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Introduction
Ce texte a pour but de présenter les grandes lignes de notre projet de recherche doctorale. Il porte sur le travail des enseignantes et des enseignants en adaptation scolaire (EAS) débutants et l’apport perçu de leur formation initiale à l’enseignement. Après avoir brossé à grands traits la problématique de la recherche, nous présentons le cadre de référence et quelques éléments méthodologiques. Une conclusion permettra de mettre en relief la pertinence de cette recherche.
Problématique de la recherche
Au Québec, les EAS représentent plus de 12 % de l’effectif enseignant du secteur de la formation générale des jeunes (Gouvernement du Québec, 2022). Bien qu’ils soient appelés à oeuvrer majoritairement au sein de la classe spéciale (Boudreau, 2012), laquelle est constituée d’élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA), leur travail est pourtant peu défini concrètement et reste méconnu. En parallèle, l’insertion professionnelle (IP) représente une phase névralgique et déterminante dans la carrière enseignante (Mukamurera, 2018) : plusieurs novices quittent prématurément la profession (Nguyen et al., 2020), ce qui accentue la pénurie de personnel enseignant (Dupriez et al., 2023). Or, malgré le fait que certains défis des EAS débutants soient semblables pour tous les enseignantes et enseignants, d’autres sont plutôt distincts (Giguère et Mukamurera, 2019) et méritent d’être éclairés du point de vue de leur travail.
Notre recherche, privilégiant une approche qualitative interprétative (Savoie-Zajc, 2018), vise à décrire et à comprendre le travail des EAS débutants, chargés d’enseigner en classe spéciale. En outre, elle s’intéresse aux perceptions de ces mêmes EAS, relativement aux forces et limites de leur formation en enseignement, et ce, considérant que l’un des enjeux de la formation initiale des EAS est de préparer à un large champ d’intervention (populations d’élèves diversifiées, contextes d’enseignement multiples, travail de collaboration avec plusieurs partenaires, etc.). La question générale orientant notre projet de thèse est donc la suivante : comment se caractérise le travail des EAS débutants et quel est l’apport perçu de leur formation initiale en ce qui a trait à ce travail ?
Cadre de référence
L’IP en enseignement est envisagée selon une approche multidimensionnelle développée par Mukamurera (2018). La connaissance et la prise en compte de cinq dimensions (l’intégration en emploi, l’affectation et les conditions particulières de la tâche, la socialisation organisationnelle, la professionnalité ainsi que la dimension personnelle et psychologique), liées à des degrés variables au travail et à l’apport perçu de la formation initiale des EAS débutants, permettront de jeter un meilleur éclairage sur l’expérience d’insertion des EAS.
Quant au concept de travail, Dujarier (2018) distingue quatre facettes : le travail prescrit, le travail réel, le travail réalisé et le travail vécu. Considérant la complexité du travail réel (p. ex., le travail cognitif et réflexif), nous avons choisi de nous en tenir au travail prescrit, réalisé et vécu. Le travail prescrit de l’EAS débutant réfère à la tâche attribuée, « à ce qui est formellement demandé, organisé et contrôlé » (Dujarier, 2018, p. 53). Quelles sont les composantes ou les caractéristiques de son affectation (contrat) ? Quel mandat lui est attribué ? Quel(s) programme(s) et matière(s) enseigne-t-il ? À quelle(s) population(s), à quel(s) niveaux et à combien d’élèves enseigne-t-il ? Concernant le travail réalisé, il s’agit des tâches (le plus souvent visibles) accomplies au quotidien. Nous chercherons à décrire une journée type de travail d’un EAS débutant sans négliger ce qui se fait en dehors de l’horaire prescrit ou des murs de l’école. Enfin, pour le travail vécu, une attention sera portée sur ce que les EAS vivent en relation avec leur travail, à leurs perceptions relatives aux conditions de la tâche et aux principaux défis rencontrés. D’autres thèmes plus subjectifs seront également considérés, par exemple le sentiment de compétence, les aspects du travail les plus stressants, le poids émotionnel que suscite le travail auprès de populations vulnérables, et ce qui motive plus ou moins ces EAS à poursuivre leur carrière.
Quelques indications méthodologiques
La collecte de données, prévue à l’hiver 2024, sera réalisée auprès d’une vingtaine d’EAS débutants issus d’un même programme de baccalauréat en adaptation scolaire et sociale. Les données, qui seront recueillies par l’entremise du journal de bord de l’enseignante ou de l’enseignant et de l’entrevue individuelle semi-dirigée, feront l’objet d’une analyse thématique. Le journal de bord sera rempli par les personnes participantes pendant 14 jours consécutifs (y compris les fins de semaine) et permettra principalement de documenter le travail prescrit et réalisé des EAS novices. L’entrevue individuelle sera quant à elle nourrie, en grande partie, par les informations partagées préalablement dans le journal de bord. Les entrevues permettront de recueillir des données riches en détail, en nuances, en descriptions et en profondeur (Savoie-Zajc, 2021), et ce, à la fois au sujet du travail (prescrit, réalisé et vécu) que de l’apport perçu de la formation initiale pour ce travail.
