Article body

Introduction

Réussir à déterminer l’effet spécifique du numérique sur les apprentissages reste une démarche méthodologique complexe de par la multitude des variables à prendre en compte (Chaptal, 2007; Fluckiger, 2021). Les résultats des recherches varient selon les contextes, les méthodologies, les élèves, les dispositifs. Il est donc difficile de généraliser les apports et de relever des plus-values générales du numérique en éducation.

Au cours de ses recherches, Chaptal (2007) a souligné l’existence d’un lien entre la perception d’un outil et son usage. La perception de la plus-value a également été considérée (Boéchat-heer et Arcidiacono, 2014) comme un facteur favorisant l’intégration du numérique dans les apprentissages.

Devant ce paradoxe, entre la nécessité pour les enseignants de percevoir la plus-value du numérique et les difficultés liées à son identification, cette recherche vise à améliorer et à valider une conceptualisation de la notion de plus-value préalablement établie (Noben et Denis, 2022; Noben, 2022). Cette conceptualisation, sous la forme d’une définition et d’une typologie, une fois validée par un panel d’experts, pourra constituer une base solide pour nous permettre de construire un modèle visant à accompagner les enseignants-chercheurs dans la détermination des plus-values avant et/ou après la mise en place d’une activité intégrant le numérique et de soutenir leur processus réflexif sur les effets de l’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement et sur les apprentissages.

Revue de la littérature

Premièrement, deux concepts clés, éléments constitutifs de la définition de la plus-value du numérique en éducation, seront abordés dans cette revue de la littérature : le processus d’intégration du numérique dans un dispositif et les améliorations ou effets positifs en lien. Deuxièmement, la définition de la plus-value du numérique et la typologie préalablement établie à partir d’une revue de la littérature et des représentations d’enseignants (Noben, 2022; Noben et Denis, 2022) seront présentées.

Processus d’intégration du numérique dans un dispositif

Le terme numérique, bien que largement utilisé, gagne à être défini de manière claire. Ainsi, il serait « un environnement dans lequel nous sommes plongés, qui détermine et façonne notre monde et notre culture. Il n’est pas seulement un ensemble de dispositifs techniques » (Vitali-Rosati, 2014, p. 68). En éducation, il comprend donc à la fois les outils permettant d’enseigner ou de développer des connaissances ainsi que les usages sociaux et les pratiques en lien avec ceux-ci (Amadieu et Tricot, 2020).

Un dispositif, quant à lui, est défini comme étant « une instance, un lieu social d’interaction et de coopération possédant ses intentions, son fonctionnement matériel et symbolique enfin, ses modes d’interactions propres. » (Peraya, 1999, p. 153).

Lebrun (2011) précise que le but du dispositif pédagogique est de permettre à quelqu’un d’apprendre quelque chose. Cette visée d’apprentissage s’avère centrale dans notre conception de la plus-value.

Effets de l’intégration du numérique

Comme le soulignent Collin et Brotcorne (2019), le couplage entre « effet-efficacité » est une tendance historiquement structurante dans l’étude des technologies en éducation. Or, les résultats en lien avec la mesure de l’effet de l’intégration du numérique, de manière générale, ne permettent pas d’attester de l’efficacité du numérique (Collin et al., 2022).

L’orientation vers un paradigme compréhensif-explicatif semble donc nécessaire (Baron et Fluckiger, 2021). Celui-ci vise à donner des clés de lectures aux enseignants et formateurs. La plus-value est donc conceptualisée en lien avec l’étude d’un usage spécifique, inscrit dans le contexte qui lui est propre et teinté des perceptions des acteurs qui jouent un rôle dans le dispositif implémenté.

Définition de la plus-value et typologie

Trois notions essentielles, en lien avec la plus-value du numérique, ont été recensées à partir de la revue de la littérature relative au concept de plus-value (Noben et Denis, 2022) et des représentations des enseignants (Noben, 2022) : l’idée de faire mieux grâce à l’intégration du numérique (Assude et Loisy, 2009; Hedén et Ahlstrom, 2016; Karsenti et Bugmann, 2018; Kirkwood et Price, 2014; Leboff, 2012), l’idée de faire quelque chose qu’il n’était pas possible de faire sans intégrer le numérique (Fontaine et Denis, 2008; Karsenti et Bugmann, 2018; Peraya et Viens, 2005) et la notion d’efficacité pédagogique. Celle-ci est en lien avec une amélioration des apprentissages, que ce soit en matière de qualité, de quantité ou d’une amélioration opérationnelle (Kirkwood et Price, 2014).

