Paris. Puissante impression d’avoir vécu d’un côté chaotique de l’humanité, extrêmement pauvre, mais tellement plus chaleureux que ce côté plus organisé où je suis arrivé, plus riche, mais aussi plus froid. Je voyage pour comprendre le monde et me comprendre un peu mieux. J’ai aimé l’Asie. Asie des fillettes avec sur leur tête des seaux plein d’eau. Asie des garçons transporteurs de fardeaux. Asie des vendeurs et des marchands et des crieurs publics. Asie des regards doux et foncés, des crachats et des toux profondes, des thorax frêles et cassants. Asie de la survivance depuis cent mille ans et plus. Asie des rickshaws usagés qui foncent dans la foule avec un bruit de clochettes. Asie des Hindous priant Bouddha. Asie des Bouddhistes tranquilles devant Shiva. Asie des sentiers de pierres millénaires. Asie des chiens qui se battent la nuit pour des pigeons morts avec des crocs ruisselants sous la lune d’Orient qui croît à la même vitesse que la lune d’Occident, mais si différemment. Asie des coups de klaxons et des sourires éclatants, des visages émus devant les rêves inassouvis. Asie de tout et de rien. Asie d’humains, d’humains, d’humains. Paris, ville « lumière ». Paris ville française qui s’américanise cependant à un rythme effrayant. Paris, ville de joie ! Son sourire est plus grand que la France. Il peut pleuvoir des grêlons et faire plein hiver à Paris, elle tombe dans ma vie et c’est le printemps ! Tous les Français qui ne me souriaient pas se mettent à être aussi gentils que des Népalais. Qu’est-ce qui se passe ? Cette fille avec des yeux d’un bleu comme il n’en existe pas dans Paris, cette fille m’éblouit. Nous marchons en nous racontant nos vies. Des chauffeurs de taxi excités veulent nous conduire n’importe où, là où nous voulons. Mais qu’est-ce qu’ils ont tous ? C’est elle, elle, elle ! qui inonde tout le Paris d’hiver avec sa joie d’avoir traversé l’Atlantique en sept heures. Elle avale un plat qui ressemble à une lasagne. Je la regarde manger avec appétit. Nos buvons de ce vin qui n’existe pas ailleurs au monde, qui est toujours bon même dans les bistros qui valent cinq sous. Nous remontons la rue Mouffetard. Je vois des fleurs que je n’avais encore jamais vues. Je mange des fraises provenant du sud de la France, à cinquante cents la queue. C’est bon ! Ma compagne s’empiffre elle aussi. Nous nous arrêtons dans une boutique d’internautes tenue par des Indiens absolument affables comme savent l’être les Hindous et nous écrivons à ceux et celles que nous aimons pour leur dire que pendant son vol trans-atlantique, mon amie ne s’est pas perdue dans les nuages, aspirée par un trou noir. Nous frôlons l’église de Saint-Étienne-du-Mont où repose le fameux Pascal, mathématicien et mystique qui dit oui à un pari qui tient toujours. Nous aboutissons là où aboutissent à peu près tous les touristes, sur le boulevard Saint-Germain où nous allons voir un film parisien plein de Français qui se déroule dans Paris avec Audrey Tautou comme actrice principale. Paris ! Nous sanglotons parce que ce film-là est plein de tendresse. Nous nous disons que nous rêvons. Est-ce possible que des Parisiens puissent être si tendres ? Même une vieille mémé montre un sein digne dans ce film. Faut le faire ! Nos âmes allégées, nous ressortons pour aller manger des huîtres dans un restaurant situé juste devant la boutique d’un marchand de fleurs qui embaument. Le serveur se moque de mon accent, mais devient soudainement serviable quand la beauté qui m’accompagne lui demande d’ajouter de l’eau dans son verre. …
Témoignages
Dans le ciel de Saint-Ex[Record]
- Jean Désy
Online publication: July 6, 2009
An article of the journal Études littéraires
Volume 39, Number 3, Fall 2008, p. 169–176
Les voix intérieures
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