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Introduction

L’éducation internationale a accéléré plus que par le passé la mobilité estudiantine à travers le monde. À côté de celle-ci, un nouveau paradigme se dessine. Plusieurs études ont ainsi révélé que la mobilité au sein d’une même aire géographique (intra-régionale) a été particulièrement ascendante ces dernières années (Lee, 2017; Lee, Jon et Byun, 2016). Pour cette raison, la présente étude constitue une contribution à la littérature sur cette question de mobilité estudiantine dans les pays en voie développement, notamment en Afrique. La mobilité intra-régionale est une réalité qui apporte des limites à la théorie de la dépendance, qui stipule que le monde est inégal : il y a un centre de connaissances (le Nord) et un centre des consommateurs de connaissances (le Sud) (Altbach, 2003). Autrement dit, la mobilité estudiantine est unidirectionnelle. Elle se fait du Sud au Nord, et ce, en raison des défis liés au manque d’accès à une éducation de qualité, au manque d’opportunité d’emploi, à l’instabilité politique et aux catastrophes naturelles dans les pays d’origine « dits moins développés » ou pays du Sud (Wen et Hu, 2019). Selon cette théorie, les pays du Sud ne devraient pas accueillir d’étudiants étrangers, car ils ne constituent pas des pôles de connaissances, mais plutôt un réservoir de personnes en quête de connaissances. De ce fait, la théorie connait une limite avec cette montée de la mobilité intra-régionale et l’émergence de nouvelles destinations dans des pays du Sud. Les « facteurs incitants et attirants », qui sont des facteurs qui, d’une part, poussent les étudiants à quitter leur pays d’origine et, d’autre part, les attirent dans les pays de destination, sont mis en examen pour déterminer ce qui change dans la mobilité intra-régionale dans ces pays.

L’article est structuré en cinq parties majeures. La première présente le poids du Cameroun dans la sous-région CÉMAC (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale). La deuxième démontre le double statut du Cameroun dans le jeu d’internationalisation de l’éducation. Le point suivant constitue une analyse comparative concernant l’attitude vis-à-vis d’étudiants étrangers entre le Cameroun et d’autres pays d’accueil. Finalement, les deux dernières parties présentent respectivement la méthodologie et les résultats.

Contexte de l’étude

Cette rubrique analyse non seulement le poids du Cameroun du point de vue géostratégique, socio-économique et formatif, mais aussi son statut dans le jeu d’internationalisation de l’éducation et l’attitude comparative vis-à-vis d’étudiants étrangers entre le Cameroun et d’autres pays d’accueil.

De l’analyse du poids du Cameroun sur les plans géostratégique et socio-économique

La position stratégique du Cameroun au coeur de l’Afrique et transversale à l’Afrique de l’Ouest lui offre un avantage naturel. Plusieurs auteurs, dont Abwa (2001), Ngouyamsa Mefire (2012), Djiraro Mangue et al. (2021), s’accordent sur ce point et donnent au Cameroun le rôle de leader sous-régional. D’autres montrent les retombées économiques liées à cette position (Abwa, 2001; Nkoa, 2005; Manciaux et Dougueli, 2012; Ngouyamsa Mefire, 2012). Il est aussi important de rappeler que le Cameroun dispose d’une démographie importante et constitue à lui seul quasiment la population de tous les autres pays de la sous-région, notamment le Gabon, la Guinée équatoriale, le Congo, le Tchad et la République centrafricaine (Djiraro Mangue, Nna, et Gonondo, 2021).

De l’analyse du poids du Cameroun sur le plan de l’offre de formations universitaires

Pour Djiraro Mangue et al. (2021), le Cameroun représente un pôle par excellence des formations en Afrique centrale. Il possède un nombre important de formations publiques et privées, ainsi que des ressources humaines qualifiées qui jouissent d’une grande notoriété dans la sous-région (Ngouyamsa Mefire, 2012). Nombre d’étudiants étrangers de la sous-région poursuivent leurs études au Cameroun. Une intra-mobilité facilitée par la « Déclaration de Malabo » du 25 juin 1999 adoptée par les chefs d’État de la CÉMAC. En effet, cette déclaration met un accent particulier sur les échanges d’enseignants et d’étudiants afin de propulser la coopération interuniversitaire concernant l’enseignement et la recherche dans le but d’accélérer l’intégration sous-régionale.