Une définition, basée sur ces trois notions et un schéma l’illustrant, a été établie.

Figure 1

Définition initiale de la plus-value du numérique en enseignement

Définition initiale de la plus-value du numérique en enseignement

-> See the list of figures

À partir de cette définition, différents types de plus-values ont été relevés. Cette typologie reprend différents types d’usages du numérique, les outils qui permettent la mise en place de ces usages, les fonctionnalités de ces outils qui permettent des plus-values du numérique, elles-mêmes ayant un intérêt pédagogique ou didactique potentiel.

Figure 2

Typologie initiale des plus-values du numérique en enseignement

Typologie initiale des plus-values du numérique en enseignement

-> See the list of figures

Ces plus-values, relevées par Noben et Denis (2022), sont la quantité illimitée (Peraya et Viens, 2005; Fontaine et Denis, 2008; Leboff, 2012; Eslamian et al., 2019), la rapidité d’exécution (Fontaine et Denis, 2008; Assude et Loisy, 2009), une possible reproductibilité (Peraya et Viens, 2005; Fontaine et Denis, 2008; Leboff, 2012; Eslamian et al., 2019) ainsi que la flexibilité de lieu et de temps (Liaw, 2008; Fontaine et Denis, 2008). Elles sont accompagnées de fonctionnalités et d’intérêts pédagogiques ou didactiques potentiels recensés lors des recherches préalablement menées (Noben, 2022; Noben et Denis, 2022).

Cette définition et cette typologie constituent donc le point de départ de cette recherche.

Méthodologie

Cette recherche vise l’amélioration et la validation d’une définition et d’une typologie des plus-values du numérique en éducation par un panel d’experts. Pour ce faire, la méthode Delphi (Dalkey et Helmer, 1963) a été utilisée. Elle a été élaborée pour obtenir un consensus d’opinions d’un groupe d’experts, le plus fiable possible, en les soumettant à une série de questionnaires. Pour ce faire, l’anonymat des experts doit être préservé et la confrontation, évitée.

La méthode Delphi

Les premières étapes de la méthode Delphi sont relatives à la sélection des experts. Okoli et Pawlowski (2004) décrivent cinq étapes : l’élaboration des critères de sélection des experts, la rédaction d’une liste de noms d’experts correspondant à ces critères, la prise de contact avec ces experts en leur demandant les noms d’autres experts, le classement des experts selon leurs qualifications et les critères préétablis, l’invitation des experts jusqu’à l’obtention d’un groupe de 10 à 18 experts.

Booto Ekionea et al. (2011) recensent trois étapes au processus d’administration du questionnaire : la passation des questions, la consolidation des réponses et la classification des réponses.

Sélection des participants

Après avoir élaboré les critères de sélection des experts (diplôme de master ou doctorat, rôle actif dans la recherche internationale, dans le domaine de l’intégration du numérique dans l’enseignement et/ou des plus-values du numérique, ayant une charge de cours ou d’accompagnement dans l’enseignement supérieur en lien avec les usages du numérique en éducation, francophones), quatre experts, ayant des liens avec la Belgique, la Suisse, la France et le Canada, ont été contactés afin d’identifier des experts correspondant aux critères de sélection. Après avoir classé les 33 experts identifiés, ils ont été contactés pour confirmer leur participation à la recherche. Un premier groupe composé de dix experts a ainsi été constitué. Un deuxième groupe, également composé de dix experts, a été constitué après la première passation du questionnaire pour élargir les représentations. Le tableau ci-dessous reprend les informations relatives à chacun des experts.

Tableau 1

Description des experts

Description des experts

Notes : données de 2022.

-> See the list of tables

Outils de collecte et déroulement de la recherche

Un questionnaire visant à permettre aux experts de se positionner quant à la conceptualisation préalablement établie a été construit. Il reprend à la fois des questions dichotomiques et ouvertes portant sur la définition et la typologie. Ces questions sont liées à la compréhension de la conceptualisation, à son acceptabilité, à sa pertinence, à la correspondance avec les représentations des experts, à leurs accords ou désaccords, à des éléments manquants ou à modifier.

