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L’ouvrage de Hélène Tessier, La psychanalyse américaine, est une introduction à l’histoire socioculturelle et aux caractéristiques particulières de la psychanalyse telle qu’elle s’est implantée et développée en terre américaine. Le premier de trois chapitres présente une perspective historique, le deuxième traite des courants dissidents et de la médicalisation de la psychanalyse, tandis que le dernier fait un survol de la psychanalyse américaine contemporaine.
Le premier chapitre permet de comprendre le destin particulier de la psychanalyse aux États Unis, certains de ses développements, et aussi de bien voir certaines des raisons de son succès initial : la convivialité de la psychanalyse avec les problèmes du début du siècle, le pragmatisme et l’irrationalisme (illustré notamment par l’intérêt de James pour le subconscient). Suit un court mais efficace exposé de la pensée d’Hartmann, le maître-d’oeuvre (avec Kris et Loewenstein) de l’ego-psychology : notion d’adaptation, zone aconflictuelle et fonctions autonomes du moi, modèle génétique et point de vue psychologique, notion de self (encore pourquoi ce terme en anglais ?). La section sur Brenner et Arlow dont l’influence déterminante fût l’équivalente de celle de Hartmann en son temps est par contre traitée de manière trop elliptique pour être véritablement utile.
Le chapitre II traite d’abord des dissidences antérieures à l’hégémonie du courant initié par Hartmann : les culturalistes (Horney, Erich Fromm), le courant interpersonnel (l’école de Washington, Sullivan) de psychiatrie psychanalytique et Alexander sont évoqués et situés. L’auteure traite ensuite du problème du statut des analystes non médecins examiné sous l’angle notamment des influences réciproques entre l’institution médicale et le développement institutionnel de la psychanalyse américaine. Tessier rappelle alors le procès intenté par des psychologues appuyés par la très solidaire et bien organisée American Psychological Association contre l’American Psychoanalytic Association. Le règlement intervenu en 1989 fait en sorte que l’association psychanalytique ouvre maintenant ses portes aux non médecins, sauf qu’elle s’est affaiblie en ayant perdu l’exclusivité de la formation menant à l’accréditation des formations au sein de l’association psychanalytique internationale. On dégage ensuite l’âge d’or de la psychanalyse au sein de la psychiatrie américaine, et qui fût de relativement courte durée : de 1945 au début des années 1960 (avec Arieti, Menninger qui était psychiatre en chef des forces armées, Spock et son best-seller, etc.). La dernière section du chapitre rappelle l’influence de Hans Loewald, un authentique penseur de la psychanalyse, dont les contributions réunies en un seul volume (1968) méritent amplement d’être méditées. L’auteure rappelle notamment un de ses classiques, publié en 1960, sur l’action thérapeutique, et qui insistait sur le rôle essentiel que tient la qualité de la relation elle-même, ouvrant ainsi des perspectives qui connaissent actuellement le succès que l’on sait, à partir de tendances aussi diverses que celles incarnées par Kohut, Stone, Renik, et plus récemment Stolorow, Atwood, Orange, etc.
Suit une section qui porte sur l’école américaine des relations d’objet représentée par Jacobson et Kernberg (Mahler aussi, mais avec un rôle plus périphérique et un moindre ascendant sur le plan des idées). Si certaines influences sur cette école (Fairbairn et Guntrip) sont bien vues, il faut se garder de généraliser, compte tenu par exemple de la prépondérance de l’influence freudienne sur Jacobson et de l’influence combinée de Freud (celui de la deuxième topique) et de Klein sur Kernberg. Contrairement à la section consacrée à Hartmann le texte n’arrive peut-être pas assez ici à pénétrer suffisamment la pensée de Jacobson, dont l’influence sur le modèle de Kernberg est absolument déterminante. Plus loin, le traitement de Kohut, Schafer, Spence, Ogden ou Gill, par exemple, nous laisse aussi sur notre appétit. Et à moins d’être déjà familier avec leur pensée, je doute que le lecteur arrive à véritablement apprécier suffisamment la pertinence clinique et la profondeur de leurs contributions. Il faut y voir plutôt sans doute une invitation à la lecture des auteurs eux-mêmes.