Contrairement à ses voisins de la sous-région CÉMAC, à l’instar du Gabon, de la Guinée équatoriale, du Congo, du Tchad et de la République centrafricaine qui possèdent respectivement 9, 1, 2, 7 et 1 universités publiques, le Cameroun comprend selon le ministère de l’Enseignement supérieur (MINESUP), excepté les 235 instituts privés d’enseignement supérieur, 11 universités publiques. Cette dotation du Cameroun en institutions universitaires est l’un des points qui séduit les étudiants étrangers de la sous-région. Outre son leadership géostratégique, économique et démographique démontré par des auteurs tels que Nkoa (2005), Abwa (2001), Manciaux et Dougueli (2012), et Ngouyamsa Mefire (2012), nous pouvons rejoindre Djiraro Mangue et al. (2021) pour dire que le Cameroun constitue un pôle par excellence des formations en Afrique centrale. À cet égard, il peut tout de même jouer le rôle de leader dans l’offre de formation sous-régionale.

Plusieurs études ont montré que le développement économique, les facteurs socio-culturels et le développement de l’offre de formation d’un pays font partie des facteurs qui attirent et retiennent les étudiants étrangers. La présentation de ces differents points sur le Cameroun permet ainsi non seulement de donner un aperçu sur le pays qui constitue l’objet d’étude, mais aussi de montrer que cette image reluisante génère des facteurs d’attractivité et de retention d’étudiants étrangers dans le pays d’accueil, car ces étudiants ont tendance à y demeurer après leur formation lorsque les condition de vie leur sont favorables.

Le double statut du Cameroun dans le jeu d’internationalisation de l’éducation

Dans le jeu d’internationalisation de l’éducation, certains pays sont reconnus comme pays d’origine d’étudiants étrangers, d’autres comme pays d’accueil, d’autres encore jouant les deux rôles. Quant au Cameroun, il revêt un double statut. Il est en même temps un acteur important dans l’envoi et la réception d’étudiants étrangers.

Le Cameroun comme pays d’origine

Avec près de 26 227 étudiants mobiles à l’étranger selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO, 2020), hormis 3 000 étudiants camerounais en Chine (Guiaké, Mangue et Gonondo, 2021; CGTN, 2019), le Cameroun est bien reconnu comme pays d’origine. Il fait partie des cinq premiers pays africains qui envoient le plus d’étudiants à l’étranger (Campusfrance, 2017). Ce chiffre reconnu par l’UNESCO représente 6 % de l’effectif d’enrôlement total national dans l’enseignement supérieur au Cameroun, soit un pourcentage bien plus élevé que ceux des pays du monde qui envoient le plus grand nombre d’étudiants à l’étranger, notamment la Chine et l’Inde. Ces derniers pays n’ont respectivement que 2,3 % et 1,3 % de leurs effectifs totaux d’enrôlement au niveau national (UNESCO, 2021). Ce taux élevé d’étudiants camerounais à l’étranger démontre clairement le statut du Cameroun comme pays d’origine.

Le Cameroun comme pays d’accueil

Outre son statut du pays d’origine, il est important de noter que le Cameroun reçoit beaucoup d’étudiants étrangers, notamment ceux de la sous-région CÉMAC. En 2019, selon les données du MINESUP, les institutions de formation supérieures camerounaises en général comptaient environ 13 097 étudiants étrangers. Récemment, à l’occasion de la rentrée universitaire 2021-2022, madame la rectrice de l’Université de Ngaoundéré, révélait, lors d’une entrevue accordée à Cameroon Radio Television, que l’institution dont elle avait la charge comptait environ 9 000 étudiants étrangers. Nous assistons ainsi à une augmentation significative d’étudiants étrangers au Cameroun.

De l’attitude comparative vis-à-vis d’étudiants étrangers

L’idée qu’on se fait de l’offre de formation internationale a beaucoup progressé au fil du temps. À ses débuts, celle -ci était perçue comme une aide aux pays d’origine. Elle a pris ensuite une orientation économique dans laquelle les pays d’accueil retenaient ces étudiants pour répondre à leurs déficits en ressources humaines. Cette pratique se passe encore dans plusieurs pays en manque du capital humain en raison de la population vieillissante et du taux de natalité réduit. De nos jours, une autre orientation entrepreneuriale dans la course à l’offre d’éducation internationale est le revenu tiré directement de ces étudiants pendant leurs séjours d’études.

