désolation, de création et de destruction. Le récit social, qui lui est complémentaire, consiste à dire que dans ce grand cycle auquel personne n’échappe, se joue un perpétuel et fatal combat entre les puissants et les faibles, entre les détenteurs du pouvoir et les « petits hommes ». Ces deux récits concomitants donnent à la poésie de Lapointe, profondément ancrée dans le monde contemporain, sa couleur archaïque et mythologique. Ce qui étonne dans ce mariage poétique du social et du cosmique, de l’économie politique et de l’économie naturelle, c’est à quel point il annonçait dès les années 1960 un grand récit qui allait devenir hégémonique dans les décennies suivantes et qui est plus prégnant qu’aucun autre aujourd’hui : celui de l’écologie. Pierre Nepveu constate ainsi combien Le réel absolu et L’espace de vivre, par la vaste écologie humaine, sociale et naturelle à laquelle ils convient, se distancient d’une conception anthropologique de la culture et d’une vision du monde fondée sur l’identité nationale.
EN:
In this text, Pierre Nepveu explores the universe of Paul-Marie Lapointe’s poetry in all its profusion, whether in trees, flowers, animals or man, a poetry that declares a vision of the world that is neither theoretical nor abstract yet flowers in writing. This poetry is formed on two great narratives, one cosmological in nature, the other social. The cosmological narrative declares that we humans are part of a cycle of life and death, of fertility and decline, creation and destruction. The social narrative, which is complementary, states that in this grand cycle escaped by no one, an endless and fatal combat plays out between the powerful and the weak, between the wielders of power and the “little man”. These concomitant tales give Lapointe’s poetry its archaic and mythological essence rooted in the contemporary world. What is astounding in this poetic wedding of the social and the cosmic, the political and the natural economy, is the extent to which, starting in the 1960s, it presaged an ultimately dominant and more pregnant narrative than all others today : that of ecology. Pierre Nepveu thus observes how Le réel absolu and L’espace de vivre, with its vast human, social and natural ecology, retreat from an anthropological conception of culture and a vision of the world based on national identity.
-
« Petits poèmes animaux »
-
La poétique de l’habitation dans les « petits poèmes » de Paul-Marie Lapointe
Lily Soucy
pp. 47–65
AbstractFR:
La parution d’une suite de poèmes inédits de Paul-Marie Lapointe est l’occasion de revisiter les grands traits de sa poésie et de la poétique qui en découle. Je suggère ainsi que les « petits poèmes » participent d’une poétique de l’habitation qui traverse l’oeuvre de Lapointe. Il s’agit d’une poétique qui refond le monde par le langage, qui fait figurer une autre logique que celle de la linéarité du discours, et qui se déploie constamment en rapport avec le désir, avec le terrestre, avec l’espace, pour présenter des possibilités plurielles d’habitation du réel. Cette poétique du « vivre », de l’habitation plénière et contradictoire du monde, s’articule dans les « petits poèmes » de trois manières. D’abord, par une poésie qui se fait sous l’emprise d’un érotisme multiforme et généralisé, diffus et foisonnant. Ensuite, par une poésie du terrestre et du présent qui construit l’espace comme domaine de cohabitation et d’interpénétration du désir, des éléments et des espèces, mais aussi comme lieu d’habitation fragile et vulnérable. Finalement, par une poésie qui électrise le rapport entre le langage et le monde, une poésie qui procède à la fois de la mimésis et de la poïesis. La poésie de Lapointe, dans les inédits comme dans l’oeuvre globale, est ainsi ontologie et habitation plutôt que transcendance et représentation : elle est l’espace de vivre même, sous le signe de l’ouverture sémantique et ontologique.
EN:
The appearance of a series of unpublished poems by Paul-Marie Lapointe is an opportunity for fresh insight into the main themes and resulting influence of his poetry. I suggest here that the “petits poèmes” subscribe to a poetic of habitation that recurs throughout Lapointe’s work, a poetic that renews the world through language, that elicits a logic other than the linearity of discourse, and which aligns consistently with desire, the earth, space, to generate many possibilities of real habitation. This poetic of “living”, a full and contradictory habitation, emerges threefold in the “petits poèmes”. First, through a poetry imbued with a rich and multifoliate eroticism. Then through an elemental poetry close to nature, that creates a shared dwelling, a place of sensuality albeit fragile and vulnerable. Finally, through a poetry that sparks the link between language and the world, that brings mimesis and poïesis together. Lapointe’s poetry, in both his unpublished and general body of work, is thus ontology and habitation rather than transcendence and representation: it is the living space itself, distinctly semantic and ontological.
