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Contexte

La pénurie de personnel enseignant qui a cours depuis quelques années a pour cause différents facteurs, tels que la perte d’attractivité des formations à l’enseignement et une détérioration des conditions de travail (Dupriez et al., 2023). Cette situation entraine le recours fréquent à du personnel enseignant non légalement qualifié (ENLQ), dont la proportion a atteint le quart du personnel enseignant actif (Mukamurera et al., 2023). Ce contexte critique soulève de nombreuses inquiétudes dans les milieux universitaire et scolaire (Harnois et Sirois, 2022) et nécessite la mise en place de réflexions concertées entre tous les acteurs afin de cibler rapidement les actions les plus efficaces (Tardif et Mukamurera, 2023). Étant donné cet enjeu, les rôles et responsabilités des milieux scolaire et universitaire gagneraient à être clarifiés (Institut du Québec, 2019). Nous présenterons ici un exemple concret de collaboration entre ces deux milieux permettant d’illustrer la fonction de chacun, leur interdépendance ainsi que les retombées qui ont pu être observées.

Mise en oeuvre de la collaboration

En 2020, les membres d’une table réunissant des directions générales de centres de services scolaires (CSS) de la Montérégie et de l’Estrie, ainsi que des doyens universitaires formulaient le souhait d’unir leurs forces devant le constat inquiétant du manque de personnel qualifié. De cette volonté est née une table de concertation rassemblant des professionnels et des gestionnaires dont les fonctions touchent le recrutement, l’accompagnement et le développement professionnel du personnel enseignant, ainsi que des professeures universitaires. Le mandat était d’élaborer conjointement des actions pour composer avec la pénurie d’enseignants qualifiés. Certaines préoccupations communes avaient alors été énoncées : le maintien de la qualité de la formation du personnel enseignant malgré le contexte ; la contribution à la formation de la relève enseignante tout en permettant aux ENLQ de demeurer à l’emploi des CSS ; la formation et la diversification des voies de qualification des ENLQ.

Ainsi, dès l’année scolaire 2020-2021, cette table a ciblé deux priorités d’action : l’accompagnement des ENLQ à court et moyen termes ainsi que le développement d’un modèle innovant d’accompagnement des stagiaires de 4e année en situation d’emploi en vue de favoriser leur fidélisation dans les CSS et d’augmenter leur nombre de candidatures. Au coeur de ces deux chantiers se trouvait un objectif commun : assurer le développement professionnel des personnes qui enseignent aux élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire sans détenir de formation initiale complète en enseignement ni le brevet.

Afin d’être en mesure de poser des actions efficientes, la table a statué qu’il fallait obtenir préalablement un portrait de la situation des besoins du personnel enseignant concerné. Ainsi, grâce à la collaboration avec l’UQAM, des chercheuses[1] ont réalisé des groupes de discussion en 2020-2021 auprès d’ENLQ et de personnes les accompagnant au quotidien (directions, conseillères pédagogiques, mentores) et auprès de stagiaires de 4e année en situation d’emploi, de superviseures de stages, d’enseignantes associées et de directions d’établissement. L’analyse de ces données met d’une part en lumière les principaux défis des ENLQ interrogés : la gestion de la classe, la planification et l’évaluation, mais également le manque de préparation et de connaissances pour enseigner en contexte québécois (Dufour et al., 2023). En soutien aux milieux scolaires, des formations ont été organisées par l’UQAM pour les ENLQ (ex. : cours d’introduction à l’enseignement). D’autre part, concernant les stagiaires de 4e année en situation d’emploi, leurs principaux besoins relevés se rapportent à la conciliation travail-études-famille, aux interventions auprès d’élèves dits à besoins particuliers et à un accompagnement plus soutenu durant ce dernier stage et à la fin de celui-ci (Dufour et Labelle, 2023). Ces résultats ont mené au développement d’un projet-pilote[2], le Séminaire à l’accompagnement d’enseignants débutants (SAED) offert par des professeures1 de l’UQAM aux personnes accompagnant le personnel enseignant novice. Ce séminaire a été élaboré pour soutenir le Centre de services scolaire Marie-Victorin (CSSMV) dans l’accompagnement du nouveau personnel enseignant, y compris les ENLQ, en complémentarité des activités déjà mises en place, notamment par la collaboration entre les conseillères pédagogiques et l’équipe professorale.

Retombées

La collaboration entre le CSSMV et l’UQAM a également permis la mise en oeuvre d’un modèle innovant d’accompagnement des stagiaires de 4e année en situation d’emploi. Un projet-pilote a vu le jour au CSSMV durant l’année scolaire 2022-2023. Ainsi, un nouveau rôle de personne accompagnatrice a été créé, celui d’enseignante marraine. Ces six personnes ont été entièrement libérées de leur tâche d’enseignement de janvier à juin afin d’être enseignantes associées auprès de 14 stagiaires en situation d’emploi, et en poursuite de l’accompagnement à la fin du stage, à titre de mentores. L’accompagnement prévoyait des périodes d’observation, de rétroaction et de disponibilité pour des rencontres. Les enseignantes marraines ont participé au SAED offert par les professeures de l’UQAM avec la présence et la participation des conseillères pédagogiques dédiées à l’insertion professionnelle au CSSMV, ce qui a permis d’assurer la cohérence des actions réalisées par chacune et le partage des rôles et responsabilités. Ce type de collaboration requiert un certain investissement de temps de part et d’autre. Toutefois, l’interdépendance et les responsabilités conjointes ont permis de concrétiser un projet commun (Landry et Garant, 2013). Selon un bilan réalisé auprès des personnes concernées, l’une des principales retombées de ce projet-pilote est d’avoir assuré un accompagnement concerté axé sur le développement professionnel des stagiaires de 4e année en situation d’emploi (Dufour et Labelle, 2023). Cette expérience, parmi d’autres, illustre également toute la richesse de la collaboration entre les milieux universitaire et scolaire et invite à l’établissement de projets favorisant des ponts de collaboration entre ces milieux alliant la recherche, la formation et l’accompagnement.