Ailleurs : une attitude entrepreneuriale

L’internationalisation et l’offre de formation aux étudiants étrangers sont devenues un marché concurrentiel à l’échelle mondiale. Les pays d’accueil développent au quotidien de nouvelles stratégies pour attirer les étudiants étrangers dans leurs institutions d’enseignement supérieur (Campusfrance, 2018). Dans cette compétition, chaque pays projette d’atteindre un nombre important d’étudiants étrangers. La France, par exemple, avait fixé d’atteindre 500 000 étudiants étrangers en 2027, le Japon 300 000 en 2020, le Canada 450 000 en 2022 (Campusfrance, 2018; Dauwer, 2018; Esses et al., 2018; Hennings et Mintz, 2015) et la Chine 500 000 étudiants en 2020 (Wen et Hu, 2019). Ces projections sont accompagnées d’investissements colossaux, entre autres dans les bourses, les infrastructures universitaires, l’innovation et l’internationalisation des programmes d’études, et la formation des enseignants (Campusfrance, 2018 ; Xiaozhou et Meihui, 2009). En effet, à travers leurs droits universitaires et leurs dépenses quotidiennes, les étudiants étrangers contribuent financièrement à l’économie des pays d’accueil. Pour l’année universitaire 2018-2019, par exemple, Wang et Freed (2021) évaluent la contribution d’étudiants étrangers à l’économie des États-Unis d’Amérique à hauteur de 45 milliards de dollars. Les inquiétudes de certains pays concernant l’apparition récente de la COVID-19, ayant entraîné l’interdiction des voyages à travers le monde, trouvent une explication dans la perte des revenus provenant d’étudiants étrangers. Certaines études avaient estimé, par exemple, que l’Australie pourrait perdre environ 19 milliards de dollars américain en 2023 en raison de l’incapacité d’étudiants étrangers à poursuivre les études (Hurley et Dyke, 2020).

Héberger les étudiants étrangers avec une bonne politique dans ce sens s’avère être une source de revenus important pour le pays d’accueil.

Au Cameroun : une attitude de passivité et d’indifférence

Bien que des nombreux pays développés et ceux émergents font la course au marché d’étudiants étrangers pour soutenir leurs économies, le Cameroun reste passif et indifférent à de telles opportunités (Abwa, 2001 ; Nkoa, 2005). Pourtant, sa position stratégique et son poids économique lui permettent de s’imposer pour devenir un pôle sous-régional dans ce domaine (Abwa, 2001 ; Djiraro Mangue et al., 2021 ; Ngouyamsa Mefire, 2012). De nos expériences d’études à l’étranger (deux de trois auteurs) et de l’observation faite sur le terrain comme acteurs de l’enseignement supérieur au Cameroun, il est tout de même fondamental de rappeler que le Cameroun, contrairement aux autres pays d’accueil, ne montre pas d’intérêt pour l’attrait d’étudiants étrangers dans ses institutions universitaires. Il manque de politiques d’attractivité d’étudiants étrangers. Cette attitude explique le désintéressement qui caractérise le Cameroun. Ces étudiants y entrent de leurs propres initiatives ou à la suite de commentaires et conseils des proches sur la qualité de l’enseignement. Abwa (2001) décrit cette attitude du Cameroun comme une « posture d’effacement », une « diplomatie secrète » ou encore une « diplomatie d’absence ». Il faut avouer que cette attitude ne lui est pas bénéfique dans un monde où la concurrence est forte.

En raison de son statut de pays d’accueil, les objectifs de cette étude sont de répondre aux différentes questions, à savoir : Quelles sont les raisons qui font du Cameroun un pays attractif pour les étudiants étrangers ? Quelles expériences les étudiants étrangers ont-ils de leurs études au Cameroun et quelles appréciations en ont-ils ? Quelles en sont leurs perspectives de destination après la formation au Cameroun ?

Cadre de référence

La théorie de la dépendance et le modèle des « facteurs incitants et attirants » mentionnés ci-dessus sont utilisés comme cadre de référence théorique dans cette étude. Ils fournissent une base scientifique à celle-ci. Ils permettent de comprendre les raisons qui peuvent inciter les étudiants à poursuivre les études dans d’autres pays. La prise en compte dans notre outil de collecte des données des questions relatives aux raisons qui poussent les étudiants à poursuivre les études dans les universités camerounaises témoigne en effet l’application de ces théorie et modèle dans le contexte de la mobilité intra-régionale.