En guise de conclusion
Le projet présenté vient mettre en dialogue le travail des EAS en situation d’IP et la formation initiale en adaptation scolaire et sociale. En cohérence avec le mouvement de professionnalisation de l’enseignement, il rappelle l’importance de rapprocher la formation en enseignement de la réalité du travail (Perrenoud, 2014) et de concevoir cette formation à partir de données issues de la recherche (Gouvernement du Québec, 2001). En plus de combler un manque important dans la littérature scientifique, l’étude compte contribuer à un idéal, soit une progression logique et cohérente entre la formation initiale, l’IP et la formation continue (Mukamurera, 2014). Sachant que la formation initiale ne peut préparer à toute la complexité associée au travail de l’EAS (Dufour et al., 2014), nous espérons qu’elle pourra éclairer les besoins de soutien à l’insertion professionnelle et de formation continue des EAS débutants.
Appendices
Bibliographie
- Boudreau, C. (2012). L’enseignant en adaptation scolaire et l’orthopédagogue : ce qui distingue l’un et l’autre. Vie pédagogique. 85, 14-17. https://periscope-r.quebec/full-text/numero_160_1.pdf
- Dufour, F., Meunier, H. et Chénier C. (2014). Quel est le sentiment d’efficacité personnelle d’étudiants en enseignement en adaptation scolaire et sociale dans le cadre du stage d’intégration à la vie professionnelle, le dernier stage de la formation initiale ? Dans L. Portelance, S., Martineau et J. Mukamurera (dir.), Développement et persévérance professionnels dans l’enseignement. Oui, mais comment ? (p. 75-92). Presses de l’Université du Québec.
- Dujarier, M.-A. (2018). L’idéal au travail. Presses universitaires de France.
- Dupriez, V., Perisset, D. et Tardif, M. (dir.). (2023). Les pénuries d’enseignants : marchés du travail, attractivité et expériences du métier. Presses de l’Université Laval.
- Giguère, F. et Mukamurera, J. (2019). Les difficultés et les besoins de soutien des enseignants débutants en adaptation scolaire. Éducation et socialisation, 54.
- Gouvernement du Québec. (2001). La formation à l’enseignement. Les orientations, les compétences professionnelles. Ministère de l’Éducation. http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/reseau/formation_titularisation/formation_enseignement_orientations_EN.pdf
- Gouvernement du Québec. (2022). Banque de données des statistiques officielles sur le Québec. Personnel enseignant des commissions scolaires, selon le secteur et l’ordre d’enseignement, le champ d’enseignement, le statut d’emploi et le sexe, Québec, 2015-2016 à 2020-2021. https://bdso.gouv.qc.ca/pls/ken/ken213_afich _tabl.page_tabl?p_iden_tran=&p_lang=1&p_m_o=MEQ&p_id_raprt=3609-temps=2021-2022&tri_sect=10
- Mukamurera, J. (2014). Le développement professionnel et la persévérance en enseignement : éclairage théorique et état des lieux. Dans L. Portelance, S. Martineau et J. Mukamurera (dir.), Développement et persévérance professionnels dans l’enseignement. Oui, mais comment ? (p. 9-33). Presses de l’Université du Québec.
- Mukamurera, J. (2018). Les préoccupations, le sentiment de compétence et les besoins de soutien professionnels des enseignants débutants : un état de la situation au Québec. Dans J. Mukamurera, J.-F. Desbiens et T. Perez-Roux (dir.), Se développer comme professionnel dans les occupations adressées à autrui : Conditions, modalités et perspectives. (p. 189-237). Les éditions JFD.
- Nguyen, T. D., Pham, L. D., Crouch, M. et Springer, M. G. (2020). The correlates of teacher turnover: An updated and expanded meta-analysis of the literature. Educational Research Review, 31, 1‑17.
- Savoie-Zajc, L. (2018). La recherche qualitative/interprétative. Dans T. Karsenti et L. Savoie-Zajc (dir.), La recherche en éducation: étapes et approches (p. 191-217) (4e éd.). Les Presses de l’Université de Montréal. (Ouvrage original publié en 2000)
- Savoie-Zajc, L. (2021). L’entrevue semi-dirigée. Dans B. Gauthier (dir.), Recherche sociale. De la problématique à la collecte des données (5e éd., p. 339-360). Presses de l’Université du Québec. (Ouvrage original publié en 1984)