La passation du questionnaire a été réitérée à trois reprises entre mars et juillet 2022. Chaque questionnaire était accompagné d’une synthèse de la définition et de la typologie, adaptée selon les suggestions de modifications des experts à partir de la deuxième passation, ainsi que d’une synthèse des résultats du questionnaire précédent pour permettre aux experts de prendre connaissance du positionnement du reste du panel. Les questionnaires et synthèses sont consultables en annexe. Le schéma ci-dessous reprend l’ensemble des étapes de la recherche.

Figure 3

Description des étapes de la recherche

Description des étapes de la recherche

-> See the list of figures

Méthodes d’analyse des questionnaires

Pour ce qui est des questions dichotomiques, les réponses ont été codées de manière classique (0 = non, 1 = oui) afin de pouvoir comptabiliser les réponses de chacun. Pour les questions ouvertes, les réponses ont été catégorisées en fonction des thématiques qui y étaient abordées.

Résultats

Pour chaque questionnaire, les résultats en lien avec la définition et son schéma seront développés et seront suivis de ceux en lien avec la typologie. Dans un premier temps, les réponses aux questions dichotomiques seront synthétisées dans un tableau, puis analysées. Ensuite, les différentes suggestions de modification des experts seront détaillées et la conceptualisation adaptée en fonction sera proposée.

Étape 1 : Résultats du questionnaire associé à la première synthèse

Après avoir reçu une première synthèse reprenant la définition de la plus-value, le schéma associé et la typologie (cf. revue de la littérature), le premier groupe (G1), composé de 10 experts, a répondu au premier questionnaire. Leurs réponses sont reprises dans le tableau ci-dessous.

Tableau 2

Résultats en lien avec la définition (G1)

Résultats en lien avec la définition (G1)

-> See the list of tables

La définition est considérée comme compréhensible par une grande majorité des experts (n=9). Bien qu’elle ne corresponde pas toujours à ce qu’ils entendent par plus-value (n=6), elle est généralement jugée pertinente et acceptable (n=8). Huit experts répondent qu’ils ne sont pas d’accord avec certains éléments de celle-ci et neuf précisent qu’il manque des éléments clés dans la définition. La moitié d’entre eux considèrent que le schéma est représentatif de la définition.

Plusieurs experts (n=4) soulignent la nécessité d’inverser le sens de la formulation de la définition : la plus-value n’est pas l’intégration du numérique, mais bien l’apport potentiel lié à celle-ci. Une vision trop technocentrée et renforcée par l’utilisation du mot « outil » a également été relevée (deux experts). Celui-ci sera remplacé par « dispositif » dans la nouvelle définition. Les termes « innovation » et « progrès », présents dans le schéma, ont également été intégrés à la définition sur base des commentaires des experts. La définition révisée est présentée ci-dessous.

Figure 4

Définition adaptée après le premier questionnaire

Définition adaptée après le premier questionnaire

-> See the list of figures

Tout comme pour la définition, la typologie est compréhensible pour la majorité des experts (n=8). La moitié des répondants n’est pas d’accord avec certains des éléments de la typologie et neuf sur dix estiment qu’il y manque des éléments clés. Les résultats en lien avec la typologie sont repris dans le tableau suivant.

Tableau 3

Résultats en lien avec la typologie des plus-values

Résultats en lien avec la typologie des plus-values

-> See the list of tables

Plusieurs experts remettent en question l’exhaustivité des catégories proposées. Des cases avec des pointillés ont été ajoutées pour montrer que d’autres éléments pouvaient être ajoutés, et des exemples d’usages ont été ajoutés selon les suggestions des experts. Par exemple, E3G1 cite notamment le fait de s’exprimer, de communiquer, d’interagir (répondre à quelqu’un, discuter...), de partager et réutiliser. Les catégories ont également fait l’objet de plusieurs modifications. Pour E7G1, il est nécessaire de distinguer les fonctions pédagogiques (Peraya, 2008) des exemples d’usage. Un des experts (E3G1) a également souligné la nécessité de renommer la catégorie plus-values du numérique pour que cela ne porte pas à confusion avec les plus-values du numérique de l’enseignement. Elle a donc été renommée apports transversaux du numérique. Il en est de même pour la dernière catégorie qui a été renommée apports potentiels pour englober l’ensemble des exemples y figurant. La typologie ainsi revue est présentée ci-dessous.