Ce qui me donne l’occasion de signaler en passant qu’il est regrettable que la bibliographie ne fasse pas référence à la collection d’articles tirés du Journal of the American Psychoanalytic Association, réunis par H. Blum et parus en français en 1981 aux PUF sous le titre de Dix ans de psychanalyse en Amérique, et qui contient précisément des textes de Loewald, Mahler, Kohut, Kernberg, Brenner, Greenacre, Stone, etc. Par ailleurs je ne comprends pas l’avantage de citer les versions anglaises des textes (ceux de Klein ou Isaacs, par exemple) quand des traductions acceptables en français existent.
Le chapitre III évoque le déclin de la psychanalyse aux Etats-Unis (un net recul qui s’observe aussi partout ailleurs), amorcé vers la fin des années 1960. Quelques facteurs responsables sont identifiés : retour de l’approche somatique des troubles mentaux et de la biologie en général dans le domaine de la santé mentale, pressions pour quantifier les bénéfices associés aux différentes psychothérapies, arrivée en 1980 du DSM-III et de sa robe empiriste, retour du naturalisme en philosophie et en psychologie. L’auteure dégage ensuite de manière utile et synthétique trois orientations contemporaines caractéristiques : le courant relationnel et intersubjectiviste, l’approche neuro-scientifique et les théories de l’attachement, auxquelles elle consacre quelques pages qui sont autant de résumés. Le choix des thèmes et des auteurs est ici judicieux et le propos est nuancé et rigoureux.
Cette partie soulève indirectement une question de fond qui est d’importance, à savoir de préciser l’impact de l’inévitable relativisme culturel sur la manière dont la psychanalyse s’incarne, se développe, voire se perd et régresse, à différentes époques, sous des cieux différents également (continents, pays, régions et associations régionales). La métapsychologie est-elle immuable ? Mais comment la définir ? Peut-on la dénaturer ? Et quelle serait la portée d’un tel questionnement ? Par exemple, qu’en est-il du statut du refoulement et de la représentation ? Devons-nous faire un retour à une plus grande asymétrie épistémologique ? L’auto-dévoilement est-il devenu excessif ?
Ces enjeux identifiés, Hélène Tessier nous propose dans sa conclusion une manière de réponse. Elle rappelle avec justesse, mais sans nous y avoir préparé, que la psychanalyse a introduit la question de la sexualité dans sa conception du sujet divisé, en proie à ses conflits. Utilisant ensuite notamment le fil conducteur de la pensée de Laplanche, elle affirme que « la plupart des courants psychanalytiques ont ainsi laissé tomber l’idée de l’altérité de l’inconscient sexuel » (p. 109). Avec ce corollaire, qui veut que l’essence même de la psychanalyse se définisse nécessairement autour du rapport qui doit s’établir entre conflit et sexualité. Dépouiller l’inconscient de son caractère « sexuel » au sens proprement psychanalytique, délaisser «… la référence à la sexualité pour privilégier les relations d’objet ou l’angle psychologique propre aux théories de l’attachement et aux théories relationnelles » (p. 116-117), voilà la grande errance de la psychanalyse américaine selon Tessier. Notre collègue trouve là semble-t-il la source principale des plus grandes divergences entre les différents courants de la psychanalyse. Cette thèse est centrale mais elle ne fait pas ici l’objet d’un développement adéquat. Affirmer ne revient pas à avoir démontré, et à mon sens il eût été difficile de le faire en examinant de près les textes de plusieurs parmi nos collègues psychanalystes américains : Loewald, Jacobson, Kernberg, Arlow, Schafer, Wallerstein, Rangell, Gray, Pray et bien d’autres. La question a son importance. Le débat doit rester ouvert.
La force principale de ce petit livre dont il me fait plaisir de recommander fortement l’usage, tient dans sa présentation des facteurs socioculturels qui ont influencé les idées et les pratiques de la psychanalyse aux États-Unis. Sa lecture permet de s’initier aux principaux courants et de situer les auteurs essentiels dans une sorte de Who’s who fort utile, sans pouvoir cependant prétendre saisir toute la profondeur de leur histoire intellectuelle, une impossibilité lorsqu’on dispose de si peu de place. Cet ouvrage clair et rigoureux d’Hélène Tessier réussit surtout à rendre plus accessible les contributions multiples, voire hétérogènes, de ce vaste courant de la psychanalyse américaine, de cet effort à mon sens remarquable et en évolution constante de contribuer à la psychanalyse contemporaine.
Appendices
Note
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[1]
Hélène Tessier. La psychanalyse américaine. Paris : PUF. Collection Que sais-je ? 2005. 121 p.