La théorie répartit le monde en « pôles » : le pôle Nord et le pôle Sud, ou en « monde développé » et « monde en voie de développement » dans lequel le dernier dépend du premier. Cette différence s’explique par l’histoire, le système économique et la politique du monde actuel (Smith, 2011). Pour ce dernier, ces pays en voie de développement ne peuvent exister sans leur dépendance, pourtant ils ne peuvent pas non plus exister avec cette dépendance. En rapport avec la migration ou la mobilité internationale des étudiants, les défenseurs de cette théorie montrent que la direction migratoire suit cette logique de dépendance. Le déplacement « unidirectionnel » vers les pays développés est tributaire du manque divers dans le pôle Sud. Cet argument est repris par le modèle des « facteurs incitants et attirants » qui soutient que les raisons de mobilité s’expliquent par des facteurs associés aux pays d’origine et ceux associés aux pays de destination (Lee, 1966). Les facteurs associés aux pays d’origine sont les facteurs qui incitent à quitter ces pays. Pour le cas des mobilités estudiantines, ils sont entre autres le manque d’établissements d’enseignement, l’instabilité politique et l’avenir incertain de la jeunesse (Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE], 2018). Ceux associés aux pays de destination sont le prestige des établissements d’enseignement, l’élévation du niveau de formation, les performances économiques plus élevées, la stabilité politique et la solidité des institutions (OCDE, 2018).

Méthodologie du travail

Dans cette partie nous présentons la population et le site de l’étude, l’outil de collecte des données et l’outil d’analyse.

Population et site de l’étude

Afin de déterminer les motivations qui poussent les étudiants étrangers à poursuivre leurs études supérieures au Cameroun, nous avons choisi de mener nos enquêtes auprès d’étudiants étrangers issus de divers programmes à l’Université de Yaoundé I et à celle de Ngaoundéré. Le choix de ces universités est basé sur plusieurs facteurs. L’Université de Yaoundé I est située dans une ville cosmopolite faisant office de la capitale politique. En plus, elle est souvent classée non seulement parmi les meilleures universités camerounaises mais de toute la sous-région (U.S.News, 2022). En ce qui concerne l’Université de Ngaoundéré et selon nos études préliminaires, elle est l’une des universités publiques du Cameroun qui accueillent le plus grand nombre d’étudiants étrangers ces dernières années. Aussi, sa position géographique non loin de plusieurs pays frontaliers du Cameroun constitue un autre facteur qui milite en sa faveur. Tous ces facteurs font que l’Université de Yaoundé I et celle de Ngaoundéré présentent ainsi un statut particulier pour l’attractivité d’étudiants étrangers qui désirent étudier au Cameroun, et par conséquent, des sites indiqués pour cerner la problématique de motivations et expériences d’étudiants étrangers au Cameroun.

Outil de collecte des données

Le questionnaire a été notre outil de collecte des données. Après sa validation au terme d’une pré-investigation, nous l’avons construit autour des thèmes tels que le profil du répondant (le genre, l’âge, le programme et cycle d’étude, le temps passé au Cameroun et le profil d’étude obtenu dans le pays d’origine), les motivations à étudier au Cameroun et les raisons du choix d’université d’accueil, les expériences vécues au Cameroun, et le plan de destination après les études au Cameroun. Il convient de relever que nous nous sommes servis du logiciel « Google Forms » pour concevoir le questionnaire, composé des questions fermées et ouvertes. Le recours à cet outil et aux différentes formes de questions a été motivé par le fait que nous voulions collecter conjointement auprès d’un nombre considérable d’étudiants des données aussi bien quantitatives que qualitatives. Les questions ouvertes nous ont permis de mieux comprendre certains détails concernant le sujet étudié. Elles ont été utilisées de manière complémentaire pour enrichir les données quantitatives et faciliter leurs interprétations (Gavard-Perret, Gotteland, Haon, et Jolibert, 2008). Les collectes des données ont commencé à l’Université de Ngaoundéré de février à juin et à l’Université de Yaoundé I de mai à juillet 2022. Nous avons ainsi aléatoirement adopté une technique de boule de neige en passant des questionnaires à plus de 200 répondants. Mais au bout du compte, nous n’avons collecté que 200 questionnaires valides, dont 108 (54 %) à l’Université de Yaoundé 1 et 92 (46 %) à l’Université de Ngaoundéré. La technique de boule de neige consiste à établir un premier contact avec un petit groupe de personnes pertinentes pour le sujet de recherche, puis à les utiliser pour établir un contact avec d’autres (Bryman et Bell, 2019; Dragan et Isaic-Maniu, 2013). Ainsi, nous avons préalablement contacté des étudiants responsables des niveaux (classes) qui nous ont orientés vers les étudiants étrangers de leurs classes. En suivant tous les protocoles d’éthique des collectes des données, et après chaque questionnaire passé, nous leur avons demandé s’ils connaissaient d’autres étudiants étrangers poursuivant des études dans la même université.