Figure 5

Typologie après les adaptations liées aux résultats du premier questionnaire

Typologie après les adaptations liées aux résultats du premier questionnaire

-> See the list of figures

Bien que la conceptualisation semble globalement compréhensible et pertinente, elle a nécessité un certain nombre de modifications pour s’approcher davantage d’un consensus. Une nouvelle synthèse (annexe 3) a donc été rédigée : elle présente à la fois les résultats du premier questionnaire ainsi que la définition et la typologie modifiées selon les commentaires des experts.

Étape 2 : Résultats du questionnaire associé à la deuxième synthèse

Deux panels d’experts ont répondu au deuxième questionnaire. Le premier est composé des mêmes experts que lors de l’étape 1 (G1), le deuxième est composé de dix experts supplémentaires (G2).

Dans le premier groupe, un des experts a préféré envoyer ses remarques par courriel sans utiliser le questionnaire proposé. Dans le deuxième groupe, un entretien a été réalisé avec l’un des experts à la place du questionnaire. Ceci explique le nombre de réponses (n=9) dans les deux groupes aux questions dichotomiques. Le tableau suivant reprend les réponses des deux groupes.

Tableau 4

Résultats en lien avec la définition de l’étape 2

Résultats en lien avec la définition de l’étape 2

-> See the list of tables

La définition est donc considérée comme compréhensible par la totalité du G1 et par huit des neuf répondants du G2. L’expert ayant répondu que la définition n’était pas compréhensible (E4G2) ne précise pas pourquoi.

La définition correspond à ce que huit des neuf experts du G1 entendent par plus-value du numérique, mais seulement deux des neuf experts du G2 répondent que la définition correspond à ce qu’ils entendent par plus-value du numérique. Les commentaires préalablement formulés par le groupe 1 semblent donc avoir été pris en compte de manière efficace. Par contre, le fait de soumettre la définition à un nouveau groupe semblait nécessaire vu la différence de réponses obtenues dans les deux groupes.

La définition est acceptable/pertinente pour 16 des 18 experts interrogés. Pour E4G2, le fait de répondre par la négative pourrait être lié au manque de compréhension de la définition. E5G2, quant à lui, trouve qu’il n’est pas nécessaire de définir la plus-value du numérique. Treize des experts ne sont pas d’accord avec des éléments de la définition et quatorze indiquent qu’il manque des éléments clés.

Concernant les remarques et commentaires des experts, voici une synthèse de ceux-ci. Trois experts (E4G1, E1G2 et E10G2) précisent que la plus-value dépend des acteurs, de leurs besoins et perceptions. Deux experts (E1G1 et E4G1) soulignent la nécessité d’intégrer la notion d’apport immédiat ou différé directement dans la définition.

Le terme « action » ne fait pas l’unanimité et est remis en question par deux experts (E9G2 et E8G2), bien que proposé lors de l’étape précédente par plusieurs experts. Alors que E7G2 et E10G2 proposent de parler de plus-values du numérique en éducation, E7G1 propose de parler de plus-value dans l’enseignement et la formation afin d’élargir le champ d’application de la définition.

Un des experts (E6G2) précise : « Il y a plus-value si le dispositif qui intègre du numérique vient soutenir l’enseignement et l’apprentissage en facilitant celui-ci ou en amenant à un apprentissage en profondeur… ». E6G1 ajoute l’idée de « plus facilement » à celle de plus efficacement. Cela rejoint également les propos de E4G1 qui souligne l’importance de l’efficacité des usages, ceux de E2FG2 qui abordent l’amélioration des apprentissages ou E6G2 qui parle des effets positifs sur l’enseignement et l’apprentissage. E4G1 parle, quant à lui, de l’efficacité des usages.

La dichotomie entre ce qui est nouveau (pas possible de faire sans) et ce qui améliore est jugée comme fragile par plusieurs experts (E5G2, E10G2).

Pour ce qui est du schéma, 15 des 18 experts interrogés indiquent qu’il est bien représentatif de la définition. Différents points sont cependant soulignés dans les commentaires comme : l’importance de mettre l’accent sur le processus (E6G1, E10G1) sur le contexte (E10G1, E4G1), les acteurs (E10G, E4G1, E9G2), l’explicitation des différents termes inclus dans la définition (E1G2) ou encore l’ajout de l’apprentissage (E7G2).

