Présentation[Record]

  • Martin Hervé and
  • Alexis Lussier

« Il y a une hostilité dans la guerre, mais je crois que dans la chasse jamais le chasseur ne hait l’animal qu’il tue », estimait Georges Bataille. C’est que la chasse peut être aussi une recherche de la proximité amoureuse et non pas seulement une recherche de la distanciation et de la mise à mort. Pas un chasseur n’ignore, sans doute, que le temps de la chasse est également le temps de l’amour, lorsque la nature retentit des brames et des cris des bêtes en quête de la saillie. De fait, c’est le temps du débordement passionnel et pulsionnel, temps de rupture du quotidien et de séparation d’avec le monde cultivé pour ceux qui sont lancés à la poursuite du gibier. Combien de récits n’ont-ils pas été rapportés pour manifester la proximité entre la vigueur sexuelle des bêtes et la fureur amoureuse des chasseurs enfiévrés par l’appel de la forêt ? Mais il s’agit toujours d’un rêve, tout juste à la frontière du cauchemar et du désordre des sens. Ainsi, l’imaginaire de la chasse est un imaginaire de la limite entre le chasseur et la proie, l’humain et l’animal, dans des scénarios qui brouillent la frontière entre les uns et les autres. La bête s’humanise à se faire proie prise dans l’élan de sa fuite, comme si le mouvement de la chasse devait ouvrir un espace fictionnel où les métamorphoses sont encore possibles. Inversement, le chasseur s’animalise à prendre pied dans ce territoire cynégétique, gardé loin de l’humanité civilisée, et comme déplacé de sa temporalité à la fois fantasmatique et dynamique. De l’animalité métaphorique du corps désiré ou désirant à la déshumanisation à l’oeuvre dans les récits de chasse, c’est donc tout un imaginaire de la transgression qui est exprimé, entre érotisme, possession et mise à mort, scénario amoureux et emprise fatale. C’est du moins à l’horizon de cet imaginaire ambigu qu’Annie Le Brun a décrit les cibles peintes représentant non pas des ennemis et des créatures féroces, mais bien plutôt des amoureux, des dieux en parade, en somme des figures hautement désirables, que le tireur, bandant son arc, entend épingler d’un trait. Imaginaire de la cible et imaginaire de la chasse et de la prédation se rejoignent dans le principe d’une capture impossible de l’objet du désir, principe que les chasseurs, en éternels frustrés de l’amour, ne connaissent que trop bien, incapables qu’ils sont de posséder leur proie autrement que morte. Or dire cela revient à dire que toute prédation, toute chasse construit et articule des images sur lesquelles, d’ailleurs, elle-même se détache sous une forme fantasmatique. C’est pourquoi il apparaît très tôt que l’histoire de la représentation, et conséquemment l’histoire de l’art, est ponctuée par d’innombrables scènes de chasse qui nous rappellent combien notre rapport à l’image se pose sur le mode de la capture. Car ce que nous racontent ces scènes n’est pas seulement l’histoire d’une proie conquise, mais également la victoire de ceux qui savent en faire une image. C’est du moins une hypothèse qui s’inspire des discussions inépuisables à propos de l’art pariétal, que l’on retrouve en dehors des champs spécialisés, non seulement en histoire de l’art, mais aussi dans le champ de la littérature française. Il y a, en effet, un moment Lascaux qui va de la découverte fascinée et quasi mystique de Georges Bataille racontée dans Lascaux ou la naissance de l’art (1955) à la découverte héroïque et quasi mythique d’André Malraux racontée dans les Antimémoires (1967). Il y a aussi un autre moment Lascaux chez René Char dans La paroi et la prairie (1952), relevé plus tard par Maurice Blanchot dans …

Appendices