Outil d’analyse

Nous avons construit notre questionnaire autour des thèmes liés à nos objectifs d’étude. L’analyse a suivi ces thématiques déjà structurées dans le questionnaire. Ainsi, les données générées en tableaux, figures, entre autres, de « Google Forms », logiciel de conception de notre questionnaire, nous ont facilité l’analyse. Pour ce qui est des données des questions ouvertes, nous les avons réorganisées, résumées, exploitées puis incorporées dans la présentation des thèmes.

Résultats et discussion

Nous avons eu dans l’ensemble 167 répondants garçons, soit 83,5 % et seulement 33 filles, représentant 16,5 % de l’effectif total. 79,5 % sont en cycle de Licence (diplôme qui s’obtient après trois ans d’étude à l’université) et 20,5 % en Master (diplôme universitaire qui s’obtient en deux ans après la Licence dans le système LMD). L’intervalle d’âge dominant est de 20-25, correspondant au cycle de Licence.

Nos répondants sont issus de 11 pays, en l’occurrence le Tchad, la République centrafricaine, le Gabon, le Congo, le Soudan, l’Afrique du Sud, le Sénégal, la République démocratique du Congo, le Nigeria, l’Allemagne et l’Israël, avec une présence remarquable d’étudiants tchadiens, représentant 88,5 % de l’ensemble de répondants (voir figure 1). Dans les deux institutions, les étudiants tchadiens sont largement majoritaires. Les statistiques du MINESUP confirment d’ailleurs qu’en 2019 par exemple, sur 12 223 étudiants étrangers dans les universités d’État au Cameroun, 11 327 venaient du Tchad.

Figure 1

Différentes nationalités des répondants

Différentes nationalités des répondants

Notes : mis à jour en 2022.

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Après cette brève présentation sur les profils de nos répondants, les résultats de cette étude s’articulent autour de trois principales thématiques, lesquelles renvoient aux trois objectifs de notre recherche.

Motivations d’études au Cameroun et les raisons du choix des universités d’accueil

Pour notre premier objectif qui visait à déterminer les motivations et raisons qui font du Cameroun un pays attractif, notre outil de collecte des données pose deux questions fermées à choix multiples aux répondants : l’une sur les raisons du choix du Cameroun, l’autre sur leurs institutions d’accueil. Pour les deux variables, les réponses sont presque identiques.

Pour le choix du Cameroun, recevoir une formation de qualité est la raison la plus évoquée. Ainsi, près des deux tiers des répondants évaluent comme étant soit « essentiel » ou « très important » le facteur « je voulais une formation de qualité au Cameroun » (voir figure 2).

Figure 2

Combien important est le facteur « je voulais une éducation de qualité »

Combien important est le facteur « je voulais une éducation de qualité »

Notes : Mis à jour 2022

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Si nous prenons le cas du Tchad qui compte pourtant sept universités publiques, le facteur « je voulais une éducation de qualité » trouve pleinement son sens. Ces étudiants ne sont pas au Cameroun par manque d’opportunités d’accès à la formation ou du programme d’études sollicité dans leurs pays. En effet, excepté ceux qui n’avaient pas encore de spécialisation avant de venir au Cameroun, plusieurs répondants rapportent poursuivre leurs études dans le même domaine ou dans un domaine similaire avec celui qu’ils avaient commencé dans leurs pays d’origine. Seulement environ 13 % des répondants au total continuent dans un domaine différent (voir figure 3).

Figure 3

Domaine d’études au Cameroun comparé à celui initial

Domaine d’études au Cameroun comparé à celui initial

Notes : données de 2022.

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À la question ouverte leur demandant d’énumérer quelques points sur lesquels ils sont satisfaits de la formation au Cameroun, le facteur « formation de qualité » est dominant. Ce point a été mentionné pratiquement par tous les répondants. La qualité de formation est donc la première motivation qui pousse les étudiants étrangers à poursuivre leurs études au Cameroun.