La définition et le schéma ont donc été modifiés en conséquence.

Figure 6

Définition adaptée après le deuxième questionnaire

Définition adaptée après le deuxième questionnaire

-> See the list of figures

Pour ce qui est de la typologie, les réponses aux questions dichotomiques sont reprises dans le tableau ci-dessous.

Tableau 5

Résultats en lien avec la typologie des plus-values de l’étape 2

Résultats en lien avec la typologie des plus-values de l’étape 2

-> See the list of tables

Tout comme pour la définition, la typologie est compréhensible pour la majorité des experts (16/18). Onze des répondants ne sont pas d’accord avec certains des éléments de la typologie et 13 estiment qu’il manque des éléments clés dans la typologie. La typologie établie, bien que faisant l’unanimité quant à sa compréhensibilité, ne fait pas encore consensus quant à son contenu.

Concernant les fonctions pédagogiques, E1G2 et E1G1 proposent de préciser qu’elles ne sont pas exhaustives.

Pour E6G2, il faudrait repenser la distinction entre fonctions et usages. Pour E3G1, E4G1 et E1G2, il faut que les fonctions intègrent les pratiques d’enseignement et d’apprentissage.

E1G2 souligne la nécessité de créer des sous-catégories pour les apports et usages. E7G2 propose également de créer des sous-niveaux ou sous-catégories pour faciliter l’usage de la typologie. Pour E9G2, il faut distinguer les actions numériques des effets sur les acteurs. Pour E8G1, il faudrait distinguer les activités d’apprentissage des activités d’enseignement.

Une réorganisation de la typologie semble donc nécessaire. Dans ce sens, E1G2 demande d’expliciter le lien entre usages et apports dans la typologie et d’indiquer clairement où on situe la plus-value. E10G1 demande également de bien expliciter en quoi consiste la plus-value et où elle se situe dans la typologie, éventuellement de remplacer le titre de catégorie « apports potentiels » par « plus-value ». Pour E6G1 et E4G1, il faudrait modifier la présentation en tableau pour éviter de chercher à faire correspondre les lignes et pouvoir effectuer davantage de liens.

Réguler apparaissait deux fois dans la typologie précédente et plusieurs experts ont relevé cette erreur (E6G2, E8G2, E1G1).

Différents éléments à ajouter sont également proposés par les experts comme le fait de synthétiser, de conceptualiser et de s’exercer (E6G2) ou encore la supplantation et les ressources d’apprentissage numérique (E10G2).

Pour alimenter la typologie, E10G2 a conseillé les écrits de Felder (2019) qui reprend notamment les stratégies d’apprentissage de Bégin (2008) avec sélectionner, répéter, décomposer, comparer, élaborer, organiser, évaluer, vérifier, produire et traduire. Les habiletés de la Méthode d’Ingénierie des Systèmes d’Apprentissage (MISA) (Paquette, 2002) sont aussi référencées dans cet article et reprennent différentes classes d’habiletés : porter attention, intégrer, instancier/préciser, transposer/traduire, appliquer, analyser, réparer, synthétiser, évaluer et autocontrôler. Pour E9G1, il était nécessaire de consulter le référentiel de compétences Digcomp 2.2 (Vuorikari et al., 2022). Cela a permis l’ajout de « programmer » et « résoudre des problèmes ».

Pour prendre en compte les différents commentaires repris ci-dessous en respectant la nouvelle définition, la typologie a été subdivisée en trois parties. Une première qui correspond aux anciennes catégories de « fonctions pédagogiques » et « d’exemples d’usage ». Elle reprend les types d’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage et est basée sur les fonctions pédagogiques de Peraya (2008), les habiletés de Paquette (2002), les stratégies d’apprentissage de Bégin (2008) ainsi que nos précédentes recherches (Noben, 2022). Une deuxième qui correspond aux « apports transversaux du numérique » et qui reprend les transformations des pratiques d’enseignement et d’apprentissage liées à l’intégration du numérique en y ajoutant la catégorie des ressources multimédias basée sur la suggestion d’ajouter la supplantation (E10G2). Une distinction entre une didactique similaire (méthodologie et pratiques comparables, tâches identiques ou proches) et une didactique différente (modification de la méthode et des pratiques, tâches d’une autre catégorie) a également été intégrée pour remplacer l’idée de faire quelque chose de nouveau (pas possible de faire sans) ou de faire mieux qui avait été jugée comme fragile par plusieurs experts (E5G2, E10G2). Une troisième qui distingue différents types d’amélioration et qui correspond aux « apports potentiels ». Pour respecter le souhait des experts de catégoriser ces types d’amélioration, nous nous sommes basés sur la suggestion d’E10G2 de distinguer les améliorations matérielles et immatérielles et les types d’amélioration recensés par Kirkwood et Price (2014).