-
Lettre de Claude Gauvreau à André Breton, le 7 janvier 1961
Gilles Lapointe
pp. 66–118
AbstractFR:
Le 7 janvier 1961, Claude Gauvreau s’adresse au chef du surréalisme pour tenter de faire le point sur des questions vitales pour lui. Comment le surréalisme peut-il encore justifier sa résistance farouche à l’endroit de l’art non figuratif, alors que l’expressionnisme abstrait de l’École de New York triomphe dans toutes les grandes capitales de l’art ? Le surréalisme peut-il se renouveler ? Par ailleurs, comment faut-il interpréter le fait que l’évolution personnelle de Borduas ait amené le peintre à la fin de sa vie à prendre ses distances avec le surréalisme et l’automatisme ? Convaincu que le surréalisme conduit logiquement en peinture à l’automatisme, Gauvreau s’emploie dans cette lettre à réhabiliter auprès de Breton l’apport pictural de Borduas et de Riopelle. Cependant, si l’automatisme représente toujours pour lui une « révolution morale indéracinable », celle-ci trouve son fondement véritable dans l’éthique surréaliste. Persuadé qu’une forme de régression morale mine le champ de l’art et la pensée plasticienne tout particulièrement, exhortant Breton à une ouverture et une vigilance accrues, Claude Gauvreau défend vigoureusement la révolution surréaliste, « mouvement qui a acquis une envergure incommensurable » et qui reste à ses yeux le seul courant de pensée susceptible de jeter quelque clarté sur les interrogations capitales au sujet de l’art et de la vie.
EN:
On January 7, 1961, Claude Gauvreau wrote to the leader of the Surrealist movement to raise what he felt were vital questions. How could Surrealism still justify its fierce resistance to non-figurative art while the Abstract Expressionism of the School of New York was triumphing in all the major art capitals ? Could Surrealism undergo a renaissance ? And how do we interpret the fact that Borduas’ personal evolution at the end of his life saw him distance himself from the Surrealist and Automatist movements ? Convinced that Surrealism in painting logically leads to Automatism, Gauvreau sought in his letter to reconcile with Breton the pictorial importance of Borduas and Riopelle. But if Automatism still represented for him a profound moral revolution, this found its true basis in the Surrealist ethic. Feeling that a form of moral regression was eroding the arts, especially the spirit of the visual arts, Claude Gauvreau implored Breton for greater openness and vigilance, fervently defending the Surrealist revolution as a movement that had gained “immeasurable importance”, that he saw as the only perspective able to illuminate the monumental questions of art and life.
-
Documents. Lettres de Claude Gauvreau à Guy Borremans
Exercice de lecture
-
Le Cahier d’un retour au pays natal de 1939 à 1947 (de l’édition Volontés à l’édition Bordas) : étude de génétique césairienne
Pierre Laforgue
pp. 131–179
AbstractFR:
L’histoire du Cahier d’un retour au pays natal commence en 1939, lorsque le poème paraît dans la revue Volontés. Pendant près de dix ans, Césaire en modifiera profondément le texte et son travail aboutira à deux éditions en 1947, l’une chez Brentano’s en janvier 1947, l’autre, deux mois plus tard, en mars, chez Bordas, présentant des différences importantes entre elles, dans la forme comme dans l’esprit. Cet article étudie d’un point de vue génétique l’évolution textuelle du poème et s’emploie à mettre au jour les étapes successives de l’élaboration du Cahier. La difficulté d’une telle étude de genèse vient de l’absence à peu près complète d’un manuscrit ; ce sont les différentes éditions successives qui en tiennent lieu, la génétique pratiquée est donc celle de l’imprimé. L’un des résultats de cette étude est que le Cahier a paradoxalement une grande stabilité et qu’il est un texte en mouvement, qui se compose et se recompose au contact des autres poèmes que Césaire écrit pendant cette période décisive des années 1939-1947, alors qu’il explore de multiples voies, en particulier dans la revue Tropiques et dans les revues new-yorkaises Hémisphères et VVV. Le Cahier se trouve à la croisée d’écritures poétiques et de tentatives poétiques multiples, et de ce fait apparaît comme le « miroir de concentration » de l’oeuvre de Césaire en train de s’inventer. Sont ainsi appréhendées les relations que le Cahier entretient avec les poèmes qui entreront en 1946 dans Les armes miraculeuses, comme est étudiée la part du surréalisme que Breton fait découvrir à Césaire en 1941. Toute la production du « jeune Césaire » se trouve de la sorte prise en écharpe dans cette entreprise de génétique.
EN:
The story of Notebook of a Return to the Native Land begins in 1939, when the poem appears in the review Volontés. Over a period of nearly ten years, Césaire would profoundly alter the text with his work resulting in two editions in 1947, one published by Bretano’s in January 1947, the other two months’ later, in March, by Bordas, revealing major differences between them, as much in form as in spirit. This article examines the textual evolution of the poem from a genetic viewpoint and endeavours to reveal the successive stages of the drafting of Notebook. The difficulty of such a genetic study comes from the almost complete absence of a manuscript ; the genetic processes employed in the different successive editions are therefore those of the printed word. One of the outcomes of this study is that, paradoxically, Notebook has great stability even though it is a text in motion, constructed and reconstructed in contact with other poems that Césaire wrote during this crucial period from 1939 to 1947, a period when he was exploring so many possibilities, especially in the review Tropiques and in the New York reviews Hémisphères and VVV. Notebook emerges at the crossroads between poetic writing and numerous poetic experiments, and is thus a “mirror of concentration” of Césaire’s work in the process of being invented. Notebook’s relationship to the poems that in 1946 turn up in Les armes miraculeuses can be percieved, and that aspect of Surrealism that Césaire in 1941 discovered thanks to Breton is likewise examined. From the genetic perspective, all the efforts of the “young Césaire” are viewed in this slantwise way.