Conséquemment, le choix des universités est motivé par leur popularité et leur bonne réputation. La majorité des répondants ont noté qu’ils sont dans leurs institutions d’accueil parce que ces établissements sont populaires. Cette raison ne déroge pas à ce qui est généralement considéré comme premiers facteurs à examiner lorsque l’on pense à faire des études à l’étranger. La popularité ou la réputation des universités d’enseignement supérieur a été toujours parmi les premières raisons du choix d’institutions d’accueil (Dai, Hu, Li, et Oladipo, 2023 ; Kaur et Singh, 2018 ; Mazzarol et Soutar, 2002 ; Wen et Hu, 2017). C’est pour cette raison que les universités réputées du monde attirent beaucoup d’étudiants. Tout étudiant voudrait bien poursuivre ses études dans ces universités qui ont une certaine renommée mondiale, régionale ou nationale. La seule mention de celles-ci sur les diplômes offre très souvent un certain avantage concernant le recrutement dans le monde du travail (Kail, 2008 ; Guiaké, Gonondo, et Béché, 2023).

Ces réponses sont en cohérence avec notre cadre théorique des « facteurs incitants et attirants » qui soutiennent que la mobilité estudiantine est la résultante de ce qui manque dans le pays d’origine (facteurs incitants) en matière, entre autres, d’accès, de qualité et des opportunités, mais aussi de ce qui attire ailleurs (facteurs attirants) par rapport à ces mêmes facteurs. Pour ce cas de figure, la qualité de formation au Cameroun est le facteur mis de l’avant dans l’attrait d’étudiants sous-régionaux.

La deuxième raison donnée en guise de leur motivation à poursuivre les études au Cameroun est « la proximité géographique et culturelle ». 95 % des répondants sont issus des pays de la zone CÉMAC, zone où le Cameroun partage des frontières avec tous les membres de la communauté. Étant au centre de cette CÉMAC et la « locomotive » de la zone (Abwa, 2001; Djiraro Mangue et al., 2021), il est donc évident que la proximité géographique joue un rôle en faveur du choix du Cameroun comme destination d’études.

En plus de la proximité géographique, on trouve au Cameroun les principales cultures (soudano-sahélienne et bantou) et religions (chrétienne, musulmane et traditionnelle) pratiquées dans toute la sous-région. Ce multiculturalisme et ce pluralisme religieux font en sorte que les étudiants étrangers se sentent chez eux au Cameroun. Le facteur « langue » est aussi important dans l’attractivité d’étudiants dans un pays : avoir une langue en commun facilite la communication et par ricochet l’inter-mobilité (CampusFrance, 2017; OCDE, 2018). Tous les pays de la zone CÉMAC, excepté la Guinée équatoriale, partagent en commun le français. Ceci constitue un atout pour les échanges et mobilités universitaires.

Cependant, contrairement au facteur « proximité géographique et culturelle » qui est l’une des principales motivations dans le choix du Cameroun, notamment pour les étudiants de la sous-région, l’enquête révèle que ce facteur n’est pas important pour leur choix d’institution d’accueil. L’interprétation qui en résulte montre que la question linguistique influencerait le choix des institutions d’accueil. Les universités camerounaises se distinguent en universités francophones (celles qui utilisent le français comme langue d’instruction), en universités bilingues (les universités utilisant le français et l’anglais), et les universités à caractère anglo-saxon (qui utilisent uniquement l’anglais comme langue d’instruction). Le choix porté sur certaines universités relèverait de ce défi linguistique. D’ailleurs, un certain nombre de répondants de l’Université de Yaoundé I, université à caractère bilingue, ont fait part de leurs préoccupations des cours donnés en anglais.

Les « conseils des proches » est une autre raison évoquée par les répondants en raison de leur séjour d’études au Cameroun. Ceux-ci ont joué, d’après les résultats d’enquêtes, un rôle important non seulement pour le choix du Cameroun, mais surtout pour le choix de leurs différentes institutions d’accueil. Sur la question, 70 % des répondants affirment que les conseils des proches se sont révélés décisifs dans leur choix. Ils sont généralement prodigués par ceux qui ont une connaissance ou une expérience de certaines institutions universitaires camerounaises. Forts de ces expériences, ils jouent donc un rôle d’orientation pour ceux qui voudraient étudier au Cameroun.

Bien que les raisons telles que la formation de qualité, la popularité des universités et les proximités culturelles données par nos répondants se rapportent davantage aux facteurs attirants, elles confortent l’idée qui est celle du modèle des « facteurs incitants et attirants », justifiant les mobilités estudiantines par des facteurs qui, d’une part, poussent les étudiants à quitter leurs pays d’origine et, d’autre part, les attirent dans les pays de destination.