Puisque la plus-value du numérique en éducation a notamment été définie comme la transformation, résultant d’un processus d’intégration du numérique, il est nécessaire de partir de la (1) situation initiale, précédant ce (2) processus d’intégration du numérique, pour pouvoir identifier la (3) transformation et l’(4) amélioration permise par celle-ci. Il est donc nécessaire de préciser ces quatre points pour décrire la plus-value du numérique en éducation dans un dispositif spécifique. La typologie revue est présentée ci-dessous.

Figure 7

Typologie adaptée après le deuxième questionnaire

Typologie adaptée après le deuxième questionnaire

-> See the list of figures

Cette typologie des plus-values du numérique en éducation n’est pas exhaustive. En effet, selon les contextes spécifiques, d’autres améliorations sont observables.

Alors que les modifications effectuées semblent avoir rapproché les experts du G1 d’un consensus quant à la définition et la typologie proposées, cela n’est pas le cas pour le G2. Une dernière étape a donc été réalisée afin de s’assurer que les modifications effectuées étaient adéquates et permettaient aux experts de marquer leur accord quant à la pertinence de la conceptualisation.

Étape 3 : Résultats du questionnaire associé à la troisième synthèse

Seuls six des 20 experts (trois de chaque groupe) ont répondu au dernier questionnaire. Parmi ces six experts, deux répondent que la définition ne correspond pas à ce qu’ils entendent par plus-value du numérique et un seul estime que la définition n’est pas acceptable/pertinente. Leurs suggestions de modifications sont synthétisées ci-dessous.

Concernant la définition, E5G2 précise que « La définition part d’un présupposé non explicité que le numérique transforme les pratiques. Déjà la recherche montre que ce n’est que rarement le cas, ensuite les raisons d’utiliser du numérique ne sont pas liées qu’à une volonté de transformation des pratiques ».

E4G1 est d’accord avec la définition et précise « qu’elle pourrait signaler plus clairement qu’elle se limite aux plus-values sur les enseignants et les élèves pris individuellement… On peut observer aussi des améliorations ou des transformations à un niveau plus systémique : une équipe d’enseignants (niveau méso) ou l’école (niveau macro) ».

Le schéma semble trop linéaire pour E2G1 et devrait davantage mettre en exergue les interactions (E3G2). E3G1 propose de préciser que l’amélioration est perçue et que le contexte doit être lié à cette amélioration.

E3G2 explique que « En fait l’ensemble du texte semble trop marqué à mon goût par une conceptualisation classique de l’enseignement (transmissive) et pas assez centré sur le processus d’apprentissage, notamment les manières dont le numérique permet d’enrichir les interactions entre enseignants et élèves avec les savoirs ».

Pour E4G1, « Les transformations peuvent toucher au système : équipe d’enseignants ou école par exemple. Les transformations peuvent toucher aux perceptions/représentations/conceptions des enseignants ou des apprenants. Cela les transforme eux-mêmes, mais cette idée n’est pas reprise dans le schéma ou abordée dans les explications. Ceci n’est un peu abordé que dans la figure 4 où on parle de l’amélioration immatérielle du ressenti des acteurs. Mais ça n’est pas tout à fait la même chose ».

Ces éléments de réflexion et d’approfondissement n’ont pas engendré de refonte de la conceptualisation, mais ont été intégrés en ajoutant différentes informations à la suite de la typologie. En effet, les commentaires des experts ne portaient pas sur l’organisation de la typologie ou ses catégories, mais plutôt la notion de transformation. Ainsi, il a été précisé que bien que la conceptualisation se centre uniquement sur les plus-values en lien avec les pratiques d’enseignement-apprentissage, des transformations plus systémiques sont également observables (Baron et Depover, 2019). De plus, nous avons précisé que la notion de transformation englobait également les transformations des perceptions des acteurs en lien avec la notion d’artefact médiateur de Rabardel (1995), qui souligne que le processus par lequel un sujet transforme un objet technologique en un instrument est un processus interactif et situé, dans lequel le sujet exploite des schèmes d’utilisation en interagissant avec un artefact matériel ou symbolique pour construire un instrument. Ainsi, l’introduction d’un artefact, quel qu’il soit, va entrainer une transformation.