De l’expérience formative et sociale au Cameroun

S’enquérir des expériences formative et sociale d’étudiants étrangers au Cameroun était le deuxième objectif poursuivi par l’étude. Trois principales questions y afférentes ont été posées aux répondants. La première évalue leur satisfaction sur une échelle de Likert de cinq niveaux, allant de « très satisfait » à « pas du tout satisfait », leur demandant s’ils sont satisfaits de leur séjour d’études au Cameroun. La deuxième et la troisième sont des questions ouvertes demandant (question 2) les aspects sur lesquels ils sont satisfaits, sur les plans formatif et social, et (question 3) ceux sur lesquels ils sont moins satisfaits, aussi bien sur l’aspect formatif que social.

Les réponses à la première question sont présentées dans la figure 4 ci-dessous.

Figure 4

Satisfaction du séjour d’études au Cameroun

Satisfaction du séjour d’études au Cameroun

Notes : données de 2022.

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Sur cette figure, il se dégage qu’un premier groupe avec un grand nombre d’étudiants est « plus ou moins satisfait » de son séjour d’études au Cameroun, suivi d’un deuxième groupe « satisfait ». Le troisième groupe des répondants est « très satisfait ». Le quatrième et dernier groupe des répondants n’est « pas satisfait ». Il faut aussi relever que le facteur « pas du tout satisfait » n’apparait pas sur la figure, car aucun répondant ne l’a coché. La majorité des répondants qui affirment qu’ils sont plus ou moins satisfaits traduit le fait d’une expérience diversement appréciée entre les aspects formatif et social.

Les questions sur les motifs de l’appréciation de l’expérience nous ont permis de distinguer que les répondants sont plus satisfaits sur l’aspect formatif et moins satisfaits sur l’aspect social. Pour le premier, ils sont satisfaits de la qualité d’enseignement, du respect du calendrier universitaire et de l’égalité du traitement. Ainsi, au-delà des préoccupations concernant, notamment, la publication tardive des notes, les requêtes liées aux notes qui aboutissent rarement, le système bilingue et le système d’évaluation par QCM (questions à choix multiples) relevés par quelques répondants, la plupart ont répondu en ces termes: « organisation des enseignements, qualité de l’enseignement, manière de dispenser les cours, cours bien détaillés et expliqués, la qualité des enseignants, le bon fonctionnement des cours etc. », faisant allusion à la bonne qualité d’enseignement. Pour le second, en revanche, ils sont peu satisfaits. Un nombre important estime que les populations locales ne sont pas hospitalières et qu’il ne règne pas une harmonie sociale entre ces dernières et eux. Plusieurs étudiants trouvent qu’ils subissent de la discrimination. Une discrimination qui se manifeste par le coût élevé du loyer, des factures d’électricité et de l’eau potable. Ils rapportent également une tracasserie venant de la police, aussi bien à l’intérieur du pays qu’aux frontières. Environ 76 % des répondants l’ont évoquée avec insistance pour répondre à deux questions de l’enquête : l’une sur les mauvaises expériences, l’autre sur les recommandations à faire pour améliorer les conditions de vie d’étudiants étrangers au Cameroun.

L’insécurité et le coût de vie élevé sont entre autres les mauvaises expériences mentionnées par les étudiants étrangers dans les deux institutions.

Bien que les appréciations soient diversement partagées, on retient que les expériences d’étudiants étrangers dans les universités de Yaoundé I et de Ngaoundéré sont bonnes sur l’aspect formatif, mais mitigées sur celui social.

Des perspectives de destination après les études au Cameroun

Le troisième et dernier objectif de l’étude concernait le plan de destination d’étudiants après la formation au Cameroun. Les expériences vécues dans les pays d’accueil par les étudiants étrangers s’avèrent souvent déterminantes quant à la direction à prendre après les études. C’est pourquoi nous nous sommes intéressés lors de la collecte des données à l’aspect « plan après les études » afin de déterminer le rapport entre leurs expériences au Cameroun et les perspectives de destination après les études. La principale question leur proposait le choix entre le Cameroun et leur pays d’origine. Elle demandait notamment quel aurait été leur choix si l’opportunité du travail leur avait été offerte dans ces deux pays. Comme l’indique la figure 5, 89 % des répondants disent vouloir rentrer. Seulement 11 % voudraient travailler au Cameroun.

Figure 5

Préférence de destination après la formation au Cameroun

Préférence de destination après la formation au Cameroun

Notes : mis à jour en 2022.