Discussion et limites

Rappelons que l’identification d’une plus-value lors de la construction du dispositif (plus-value potentielle) n’amènera pas nécessairement des améliorations ou des effets positifs sur les apprentissages. En effet, des éléments comme le processus d’appropriation pédagogique et d’apprentissage, les spécificités des acteurs, leurs caractéristiques propres, le contexte, la qualité des scénarios auront des répercussions sur le fait que la plus-value soit effective ou non. Cela ne pourra être constaté que lors de la mise en place du dispositif ou après sa mise en place.

À la lumière des données recueillies, croisées avec les écrits scientifiques existants, cette recherche a permis d’adapter la définition de la plus-value du numérique en éducation et d’y intégrer la notion de dispositif telle que définie par Peraya (1999), celles de processus, d’amélioration ou encore de transformation. Ceci a amené à redéfinir les catégories et sous-catégories de la typologie des plus-values du numérique en éducation. Ainsi, différentes catégories d’intégration du numérique dans les pratiques d’enseignement-apprentissage ont pu être relevées et complétées notamment grâce aux fonctions pédagogiques de Peraya (2008), aux habiletés de Paquette (2002) et aux stratégies d’apprentissage de Bégin (2008). Les ressources multimédias ont été ajoutées aux transformations (initialement nommées plus-values du numérique) avec la supplantation (Salomon, 1974, 1981), l’augmentation (Caudell et Mizell, 1992; Mallem et Roussel, 2014) et la visualisation (Peraya et Viens, 2005; Fontaine et Denis, 2008; Leboff, 2012). Enfin, la distinction entre didactique similaire et différente a été intégrée. Les trois types d’améliorations repris par Kirkwood et Price (2014) ont, quant à eux, servi à structurer les améliorations. Il a été précisé que ces trois types d’améliorations peuvent être à la fois matériels (observable) et/ou immatériels (liée au ressenti des acteurs).

L’utilisation de la méthode Delphi a donc permis de croiser les regards des experts et d’intégrer leurs apports dans la conceptualisation préalablement établie. Cependant, la sélection des experts a pu influencer les résultats obtenus, notamment le choix d’experts exclusivement francophones. Les différences d’opinions entre les experts peuvent également entraîner des divergences dans la définition et la typologie proposées. Toutefois, le fait de souligner ces divergences dans la présentation des résultats permet de minimiser ce biais.

Conclusion

Cette recherche visait à valider une définition et une typologie des plus-values du numérique en éducation. La méthodologie mise en place a permis d’obtenir une série de retours d’avis des experts et des propositions de modification de la conceptualisation proposée. Ce processus, bien que limitant le nombre d’experts sollicités de par son exigence en matière d’investissement et de temps, est très riche. Le défi était de taille : réunir des experts, ayant des cadres théoriques et des références parfois bien différents, et les amener, dans la mesure du possible, à se mettre d’accord sur une conceptualisation complexe. Il n’aura pas été totalement relevé : la définition et la typologie ne correspondent en effet pas totalement aux conceptions de chacun des experts. Cependant, la majorité d’entre eux s’accordent pour dire que la conceptualisation est pertinente et paraît sensée.

Cette théorisation semble donc pouvoir constituer une base concrète pour les enseignants et chercheurs qui souhaitent réfléchir aux plus-values du numérique en éducation. Cependant, afin de faciliter l’utilisation de cette conceptualisation, nous créerons un modèle simplifié pour soutenir ce processus réflexif.

Il est important de rappeler qu’intégrer le numérique dans des pratiques d’enseignement-apprentissage ne permettra pas systématiquement l’identification d’une plus-value et n’amènera pas nécessairement une transformation des pratiques. L’idée est bien de soutenir la réflexion sur l’intérêt, la pertinence, d’intégrer le numérique dans ses pratiques dans un contexte donné.