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Pour la majorité des répondants qui veulent rentrer dans leurs pays d’origine, les raisons avancées ont été exprimées en ces termes : « pour contribuer au développement de mon pays, le salaire élevé dans mon pays, on paie bien chez nous, le patriotisme, raisons familiales, la xénophobie au Cameroun, les étrangers subissent trop des tracasseries policières au Cameroun ». Et, pour ceux qui voudraient s’installer au Cameroun, ils avancent des raisons telles que : « le coût de vie est moins cher au Cameroun, l’environnement du travail est favorable, le Cameroun est assez développé par rapport à mon pays, tout Africain est chez lui en Afrique, donc le Cameroun c’est aussi le chez moi ».

Comme nous l’avons précédemment dit, il existe un lien entre l’expérience vécue dans le pays d’études et la direction à prendre après la formation. Les étudiants qui sont souvent satisfaits de leurs études et de leur vie socio-économique à l’étranger ont tendance à vouloir y travailler. Il apparait évident qu’avec 89 % des répondants qui disent vouloir rentrer, la satisfaction n’est pas au comble. Ce résultat témoigne justement l’insatisfaction sur le plan social mentionnée plus haut. Ce qui amène les étudiants à rester dans un pays d’accueil, ce sont généralement les conditions socio-économiques favorables. Dans l’optique de devenir un pôle sous-régional de destination d’études, le Cameroun gagnerait à se pencher sur l’amélioration des conditions de vie socio-économique d’étudiants étrangers, car elles permettent également de les attirer davantage.

Conclusion

Cette étude nous a permis de déterminer les différentes motivations d’étudiants étrangers à poursuivre leurs études supérieures au Cameroun et de s’enquérir sur leurs expériences au Cameroun. Les données collectées sur la question auprès de ces étudiants à l’Université de Yaoundé 1 et celle de Ngaoundéré nous ont révélé quatre raisons fondamentales quant à leurs motivations de poursuivre les études au Cameroun : la qualité de la formation, la popularité des institutions d’accueil, la proximité géographique et culturelle, et enfin les conseils des proches. Quant à leurs expériences, ils sont majoritairement satisfaits sur l’aspect formatif, mais moins sur le plan social. Nous avons remarqué d’ailleurs que cette insatisfaction sur le plan social a un lien avec le fait que 89 % des répondants veulent rentrer dans leurs pays d’origine après leur formation au Cameroun. Ils estiment que les conditions socio-économiques du Cameroun ne leur permettraient pas de mener une vie épanouie, car le SMIG (Salaire minimum interprofessionnel garanti) y est bas comparé à leur pays, les tracasseries policières sont fréquentes, et certains Camerounais ne sont pas hospitaliers.

Ainsi, malgré l’unique usage du questionnaire comme outil de collecte des données et la situation socio-économique des répondants non prise en compte, les résultats de cette étude restent tout de même crédibles et fiables.

La question de la mobilité estudiantine au Cameroun permet, pour des raisons de prospective, d’avoir certaines données sur le sujet afin d’amener le pays à adopter une attitude entrepreneuriale pour en bénéficier comme le font de nombreux pays d’accueil. Il sied de comprendre que nous vivons dans un monde capitaliste où seul l’intérêt compte. Cet intérêt se manifeste parfois par un rapport de force sur le plan régional, continental ou mondial. L’éducation internationale et la mobilité universitaire sont devenues un fonds de commerce international dans lequel il existe ce rapport entre les pays d’origine et ceux de d’accueil sur le bénéfice à en tirer. Nous avons aussi montré que, de par, sa position géostratégique, son poids socio-économique et sa dotation en institutions de formations universitaires, le Cameroun peut devenir un pôle de l’offre d’éducation internationale dans la sous-région, surtout avec la montée en puissance de la mobilité intra-régionale observée à travers le monde. Il peut aspirer non seulement à l’intérêt économique que ces étudiants peuvent apporter, mais aussi au prestige et à toute influence culturelle qu’offre cette pratique. Les études de Guiaké, M., Chen, D., et Zhang, T. (2021); Lee et al. (2016); Wen et al. (2017) montrent d’ailleurs que la motivation première de certains pays comme la Chine à accueillir les étudiants étrangers est attribuée au gain de prestige qu’apporte l’offre d’éducation internationale. Le Cameroun est donc encouragé à adopter un comportement entrepreneurial sur la question de l’offre d’éducation internationale afin d’en bénéficier pour son économie et d’en exercer son influence culturelle dans la sous-région.